Forum anarchiste

Photos: Jules Montels ; Kropotkine:

Tout cela prouve que la nouvelle conception, à ses débuts, était présentée avec calme, sans fanatisme et sans excès. "Nous étions anarchistes communistes et nous continuions de l'être -écrit Malatesta dans Pensiero e Volontà du 25 août 1926- mais cela ne signifiait pas que nous fassions du communisme un levier, un dogme, ou que nous ne comprenions pas que, pour le réaliser, il fallait créer des conditions morales et matérielles déterminées...". Il avait écrit en 1884: "... Mais pour être réalisable, le communisme a besoin d'un grand développement des membres de la société sur le plan moral, d'un sentiment élevé et profond de solidarité, que l'élan révolutionnaire ne suffira peut-être pas à créer...", voulant dire que l'abondance ne pouvant exister dès le début partout, il faudrait dans certaines localités et pour certains objets ne permettant pas un communisme immédiat, adopter le collectivisme à titre transitoire.

Photo: Malatesta:

Kropotkine lui-même qui, en 1877 et 1878, et aussi en 1879, ne semblait pas se préoccuper de ces problèmes (du moins par ce que nous connaissons de sa pensée à travers ses articles) conclut par contre, dans son grand exposé sur l'Idée anarchiste du point de vue de la réalisation pratique (1) par la commune collectiviste, sans parler de communisme, et, dans son discours au congrès jurassien (selon Le Révolté du 18 octobre), soutient l'anarchisme communiste en tant que but, avec le collectivisme comme forme transitoire de la propriété.

(1): Genève, 4 pages, in 4, du 12 octobre 1879.

Photo: Kropotkine:

Il ne faut pas oublier que le collectivisme anarchiste, en garantissant à chacun le produit entier de son travail, ne signifiait pas pour ses partisans une répartition strictement évaluée en fonction de la qualité de travail de chacun. Le produit intégral fut compris sans déduction du profit capitaliste ni des dépenses de l'Etat. L'association, le groupe, ou toute autre unité aurait décidé de la manière de répartition du produit, répartition qui aurait pu se faire soit sur la base de l'heure de travail ou du salaire égal (proposé par Bakounine) soit selon les besoins de chacun. L'identification du collectivisme avec un nouveau salariat constituait une erreur. Telle fut l'opinion de Guillaume qui, ainsi que le démontrent ses Idées (1874-1876) eut le bon sens de faire dépendre la distribution illimitée de l'abondance du produit. Il est à noter que les communistes eux-mêmes admettaient le rationnement des denrées rares.
Mais il faut signaler que ces denrées étaient en elles-mêmes des exceptions, telles que les fruits et légumes qui seraient distribués aux malades et aux enfants, tandis que tous les autres produits de réelle importance étaient présumés existant, et l'abondance facile à obtenir. Les collectivistes et les communistes prudents comme Malatesta, ne prévoyaient l'abondance d'aucun produit, même s'ils désiraient voir l'abondance créée de suite par un travail planifié.

Photos: Bakounine ; Guillaume:

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Sur ce point également, la question se posa de savoir si le travail devait viser, de préférence, à la production de nouveaux articles qui manquaient, ou à celles d'articles existants déjà afin de parvenir à une distribution illimitée par la surabondance. On n'avait pas l'audace de recourir à des normes et des réglementations, qui auraient été une forme d'autorité, et personne n'espérait que les choses puissent se régler automatiquement. Le collectivisme et le communisme, comme l'entendaient respectivement Guillaume et Malatesta, se présentaient avec la plus grande largeur de vue:
-Le progrès vers le communisme, ou sa réalisation complète là où l'abondance le permettra et des réglementations collectivistes de différentes natures, là où l'abondance n'existe pas encore, dans le but de la créer.

Photos: Guillaume ; Malatesta:

Le congrès de Berne (octobre 1876) s'était inspiré, selon Guillaume et d'autres délégués, de l'idée, soutenue aussitôt après la mort de Bakounine (1er juillet) par quelques socialistes autoritaires suisses - qu'un "respect réciproque" et une "progression parallèle pacifique" pourrait et devrait exister entre les socialistes libertaires et autoritaires. Le congrès adopta un manifeste très international rédigé par Charles Perron, Guillaume, Cafiero et Joukovsky, sur la guerre des Balkans (entre Slaves et Turcs).
De Paepe, à cette occasion, s'était montré entièrement étatiste, mais Guillaume, Reinsdorf, Malatesta et Joukovsky repoussèrent ses idées.

Photos: Charles Perron et Bakounine ; Cafiero:

Photos: Joukovsky ; De Paepe ; Reinsdorf:

Photo: Malatesta:

Sur la question des moyens d'action, Perron, Brousse, Joukovsky, les Espagnols (Vinas et Soriano) et les Italiens proposaient le respect réciproque des moyens employés dans chaque pays. La Fédération italienne croyait alors que le "fait insurrectionnel" était le moyen de propagande le plus efficace (1), conception qui fut le prélude de l'action projetée pour le mois de mai en Italie et dont l'insurrection dite de Matese ou de Benevento, en avril, ne fut qu'un épisode bâclé, hâté par certains épisodes. Cet évènement et celui du 18 mars 1877 à Berne (la défense du drapeau rouge attaqué par les autorités) furent des raisons de préconiser la "propagande par le fait" ; terme adopté alors par Costa (juin) et par Brousse (août) mais qui avait déjà été employé par Kropotkine dans un manuscrit en russe (1873) qui utilisait l'expression "faktitcheskaia propaganda" où l'adjectif signifiait "à travers les faits", de même que Bakounine écrivit en 1870 "propager nos principes à travers les faits" (manuscrit qui reste encore inédit). Cette expression, si redoutable pour les antisocialistes, "la propagande par le fait", ne l'est pas davantage que "donner l'exemple" ou que tout autre terme par lequel, dans toutes les langues, on exprime que les faits sont plus efficaces que les paroles.

(1): Déclaration de Cafiero et Malatesta dans le Bulletin du 3 décembre.

Photos: Perron ; Brousse ; Joukovsky:

Photos: Cafiero ; Malatesta ; insurrection dite de Matese ou de Benevento:

Photo: Kropotkine:

Le congrès de Verviers (septembre 1877) ne fut autre qu'un rendez-vous précédant le congrès dit mondial de Gand, où autoritaires et antiautoritaires se trouvèrent de nouveau réunis, mais en tant qu'ennemis et sans que puisse s'établir entre eux un quelconque modus vivendi. Vinas et Morago représentaient la Fédération espagnole.

Avant leur voyage en Belgique, les membres de l'Alliance internationale et Kropotkine s'étaient mis d'accord, à La Chaux-de-Fonds (Jura) pour réorganiser leur "communauté révolutionnaire", c'est-à-dire l'ancienne fraternité de 1874. Kropotkine fut nommé secrétaire-correspondant, et on convint que chaque pays serait autonome dans la tactique, qu'il y aurait une correspondance entre les membres, et que le secrétaire ferait circuler les lettres de l'un à l'autre afin que chacun y mentionne sa propre opinion. On a des raisons de croire que ces hommes furent Guillaume, Schwitzguébel, Pindy, Paul Brousse, Costa, Vinas, Morago, Kropotkine, et aussi Cafiero et Malatesta, alors aussi emprisonnés, unis depuis 1872, appartenaient à ce groupe. Le fonctionnement du groupe se révèle à travers quelques lettres conservées datant de 1879, 1880 et 1881, mais la plus grande partie de son travail nous reste inconnue et on peut la considérer comme perdue. La cohésion entre les militants prit sans doute fin avec le départ de Malatesta en Angleterre (été 1882) et avec l'emprisonnement de Kropotkine (décembre de la même année). Mais chaque fois que Malatesta, Kropotkine ou Guillaume se rencontraient, ils devaient sentir les liens de leur passé. Avec la mort de Malatesta le 22 juillet 1932, disparut le dernier membre de ce groupe restreint fondé par Bakounine en 1864.

Photos: Kropotkine ; Guillaume ; Schwitzguébel:

Photos: Pindy ; Paul Brousse:

Photos: Cafiero ; Malatesta ; Bakounine:

Le Révolté (1) fut considéré comme l'organe international du groupe, à qui est dû le prestige acquis par ce journal ; et le reste était dû au talent de Kropotkine qui, en 1880, se rapprocha beaucoup d'Elisée Reclus, et se prononça énergiquement pour la première fois en faveur de l'Anarchisme communiste direct, immédiat, au moment de la révolution sociale dans son écrit La Commune de Paris. (2) On peut croire que cette déclaration fut provoquée par l'attitude de Brousse, qui avait alors abandonné la "communauté révolutionnaire" et qui précisait son nouveau point de vue presqu'au même moment, dans Le Travail. (3)

(1): Paru le 22 février 1879.

(2): Dans "Le Révolté" du 20 mars. C'est un chapitre de "Paroles d'un révolté" (1885).

(3): Londres, avril 1880.

Photos: Kropotkine ; Elisée Reclus:

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Kropotkine s'entendit ensuite avec Dumartheray et avec Herzig du groupe de Genève, puis avec Reclus et avec Cafiero -probablement entre juillet et septembre 1880- pour proposer à la Fédération jurassienne d'accepter à son congrès (9 et 10 octobre) le communisme anarchiste: ce qui fut fait. Schwitzguébel avait résumé les idées collectivistes dans son Programme socialiste.... (1) Cafiero prononça le discours Anarchie et communisme. (2) Kropotkine et Reclus diffusèrent l'idée anarcho-communiste dans de nombreux discours et le congrès l'adopta. Schwitzguébel et Pindy se déclaraient aussi communistes, mais déconseillèrent l'emploi de ce mot que les travailleurs suisses et français comprenaient mal et n'aimaient pas beaucoup. La même objection pouvait être faite au mot "anarchiste" et c'est à cela que l'on doit l'emploi du terme communisme libertaire au congrès régional français du Havre (16-22 novembre 1880). Ce terme communiste anarchiste se répandit vite en France. Une affiche de janvier 1881 mentionne: Communisme libertaire et anarchiste.

Cette conception initiée en 1876 fut reprise d'abord par les Italiens, puis devint générale en Suisse, en France et en Belgique à partir de 1880.

(1): Genève 1880, 32 pages, in 8.

(2): Dans "Le Révolté" du 13 au 17 novembre 1880, publié souvent en brochures.

Photos: Kropotkine ; Reclus ; Cafiero:

Photo: Schwitzguébel: