Traduction de « Anarquismo Social e Organização »

Traduction de « Anarquismo Social e Organização »

Messagede René le Sam 8 Déc 2012 19:10

Un des textes fondamentaux de la Fédération anarchiste de Rio de Janeiro, intitulé «Anarquismo Social e Organização» (Anarchisme social et organisation) vient d'être traduit en Français. C'est un texte extrêmement long, parfois très formaliste dans les explications, mais qui est un témoin important de l'activité de ce groupe qui fait partie du réseau Anarkismo. La Fédération anarchiste ne partage pas forcément toutes les orientations de la FARJ mais elle a établi avec ces camarades des relations cordiales, voire fraternelles depuis longtemps.
Le groupe Gaston-Leval de la FA avait entrepris de traduire un nombre assez important de textes de groupes latino-américains,membres ou non du réseau Anarkismo, afin de les faire connaître aux camarades français, mais la longueur de «Anarquismo Social e Organização» avait été un peu dissuasive à un moment où il y avait beaucoup à faire pour préparer la rencontre de Saint-Imier.

Le secrétariat des relations internationales de la FA a publié le texte ci-dessous pour marquer la publication du document de la FARJ.



relations-internationales@federation-anarchiste.org

Le jeudi 6 décembre 2012

Traduction de « Anarquismo Social e Organização »


C’est avec un réel plaisir que nous avons constaté que le texte de la FARJ, « Anarquismo Social e Organização », a été traduit en français.
Nous sommes en relation avec les camarades de la FARJ depuis quelques années et le groupe
Gaston-Leval de la Fédération anarchiste, à travers son site monde-nouveau.net, a entrepris depuis deux ans de traduire des textes émanant des différents groupes d’Amérique du Sud afin de les faire connaître aux libertaires français.
Dans la perspective des Rencontres internationales de l’anarchisme de Saint-Imier, nous avons pensé en effet qu’il était important de faire connaître le travail de ces groupes, même ceux dont nous ne partageons pas nécessairement toutes leurs orientations.
Bien entendu, nous avons également traduit des textes émanant de groupes qui ne sont pas liés au réseau Anarkismo, avec lesquels nous avons également des relations, et nous nous sommes efforcés de les faire venir à Saint-Imier en août dernier. Si nous priorisons les relations avec ces groupes, il va de soi que nous entendons conserver de bonnes relations avec les militants de Rio et de São Paulo avec qui nous avons établi des relations personnelles, amicales et fraternelles.

Si la publication des textes des camarades brésiliens d’Anarkismo (Voir références en annexe) est une bonne chose, il nous semble cependant qu’il est également nécessaire que nous expliquions le contexte du travail militant au Brésil, ce qui permet de faire la part des choses dans les positions développées, entre ce qui pourrait être considéré comme valable en toute circonstance et ce qui est strictement limité à la situation au Brésil.
Par exemple, une militante de la FAG, la Fédération anarchiste Gaucha, déclara dans une interview:

« Nous pensons que, étant donné le taux élevé de chômage au Brésil, la classe opprimée urbaine est largement non pas dans les usines, mais plutôt dans les petites villes, villages et collines. 70% de notre population vit avec des emplois misérables, que nous appelons «bicos» (becs). Ce sont les travailleurs de la construction, les «chameaux» (vendeurs ambulants), les éboueurs, domestiques, gardes de sécurité, les travailleurs de réparation, etc. Ce qui laisse la majorité de la population en dehors des usines ; ils travaillent dans votre quartier, où ils vivent et ont des familles. »

On nous explique donc qu’au Brésil, il n’y a pas de classe ouvrière industrielle, dans le sens où elle existe dans les pays industriels européens, puisque à cause du taux élevé de chômage, la « classe opprimée urbaine » est constituée de personnes vivant de ce qu’on appelle en France des « petits boulots ». On en déduit que les 30 % de la population qui reste inclut les fonctionnaires (administration publique, armée, police, santé, etc.) ; la bourgeoise industrielle, financière, commerciale ; la petite bourgeoise (commerçants, artisans, etc.) ; et, enfin, l’ensemble des salariés hors secteur public, ce qui ne laisse pas grand monde dans le secteur productif – sans parler de la petite paysannerie dont on ne sait pas trop où la classer.
Or pour mettre en oeuvre une transformation révolutionnaire de la société, il faut tout de même que le « sujet révolutionnaire », autrement dit les personnes qui vont concrètement réaliser ces transformations, soient déjà insérées dans le processus de production dont on va opérer des transformations. A moins de considérer que c’est l'État, faute de classe ouvrière, qui se charge de ces transformations…
Ces quelques considérations très rapides donnent la mesure des difficultés auxquelles sont confrontés les anarchistes brésiliens, toutes tendances confondues.

Il y a aussi un autre point qui mériterait d’être situé dans son contexte, c’est celui de l’« especifismo ». Le fait que les anarchistes doivent s’organiser dans une organisation anarchiste n’est pas précisément une nouveauté ; c’est pourquoi il serait bon d’expliquer en quoi cette idée est si importante en Amérique latine, en particulier en Uruguay et au Brésil.
Voici ce que nous disons dans le commentaire qui accompagne notre traduction de Huerta Grande, un texte considéré comme fondateur de l’« especifismo ».

« Si l’idée d’organisation dite “spécifique” n’a rien de nouveau en France ou en Europe, l’histoire du mouvement ouvrier d’Uruguay, mais aussi celle de toute l’Amérique latine, et en particulier du Brésil, explique cette insistance sur la nécessité d’une telle organisation. « Les anarchistes en Uruguay considéraient l’organisation syndicale comme la structure naturelle dans laquelle les travailleurs devaient s’organiser, en quoi ils étaient absolument sur les mêmes positions que les syndicalistes révolutionnaires français pour qui “le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale” (CGT, Charte d’Amiens, 1906.)
« En Uruguay, le mouvement anarchiste disposait d’une réelle hégémonie dans la classe ouvrière jusqu’à la révolution russe. Le principe énoncé dans la charte d’Amiens, votée au congrès de la CGT française en 1906, et partagé par les anarchistes uruguayens, ne pouvait plus s’appliquer lorsque d’autres courants politiques porteurs d’autres modèles syndicaux surgirent.
C’est ce qui arriva après la révolution russe, avec la création de partis communistes et la mise en place par l’Internationale communiste d’une politique de pénétration systématique dans les organisations ouvrières. »

Ce qui est dit de l’Uruguay vaut naturellement aussi pour le Brésil. Ces pratiques étaient, dans le mouvement ouvrier, totalement inédites, aussi bien en France qu’en Uruguay – et ailleurs. Pour la CGT française comme pour la FORU, cette pénétration fut facilitée par l’absence, à l’intérieur de l’organisation syndicale, d’une organisation propre aux libertaires, capable d’organiser de manière sérieuse la résistance à la pénétration communiste. Après la Première Guerre mondiale, l’influence déjà largement déclinante du syndicalisme révolutionnaire dans la CGT fut définitivement brisée par l’incapacité des militants anarchistes à faire face aux fractions communistes qui prenaient progressivement le contrôle de toutes les instances de l’organisation syndicale, en application de la 9e condition d’adhésion des partis socialistes à l’Internationale communiste.
Ce qui survint en France, en Uruguay, survint également au Brésil, où existait un puissant mouvement syndicaliste révolutionnaire.
Il nous semble que l’« especifismo » n’est rien d’autre que l’expression du constat que les libertaires présents dans les organisations de masse ne doivent pas se contenter d’y exister de manière diffuse, mais qu’ils doivent s’y organiser et qu’ils doivent également s’organiser en tant que libertaires en dehors de ces organisations de masse. Il n’y a là rien de particulièrement nouveau. Donc, lorsque les camarades brésiliens parlent de « récupérer le vecteur social perdu depuis les années 1930 », ce n’est qu’une manière de dire qu’ils entendent récupérer l’influence qu’ils avaient eue dans le mouvement syndical du début du XXe siècle. Et pour récupérer le « vecteur social », ils pratiquent l’« insertion sociale », c’est-à-dire l’implantation des militants dans les organisations de masse.
Quant à leur « approche différenciée du plan politique et du plan social », nous ne voyons pas ce qu’elle a de nouveau : il s’agit là d’un très vieux débat, qui eut lieu dès le début du mouvement ouvrier, à la fois au sein de la social-démocratie et du mouvement anarchiste. C’est la question de la division du travail entre action politique et action économique, entre parti (ou groupe « spécifique ») et syndicat, dont certains anarchistes ont souligné qu’elle était porteuse d’une dérive potentielle fâcheuse, conduisant à la subordination de l’organisation économique à l’organisation politique.

Tout cela n’est pas particulièrement nouveau, et s’il ne faut pas négliger l’intérêt des positions défendues par nos camarades brésiliens, s’il faut saluer la traduction de « Anarquismo Social e Organização », il ne faudrait pas non plus, parce qu’ils utilisent un vocabulaire différent du nôtre, surestimer le « regard nouveau et actuel » qu’ils apportent sur la question de l’organisation. Ce qui ne diminue en rien le mérite de ces camarades et de leur contribution au débat. En insistant sur le fait qu'il faut récupérer le terrain que le mouvement libertaire a perdu depuis les années 20 et 30 du XXe siècle, les camarades de la FARJ nous rappellent que nous avons nous aussi à analyser les erreurs qui ont été commises et que nous avons nous aussi du chemin à parcourir pour que le mouvement libertaire retrouve une place prédominante dans les luttes sociales et dans le combat pour une société libérée de l'exploitation et de l’oppression.

Salutations libertaires et fraternelles
René
 
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