Maurice JOYEUX

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Arrivé trop tôt en saison, nous sommes en fin de l'été 1935, il "tue le temps". Puis, les vendanges terminées, il repart en direction de Bordeaux pour en faire de nouvelles. Là les choses se gâtent.
L'ambiance n'est pas la même que dans les petites propriétés où règne un esprit familial. L'expérience est brève. Il décide de quitter la région et de remonter sur Paris. Arrêt près de Châteaudun pour sarcler des betteraves. Quinze jours de dur labeur avant de retrouver la ville capitale.

Photo: Châteaudun:

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Maurice prend ses quartiers dans un hôtel de la rue Sauffroy dans lequel il reste jusqu'à la déclaration de la Seconde guerre mondiale. Il cherche à gagner sa vie en vendant des légumes à la sauvette. Un jour, il fait la connaissance d'un musicien des rues, Edrac, qui l'amène à fréquenter dans un bistrot de l'avenue de Clichy un groupe de camarades qui s'y réunissent. C'est ainsi qu'au printemps 1936 il entre au groupe anarchiste du XVII° arrondissement, adhérant à l'Union anarchiste. Celui-ci se compose d'une "vingtaine de personnes dont la moitié seulement assistaient à toutes les réunions et prenaient une part intensive aux travaux. Les femmes, qui étaient peu nombreuses, faisaient de la figuration." L'activité du groupe ressemble à tout autre: distribution de tracts, collage d'affiches, conférences (appelées causeries), contacts avec d'autres mouvements. Il s'y adapte rapidement et constate que si "les anarchistes lisent beaucoup, l'éventail de leurs lectures est désespérément restreint. Ils lisent la littérature libertaire, qui est nombreuse, compacte, solide sur le fond, même si les qualités littéraires sont moins certaines, mais ils ne lisent que ça ! A cette époque, ils n'avaient pas encore compris qu'eux, qui pour la plupart étaient des autodidactes, avaient besoin d'un fonds de lecture englobant toutes les disciplines qui seraient le terrain d'où lèverait leur réflexion sur les problèmes sociaux." En permanence, tout au long de sa vie militante, il insistera sur cette nécessité d'acquérir une culture la plus ouverte et large possible. Ce qui aujourd'hui, peut paraître évident mais qui ne l'était pas autrefois, notamment dans ces périodes d'années 1930 !

Photo: Maurice:

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Jusqu'au déclenchement de la Seconde guerre mondiale il reste dans ce groupe, en tant que "militant de la base dans toute l'acception du mot."
Cette période lui permet de lire, d'engloutir, le terme n'est pas excessif, toute la littérature libertaire et une partie de la littérature marxiste. Il affirmera sans ses Mémoires que c'est durant cette époque que s'esquissera "la ligne théorique des textes" qu'il écrira plus tard.
Epoque donc fondamentale dans la construction de notre personnage.

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En 1936, il ne participe ni au Front populaire ni à l'éclatement de la guerre d'Espagne car à nouveau il se trouve en prison. Non pour raison militante mais pour motif professionnel. Son travail de vendeur de légumes non patenté lui vaut régulièrement des amendes qu'il ne paie pas et, de ce fait, l'oblige à quelques menues peines de prison. C'est ainsi qu'en ce printemps mémorable l'électricité est dans l'air. Poussant tant bien que mal son diable chargé de légumes, des hirondelles (policiers à vélo) l'interpellent. Course poursuite... bagarre... coup de boule contre un représentant de l'ordre, en bref, arrestation et direction du tribunal des flagrants délits avec comme ordre de route: la prison de la Santé. Les évènements populaires en France et le soulèvement espagnol, Maurice les apprend à travers les barreaux... et il reste incarcéré tout l'été.

Photos: prison de la Santé ; Maurice:

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A sa sortie, il n'est plus question de continuer ce petit travail de vendeur à la sauvette. La solidarité jouant, un camarade lui trouve un poste d'ajusteur dans une entreprise de Saint-Ouen. Cette fois-ci, il espère bien sortir définitivement de cette vie difficile qui fut la sienne précédemment. Les récents faits sociaux qui ont secoué les deux côtés des Pyrénées l'amènent à ce constat: "Cinquante années de piétinements avaient fait éclater la spiritualité libertaire en de multiples rameaux. (...) Ceux qui croyaient encore à la révolution sociale, des jeunes, des intellectuels, quelques syndicalistes, s'étaient regroupés au sein de l'Union anarchiste qui se présentait sous l'étiquette du communisme libertaire. Les autres étaient éparpillés dans des organisations pacifistes elles-mêmes divisées en plusieurs écoles, à la Libre Pensée, dans des organisations syndicales. (...) Un quarteron d'anarcho-syndicalistes, les yeux fixés de l'autre côté des Pyrénées, avaient créé autour de Pierre Besnard la C.G.T.S.R. qui s'étiolait. Enfin, certains s'éparpillaient dans des organisations particulières, loges maçonniques, organisations ésotériques. (...) Deux noms d'hommes en marge survolaient le mouvement anarchiste: celui de Sébastien Faure et celui de Louis Lecoin"

Photos: Pierre Besnard ; Sébastien Faure ; Louis Lecoin:

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Maurice a l'occasion d'écouter à quelques reprises Sébastien Faure. "En l'écoutant, je retrouvais l'écrivain au style feutré, précieux, classique, ciselant en séminaire ou dans les loges maçonniques un verbe dont les imprécisions économiques, structurelles, étaient recouvertes d'un somptueux manteau de phrases étincelantes." Quant à Louis Lecoin il ne le connaîtra que plus tard. Il entretiendra avec lui "une amitié orageuse". A cette époque, Lecoin crée le journal S.I.A., Solidarité Internationale Antifasciste, destiné à venir en aide au mouvement anarchiste espagnol.

Photos: Maurice ; Sébastien Faure ; Louis Lecoin:

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La distance entre ces deux grandes personnalités et notre homme sera formulée par celui-ci en ces termes: "J'ai compris que Sébastien Faure avait toujours été en marge de l'organisation officielle des anarchistes dans l'espoir peut-être d'être un lien entre elles et les autres groupements qui se réclamaient également de l'anarchie. Pour Lecoin, il n'a jamais été très à son aise dans les organisations qu'il n'avait pas lui-même créées et dont il n'était pas le patron incontestable."

Photos: Sébastien Faure ; Lecoin:

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La guerre d'Espagne est pour Maurice un moment de forte intensité et de tiraillements. Il lui est très difficile de résister à ne pas partir là-bas.
Mais nombre de militants se persuadent qu'il y a sur place assez d'hommes alors que l'appui extérieur fait grand défaut. Il est de ceux-là.
Lorsqu'il sort de prison, les relations entre les anarchistes et les communistes espagnols commencent à se détériorer.
Internationalement, la propagande stalinienne se répand avec force.
L'anarcho-syndicalisme, fort de sa puissance en Espagne, lui semble le moyen le plus approprié pour rester en contact avec la population, "se couler dans l'histoire du mouvement ouvrier, c'est-à-dire dans le syndicalisme traditionnel à la fois réformiste et révolutionnaire." Et pendant ces trois dernières années avant le grand conflit, notre homme milite dans son syndicat de la métallurgie au sein de la C.G.T.U. et, bien sûr, dans son groupe du XVII° qui développe son action en faveur de l'Espagne.

Photo: Maurice:

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Les évènements d'Espagne où commence à se pratiquer la liquidation du P.O.U.M. et de la C.N.T. par les forces communistes, permettent la constitution en France d'un Front révolutionnaire composé des mouvements trotskiste, anarchiste et de la minorité du parti socialiste représentée par Marceau Pivert. En vue de cette constitution, Maurice est délégué par l'Union anarchiste pour la représenter. Pâle remake du Front populaire qu'il entendait pourtant poursuivre, ce Front hétéroclite ne dure qu'un bref instant.

Photo: Marceau Pivert ; Maurice:

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La situation politique de l'Europe est alors en proie à de multiples déchirements. Début 1937 et en 1938 les manifestations et les bagarres avec les organisations fascistes se multiplient, la police charge. La grève générale de novembre 1938 souhaitée par le Parti communiste est un échec total. Le Front populaire a vécu et l'abattement de la population reprend le dessus. Printemps 1939, la chasse aux "rouges" et à tout ce qui s'y apparente vide les organisations. Sur l'hexagone l'ordre brun commence son règne. La guerre se profile déjà à l'horizon et le pacte germano-soviétique en est le premier indicateur. Louis Lecoin sort son tract Paix immédiate qui passe, à l'époque, d'après Maurice, complètement inaperçu. Le groupe du XVII° subit d'importantes tensions quant à l'attitude à adopter face à la guerre et ne tarde pas à éclater tout comme l'Union anarchiste d'ailleurs, dès l'annonce de la déclaration de guerre.

Photos: grève générale de novembre 1938 ; Louis Lecoin:

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Photo: Maurice:

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L'insoumis, les cavales.

"Cette guerre n'était pas la mienne et je ne la ferai pas, mais n'étant pas pacifiste j'en ferai d'autres." Août 1939. Maurice reçoit sa feuille de mobilisation. Destination une caserne près de Tours, celle où sont regroupés les anciens des Bataillons d'Afrique. Décidé à ne pas participer à cette guerre, il concocte un plan. Il arrive en retard à l'incorporation et profitant de la pagaille qui règne dans le camp, voilà notre homme prenant la poudre d'escampette, à travers le grillage percé, bien décidé à ne plus remettre les pieds dans ce lieu. Pendant six mois l'ami vagabonde sur les routes de France avant d'être arrêté par la gendarmerie. Il est emmené dans un camp à Briançon, là où stationne son régiment, avec un statut de détenu... en attente de jugement.

Photos: Maurice ; camp à Briançon:

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L'arrivée de Pétain au pouvoir provoque la démobilisation des régiments qui subsistent encore. L'administration militaire décide d'envoyer Maurice en préventive, avec d'autres, à la prison de Montluc à Lyon. L'ami Maurice fait vite le calcul: une condamnation pour insoumission c'est cinq ans ! Alors, profitant d'une corvée d'eau faite à l'extérieur du camp, il reprend avec un autre détenu le chemin de la liberté. Voici notre homme en route pour Valence, en prenant soin d'éviter les villes, empruntant les chemins plutôt que les grandes routes, afin d'éviter les risques de contrôle inopiné. Malheureusement, c'est en voulant remonter sur Paris qu'à la gare de Saint-Etienne il est transporté à la prison militaire de Montluc: "La débâcle ayant dispersé aux quatre coins du pays les services de justice de l'armée, Lyon était devenu, après la séparation du territoire en deux zones, la circonscription judiciaire la plus importante du pays dit "libre".

Photos: Pétain ; Maurice ; prison de Montluc à Lyon:

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Photo: gare de Saint-Etienne:

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Les relations avec les matons sont toujours très tendues: "A les considérer si pareillement calqués sur le même modèle, on aurait pu croire que leur recrutement était dû à un choix minutieux. Il n'en était rien. A la réflexion d'ailleurs on s'apercevait que seul le caractère particulier de leur emploi expliquait qu'un tel échantillonnage d'abrutis ait pu se constituer." Cet emprisonnement lui permet de reprendre contact avec sa mère Rosine par laquelle il apprend son remariage avec "Robert ou Roger, je ne m'en souviens plus." Comme les précédentes fois, elle lui fournit quelques subsides afin d'améliorer son ordinaire grâce au "salon", salon de coiffure de la prison où "les marchés se passaient surtout avec d'autres clans, eux aussi solidement organisés et plus aptes que le détenu isolé à se procurer des objets prohibés."

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Mutinerie à Montluc est, pour son auteur, l'occasion de nous décrire sa vision de l'humanité des prisons: "Le voleur combine ses coups, trouve des associés, s'instruit de méthodes inédites qui lui permettront de parfaire sa technique ! Ainsi l'intellectuel fait l'inventaire de son savoir, en mesure les limites, regarde à travers lui et à travers les autres ! Ainsi l'autodidacte dévore les bibliothèques ! Le militant révolutionnaire fait retraite. Pour lui la détention n'est pas seulement continuité mais tremplin ! Dans sa course vers l'idéal, elle est un instant de répit qui lui permet de s'arc-bouter. Le militant révolutionnaire ne sort pas de prison, il en jaillit ! Le militant révolutionnaire n'est pas usé par la détention ! Il s'use chaque jour au contact des hommes, pierres friables sur lesquelles il tente de construire. La détention au contraire affermit ses certitudes, pour lui elle est oasis !" Merveilleux constat dont le système actuel -pour cause !- se garde bien de tirer quelques conclusions novatrices. La machine reste parfaitement rôdée afin d'atomiser la problématique de chaque type de prisonnier...

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Joyeux écope d'une année de détention, année qui aurait dû normalement lui permettre de recouvrer la liberté lors du printemps 1941. Mais l'armée avait fait de lui un réfractaire et l'ami n'est pas décidé à changer d'attitude... Pourtant, en ce Jour de l'An 1941 il règne au sein de la prison une ambiance particulière, notamment parmi les matons. Ambiance qui, vous vous en doutez, est propice à une action tout aussi particulière...

Photo: Joyeux:

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Toujours dans Mutinerie à Montluc, Maurice, avec moult détails, nous raconte le plan d'organisation qui permit son évasion. Un bruit courait -qui se confirmera d'ailleurs- que les Allemands en envahissant la zone nord de la France risquaient de déporter tous les détenus, dont ceux de Montluc, vers l'Allemagne. La décision de Maurice ne se fait pas attendre... Profitant des craintes et des élucubrations de ses co-détenus, il pense opportun d'organiser une nouvelle mutinerie. Il prend contact avec les prisonniers communistes qui, alors sous la direction de Lucien Sampaix (Sansguerre pour les besoins du roman et qui, avant son internement, était le directeur de L'Humanité), ne veulent pas participer à l'action et qui bien sûr au regard de l'histoire, quelques années après, finiront tout naturellement en bons martyrs: aucune consigne du Parti n'était parvenue leur donnant l'ordre d'évasion (n'oublions pas que le pacte germano-soviétique restait encore en vigueur)...

Photos: Maurice ; la prison militaire de Montluc:

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Photos: Prison de Montluc ; Lucien Sampaix: