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de Julie Pacorel et Jean-Baptiste Mouttet
| 24/12/2009
Les Mujeres Creando, collectif anarcho-féministe, interpellent les Boliviens par des actions coup de poing.“Si Evo (ndlr: Morales) avait un utérus, l'avortement serait dépénalisé et nationalisé”, “Il faut être courageux pour être pédé”, “Je veux me rebeller”... Dès notre arrivée à La Paz, nous avons remarqué ces graffitis culottés. Ils recouvrent les murs du quartier bohème de Sopocachi comme des rues populaires des hauteurs de la capitale.
La signature “Mujeres Creando”, littéralement “femmes en train de créer”, nous a intrigués. Elle nous mène jusqu'au quartier général de ces rebelles au féminin, le foyer “Vierge du désir”. Une grande bâtisse où tout le monde peut entrer prendre un café, regarder des films féministes, faire garder ses enfants, prendre des cours de radio ou chercher une aide juridique contre un mari violent ou absent.
Nous y rencontrons une jeune danseuse et son amie étudiante, un responsable de la “Coordination socialiste”, une actrice septuagénaire... Tous sont des habitués de ce refuge en rouge et noir, où l'un apprécie de pouvoir parler politique sans chuchoter, l'autre de pouvoir écrire des heures dans une atmosphère “stimulante”.
C'est exactement ce qu'ont recherché les Mujeres Creando lorsqu'elles ont investi cette maison. Julieta Paredes, l'une des fondatrices du collectif, jeune femme aux longs cheveux noirs, l'explique: “Les lieux institutionnels dans lesquelles les femmes peuvent parler, se faire aider, sont souvent froids et impersonnels. Nous avons voulu créer un espace chaleureux et ouvert, accessible à tous.” Le foyer est à l'image du groupe féministe et anarchiste né en 1992: insoumis à l'Etat, aux ONG et autres “organes reproduisant les schémas traditionnels patriarcaux.”
Prendre l'espace public
Plus qu'un mouvement de femmes, elles préfèrent se définir comme “des femmes en mouvement”. Les Mujeres creando prônent un féminisme intuitif, qui passe par une “prise de l'espace public”. “Avant nous, les femmes boliviennes n'avaient pas de place dans la sphère publique, pas de lieu pour faire de la politique, ou tout simplement pour dire ce qu'elles pensaient”, nous raconte Julieta. L'action ne passe pas par les politiques. Bien au contraire, les femmes entrées au gouvernement sont critiquées pour leur ambition passant avant la défense du “sexe faible”.
Les graffitis sont l'expression la plus aboutie de ce mouvement . Ils sont réalisés de préférence sur des bâtiments publics, et résultent d'un processus artistique: “Les graffitis doivent être esthétiques, agréables à l'oeil..., détaille-t-elle. Nous voulons donner un message positif, poétique ou provocateur. Le but est de faire réfléchir les Boliviens sur la société dans laquelle ils vivent.”
Une société dont tous les piliers sont visés. L'armée, l'Eglise, le gouvernement, personne n'échappe aux saillies des Mujeres. Même le président bolivien, Evo Morales, est épinglé. Pour le mouvement il n'y a, en effet, “rien de plus ressemblant à un machiste de droite qu'un machiste de gauche.” La politique menée par le dirigeant socialiste rechignerait à donner des droits aux femmes. L'avortement est par exemple toujours illégal sauf si cela doit être fait pour prévenir les dommages à la santé de la femme ou en cas de viol. Le président s'est d'ailleurs vu offrir une petite statuette le représentant portant un bébé, un balai à la main. Reconnu pour son sens de l'humour, Evo Morales n'aurait pourtant pas apprécié le clin d'oeil farceur.
Les pères irresponsables dans le collimateur
Mais ce ne sont pas seulement les grands de ce monde qui essuient les critiques. Tous les pères “irresponsables” de La Paz, la capitale, peuvent avoir la désagréable surpirse d'entendre leurs noms citées à la radio. Julieta s'en amuse: “Certains viennent jusqu'ici prouver qu'ils vont payer leur pension pour qu'on les retire au plus vite de notre liste.”
Des attaques qui ne laissent pas insensible la population. Alors que les Mujeres ont déguisé la statue du soldat inconnu lors de la fète des pères, elles ont essuyé des menaces, “On nous jetait des choses à la figure, on nous traitait de putes et de lesbiennes”, se souvient Julieta. Un épisode presque habituel dans la vie du collectif.
En parallèle, la reconnaisance va grandissante. De nombreuses femmes boliviennes se sentent soutenues. Leur service juridique, destiné à aider les femmes à s'echapper des violences du couple, a traité plus de 800 cas en un an. Le quotidien espagnol El Pais en s'y est pas trompé et les a désigné parmi les 100 personalités qui ont marqué l'année 2009 en Amérique hispanophone.
http://www.mujerescreando.org/