Errico MALATESTA: Ecrits Choisis

[Lehning]

Nous pourrions nous trouver avec les républicains dans l'acte de la révolution. Comme, par ailleurs, nous pourrions nous trouver d'accord avec les communistes sur la question de l'expropriation de la bourgeoisie, à condition qu'ils veuillent la faire de façon révolutionnaire, sans attendre d'avoir préalablement constitué leur Etat, leur Dictature. Mais nous n'en deviendrons pas pour autant républicains ou communistes étatistes.

Pensiero e Volontà, 1er juin 1924

[Lehning]

Nous pouvons avoir des rapports de coopération avec des partis non anarchistes tant que nous avons avec eux un ennemi à combattre et que nous ne pourrions pas l'abattre seuls. Mais à partir du moment où un parti prend le pouvoir et devient gouvernement, nous ne pouvons avoir avec lui que des rapports d'ennemi à ennemi.

[Lehning]

Tant qu'il y a gouvernement, nous avons certes intérêt à ce qu'il soit le moins oppressif, c'est-à-dire le moins "gouvernement" possible.

[Lehning]

Mais ce n'est pas en aidant un gouvernement qu'on obtient la liberté, même une relative liberté. C'est en lui faisant sentir le danger qu'il court à trop vouloir opprimer.

Pensiero e Volontà, 1er août 1926

[Lehning]

Nous avons toujours recherché l'alliance de tous ceux qui veulent faire la révolution, pour pouvoir abattre la force matérielle de l'ennemi commun.
Mais nous avons toujours hautement proclamé que cette alliance ne devait durer que le temps de l'acte insurrectionnel. Et qu'immédiatement après ou même éventuellement, si c'est possible et nécessaire, pendant l'insurrection, nous chercherions à traduire en actes nos idées en nous opposant à ce que se constitue tout gouvernement, tout centre autoritaire. En poussant les masses à prendre possession immédiatement de tous les moyens de production et de toute la richesse sociale et à organiser directement la nouvelle vie sociale conformément au degré de développement et à la volonté des masses elles-mêmes, selon les diverses localités.

Umanità Nova, 25 novembre 1922

[Lehning]

Pour ma part, je ne crois pas qu'il n'y ait "qu'une seule solution" aux problèmes sociaux, je crois qu'il y en a des milliers, différentes et variables, tout comme la vie sociale est différente et variable, dans l'espace et dans le temps.

[Lehning]

Au fond, toutes les institutions, tous les projets, toutes les utopies seraient également valables pour résoudre le problème, c'est-à-dire pour satisfaire les gens, si tous les hommes avaient les mêmes désirs, les mêmes opinions et se trouvaient dans les mêmes conditions. Mais cette unanimité dans la façon de penser et cette identité des conditions sont impossibles et ne seraient pas même souhaitables, à vrai dire. C'est pourquoi nous devons nous conduire aujourd'hui et élaborer nos projets d'avenir en ayant toujours présent à l'esprit que nous ne vivons pas dans un monde où il n'y a que des anarchistes, et que nous n'y vivrons pas non plus demain. Bien au contraire. Nous sommes une minorité relativement petite, et nous le resterons encore longtemps. Il n'est généralement pas possible de s'isoler, et au cas où cela le serait, ce serait au détriment de la mission que nous nous sommes donnée, ainsi que notre bien-être personnel. Il faut donc trouver le moyen de vivre parmi des gens qui ne sont pas anarchistes, de la façon la plus anarchiste possible, et la plus avantageuse possible pour la propagande et la mise en œuvre de nos idées.

Pensiero e Volontà, 1er mai 1924

[Lehning]

LA REVOLUTION ANARCHISTE

La Révolution, c'est la création de nouvelles institutions, de nouveaux groupements, de nouveaux rapports sociaux. La Révolution, c'est la destruction des privilèges et des monopoles ; c'est un nouvel esprit de justice, de fraternité, de liberté qui doit rénover toute la vie sociale, élever le niveau moral et les conditions matérielles des masses en les appelant à prendre en mains la détermination de leur destin, par leur propre action directe et consciente. La Révolution, c'est l'organisation de tous les services publics par ceux-là mêmes qui y travaillent, dans leur propre intérêt et dans celui du public. La Révolution, c'est la destruction de tous les liens coercitifs ; c'est l'autonomie des groupes, des communes, des régions. La Révolution, c'est la libre fédération sous la poussée de la fraternité, des intérêts individuels et collectifs et de la nécessité de produire et de se défendre. La Révolution, c'est la constitution d'innombrables groupements libres correspondant aux idées, aux désirs, aux besoins, aux goûts de toutes sortes qui existent dans la population. La Révolution, c'est la formation et la disparition de milliers de corps représentatifs au niveau des quartiers, des communes, des régions, des nations et ces corps, qui n'ont aucun pouvoir exécutif, servent à faire connaître et à harmoniser les désirs et les intérêts de gens proches ou éloignés les uns des autres, et agissent en informant, en conseillant, en donnant l'exemple. La Révolution, c'est la liberté éprouvée dans le creuset des faits. Et la Révolution dure tant que dure la liberté c'est-à-dire tant que d'autres ne profitent pas de la lassitude qui survient dans les masses, des inévitables déceptions qui suivent les espoirs excessifs, des erreurs et des fautes humaines toujours possibles, pour arriver à constituer, avec l'aide d'une armée de conscrits et de mercenaires, un pouvoir capable de faire la loi, d'arrêter le mouvement là où il en est et de mettre en branle la réaction.

Pensiero e Volontà, 15 juin 1924

[Lehning]

Si j'interprète bien leur pensée, la grande majorité des anarchistes... est d'avis que les individus ne pourraient pas se perfectionner, ni l'anarchie se réaliser, même dans quelques milliers d'années, si la révolution faite par des minorités conscientes ne créait pas, au préalable, les conditions de liberté et de bien-être nécessaires. C'est pourquoi nous voulons faire la révolution le plus tôt possible. Et pour la faire, il nous faut mettre à profit toutes les forces utiles et toutes les circonstances opportunes, telles que l'histoire nous les donne.

Umanità Nova, 28 octobre 1921

[Lehning]

La tâche de la minorité consciente est de mettre à profit toutes les circonstances pour transformer le milieu de façon à rendre possible cette éducation, cette élévation morale des individus sans lesquelles il n'y a pas de véritable rédemption.

[Lehning]

Le milieu actuel contraint les masses à l'abjection. Et comme c'est la violence qui lui permet de se maintenir et que, seule, la violence peut le changer, nous faisons appel à la violence et nous la préparons.

[Lehning]

Et cela, non pas parce que nous sommes des "excités, assoiffés de vengeance et de haine", mais parce que nous sommes révolutionnaires.

Umanità Nova, 30 septembre 1920

[Lehning]

Nous sommes révolutionnaires parce que nous croyons que seule la révolution, la révolution violente, peut résoudre la question sociale... Nous croyons également que la révolution est un acte de volonté -volonté des individus et volonté des masses- qu'elle a besoin, pour réussir, de certaines conditions objectives, mais qu'elle ne vient pas nécessairement, fatalement, des seuls facteurs économiques et politiques.

Umanità Nova, 22 avril 1920

[Lehning]

J'ai dit aux jurés de Milan que je suis révolutionnaire, non pas seulement au sens philosophique du terme, mais encore au sens populaire et insurrectionnel du terme ; et si je l'ai fait, c'est précisément pour qu'on ne me confonde pas avec ceux qui se disent révolutionnaires mais qui donnent à ce terme une interprétation, extraordinaire peut-être, mais qui leur permet d'écarter l'acte violent, l'insurrection qui doit ouvrir la voie aux réalisations révolutionnaires. J'ai déclaré que je n'avais pas poussé à la révolution parce qu'à l'époque ce n'était nullement nécessaire. Alors que ce qui importait, c'était de tout mettre en œuvre pour que la révolution qui était acclamée triomphe et ne mène pas à de nouvelles tyrannies. Mais j'ai insisté en précisant que j'aurais poussé à la révolution si les circonstances l'avaient exigé, et que je le ferai quand les circonstances l'exigeront.

Umanità Nova, 30 août 1921

[Lehning]

J'ai dit: "Nous voulons faire la révolution le plus tôt possible".
Colomer répond qu'il serait plus sage de dire: "Nous voulons réaliser l'anarchie le plus rapidement possible". C'est là une pauvre astuce de polémiste ! Nous sommes persuadés qu'on ne peut arriver à l'anarchie qu'après avoir fait une révolution qui balaye les premiers obstacles matériels. C'est pourquoi il est clair que nos efforts doivent tendre avant tout à ce que la révolution se fasse, et se fasse de façon telle qu'elle s'achemine vers l'anarchie...

Photo: Colomer:

[Lehning]

J'ai dit, et redit des milliers de fois, que nous devrons pousser à la révolution en tant qu'anarchistes, autrement dit en nous opposant à ce que se constitue un gouvernement autoritaire, quel qu'il soit, et en réalisant le plus possible notre programme. Et précisément pour mettre à profit cette liberté plus grande que nous aurons conquise, je voudrais que les anarchistes soient moralement et techniquement préparés afin de réaliser, dans la mesure où leurs forces le leur permettront, ces formes de vies en commun et de coopération sociale qu'ils croient être les meilleures et les plus aptes à préparer l'avenir.

Il Risveglio, 30 décembre 1922

[Lehning]

Nous ne voulons pas "attendre, pour faire la révolution, que les masses deviennent anarchistes". D'autant plus que nous sommes persuadés qu'elles ne le deviendront jamais si on n'abat pas d'abord par la violence, les institutions qui les maintiennent en esclavage. Nous avons besoin du concours des masses pour constituer une force matérielle suffisante et pour atteindre notre but spécifique: le changement radical de tout l'organisme social par les masses elles-mêmes, directement. Cela, bien sûr, si nous voulons vraiment travailler à traduire dans la pratique nos propres idéaux et non pas nous contenter de prêcher dans le désert pour la simple satisfaction de notre orgueil intellectuel.

[Lehning]

On nous accuse d'avoir "la manie de la reconstruction". On nous dit que parler, comme nous le faisons, des "lendemains de la révolution", c'est une expression qui n'a pas de sens parce que la révolution est un profond changement de toute la vie sociale, changement qui a déjà commencé et qui durera des siècles et des siècles.

[Lehning]

Tout cela n'est qu'un malentendu sur les termes. Si on prend la révolution dans ce sens, elle est synonyme de progrès et synonyme de vie historique qui, à travers mille vicissitudes, aboutira, si nos désirs se réalisent, au triomphe total de l'anarchie dans le monde entier. En ce sens, Bovio était révolutionnaire, et révolutionnaires aussi Turati et peut-être même d'Aragona.
Si c'est une question de siècles, n'importe qui vous concèdera tout ce que vous voulez.

Photos: Bovio ; Turati ; Aragona:

[Lehning]

Mais quand nous parlons de révolution, quand le peuple parle de révolution, et de même que quand on parle en histoire de révolution, cela veut tout simplement dire insurrection victorieuse.