Errico MALATESTA: Ecrits Choisis

[Lehning]

Tant qu'il y aura des pouvoirs qui contraindront les masses à l'obéissance par la force matérielle, les insurrections seront nécessaires. Et il est probable, malheureusement, que, des insurrections, il faudra en faire plusieurs avant que ne soit conquis ce minimum de conditions indispensables pour que l'évolution libre et pacifique soit possible et pour que l'humanité puisse, sans lutte sanglante ni souffrance inutile, marcher vers ses hautes destinées.

Umanità Nova, 25 novembre 1922

[Lehning]

Par révolution, nous entendons l'épisode de l'insurrection qui est, bien sûr, indispensable, à moins que le régime ne tombe de lui-même en quenouille sans qu'il soit nécessaire de lui donner une poussée de l'extérieur, chose bien peu probable. Mais nous n'entendons pas seulement par là l'épisode de l'insurrection: il serait stérile s'il n'était suivi de la libération de toutes les forces latentes du peuple et s'il ne servait qu'à remplacer un état de coercition par une nouvelle coercition.

Pensiero e Volontà, 15 juin 1924

[Lehning]

Il faut bien distinguer, d'une part, l'acte de la révolution qui abat le plus possible l'ancien régime et lui substitue de nouvelles institutions et, d'autre part, les gouvernements qui viennent ensuite arrêter la révolution et supprimer le plus de conquêtes révolutionnaires possibles.

[Lehning]

Toute l'histoire nous montre que les progrès dus aux révolutions ont été obtenus dans la période d'effervescence populaire, quand il n'existait pas encore de gouvernement reconnu ou que le gouvernement était trop faible pour se mettre ouvertement contre la révolution ; que la réaction a toujours commencé dès qu'un gouvernement s'est constitué ; qu'elle a toujours servi les intérêts des anciens et des nouveaux privilégiés et qu'elle a toujours enlevé aux masses tout ce qu'il était possible de leur enlever.

[Lehning]

Notre tâche est donc de faire ou d'aider à faire la révolution en mettant à profit toutes les occasions et toutes les forces disponibles. Il faut pousser la révolution le plus loin possible, non seulement sur le plan de la destruction mais encore et surtout sur celui de la reconstruction ; rester hostiles à tout gouvernement qui se constituerait, en l'ignorant ou en le combattant le plus possible.

[Lehning]

Nous ne reconnaîtrons pas plus la Constituante républicaine que nous ne reconnaissons le Parlement monarchique. Nous la laisserons faire si le peuple le veut. Nous pourrons même éventuellement nous trouver à ses côtés pour combattre les tentatives de la réaction. Mais nous demanderons, nous voudrons, nous exigerons la liberté totale pour ceux qui, comme nous, entendent vivre en dehors de la tutelle et de l'oppression étatiques et propager leurs idées par la parole et par l'exemple.

Révolutionnaires, oui, mais surtout anarchistes.

Pensiero e Volontà, 1er juin 1924

[Lehning]

1) Le premier devoir du prolétariat est la destruction de tout pouvoir politique.

2) Toute organisation d'un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour atteindre cette destruction ne peut être qu'un leurre de plus et serait aussi dangereux pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd'hui.

3) Les prolétaires de tous les pays rejettent tout compromis pour arriver à réaliser la Révolution sociale et ils doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire.

[Lehning]

Ces principes nous montrent toujours quelle est la bonne voie. Ceux qui ont tenté d'agir en les contredisant se sont égarés parce que, de quelque façon qu'on les comprenne, l'Etat, la dictature et le parlement ne peuvent que conduire les masses à l'esclavage. Toutes les expériences faites jusqu'à maintenant l'ont montré.

[Lehning]

Il est inutile d'ajouter que, pour les congressistes de Saint-Imier comme pour nous et pour tous les anarchistes, l'abolition du pouvoir politique n'est pas possible sans la destruction simultanée du privilège économique.

Pensiero e Volontà, 1er juillet 1926

Photo: Saint-Imier:

[Lehning]

Je partage cette conviction qu'une révolution est nécessaire pour éliminer les forces matérielles qui sont là pour défendre le privilège et empêcher tout progrès social réel. Mais cette conviction a fait que beaucoup n'ont donné d'importance qu'à l'acte de l'insurrection et qu'ils ne pensent pas à ce qu'il faut faire pour qu'une insurrection ne soit pas seulement un autre acte de violence stérile auquel ne tarderait pas à répondre un autre acte de violence, réactionnaire. Pour ces compagnons, les questions d'ordre pratique, les questions d'organisation, la façon d'assurer le pain de chaque jour, tout cela est sans intérêt aujourd'hui. Ce sont des choses qui trouveront d'elles-mêmes leur solution, disent-ils, ou que la génération suivante résoudra.

[Lehning]

Ma conclusion est précisément celle-ci ; ou nous pensons à la réorganisation sociale, les travailleurs y pensant par eux-mêmes et dès maintenant, à mesure qu'ils détruisent l'ancien ordre, et alors on aura une société plus humaine, plus juste, plus ouverte aux progrès futurs ; ou ce sont les "dirigeants" qui y penseront, et nous aurons un nouveau gouvernement qui fera ce qu'ont toujours fait les gouvernements: faire payer à la masse les rares services -mauvais- qu'il lui fournit, en lui enlevant la liberté et en laissant les parasites et privilégiés en tous genres l'exploiter.

Pensiero e Volontà, 16 juin 1926

[Lehning]

Je dis que pour abolir le gendarme et toutes les institutions sociales pernicieuses, il faut savoir ce que nous voulons mettre à la place, et cela immédiatement, le jour même où nous détruirons, et non pas dans des lendemains plus ou moins lointains. On ne détruit, de façon réelle et définitive, que ce que l'on peut remplacer. Renvoyer à plus tard la solution de problèmes qu'il s'avère nécessaire de résoudre rapidement, ce serait donner aux institutions qu'on veut abolir le temps de se remettre de la secousse reçue et de s'imposer à nouveau, sous d'autres noms peut-être, mais, à coup sûr, substantiellement identiques.

[Lehning]

Ou bien nos solutions pourront être acceptées par une partie suffisante de la population et nous aurons réalisé l'anarchie ou fait un pas vers l'anarchie ; ou bien elles pourront ne pas être comprises ni acceptées et, dans ce cas, notre travail servira pour la propagande et exposera au grand public le programme du proche avenir. Mais, dans tous les cas, nous devrons avoir des solutions: solutions provisoires, toujours susceptibles d'être revues, d'être corrigées à la lumière de l'expérience. Mais solutions nécessaires si nous ne voulons pas subir passivement les solutions des autres et nous limiter au rôle peu utile de râleurs incapables et impuissants.

Pensiero e Volontà, 1er août 1926

[Lehning]

Je crois que nous, anarchistes, qui sommes convaincus que notre programme est bon, devons nous efforcer d'acquérir une influence prédominante pour pouvoir orienter le mouvement vers la réalisation de nos idéaux. Mais c'est en faisant plus et mieux que les autres que nous devrons acquérir cette influence qui ne sera utile que si elle est acquise ainsi.

[Lehning]

Nous devons, aujourd'hui, approfondir, développer et propager nos idées, et aussi coordonner nos forces pour une action commune. Nous devons agir dans le mouvement ouvrier pour l'empêcher de se corrompre en se limitant à ne rechercher que de petites améliorations compatibles avec le système capitaliste, et pour faire en sorte qu'il soit utile pour préparer la transformation sociale totale. Nous devons travailler au sein des masses inorganisées, et peut-être inorganisables, pour éveiller en elles l'esprit de révolte, le désir et l'espoir d'une vie libre et heureuse. Nous devons lancer et appuyer tous les mouvements possibles tendant à affaiblir les forces de l'Etat et des capitalistes, et à élever le niveau moral et les conditions matérielles des travailleurs. Nous devons, en somme, nous préparer moralement et matériellement pour l'acte révolutionnaire qui doit ouvrir la voie de l'avenir.

[Lehning]

Et demain, dans la révolution, nous devrons prendre part énergiquement (et si possible avant et mieux que les autres) à la lutte matérielle nécessaire, la pousser à fond pour détruire toutes les forces de répression de l'Etat et inciter les travailleurs à prendre possession des moyens de production (terre, mines, usines, moyens de transport, etc.) et des produits déjà prêts, et à organiser eux-mêmes et immédiatement une distribution des biens de consommation qui soit équitable, tout en procédant à l'échange entre communes et régions, et en poursuivant et intensifiant la production et tous les services utiles au public.

[Lehning]

Nous devrons, de toutes les façons possibles et selon les circonstances et les possibilités locales, promouvoir l'action des associations ouvrières, des coopératives, des groupes de volontaires - afin que ne surgissent pas de nouveaux pouvoirs autoritaires, de nouveaux gouvernements que nous combattrons par la force, si nécessaire, mais surtout en les rendant inutiles. Et si nous ne trouvions pas suffisamment d'écho dans le peuple, et que nous ne puissions empêcher que ne se reconstitue un Etat avec ses institutions autoritaires et ses organes de coercition, alors nous aurions à refuser d'y participer et de la reconnaître, à nous révolter contre ce qu'il voudrait imposer et à réclamer, pour nous et pour les minorités dissidentes, pleine et entière autonomie. Nous devrons, en somme, rester en état de révolte effective et potentielle et, si nous ne pouvons vaincre dans le présent, préparer au moins l'avenir...

[Lehning]

Je crois que ce qui est important, ce n'est pas le triomphe de nos plans, de nos projets, de nos utopies qui, du reste, ont besoin d'être confirmés par l'expérience et peuvent être par elle modifiés, développés, adaptés aux conditions morales et matérielles réelles de telle époque et de tel moment. Ce qui importe le plus, c'est que le peuple, c'est que tous les hommes perdent ces instincts et ces habitudes grégaires qu'un esclavage millénaire a développé en eux, et qu'ils apprennent à penser et à agir librement. Et c'est à cette grande œuvre de libération morale que les anarchistes doivent particulièrement s'attacher.

Il Risveglio, 14 décembre 1929

[Lehning]

Quand le gouvernement qui est là pour défendre les propriétaires sera abattu ou rendu impuissant d'une façon ou d'une autre, c'est au peuple tout entier et plus particulièrement à ceux qui, au sein du peuple, ont l'esprit d'initiative et des capacités d'organisateurs, qu'il appartiendra de pourvoir à la satisfaction des besoins immédiats et de préparer l'avenir en détruisant les privilèges et les institutions nocives, et en faisant, dans le même temps, fonctionner à l'avantage de tous ces institutions utiles qui, aujourd'hui, fonctionnent exclusivement ou principalement au bénéfice des classes dominantes.

[Lehning]

C'est aux anarchistes que revient la mission particulière d'être de vigilants gardiens de la liberté, contre ceux qui aspirent au pouvoir et contre l'éventuelle tyrannie des majorités.

Il Risveglio, 30 novembre 1929