Sur le plateau du Golan, les blessés cachés d'Israël

Sur le plateau du Golan, les blessés cachés d'Israël

Messagede bajotierra le Mer 1 Avr 2015 11:03

En deux ans, l’Etat hébreu a soigné 1.500 victimes de la guerre en Syrie. Des civils, mais aussi des rebelles affiliés à Al-Qaida. Un appui indirect à ceux qui combattent son pire ennemi : le Hezbollah.




A la veille de Noël, Basel se rendait sur ses terres quand il a été déchiqueté par la déflagration. Agé de 21 ans, il possède une petite ferme, près de Deraa, dans le sud de la Syrie. Une région de vergers et de pâturages qui, depuis quatre ans, est le théâtre de tueries et d’atrocités. « Les bombardements sont continuels, dit-il. Tous les jours, c’est la guerre. » Il ignore s’il a marché sur une mine, une munition ou un obus non explosé.

Des voisins l’ont trouvé évanoui dans une mare de sang. Il s’est réveillé dans un poste de secours tenu par les rebelles syriens.

Ils avaient arrêté l’hémorragie, mais ne pouvaient pas m’opérer. Ils m’ont demandé où je voulais aller. En Jordanie ou en Israël ? Je leur ai répondu : ‘En Israël.' »

Des Syriens l’ont transporté en voiture jusqu’à la barrière qui marque la ligne de démarcation entre les deux pays. Une ambulance de l’armée israélienne l’attendait de l’autre côté des barbelés pour le conduire à l’hôpital de Nahariya, une ville balnéaire, au nord de la Galilée. De ses membres inférieurs, il ne lui reste que deux moignons. Un bout de cuisse, une moitié de mollet. Mais le jeune homme est vivant.



« J’ai saisi une bombe, elle a éclaté »

« J’avais entendu dire qu’ils soignaient bien les gens ici. J’ai fait le bon choix », s’écrie-t-il devant les infirmiers. Basel ne quitte pas son fauteuil roulant. Grâce à lui, il traverse à toute vitesse le couloir javellisé gardé par un soldat israélien, pivote vers la gauche, fait demi-tour, file dans la direction opposée. En dépit de son immobilité forcée, il ne tient pas en place. Après trois mois passés dans ce service de chirurgie orthopédique, il se dit pressé de retourner dans son village, malgré les combats et ses deux jambes en moins. « Je veux revoir ma mère », répète-t-il.

Son compagnon de chambrée, Ibrahim, saisit une petite bouteille d’eau avec les deux pinces métalliques de sa prothèse et la brandit fièrement au-dessus de son lit, tel un trophée, puis la porte à sa bouche. Il n’en revient pas lui-même de sa dextérité et rit de plaisir comme s’il était de nouveau libre de ses gestes. Il prétend avoir 15 ans. Il en fait beaucoup moins. Il gardait des moutons dans les environs de Kuneitra, lorsqu’il a trouvé des engins explosifs éparpillés dans l’herbe rase.

« J’ai saisi une bombe, elle a éclaté », raconte-t-il. De grandes taches blanches tapissent une partie de son visage et de son crâne, comme si la peau avait été rabotée. Quatre doigts difformes pendent au bout de son unique bras couturé de cicatrices. Le docteur Daniel Iordache qui l’a opéré le complimente pour ses progrès :

Il utilise vraiment bien sa prothèse. Il était gravement brûlé. Il avait perdu l’usage de ses mains. Celle de droite avait été arrachée. J’ai pu reconstruire celle de gauche. »


Soignés dans un pays ennemi

D’abord dans le plus grand secret et, depuis quelques mois, de façon déclarée, l’Etat hébreu a accueilli et soigné près de 1.500 Syriens au cours des deux dernières années. Des civils, premières victimes de la répression féroce du régime de Bachar al-Assad. Mais aussi de très nombreux insurgés. Des combattants de l’armée syrienne libre et, même, de Jabhat al-Nosra, la branche locale d’Al-Qaida. Un responsable militaire explique :

Nous ne leur demandons pas qui ils sont et ne procédons à aucune enquête. Une fois le traitement achevé, nous les ramenons à la frontière et ils vont où bon leur semble. »

Les premiers blessés étaient stupéfaits de se retrouver dans un pays avec qui ils sont officiellement en guerre depuis plus d’un demi-siècle. Jean-François Soustiel est le chef du service de neurochirurgie de Nahariya. Il se souvient :

Ils arrivaient souvent inconscients. Quand ils revenaient à eux et nous entendaient parler hébreu, ils étaient sous le choc. Une stupeur totale. Par peur, ils ne disaient pas un mot à tel point que nous avions du mal à évaluer leur état. Depuis, le message est passé et la situation s’est totalement inversée. Les gens demandent maintenant à venir chez nous. »

Hôpital du Golan

Près de 1.500 Syriens ont été soignés par Israël ces deux dernières années. (Sébastien Leban / « l’Obs »)

Quand il a su où il allait, Ibrahim le berger n’a pas été surpris, ni effrayé. « L’an dernier, mon cousin a été soigné ici. On lui a amputé la jambe », raconte le garçon. A l’issue de deux mois de cohabitation, il dit avoir changé d’opinion sur ses voisins :

A l’école, on nous apprenait que les juifs sont nos ennemis. Mais Israël est un bon pays. »

Il est tout excité car il s’apprête à quitter l’hôpital. « Je pars demain », annonce-t-il avec un large sourire. Son sac est déjà bouclé. Un cadeau d’une infirmière, tout comme sa prothèse, offerte par un donateur local. Dans un élan de solidarité, des Arabes de Galilée viennent en aide aux éclopés syriens. Une habitante arabe d’Acre débarque dans sa chambre. Elle rend visite à Ibrahim presque chaque semaine. Par Skype, elle a réussi à joindre sa mère en Syrie.

Elle pleurait quand je lui ai annoncé qu’il était en vie. »

Des dommages inimaginables

Les blessés sont d’abord regroupés dans un poste de santé de Tsahal, situé sur le plateau du Golan, puis répartis, en fonction de leurs traumatismes et des places disponibles, dans les différents établissements de la région. A Tibériade, Safed, parfois Haïfa. L’hôpital de Nahariya a admis à lui seul 520 patients syriens dont un tiers de femmes et d’enfants. Sa porte-parole, Sarah Paperin, lâche :

Les dommages causés sont parfois inimaginables. Nous avons reçu trois fillettes. Des tireurs avaient visé délibérément leur colonne vertébrale, pas pour les tuer, mais pour les paralyser. »

L’infirmier en chef, Marwan Tarbi, dit n’avoir « jamais vu une telle horreur » en trente-cinq ans de carrière. « Et pourtant, ajoute-t-il, j’ai connu six guerres. »

Les autorités israéliennes disent obéir à des motifs purement humanitaires. Mais l’assistance médicale qu’elles prêtent aux Syriens leur permet aussi de nouer des liens avec des groupes armés qui guerroient à leurs portes. Le professeur Soustiel indique :

La grosse majorité des gens que nous traitons sont des hommes jeunes blessés au combat. Lorsqu’ils repartent, les militaires israéliens nous disent parfois : ‘Si des examens complémentaires sont nécessaires, on vous les ramènera.’ C’est la preuve qu’ils ont des contacts de l’autre côté. »

Eclatement possible à tout moment

Du mont Bental, par beau temps, on peut voir jusqu’à la plaine de Damas. Des élèves visitent d’anciennes tranchées, vestiges de la guerre du Kippour transformés en attraction touristique. « Danger mines », préviennent de petites pancartes jaunes plantées sur les flancs de ce cône volcanique tapissé de pervenches et de renoncules.

A l’écart, un observateur danois de l’ONU et un officier de Tsahal surveillent le champ de bataille distant de quelques kilomètres. L’Israélien marmonne dans son talkie-walkie à chaque fois qu’une explosion retentit par-delà la ligne de démarcation. Au loin, une fumée s’élève entre deux montagnes. D’un jour à l’autre, les bombardements à l’arme lourde se rapprochent un peu plus.


Quelques heures plus tard, un officier israélien sera blessé légèrement, à deux pas de là. Le tir d’un snipper depuis une zone tenue par les forces régulières syriennes ou leur allié, le Hezbollah. Pendant des décennies, le Golan, conquis en 1967 à la Syrie, était considéré comme la frontière la plus sûre d’Israël. Plus maintenant.

Au sud, des djihadistes et des rebelles plus modérés. Au nord, des soldats syriens et des miliciens chiites. En face, une division d’élite israélienne dénommée « Bashan ». Ce haut plateau basaltique est comme un vaste cratère qui, après un long sommeil, risque d’éclater à tout moment.

Attentats à la bombe, coups de feu

La clôture courant entre les deux pays a été rehaussée de plusieurs mètres et équipée de matériel de détection électronique. Derrière les barbelés, on distingue les ruines de Qunaytra, une ville fantôme située dans la zone démilitarisée, et aujourd’hui contrôlée par les insurgés. L’ONU ne fait plus tampon entre les belligérants. Depuis le kidnapping de 43 casques bleus philippins par des djihadistes en 2014, les soldats des Nations unies qui supervisaient le cessez-le-feu ont tous été rapatriés du côté israélien de la frontière.

Les combattants chiites ont récemment participé à une offensive pour reprendre aux insurgés le contrôle des contreforts du mont Hermon. Leur présence au nord du Golan inquiète de plus en plus l’Etat hébreu. Un officiel à Tel-Aviv prévient :

Si le Hezbollah espère éviter des représailles au Liban, en nous frappant depuis la Syrie, il commet une grave erreur. En pareil cas, le régime de Damas serait tenu pour responsable et en paierait le prix. »

Ces deux dernières années, Israël a subi une dizaine d’attaques. Des attentats à la bombe, des coups de feu ou de mortier, attribués la plupart du temps aux forces fidèles à Bachar al-Assad ou à leurs supplétifs libanais. Son armée n’est pas en reste. En septembre, elle a abattu un avion syrien entré dans son espace aérien et qui bombardait des positions de Jabhat al-Nosra.

Le 18 janvier, un de ses hélicoptères a tiré un missile contre un convoi du Hezbollah à proximité du village de Hadar. Bilan : sept morts dont un jeune commandant, Jihad Moughnieh, le propre fils d’Imad Moughnieh qui fut le chef militaire du Parti de Dieu, avant d’être assassiné à Damas, en 2008 (lors d’un attentat imputé au Mossad israélien), et, aussi, un général iranien, Mohammed Ali Allah-Dadi, un très haut gradé des gardiens de la révolution. Les deux hommes effectuaient une tournée d’inspection sur le Golan. « Il s’agissait d’un avertissement. Le Hezbollah et ses parrains, à Téhéran l’ont bien compris », selon Gabriel Siboni, un ex-colonel, chercheur à l’Institut pour les Etudes de la Sécurité nationale.

Quelle attitude face à la Syrie ?

A l’inverse, l’Etat hébreu ne déplore aucun incident grave avec les rebelles. Pas même avec les groupes affiliés à Al-Qaida. Mieux, il soigne leurs combattants et affronte, à l’occasion, leurs adversaires. Damas y voit la preuve de sa collusion avec les révolutionnaires. Une charge rejetée par Tsahal. L’un de ses responsables affirme :

Nos rapports avec ces groupes armés très fragmentés sont dictés par les circonstances. Quand deux forces se côtoient de part et d’autre d’une ligne, il leur arrive de communiquer entre elles. On ne peut pas parler de coordination. C’est essentiellement tactique. »

Le débat fait rage au sein de l’appareil sécuritaire israélien. Quelle attitude adopter vis-à-vis de la guerre en Syrie ? « Pour nous, l’axe formé par le régime d’Assad, l’Iran et le Hezbollah représente le principal danger, car il s’agit d’Etats dont les moyens sont bien supérieurs à ceux d’organisations terroristes. A long terme, Daech et Jabhat al-Nosra poseront un problème. Mais, pour le moment, ils sont occupés avec Bachar », déclare le commandant de réserve Stéphane Cohen, un expert des questions de défense auprès de The Israel Project, un lobby pro-israélien.

Certains analystes poussent en faveur d’un engagement d’Israël aux côtés des insurgés. D’autres plaident, au contraire, pour un soutien au gouvernement de Damas. « Car il est le principal facteur de stabilité dans la région et il ne faut pas oublier que Jabhat al-Nosra est un ennemi farouche de l’Occident », s’écrie Gabriel Siboni. Un responsable militaire tempère :

En Syrie, aucun scénario ne nous est favorable. Si Assad l’emporte, le Hezbollah et l’Iran en sortiront renforcés. S’il tombe, le pays sera encore plus morcelé et chaotique. »

Christophe Boltanski, envoyé spécial en Israël – Nouvel Obs


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