Le secteur du textile au Bangladesh, qui emploie 3,6 millions de personnes, est en pleine ébullition depuis trois jours, avec des manifestations parfois violentes regroupant des dizaines de milliers d’ouvriers qui réclament des augmentations de salaire. La police a usé de balles en caoutchouc pour disperser les points de blocage sur les routes, mais plus d’une centaine d’usines, sur les 5 000 que compte le deuxième exportateur mondial, ont été momentanément fermées.
Que veulent les ouvriers ?
Ils travaillent depuis 2010 pour un salaire de base mensuel de 30 euros, qu’ils avaient obtenu après des mois de mobilisation. Ils réclament désormais une forte augmentation afin de s’extirper de la grande pauvreté, soit 80 euros par mois. Mais les patrons refusent : ils veulent bien passer à 36 euros, mais pas plus, proposition que les syndicats rejettent en la qualifiant d’«inhumaine et humiliante». Le gouvernement est impuissant : le groupe de travail qu’il a mis en place depuis juin sur le sujet peine à dégager un compromis. D’où l’agitation.
Le Bangladesh est-il toujours «compétitif»?
Les patrons du secteur soutiennent qu’accepter des hausses de salaires rendrait l’industrie du textile moins attrayante pour les acheteurs occidentaux, déjà rebutés par les catastrophes comme celle du Rana Plaza, l’immeuble regroupant cinq usines textiles dont l’effondrement a fait 1 130 morts en avril. Une étude du cabinet McKinsey, qui sera dévoilée aujourd’hui à Shanghai, démontre pourtant le contraire. Selon les responsables d’achat de grandes marques interrogés en Europe et aux Etats-Unis en juillet et août, le Bangladesh garde toute son attractivité, avec les salaires les plus bas du monde. Et, même si l’inquiétude augmente en raison de l’instabilité politique qui, via de fréquentes grèves à l’appel des islamistes, paralyse régulièrement l’économie, le pays va rester, selon cette étude, le fournisseur le plus recherché, devant le Vietnam, le Cambodge et la Birmanie. La Chine, premier exportateur mondial, les attire moins, car les salaires augmentent.
La situation a-t-elle évolué depuis le Rana Plaza?
Pas vraiment : la question des indemnités pour les victimes de la catastrophe et leurs familles n’est toujours pas réglée. Des syndicats et ONG ont organisé une réunion sur le sujet à Genève, les 11 et 12 septembre, mais, selon Clean Clothes Campaign, seulement un tiers des marques occidentales concernées y ont participé, sans parvenir à un accord pour créer un fonds d’indemnisation. Seuls les Anglais de Primark se sont engagés «à verser en urgence trois mois de salaire supplémentaires à toutes les familles affectées». Pour l’incendie de l’usine Tazreen (112 morts en novembre), C&A et l’enseigne allemande Karl Rieker se sont engagés à contribuer. Les syndicats estiment que les marques devraient payer la moitié des indemnités, évaluées à 54 millions d’euros pour le Rana Plaza et 4,3 millions d’euros pour Tazreen.
Michel Henry
http://www.liberation.fr/monde/2013/09/ ... ros_934131