Lorsqu’on insère « Légitime Défense » dans le lecteur, on sent directement que l’on se trouve face à un grand album. Le genre de skeud, qui sort une fois tous les 10 ans (et effectivement, les quelques rares albums de rap français qui m’ont fait vibrer sont à rechercher dans les années 90’s).
Une longue et énergique intro qui nous plonge direct dans l’ambiance, et c’est parti avec « Le calme avant la tempête », morceau très sombre, lent et mélancolique très réussi.
Surprenant début d'album !
Ce calme relatif est donc annonciateur de...
…La tempête avec « Révolte populaire » ! On sent que cette fois l'album démarre pour de bon !
Lyrics en béton, instru épique, et les deux mcs Skalpel et Guez, impeccables et radicaux. Ca décape : « Brûler le comico ça m’fait pas pleurer, et si cette école vétuste crame tant mieux elle sera rénovée ».
On enchaîne avec « Pas l’ami de tout le monde » en feat avec Eskicit. Un morceau où les mcs se démarquent du milieu hip hop corrompu, où tout le monde fraternise de façon hypocrite avec tout le monde. Une revendication d’un rap en marge, engagé et volontairement underground. Sans concessions : « Apparemment ça m’ plait d’pas être fréquentable, dérangé mental, j’mets en danger l’pe-ra rentable ».
Après l’interlude vient « Mémoires des luttes : Chapitre 1 », une vraie leçon d’histoire signée Skalpel. De Che Guevara aux Black Panthers, de Jean-Marc Rouillan à la CNT, en passant par Orwell, la RAF, Mumia Abu-Jamal, ou Marcos… le tout servi sur une instru à nouveau très épique (les cuivres font immédiatement leur effet). Gros gros morceau qui a fait récemment l’objet d’un clip.
« Insécurité » fait également très mal. Instru efficace, où le duo Skalpel/Guez dénonce la manipulation produite par les politiques, les médias, pour stigmatiser la jeunesse immigrée, faire passer des lois liberticides, et faire l’impasse sur l’insécurité sociale : « L’insécurité c’est le chômage, la précarité, le manque d’argent, le quotidien et ses difficultés, c’est l’absence de papiers, d’abris et de vêtements, comment ne pas approuver l’action de Droit Au Logement / Partisan de l’action directe, de la violence comme dernier recours, quand le pragmatisme s’apparente plus à une branlette camouflée sous les traits d’un beau discours ».
Vient ensuite la surprise de cet album : « Autour d’une bière », qui n’est pas le morceau festif que l’on pourrait soupçonner.
Guez ne nous a pas habitué à se livrer sur ses sentiments et c’est une vraie excellente surprise de le voir s’exprimer dans un morceau introspectif et sombre très réussi, servi par une instru judicieuse.
Et comme il le dit si bien : « Introspectif j’arrive pas à l’être, car j’arrive pas à parler, même mes potes j’appelle pas à l’aide. On dit de moi que j’suis un mec cool, y’a que sous alcool que j’peux me lâcher, et que des larmes coulent ».
« Lucides » repart sur un rythme plus varié, avec un excellent et surprenant sample rock qui fait immédiatement son effet. Magnifique. Au passage, on rappelle qu’il y a pire ailleurs : « Conscient du travail en usine, et du confort de ma p’tite vie, impossible que je m’érige en victime vu comment certains types vivent ».
Eskicit refait une apparition pour « En première ligne ». Une instru plus lourde, sombre, qui laisse la part belle aux mcs pour exprimer leurs lyrics toujours affûtés.
Ce morceau prend encore davantage de sens lorsque l’on sait qu’il y a à peine quelques jours, le 28 mars, La K-Bine a été victime d’une RAFLE policière à l’occasion d’un rassemblement anti-carcérale pour lequel ils donnaient un concert (ainsi que plusieurs dizaines de manifestants).
Skalpel, en solo, enchaîne sur « Esprit torturé 1 ». Un morceau magique, assez introspectif, où tout y est. Instru planante, lyrics touchants et peu communs dans le rap :
« Mon destin est entre les mains d’un putain d’SOS, et moi j’ai pas fini de ruminer ma tristesse. En lutte contre mes contradictions ces inavouables jours de paresse, monde de merde, société pourrie où c’qui compte c’est le paraître, la conso, la marque sur la basket, et l’exploitation animale reflétée dans nos assiettes ». Tout est dit.
Changement de ton sur « Les médias mentent ». Un titre « évident » mais avant tout une réalité qui ne change pas – et qui s’aggrave même - qu’il est important de dénoncer. Le duo en parle parfaitement, dossiers et exemples à la clé !
« Trou Noir » en feat avec Sheryo constitue le seul morceau léger de l’album. Un délire de fin de soirée assez drôle et qui contribue à la diversité du skeud. Après tout ce que l’on a déjà pris dans la gueule à ce stade de l’album, ça permet de respirer un peu, et en plus, c’est franchement réussi !
Seconde interlude puis vient « La solidarité est une arme », un appel à l’entraide, un hommage à ceux qui résistent de façon radicale, sur fond de guitare acoustique : « Je sais c’est pas facile mais imagine tous ceux qu’on assassine, internationaliste est cet hymne, quand dans sa solitude l’individu n’entend pas les bombes, moi je me veux citoyen du monde, adopte l’attitude de ceux qui luttent contre un système qui tue ». Morceau posé qui reste dans la tête.
« Independentzia !!! » est une petite mise au point de Skalpel, vexé de s’être fait taxer de nationaliste, qui s’explique sur les raisons de son soutien aux indépendantistes basques. Une explication claire, nette et précise.
Vient ensuite « Esprit torturé 2 », bon morceau mais qui ne vaut pas le « 1 ». L’instru est un peu moins judicieuse et ne sert pas très bien des lyrics par contre toujours affûtés et irréprochables.
Une petite déception vu la qualité de l’album, mais un morceau en béton si on le compare à tout ce qui peut se faire en matière de rap français.
« Rap de Daron 2 » en feat avec Dad et Kash Leone nous explique que l’on a à faire à des adultes qui rappent… comme des adultes. Et dans une scène rap qui vise les portes-monnaies d’adolescents naïfs ou d’adultes décérébrés, ça fait du bien .Très efficace et servi encore une fois par une excellente instru encore une fois assez dark.
Vient un morceau surprenant, narratif et rempli d’émotions, c’est « Exil ».
Un véritable morceau sentimental sur la séparation qui se veut touchant… et encore une fois c’est une franche réussite. L’instru colle parfaitement, très douce, et le morceau est impeccablement rythmé par les deux mcs. Encore un indispensable !
« Bienvenue en France » frappe très fort avec une putain de grosse instru bien lourde et sombre. Skalpel annonce la couleur d’entrée :
« Pas la peine de nous faire de faux plans, de résumer notre critique de la société française à du racisme anti blanc, loin de la pensée de ces philosophes de bas étage. La France telle qu’elle est, je ne l’aime pas et je ne la quitte pas connard, retourne soigner ton bronzage ».
Pizko Mc et Guez enchaînent avec des couplets également bien chargés. Enorme.
« Réussite ? » conclut à merveille l’album. Instru un peu inquiétante, et encore une fois les lyrics font mal et critiquent ces gens pour lesquelles, malheureusement, réussite rime avec tunes à profusion… « La réussite n’a rien de financière, quand j’regarde en arrière y’a de quoi être fière ». Un jolie conclusion.
Cet album de rap ne surprendra pas forcément par l’originalité des thèmes abordés. En même temps, il n’est pas là pour cela et si les thèmes sont récurrents, c’est peut-être que les problèmes perdurent…
Les instrus sont variées et efficaces, les mcs arrivent à transmettre leur rage militante, tout comme leur « pessimisme », toujours combatif, souvent teinté de tristesse.
Les invités, Pizko Mc, Eskicit, Sheryo, Dad et Kash Leone apportent un vrai plus et participent à la diversité du skeud.
Skalpel et Guez s’expriment très clairement, intelligemment, et on sait qu’ils joignent en plus les actes à la parole, preuve irréfutable de leur sincérité.
Dans ce milieu de mythomane qu’est le rap, ça fait plaiz ! (doux euphémisme).
Ne vous contentez donc pas d’écouter et d’apprécier La K-Bine.
Faites un peu plus en vous déplaçant aux concerts, en achetant les skeuds… et faites vivre la scène consciente et militante.
Rien de moins que l’album rap de la décennie. Grand. Très grand même.
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Peu de textes à signaler et pas grand chose pour faire un sommaire...
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