Gazodukstan: La guerre du gaz en Asie centrale
Posté: Dim 11 Avr 2010 20:31
Un soulévement populaire brutal a chassé le président qui lui-même avait déposé tout aussi brutalement son prédécesseur. Rien de bien intéressant. Une autre mafia va vite prendre la place, user des mêmes pratiques népotiques et clientélistes qui ont cours partout dans la région et se remplir les poches.
J'ai recherché un article qui traiterait des derniers événements au Kirghistan d'une façon assez globale pour cerner les enjeux économiques sous-jacents (un copier/coller m'aurait fait gagner du temps), mais vainement. La presse ne s'interesse qu'à cette question du pouvoir si cruciale dans la logique bourgeoise: qui désormais va gouverner le pays ?
Le Kirghizstan fait partie des Etats musulmans d'Asie centrale qui sont devenus indépendants à la suite de l'éclatement de l'URSS en 1991. Ce sont des pays dont on n'entend jamais parler, même pas aux Jeux olympiques (Si l'on m'avait demandé la capitale il y a encore quelques jours, j'aurais été incapable de répondre). Et pourtant leurs territoires deviennent depuis une dizaine d'années le champ de bataille d'une guerre mondiale et impitoyable pour le contrôle de l'énergie.
Le sous-sol du bassin de la mer Caspienne (et pas de la mère Casse-pied) et les steppes de l'Asie centrale sont riches en pétrole, mais surtout en gaz naturel dont elles contiendraient 10% des réserves mondiales identifiées, mais elles pourraient s'avérer plus importantes encore. Le gros des réserves mondiales ést concentré en Russie principalement, et au Moyen-Orient (Iran et péninsule arabique) où elles sont insuffisamment exploitées, n'étant pas jugée prioritaires ou parce que les installations auraient besoin d'être modernisées.
Le gaz représente plus de 20% de la consommation énergétique globale contre 40% pour le pétrôle. Or la demande mondiale augmente en moyenne de 2,5 % par an, de 6% rien que pour la région Asie-Pacifique, et d'après l'AIE, elle devrait doubler d'ici 2030, avant de s'épuiser dans 60 à 70 ans.
Pour les experts, cette course au gaz s'explique par les difficultés à accéder aux ressources énergétiques primaires, à leur moyens d'extraction de plus en plus couteux, mais aussi à la lenteur qui va présider à la mise en place des alternatives énergétiques renouvelables, la crise financière étant passée par là...
La richesse gazière attise bien sûr la convoitise des grandes puissances: Russie, USA, Chine, mais aussi celle des puissances régionales émergentes qui doivent faire face à des besoins croissants. Cette convoitise est encouragée par le fait que les pays de l'Asie centrale sont pauvres, les gouvernements autoritaires et facilement corruptibles, des "qualités" qui facilitent un pillage en bonne et dûe forme et la signature de contrats lucratifs.
Depuis le début de ce siècle, les échanges se sont internationalisés et la sécurisation des approvisionnements est devenu un enjeu majeur. Le contrôle de l'Eurasie passe par le contrôle des pipelines qui sillonnént cette région sur des milliers de kilomètres. Toute la question est de savoir par où les faire passer... où plutôt par où ne pas les faire passer pour éviter de dommageables dépendances.
Le futur ordre mondial dépendra sans nul doute des itinéraires empruntés par ces fragiles tuyaux et sur lesquels veillent les bases militaires qui se sont installés à proximité.
Après l'éclatement de l'URSS, la Russie de Eltsine avait tenu à établir sa position dominante sur la CEI. Elle avait ainsi protégé Gazprom, la compagnie nationale, en fermant aux républiques en "stan" l'accès à ses gazoducs, faisant chuter leurs exportations. Mais au carrefour des années 2000 a tout changé quand Pekin a jeté son dévolu sur le Turkmenistan, un pays fermé et cadenassé avec lequel il partage des valeurs communes.. et la Russie a été obligée de s'adapter et de desserrer son emprise hégémonique sur cette région.
En 2001, Pekin et Moscou se sont entendus pour former l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS). Les pays en "stan": Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan,et Tadjikistan y ont été associés pour mieux être contrôlés et être tenus à distance des appétits des américains, très présents dans la région depuis le 11/09, en particulier en Afghanistan tout proche.
A la coopération économique initiale, une coopération militaire régionale est venue s'ajouter. En gagnant en influence , l'OCS a fini par par attirer d'autres gros poissons de la région: l’Inde, le Pakistan et l'Iran auxquels on a donné un statut d'observateurs.
La Chine a distribué des prêts aux pays touchés par l'effondrement du cours des matières premières, en échange de projets d'exploitation énergétique ou d'infrastructures. La Chine est d'ailleurs présente au Kirghizistan avec de lourds projets d'infrastructures et d'exploitation minière.
De plus les investisseurs chinois sont capables de faire avancer plus vite que les autres des projets jugés trop onéreux.
Fin 2009, la Chine a inauguré un gazoduc géant de près de 2 000 kilomètres qui part du Turkménistan pour aboutir à Urumqi, capitale du Xinjiang à l'ouest de la Chine, après avoir traversé l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. Cet ouvrage qui devrait lui livrer près de la moitié de sa consommation actuelle a aussi été entrepris dans l'espoir qu'il contribuerait à sécuriser les frontières et repousser toute influence déstabilisatrice qui pourrait encourager la dissidence de la minorité ouïghoure.
Du côté occidental, les projets mettent plus longtemps à voir le jour tant les négociations financières sont interminables. C'est le cas du projet Nabucco dont les tuyaux doivent passent par les balkans.
Il est vrai qu'il faut imaginer des circuits qui alimenteraient l'Europe en contournant l'Iran, la Russie et les multiples zones de guerre du Caucase et du Moyen-Orient. Un vrai casse-tête aux allures de gymkhana qui oblige à arroser ici et là les régimes de "l'arc d'instabilité" avec de gros pourboires. Il faut sortir les liasses de dollars pour un rien. Ainsi les américains ont acheté très cher leur base arrière hautement stratégique de Manas au Kirghizstan.
Du coup, le gaz s'achète à des prix de moins en moins préférentiels. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il va y avoir de l'eau dans le gaz (jeu de mot facile), mais la tension monte, et les conflits locaux qui opposent toutes ces mafias entre elles le montrent bien.
Certes, les raisons sociales de la colère populaire à Bichkek étaient réelles et on n'a aucune difficulté à les trouver dans un pays aux méthodes autoritaires, où les forces de répression tirent à balles réelles dans la foule.
Toutefois, plus globalement, ce qui s'est passé au Kirghizstan cette semaine n'est qu'une péripétie dans la guerre stratégique pour le contrôle de ce gigantesque "gazodukstan".
Et une petite carte de géo en prime pour ceux qui ne sauraient pas où se trouve exactement le Kirghizstan:
J'ai recherché un article qui traiterait des derniers événements au Kirghistan d'une façon assez globale pour cerner les enjeux économiques sous-jacents (un copier/coller m'aurait fait gagner du temps), mais vainement. La presse ne s'interesse qu'à cette question du pouvoir si cruciale dans la logique bourgeoise: qui désormais va gouverner le pays ?
Le Kirghizstan fait partie des Etats musulmans d'Asie centrale qui sont devenus indépendants à la suite de l'éclatement de l'URSS en 1991. Ce sont des pays dont on n'entend jamais parler, même pas aux Jeux olympiques (Si l'on m'avait demandé la capitale il y a encore quelques jours, j'aurais été incapable de répondre). Et pourtant leurs territoires deviennent depuis une dizaine d'années le champ de bataille d'une guerre mondiale et impitoyable pour le contrôle de l'énergie.
Le sous-sol du bassin de la mer Caspienne (et pas de la mère Casse-pied) et les steppes de l'Asie centrale sont riches en pétrole, mais surtout en gaz naturel dont elles contiendraient 10% des réserves mondiales identifiées, mais elles pourraient s'avérer plus importantes encore. Le gros des réserves mondiales ést concentré en Russie principalement, et au Moyen-Orient (Iran et péninsule arabique) où elles sont insuffisamment exploitées, n'étant pas jugée prioritaires ou parce que les installations auraient besoin d'être modernisées.
Le gaz représente plus de 20% de la consommation énergétique globale contre 40% pour le pétrôle. Or la demande mondiale augmente en moyenne de 2,5 % par an, de 6% rien que pour la région Asie-Pacifique, et d'après l'AIE, elle devrait doubler d'ici 2030, avant de s'épuiser dans 60 à 70 ans.
Pour les experts, cette course au gaz s'explique par les difficultés à accéder aux ressources énergétiques primaires, à leur moyens d'extraction de plus en plus couteux, mais aussi à la lenteur qui va présider à la mise en place des alternatives énergétiques renouvelables, la crise financière étant passée par là...
La richesse gazière attise bien sûr la convoitise des grandes puissances: Russie, USA, Chine, mais aussi celle des puissances régionales émergentes qui doivent faire face à des besoins croissants. Cette convoitise est encouragée par le fait que les pays de l'Asie centrale sont pauvres, les gouvernements autoritaires et facilement corruptibles, des "qualités" qui facilitent un pillage en bonne et dûe forme et la signature de contrats lucratifs.
Depuis le début de ce siècle, les échanges se sont internationalisés et la sécurisation des approvisionnements est devenu un enjeu majeur. Le contrôle de l'Eurasie passe par le contrôle des pipelines qui sillonnént cette région sur des milliers de kilomètres. Toute la question est de savoir par où les faire passer... où plutôt par où ne pas les faire passer pour éviter de dommageables dépendances.
Le futur ordre mondial dépendra sans nul doute des itinéraires empruntés par ces fragiles tuyaux et sur lesquels veillent les bases militaires qui se sont installés à proximité.
Après l'éclatement de l'URSS, la Russie de Eltsine avait tenu à établir sa position dominante sur la CEI. Elle avait ainsi protégé Gazprom, la compagnie nationale, en fermant aux républiques en "stan" l'accès à ses gazoducs, faisant chuter leurs exportations. Mais au carrefour des années 2000 a tout changé quand Pekin a jeté son dévolu sur le Turkmenistan, un pays fermé et cadenassé avec lequel il partage des valeurs communes.. et la Russie a été obligée de s'adapter et de desserrer son emprise hégémonique sur cette région.
En 2001, Pekin et Moscou se sont entendus pour former l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS). Les pays en "stan": Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan,et Tadjikistan y ont été associés pour mieux être contrôlés et être tenus à distance des appétits des américains, très présents dans la région depuis le 11/09, en particulier en Afghanistan tout proche.
A la coopération économique initiale, une coopération militaire régionale est venue s'ajouter. En gagnant en influence , l'OCS a fini par par attirer d'autres gros poissons de la région: l’Inde, le Pakistan et l'Iran auxquels on a donné un statut d'observateurs.
La Chine a distribué des prêts aux pays touchés par l'effondrement du cours des matières premières, en échange de projets d'exploitation énergétique ou d'infrastructures. La Chine est d'ailleurs présente au Kirghizistan avec de lourds projets d'infrastructures et d'exploitation minière.
De plus les investisseurs chinois sont capables de faire avancer plus vite que les autres des projets jugés trop onéreux.
Fin 2009, la Chine a inauguré un gazoduc géant de près de 2 000 kilomètres qui part du Turkménistan pour aboutir à Urumqi, capitale du Xinjiang à l'ouest de la Chine, après avoir traversé l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. Cet ouvrage qui devrait lui livrer près de la moitié de sa consommation actuelle a aussi été entrepris dans l'espoir qu'il contribuerait à sécuriser les frontières et repousser toute influence déstabilisatrice qui pourrait encourager la dissidence de la minorité ouïghoure.
Du côté occidental, les projets mettent plus longtemps à voir le jour tant les négociations financières sont interminables. C'est le cas du projet Nabucco dont les tuyaux doivent passent par les balkans.
Il est vrai qu'il faut imaginer des circuits qui alimenteraient l'Europe en contournant l'Iran, la Russie et les multiples zones de guerre du Caucase et du Moyen-Orient. Un vrai casse-tête aux allures de gymkhana qui oblige à arroser ici et là les régimes de "l'arc d'instabilité" avec de gros pourboires. Il faut sortir les liasses de dollars pour un rien. Ainsi les américains ont acheté très cher leur base arrière hautement stratégique de Manas au Kirghizstan.
Du coup, le gaz s'achète à des prix de moins en moins préférentiels. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il va y avoir de l'eau dans le gaz (jeu de mot facile), mais la tension monte, et les conflits locaux qui opposent toutes ces mafias entre elles le montrent bien.
Certes, les raisons sociales de la colère populaire à Bichkek étaient réelles et on n'a aucune difficulté à les trouver dans un pays aux méthodes autoritaires, où les forces de répression tirent à balles réelles dans la foule.
Toutefois, plus globalement, ce qui s'est passé au Kirghizstan cette semaine n'est qu'une péripétie dans la guerre stratégique pour le contrôle de ce gigantesque "gazodukstan".
Et une petite carte de géo en prime pour ceux qui ne sauraient pas où se trouve exactement le Kirghizstan: