Errico MALATESTA: Ecrits Choisis

[Lehning]

Malgré tout, le milieu social est si puissant et les tempéraments si divers qu'il est bien possible qu'il y en ait parmi les anarchistes qui deviennent des voleurs, comme il y en a qui deviennent des commerçants ou des industriels.
Mais dans ce cas, les uns comme les autres, ils n'agissent pas en fonction de leurs idées mais malgré leurs idées.

Il Pensiero, 16 mars 1911

[Lehning]

DEFENSE DE LA REVOLUTION

La révolution que nous voulons consiste à enlever le pouvoir et la richesse à ceux qui les détiennent actuellement, et à mettre la terre, les instruments de travail et tous les biens existants à la disposition des travailleurs, c'est-à-dire de tous, parce que tous doivent devenir des travailleurs s'ils ne le sont pas. Et cette révolution, les révolutionnaires doivent la défendre en veillant à ce que personne -que ce soit un individu, un parti ou une classe- ne puisse trouver les moyens de constituer un gouvernement et de rétablir le privilège en faveur des nouveaux ou des anciens patrons.

[Lehning]

Pour défendre et sauver la révolution, il n'y a qu'un moyen: faire la révolution jusqu'au bout.

[Lehning]

Tant que quelqu'un pourra obliger quelqu'un d'autre à travailler pour lui ; tant que quelqu'un pourra violer la liberté d'autrui en le prenant à la gorge ou en le tenant par le ventre, la révolution ne sera pas finie. Nous serons en état de légitime défense et contre la violence qui opprime, nous opposerons la violence qui libère.

[Lehning]

Vous craignez que les bourgeois dépossédés n'enrôlent les inconscients pour restaurer l'ordre abattu ? Dépossédez-les réellement et vous verrez que, sans argent, ils n'enrôleront personne.

[Lehning]

Vous craignez la réaction militaire ? Armez toute la population. Mettez-la réellement en possession de tous les biens de façon à ce que chacun ait à défendre sa propre liberté et les moyens capables de lui assurer son bien-être et vous verrez si des généraux en mal d'aventure trouveront des gens pour les suivre. Et si un peuple armé, en possession de la terre, des usines, de toutes les richesses, était incapable de se défendre et se laissait de nouveau soumettre au joug, alors cela voudrait dire que ce peuple est encore incapable de liberté. La révolution aurait échoué, et il faudrait recommencer le travail d'éducation et de préparation pour en faire une autre qui, parce qu'elle tirerait profit des graines semées par la première, aurait de plus grandes chances de succès.

Fede !, 25 novembre 1923

[Lehning]

Les dangers qui guettent une révolution ne viennent pas seulement ni essentiellement des réactionnaires qui conspirent pour rétablir l'ordre ancien et qui appellent l'intervention de l'étranger. Ils viennent du risque que court la révolution elle-même de dégénérer. Ils viennent des arrivistes, de ceux qui sont ou qui ont été révolutionnaires et qui conservent cependant une mentalité et une sentimentalité bourgeoises. Ceux-là cherchent à infléchir la révolution vers des buts tout autres qu'égalitaires et libertaires.

Umanità Nova, 27 août 1920

[Lehning]

Même si nous étions arrivés au point que personne ne pourrait imposer sa propre volonté aux autres par la violence et que personne ne pourrait enlever aux autres, par la force, le produit de leur travail, nous ne pourrions agir que par la propagande et par l'exemple.

[Lehning]

Détruire les institutions, les mécanismes, les organisations sociales qui existent ? Sans aucun doute, s'il s'agit d'institutions répressives. Mais au fond, ces dernières ne représentent que peu de chose face à la complexité de la vie sociale. Police, armée, prison, magistrature, tout cela peut faire beaucoup de mal mais n'a qu'un rôle de parasites. Tout autres sont les institutions et les organisations qui peuvent, bien ou mal, permettre à l'humanité de vivre. Et ces institutions-là, on ne peut les détruire de façon utile que si on les remplace par quelque chose de mieux.

[Lehning]

L'échange des matières premières et des produits, la distribution des biens alimentaires, les chemins de fer, la poste et tous les services publics aux mains de l'Etat ou du secteur privé ont été organisés de façon à servir les intérêts monopolistes et capitalistes, mais ils correspondent à des intérêts réels de la population. Nous ne pouvons les désorganiser que si nous les réorganisons mieux - et d'ailleurs, la population intéressée ne nous laisserait pas faire. Cela ne peut pas se faire en un jour et, dans l'état actuel des choses, nous n'avons pas les capacités nécessaires pour le faire. Tant que les anarchistes ne pourront pas le faire, si d'autres le font selon des critères peut-être différents des nôtres, tant mieux.

[Lehning]

La vie sociale n'admet pas d'interruption et les gens veulent vivre, le jour de la révolution, le jour suivant et ainsi de suite.

[Lehning]

Si nous avions à assumer la responsabilité d'une destruction insensée qui compromettrait la continuité de la vie, cela nous serait fatal, cela serait fatal à l'avenir de nos idées.

Umanità Nova, 7 octobre 1922

[Lehning]

Ils sont encore nombreux ceux qui sont fascinés par l'idée de "la terreur". Il leur semble que la guillotine, les exécutions, les massacres, les déportations, les prisons -"potence et prison" me disait récemment un communiste des plus connus- sont pour la révolution des armes puissantes et indispensables. Et ils trouvent que si tant de révolutions ont été vaincues ou n'ont pas donné le résultat qu'on pouvait escompter, c'est à cause de la bonté, de la "faiblesse" des révolutionnaires qui n'ont pas assez persécuté, pas assez réprimé, pas assez massacré.

[Lehning]

C'est là un préjugé courant dans certains milieux révolutionnaires ; il tire son origine de la rhétorique et des falsifications historiques des apologistes de la Grande Révolution Française et, ces dernières années, il a trouvé une nouvelle vigueur dans la propagande des bolcheviks. Mais la vérité est tout le contraire: la terreur a toujours été un instrument de tyrannie. En France, elle a servi à Robespierre pour établir sa féroce tyrannie et elle a préparé le terrain à Napoléon et à la réaction qui s'ensuivit. En Russie, elle a persécuté anarchistes et socialistes, elle a massacré les ouvriers et les paysans révoltés, et elle a brisé en définitive l'élan d'une révolution qui aurait pu ouvrir réellement à la civilisation une ère nouvelle.

Photos: Robespierre ; Napoléon:

[Lehning]

Ceux qui croient en l'efficacité révolutionnaire, libératrice, de la répression et de la férocité ont la mentalité arriérée des juristes qui s'imaginent qu'il est possible d'éviter le délit et de moraliser le monde au moyen de peines sévères.

[Lehning]

Tout comme la guerre, la terreur réveille les instincts guerriers ataviques mal recouverts encore d'un vernis de civilisation, et elle porte aux principaux postes les pires éléments qui existent dans la population. Loin de servir à défendre la révolution, elle sert à la discréditer, à la rendre odieuse aux masses et, après une période de luttes féroces, elle aboutit nécessairement à ce qu'on appellerait aujourd'hui la "normalisation", autrement dit la légalisation et la perpétuation de la tyrannie. Quel que soit le vainqueur, on en arrive toujours à l'établissement d'un gouvernement fort qui assure aux uns la paix aux dépens de la liberté et aux autres la domination sans grand danger.

[Lehning]

Certes, la révolution se défend et se développe selon une logique inexorable, mais on ne doit pas et on ne peut pas la défendre par des moyens qui sont en contradiction avec les fins qu'elle poursuit.

[Lehning]

Pour défendre la révolution, le grand moyen reste toujours d'enlever aux bourgeois les moyens économiques de leur domination, d'armer toute la population -jusqu'à ce qu'on puisse l'inciter à jeter les armes devenues jouets inutiles et dangereux- et d'intéresser à la victoire la grande masse de la population.

[Lehning]

Si, pour vaincre, il fallait dresser des potences dans les rues, je préférerais encore perdre.

Pensiero e Volontà, 1er octobre 1924

[Lehning]

Et après la révolution, c'est-à-dire après la chute du pouvoir en place et le triomphe définitif des forces insurgées ?