Maurice JOYEUX

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Tout aussi étonnant son dialogue stérile avec un prisonnier pacifiste, Sousis, secrétaire du directeur de la prison, ex-diffuseur de "la Patrie humaine", quelques heures avant son évasion:
"Les foules suivent les politiciens. Les politiciens font la guerre, et les idéalistes crèvent en tôle. Les objecteurs de conscience par exemple.
Liron (Maurice) réfléchit longuement.
Bien que je sois un insoumis, je ne suis pas un objecteur de conscience.
J'admire leur courage. Je ne les comprends pas. Nous appartenons à des humanités différentes. Je ne fais pas la guerre, moi, je fais "ma" guerre à moi, en artisan, pour mon compte ! Entre leur pacifisme et ma conception de la paix il existe un écran: la barricade construite avec les pavés des faubourgs où je suis né !"

Ce court extrait du dialogue entre Sousis et Liron reste significatif de la position particulière, pour ne pas dire conflictuelle, qui sera une constante de Maurice par rapport au pacifisme.

Photo: Maurice:

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Malgré ces fins de non-recevoir Maurice, en ce Jour de l'An, profite toutefois des conditions particulières qui sont créées dans la détention pour déclencher la mutinerie. Passons sur les détails particulièrement croustillants de cette aventure qui risqua, de peu, de mal finir... Avec trois compères, il saute dans le train, en direction de Mâcon avec comme objectif le passage de la ligne de démarcation à proximité de Tournus.
Les ex-détenus profitent de la désorganisation complète de l'administration de Vichy afin de se faire passer, grâce à l'aide d'un vieux chiffonnier de la région, pour des soldats évadés d'Allemagne. Ils reçoivent alors, de la gendarmerie locale, un ordre de route pour Cahors leur permettant d'être définitivement démobilisés de la grande muette.

Photo: Maurice:

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"J'étais libre ! J'étais seul ! Pour combien de temps ? En vérité, je serai souvent seul dans la vie, seul au milieu des autres." Très rapidement il décide de quitter cette ville car l'avis de recherche le concernant arrivera tôt ou tard et la moindre vérification d'identité pourrait lui être fatale. Destination par le train: la ligne de démarcation. Arrêt Châteauroux puis, par marche à pied nocturne, la route de Tours. Aidé par des passeurs Maurice franchit la ligne pour entrer en zone occupée.
Là, au moins, il n'y est pas recherché. Ensuite, il décide d'aller à Blonville passer quelques temps dans la maison de famille où il retrouve sa mère au bras d'un troisième mari: René Boisseau. Séjour bref, afin de ne pas attiser les rumeurs. Notre voyageur repart pour Paris. Quelques jours de liberté totale avant de trouver, par annonce, une offre de travail dans une fonderie de la Nièvre, à Guérigny, qui travaille alors pour la marine allemande. Sa feuille de démobilisation lui sert de pièce d'identité.

Photos: Maurice ; Blonville ; fonderie de la Nièvre, à Guérigny:

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Maurice y reste un peu plus de deux mois et reprend son baluchon après une altercation avec son chef d'atelier. De toute façon il n'entendait pas y rester plus de six mois, temps maximum avant que l'avis de recherche des autorités de Vichy ne parvienne en zone occupée. Certificat de travail en poche, un bien précieux pour l'époque, il repart accomplir quelques petits boulots ici ou là, cherchant à changer constamment de département afin de ne pas se faire repérer par les autorités. Cela l'amène à revenir, en septembre 1941, à Paris.

Photo: Maurice:

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Maurice passe quelques nuits à l'hôtel. A la suite d'un banal contrôle de routine de la police, contrôle qui aurait pu se passer normalement, Maurice fait le coup de poing et, de ce fait, quelques huit mois après son échappée de Montluc, se retrouve aux prises avec la Justice qui le condamne à trois ans de prison. L'avis de recherche de la justice militaire arrive lorsque celui-ci est déjà en prison. Le tribunal militaire le condamne à vingt ans de réclusion. Il fait alors appel, espérant une confusion des peines afin qu'elles ne dépassent pas les trois ans. A nouveau il est transféré à Montluc, là où sa célébrité, tant auprès des matons que des prisonniers, ne joue pas en sa faveur. Lors de ce second passage dans cette prison les coups pleuvent et le mitard demeure souvent le lieu courant de sa détention.

Photos: Maurice ; prison de Montluc:

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Janvier 1942, Maurice comparaît à nouveau devant le tribunal militaire. Il en résulte: quatre ans d'emprisonnement avec confusion des peines. La sentence lui paraît le moindre mal et, de ce fait, il ne fait pas appel, restant persuadé que la guerre se terminera avant qu'il ait purgé sa peine. L'administration l'envoie dans la prison de Lodève, petite sous-préfecture du Larzac où, chargé de la gestion de la bibliothèque, il jouit, selon lui, "d'une relative tranquillité"...

Photos: Maurice ; prison de Lodève:

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Les événements vont se charger de rompre cette tranquillité. Le débarquement américain en Afrique a lieu, les problèmes du sabordage de la flotte de Toulon traduisent la désorganisation des armées, le ralliement de l'amiral Darlan aux forces alliées agit en électrochoc. Bref, le gouvernement de Vichy considérant que la prison de Lodève n'est plus sûre dans ce contexte, décide en fin 1942 de transférer les détenus dans divers autres établissements. Maurice se retrouve "muté" au camp disciplinaire de Mauzac, en Dordogne. il y reste plus d'un an, là aussi dans une tranquillité relative: "En prison j'ai toujours refusé de travailler, et après les jours de cachot d'usage, je fus désigné pour rester à mon bâtiment pour empêcher les vols, qui étaient nombreux."

Photos: sabordage de la flotte de Toulon ; amiral Darlan ; camp disciplinaire de Mauzac, en Dordogne:

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Le 14 juillet 1943, alors qu'un général vient au camp célébrer la fête nationale, Maurice déchaîne un tumulte à la cantine en se faisant le porte-voix des détenus sur le peu de nourriture dont ils disposent à chaque repas. Le mitard l'attend de nouveau. Rappelons qu'à chaque fois sa mère lui est d'un grand secours, améliorant son ordinaire qui est, en ces moments, particulièrement médiocre. Il lui en vouera toujours une profonde reconnaissance.

Photo: Maurice:

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Au début de l'année 1944 la pression du maquis rend peu sûre la région.
L'administration décide de fermer le camp et évacue Maurice et quelques-autres au fort de Vancia, à l'est de Lyon. Des informations parvenant à l'intérieur de la prison signalent qu'en dehors les événements se précipitent et que la guerre semble toucher à sa fin. Cela n'empêche pas Maurice et quelques-autres de tenter une ultime évasion qui échoue par manque de participation des autres détenus de la prison.
Retour à Montluc dans l'attente du jugement pour cette nouvelle action.
Mais, signe des temps et grâce au témoignage de résistants lyonnais, Maurice bénéficie d'un non-lieu qui lui permet, sans autre dommage, de purger sa peine et, au printemps 1945, de recouvrer enfin la liberté.
Pour lui, "L'aventure est terminée, à trente-cinq ans j'ai passé près de dix ans en prison, allant de pénitencier militaire en pénitencier militaire avec de courts séjours dans les prisons bien nettoyées de la société civile.
Une page se tourne. Mais qui suis-je ? J'ai été un révolté, je serai un révolutionnaire !"

Photos: Maurice ; fort de Vancia ; Montluc:

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La rencontre de Suzy et la reconstruction du mouvement anarchiste.

Libre... A la sortie de Montluc, Maurice est hébergé deux jours à Oullins, le temps de rencontrer les anars de la région pour fêter sa sortie de prison. Il reprend le train afin de rendre visite à sa mère Rosine qui, par précaution et obligation, avait quitté Blonville (Calvados), pour rejoindre sa belle-fille dans son débit de boissons à Tours. Huit jours de repos et le voilà reparti pour Paris.

Photos: Suzy ; Montluc ; Maurice:

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Photos: Oullins ; Blonville (Calvados):

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Ses premiers soucis: trouver un toit. Il le trouve dans un hôtel de la rue R. Houdin. C'est dans ce lieu notamment qu'il emmènera "pour la première fois", nous dira-t-il, Suzy Chevet qui deviendra plus tard sa femme. Enfin, second souci: trouver du travail. Après quelques jours de recherche c'est dans l'île de la Grande-Jatte, à Levallois, qu'il est embauché comme ajusteur-outilleur.

Photos: Suzy Chevet ; île de la Grande-Jatte, à Levallois:

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"C'est ce matin du 1er mai 1945 que je fis la connaissance de Suzy Chevet.
(...) Suzy avait alors une quarantaine d'années. Elle venait du parti socialiste ! Fonctionnaire au ministère du Travail, révoquée pendant la guerre, elle venait d'être réintégrée et affectée comme interprète auprès de l'armée américaine. En Bretagne, pendant l'occupation, elle avait noué des amitiés avec des anarchistes espagnols travaillant au mur de l'Atlantique. Ceux-ci avaient constitué une organisation clandestine animée par Pepito Rosell qui sera son gendre par la suite. C'est tout naturellement par l'intermédiaire des anarchistes espagnols parisiens appartenant à la C.N.T. qu'elle avait pris contact avec le quai de Valmy.
C'était une femme différente de celles qu'on rencontrait dans les milieux parisiens. Simple mais élégante, le langage direct, dotée d'un fort bagage scolaire, elle avait été institutrice, puis révoquée ; elle sera souvent taxée d'être une petite bourgeoise par des militants désinvoltes. C'était une femme capable, excellente organisatrice, connaissant admirablement sa langue, tenace et allant jusqu'au bout d'un projet une fois la décision prise. Elle sera plus tard précieuse à l'organisation et finira par policer le personnage turbulent que j'étais alors."

Sous les plis du drapeau noir. Souvenirs d'un anarchiste.

Photos: Suzy Chevet en 68 à Carrare ; Pepito Rosell (à droite) avec Maurice Joyeux en 83:

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C'est donc dès sa sortie de prison que sa décision est prise. Après avoir longtemps côtoyé les anarchistes en militant à la base dans le groupe parisien du XVII°, après en avoir rencontré quelques-uns dans les diverses prisons fréquentées, après les "avoir observés de l'extérieur, c'est-à-dire sans les verres grossissants que toute organisation colle sur le nez de ses adhérents", Maurice prend le parti de militer dans le mouvement et s'y tiendra jusqu'à son dernier souffle.

Photo: Maurice:

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L'existence assurée, voici notre homme qui prend le chemin du siège parisien situé sur les bords du canal Saint-Martin: 145, quai de Valmy.
Nous sommes le 1er mai 1945. Il se présente au permanent de l'époque et associé à une militante, Suzy, les voilà partis vendre le Libertaire rue de Belleville. Une vie normale prend corps: "Ma vie s'est uniformisée, je suis devenu ce que je n'avais jamais été: un militant sérieux, un ouvrier "conscient et organisé" comme dit l'autre et j'ai formé un couple"...

Photos: quai de Valmy ; Suzy:

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L'ordre des choses a changé. Notre homme aussi. Il l'a si bien compris et admis qu'il écrira "que pour créer les conditions du dialogue il fallait s'inscrire dans la foule, participer étroitement à ses luttes avec, comme objectif, changer le milieu." "... Aux révolutionnaires intransigeants qui campaient sur l'Aventin comme aux réformistes qui se noyaient dans la foule il fallait substituer un révolutionnaire intransigeant mais mêlé à la masse sans s'y fondre." Nous avons là, défini en quelques mots, ce qui sera désormais et pour toujours sa conduite militante. Bien sûr elle heurtera souvent ceux qu'il appellera les forts en thème, ces intransigeants qui finiront non seulement par se fondre dans la masse mais par la dominer du haut de l'once de pouvoir qu'ils acquerront, fruit de leurs études supérieures. Elle heurtera également les campeurs sur l'Aventin, habitant leur tour d'ivoire, puristes en théorie mais discrets pragmatiques dans leur vie de tous les jours... Maurice en homme du peuple et fier de l'être, reste persuadé que c'est par la multiplicité des efforts anonymes que se construit l'organisation. Il en prendra sa part en vendant, collant, distribuant, débattant, organisant.

Photos: L'Aventin ; Maurice:

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Dès le début de l'été 1945 le mouvement libertaire se reconstitue. En région parisienne plusieurs groupes se structurent. Maurice est chargé, au secrétariat de la région, de l'implantation du mouvement dans celle-ci. La première grande réunion publique a lieu en juillet 1945, place du Colonel Fabien, avant qu'elle ne devienne le siège du P.C.F. La salle de trois cents personnes est rapidement pleine. Maurice intervient ainsi que les camarades Oriol et Bouyé. Le succès de cette réunion confortera Maurice dans l'utilisation de ses talents de tribun partout où les groupes le demanderont. Il disposait d'une parole facile, discourant deux heures d'affilée sans notes, sans jamais lasser ou laisser indifférent son auditoire, apportant à la profondeur de son propos une spontanéité et une fraîcheur sans cesse renouvelée. Un style oratoire où il arrivait que la violence débridée des mots enflamme tout à la fois l'homme et la salle, style détonnant avec celui parfaitement rôdé, structuré et très classique de ses alter ego: Aristide Lapeyre et Maurice Laisant, deux autres grands propagandistes libertaires de la même génération.

Photos: Maurice ; place du Colonel Fabien:

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Photos: Bouyé ; Aristide Lapeyre ; Maurice Laisant:

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L'intensité des propos de Maurice contribue à sa renommée et en surprend plus d'un, en particulier ses adversaires adeptes du confusionnisme politique au sein du mouvement libertaire.

Photo: Maurice: