Victor Serge

Victor Serge

Messagede gloubi le Ven 1 Mar 2013 17:26

Je vais jeter un oeil de temps en temps sur le forum MR ( NPA en majorité )
Il y a une annonce récente sur la réédition des mémoires de Victor Serge .

http://forummarxiste.forum-actif.net/t2061-victor-serge#59356

ça m'a fait réagir parce que les trotskistes et assimilés s'approprient toujours l'histoire de Victor Serge alors qu'ils n'en ont pas la moindre raison.

Si V. Serge s'est fait aveugler un temps très court par l'illusion du bolchevisme alors que lui-même était au début anarchiste, il en est vite revenu et en a payé d'ailleurs pas mal les conséquence en exil et prison.
Quant à Trotsky, il en avait une piètre opinion comme on peut le lire dans ses "mémoires d'un révolutionnaire"

J'ai retrouvé un texte que j'avais écrit en août 2011 après la lecture de "s'Il est minuit dans le siècle" puis "mémoires d'un révolutionnaire".

le voici :

NOTES DE LECTURES : " MEMOIRES D'UN REVOLUTIONNAIRE"

Je n'avais entendu parler de Victor Serge que de loin.
Je le savais lié à la révolution russe, vaguement opposant au régime soviétique officiel, plus ou moins proche du mouvement trotskiste avec un passage dans ses jeunes années par le mouvement anarchiste.
Rien de très précis.
Une de ses citations trouvées par hasard sur internet, pourtant dans le site supposément sérieux des archives marxistes ne m’avait pas incité à faire plus de recherches sur lui. Elle parlait de l’anarchisme comme étant une idéologie pour enfant de douze ans.
J'ai dépassé depuis longtemps chronologiquement l’âge de douze ans et, j'ai acquis modestement la prétention d’une réflexion plus mure malgré mon adhésion à la pensée et au projet anarchiste.
Finalement, je me suis aperçu que cette phrase n’était pas de lui mais de celle d’un bolchevik rencontré lors du grand périple qu’a été sa vie.
Victor Serge l’indique dans ses « mémoires d’un révolutionnaire ».
C’est l’ouvrage cité dans le bulletin « l’anarchiste révolutionnaire » numéro 0 : « les illégalistes, histoire du mouvement anarchiste individualiste » qui m’a fait connaitre plus précisément Victor Koubatchiche, alias Victor Serge, et cela m’a donné l’envie d’en savoir plus sur ce personnage hors du commun.
Né en Belgique de parents russes immigrés parce que anti tsaristes, le jeune Victor rencontre à la fin de son adolescence Raymond Callemin , qui sera le fameux « Raymond la science » de la bande à Bonnot. Tous deux se retrouvent ensuite dans le Paris du début du vingtième siècle où la misère du petit peuple mélée à l’effervescence des idées alimentera l’existence d’une petite communauté d’anarchistes individualistes dont Albert Libertad est l’initiateur.
Victor Serge y trouve là un cadre propice au développement de réflexions nouvelles où liberté individuelle et justice sociale peuvent cohabiter au moins dans la théorie.
La cohésion de ce groupe qui publie « l’anarchie » sera assez vite mise à mal par une personnalité débarquée de province, Jules Bonnot qui ralliera à ses thèses illégalistes une poignée d’autres et les amènera à la mort.
Victor Serge n’adhère pas aux méthodes de Jules Bonnot, de son ami de jeunesse Raymond Callemin et d’Octave Garnier qui ont rejoint « la bande » .
Il écopera pourtant, à cause de son esprit de solidarité avec ses camarades de plusieurs années d’enfermement dans les geôles françaises. Koubatchiche passera près de dix années de sa courte vie dans les différentes prisons des pays où il a séjourné et, toujours pour la même raison : le combat inflexible pour la justice sociale, les droits de l’homme, la liberté d’être et de penser.
Ce passage par Paris et quelques établissements pénitenciers de province, cette irruption spontanée de l’esprit vers l’idéal anarchiste m’a donné la curiosité de connaitre la suite de son parcours.
Comme Victor Serge était, comme il se définit lui-même, avant tout, un révolutionnaire, le bouleversement qui survint avec la prise du palais d’hiver par les bolcheviks en Octobre 1917, l’appela.
Ce fut une réaction compréhensible dans une société où le mouvement anarchiste occidental était très faible, souvent divisé, coupé du peuple , margin et aventuriste.
Quelques théoriciens comme Pierre Kropotkine qui a sans doute le plus compté dans ces années ne suffirent pas à structurer les libertaires qui ne savaient pas toujours trouver leurs marques et une position nette de classe. Le « manifeste des seize » qui dans la tourmente de la première guerre mondiale impérialiste pris position pour « l’union sacrée » en témoigne. Kropotkine le signera.
Victor Serge ne fut pas le seul libertaire a être happé par le tourbillon des « dix jours qui ébranlèrent le monde ».
Depuis la lointaine Amérique, Emma Goldman et Alexander Berkman répondirent aussi à l’appel de ce qui aurait pu devenir une vraie révolution. Dans l’empire russe lui-même, un bon nombre d’anarchistes, et il y en avait des milliers, furent éblouis par ce bouleversement qui annonçait la justice sociale, la fin de l’exploitation et de l’oppression de l’ancien régime. Nestor Makhno, se rendit à pieds de sa lointaine Ukraine pour rencontrer à Moscou celui qui personnifiait désormais la révolution : Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine. Il lui offrit sa grande motivation et toutes ses forces pour construire dans sa région la société nouvelle en coordination avec le pouvoir bolchévique. Les illusions de Makhno sur le commandement du pouvoir central seront de courte durée et il suffira de quelques semaines pour qu’une bonne partie des populations d’Ukraine favorables à la révolution prennent avec lui les armes contre l’armée blanche de Dénikine mais aussi l’armée rouge dirigée par Léon Trotski.
Qu’en est-il de Victor Koubatchiche-Serge à ce moment ?
Il arrive depuis l’Espagne en janvier 1919 à Petrograd, berceau de la révolution, cette ville où en 1905, le premier soviet voyait le jour avec en son sein celui qui ne reniera jamais ses convictions et son engagement anarchiste : M. Voline.
Les années 1919 1920 furent, comme Victor Serge le dit, celles de la détresse et de l’enthousiasme.Très vite , ses convictions et sa notoriété lui permettent d’approcher les chefs bolcheviks confrontés à la gestion de la famine, du typhus, des oppositions internes et des agressions militaires externes.
Déjà, quelques semaines après la prise du pouvoir par le parti du Lénine, Victor Serge peut constater que l’écart est grand entre les dirigeants et le peuple. Les deux sont loin d’être logés à la même enseigne, à tous points de vue.
Zinoviev, président du soviet de Petrograd, au sommet de la pyramide de l’Etat, est « bien rasé » et semble déjà savourer, sur de sa doctrine, son pouvoir de vie et de mort sur des hommes et des femmes qui pourtant, comme lui, ont une bouche, deux oreilles et un nez.
Serge s’aperçut très vite que les chefs bolcheviks, dotés des institutions de l’Etat qu’ils contrôlaient, devenaient « ivres d’autorité » et que les espoirs de la révolution de 1917 avaient déjà pris la forme d’un despotisme sanglant.
Il était cependant encore possible d’émettre prudemment une opinion sans être systématiquement arrêté par la police politique, la Tchéka, et, les intellectuels révolutionnaires anti bolcheviks étaient déjà les plus nombreux.
Koubatchiche voyait et comprenait la situation et l’impasse vers laquelle tout cela menait si rien ne changeait. Pourtant il décida de choisir clairement son camps : il serait « ni contre les bolcheviks, ni neutre, il serait avec eux ».
Est-ce par aveuglement ou par naïveté qu’il ajoutait : « (je le serais) librement sans abdication de pensée ni de sens critique » ?
Cet engagement pris, Victor Serge accepta de s’impliquer dans le fonctionnement des rouages du parti. Il le fit par prudence ou par doutes tout d’abord très modestement en collaborant à l’organe du soviet de Petrograd puis plus à fond en acceptant, à la demande de Zinoviev, de s’occuper de l’organisation des services de la troisième internationale qui venait d’être proclamée en mars 1919.
A partir de là Victor Serge assiste d’encore plus près aux désastres de l’organisation pyramidale bolchevique, aux exactions de la police politique, au pouvoir de grâce sur la vie ou la mort d’un opposant à condition de pouvoir intervenir auprès d’un dirigeant haut placé dans le parti.
C’est de cette façon que Voline put avoir la vie sauve sur demande auprès de Lénine : Il était encore possible à ce moment d’épargner la vie d’un anarchiste.
Koubatchiche-Serge compose avec ses contradictions plusieurs mois. Sans s’impliquer directement dans la terreur rouge et l’élimination des opposants politiques, il garde une fonction dans l’appareil du parti et donc le cautionne même s’il croit encore qu’il est possible de l’infléchir de l’intérieur.
Ainsi le récit de la répression féroce de l’insurrection de Cronstadt est étrangement succinct pour l’anarchiste qu’il a tout de même été et, nous sommes déjà (ou seulement) en mars 1921.
Victor Serge prendra un temps de réaction plutôt long avant de s’engager dans une opposition structurée à la ligne majoritaire du parti de Lénine. Sa contestation restera dans un cadre interne avec « l’opposition ouvrière » qui dès 1923 regroupe quelques cadres dont Léon Trotski avec qui il conservera des relations constantes mais critique jusqu’à une rupture définitive avec lui en 1936.
Il dénonce chez Trotski une attitude dogmatique et autoritaire : « Trotski ne voulut tolérer aucun point de vue différent du sien » écrit-il pour un personnage décrit comme étant doté d’une certaine intelligence mais aveuglé par le culte du parti.
Afin de se démarquer de ce culte de la personnalité, corollaire à toute organisation de type léniniste, il ajoute : « Nous n’étions pas trotskistes car nous n’entendions pas nous subordonner à une personnalité si écouté et si admirée fut-elle et car nous nous rebellions précisément contre le culte du chef »
Oppositionnel, Victor Serge l’a donc été mais en suivant une pente plus douce que les révolutionnaires qui très vite n’ont pas hésité à se dresser frontalement contre les dictatures des dirigeants du parti bolchevik sous couvert de « dictature du prolétariat ».
Ce fut sans doute pour cette raison qu’il a réussi à passer entre les balles de la repression qui a couté la vie à des milliers de révolutionnaires, à des millions de personnes qui ne demandaient qu’à vivre dignement.
L’espoir s’était transformé en cauchemar.
Peut-on, doit-on lui reprocher d’être parvenu à sauver son existence, de n’avoir écopé que de sanctions légères à un moment où une vie humaine ne valait plus rien ?
La question peut se poser mais rester vivant lui a permis de nous transmettre un témoignage de plus mais le sien est extrêmement détaillé sur ces méthodes que certains ont appelé celles du « fascisme rouge »
Victor Serge témoigne par le biais du roman dans son « S’il est minuit dans le siècle » qui décrit les conditions de déportation des opposants au régime soviétique. Mais les « mémoires d’un révolutionnaire » restent un document d’une grande précision qui répertorie tous ceux dont il a croisé le chemin et qui ont péri pour avoir eu le courage de défendre une valeur fondamentale sans laquelle une révolution ne vaut rien : la liberté.
Comme l’avait très vite compris Emma Goldman : “If I can’t dance , it is not my revolution”
Victor Serge n ’épargne pas non plus ceux qui par lâcheté ou aveuglement fanatique ont baissé la tête devant l’adversité et ont accepté l’inacceptable.
Il nous rappelle, puisque la France faisait aussi partie de son histoire, que des hommes comme Marcel Cachin ou Louis Aragon n’ont pas eu une attitude particulièrement glorieuse aux pires moments de ce que l’on a appelé « le stalinisme » et qui n’était rien d’autre que la suite logique du bolchevisme et du marxisme érigé en dogme.
Y a-t-il alors quelque chose à reprocher dans le parcours de Victor Serge- Koubatchiche ?
On peut comprendre qu’il ait répondu à l’appel du bouleversement historique qu’Octobre 1917 pouvait laisser espérer. Bien des révolutionnaires sincères et des anarchistes s’y sont laissés prendre.
On pourrait lui reprocher que son opposition à l’autocratie bolcheviste n’ait pas été plus nette et plus rapide alors qu’il l’avait, de son propre aveu, analysée presque à son arrivée à Petrograd au tout début de 1919. Il faut peut-être admettre la complexité de la situation, l’importance des enjeux, le doute sur la bonne attitude à adopter.
Je peux cependant regretter que l’évolution de la pensée de Victor Serge n’ait pas abouti à une réflexion positive sur la façon dont les choses auraient dû se passer pour que la révolution sociale trouve un aboutissement favorable.
Victor Serge dénonce les méfaits de la bureaucratie bolchevique mais il ne propose aucune autre alternative précise.
Au détour d’un paragraphe de ses mémoires, il évoque ce groupe d’anarchistes russes qui défendent la fédération de communes libres mais il se garde bien de prendre une position claire sur cet objectif.
Malgré son positionnement contre la bureaucratie, il ne franchit pas le pas d’expliquer les racines de sa naissance et de son maintien.
Je ne trouve aucune remise en cause de l’essence même du fonctionnement pyramidal du parti bolchevik ni de l’Etat, outil indispensable qui lui a permis de contrôler les moyens économiques et de coercition pour les utiliser à ses propres fins, confisquant ainsi la révolution en la tuant dans l’œuf.
Victor Serge n’avance pas l’explication naïve de Trotski et de ses disciples qui renvoient la faute de l’échec du bolchevisme à la personnalité manipulatrice qu’un seul homme qui se trouvait malencontreusement au mauvais endroit au mauvais moment, Staline.
Il ne fait aucun doute pourtant, pour moi que si Staline n’avait pas existé, un autre se serait chargé du même travail à commencer à Trotski lui-même parce que selon l’expression de Louise Michel : « Le pouvoir est maudit » et que parti et Etat sont, par excellence, les outils du pouvoir.
Victor Serge dénonce mais il n’ouvre aucune perspective.
Il s’indigne et subit lui-même ce que le léninisme engendre mais il en reste là, il ne propose rien. Si son témoignage est précieux, il n’ouvre aucune voie et alimente une réflexion par la négative.
Koubatchiche était pourtant un esprit avisé et toutes ses épreuves et expériences auraient pu lui permettre d’exprimer ce qu’il ne faut pas faire mais surtout ce qu’il aurait peut-être fallu faire.

kuhing
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