Errico MALATESTA: Ecrits Choisis

[Lehning]

(1) Nous serions très heureux si nous pouvions tous nous mettre d'accord et unir les forces de l'anarchisme dans un mouvement fort, etc...

(1) - Traduit de l'espagnol.

[Lehning]

Il vaut mieux être désunis que mal unis. Mais nous aimerions espérer que chacun s'unisse à ses amis et qu'il n'y a pas de forces isolés, autrement dit perdues.

L'Agitazione, 11 juin 1897

[Lehning]

(1) Il nous reste à parler de l'organisation des masses ouvrières en vue de la résistance contre le gouvernement et les patrons... Les travailleurs ne pourront jamais s'émanciper s'ils ne trouvent pas dans l'union la force morale, la force économique et la force physique nécessaires pour venir à bout de la force organisée des oppresseurs.

(1) - Traduit de l'espagnol.

[Lehning]

Il y a eu des anarchistes -et il y en a encore, bien sûr,- qui, tout en reconnaissant la nécessité de s'organiser aujourd'hui pour la propagande et l'action, se sont montrés hostiles à toutes les organisations qui n'avaient pas pour objectif direct l'anarchisme et ne suivaient pas les méthodes anarchistes...
Il leur semblait que toutes les forces organisées en vue d'un objectif, si radicalement révolutionnaire fût-il, étaient des forces soustraites à la révolution.
Il nous semble, au contraire, que cette méthode condamnerait le mouvement anarchiste à une perpétuelle stérilité, et l'expérience nous donne amplement raison.

[Lehning]

Pour faire de la propagande, il faut être parmi les gens, et c'est dans les associations ouvrières que l'ouvrier rencontre ses compagnons, en particulier ceux qui sont les plus disposés à comprendre et à accepter nos idées. Mais même si on pouvait faire toute la propagande qu'on voudrait en dehors des associations, elle ne pourrait sensibiliser la masse ouvrière. A l'exception d'un nombre limité d'individus plus instruits et capables de réflexion abstraite et d'enthousiasme théorique, l'ouvrier ne peut arriver d'un coup à l'anarchisme.
Pour devenir vraiment anarchiste, et pas seulement de nom, il faut encore qu'il sente la solidarité qui l'unit à ses compagnons, qu'il apprenne à coopérer avec les autres pour défendre leurs intérêts communs et à comprendre, dans la lutte contre les patrons et le gouvernement qui est là pour les maintenir en place, que patrons et gouvernements sont des parasites inutiles et que les travailleurs pourraient mener eux-mêmes l'entreprise sociale. Ce n'est que quand il aura compris cela qu'il sera anarchiste, même s'il n'en prend pas le nom.

[Lehning]

Par ailleurs, soutenir les organisations populaires de toute sorte est une conséquence logique de nos idées fondamentales et devrait donc faire partie intégrante de notre programme.

[Lehning]

Un parti autoritaire dont le but est de s'emparer du pouvoir pour imposer ses idées est intéressé à ce que le peuple reste une masse amorphe, incapable de se débrouiller toute seule et, donc, toujours facile à dominer. En conséquence, il ne doit logiquement désirer que le peu d'organisation et le genre d'organisation qui l'intéressent pour arriver au pouvoir: organisation électorale s'il espère arriver au pouvoir par des moyens légaux, organisation militaire s'il compte, en revanche, sur une action violente.

[Lehning]

Mais nous, anarchistes, nous voulons émanciper le peuple, nous voulons que le peuple s'émancipe. Nous ne croyons pas au bien qui serait fait d'en haut et imposé par la force ; nous voulons que la forme nouvelle de vie sociale naisse des entrailles du peuple, qu'elle corresponde au degré de développement atteint par les hommes et puisse progresser à mesure que les hommes progressent. Ce qui nous importe, à nous, c'est que tous les intérêts et toutes les opinions trouvent dans une organisation consciente la possibilité de s'exprimer de façon valable et d'avoir sur la vie collective une influence en proportion de leur importance.

[Lehning]

Nous nous sommes donné pour tâche de lutter contre l'organisation sociale actuelle et d'abattre les obstacles qui s'opposent à l'avènement d'une société nouvelle qui assure à tous la liberté et le bien-être. Pour atteindre ce but, nous nous sommes unis dans un parti et nous essayons d'être le plus nombreux et le plus forts qu'il est possible. Mais si, seul, était organisé notre parti ; si les travailleurs devaient rester isolés en autant d'éléments indifférents les uns envers les autres, unis seulement par la même chaîne ; si nous-mêmes, organisés avec les travailleurs en tant que travailleurs, nous n'arriverions à rien, ou nous pourrions tout au plus nous imposer... mais alors, ce ne serait pas le triomphe de l'anarchisme, ce serait le nôtre. Et nous aurions beau nous dire anarchistes, nous ne serions rien d'autre, en réalité, que de simples gouvernants, impuissants à faire le bien, comme tous les gouvernants... (1)

L'Agitazione, 18 juin 1897

(1) - Je ne crois pas que l'important soit le triomphe de nos plans, de nos projets, de nos utopies qui, du reste, ont besoin d'être confirmés par l'expérience et peuvent, par elle, être modifiés, développés et adaptés aux conditions morales et matérielles réelles du moment et de l'endroit. Ce qui importe le plus, c'est que le peuple, c'est que tous les hommes perdent les instincts et les habitudes dangereuses qu'un esclavage millénaire a développés en eux, et qu'ils apprennent à penser et à agir librement. Et c'est à cette grande œuvre de libération morale que les anarchistes doivent particulièrement se consacrer.

Novembre 1929

Croit-il donc que nous, anarchistes, soyons tellement meilleurs que les autres et d'une nature tellement supérieure que nous résisterions à l'influence corruptrice du pouvoir et que nous pourrions faire pousser des figues sur un chêne, si l'on me passe cette expression vulgaire ? Et ne craint-il pas qu'à partir du moment où il y a quelque espoir d'occuper un poste de commandement au nom de l'anarchie, beaucoup de politicards se déclareraient "anarchistes", comme le font les "socialistes" quand ils ont l'espoir de devenir députés au nom du socialisme ?

Il ne pense donc pas que nous devons toujours agir en anarchistes, même au risque d'être vaincus et, donc, renoncer à une victoire qui pourrait être la victoire de nos propres personnes mais serait la défaite de nos idées ?

Adunata, 1er octobre 1931

L'anarchie n'est pas, pour nous anarchistes, un beau rêve à faire au clair de lune ; c'est un mode de vie individuel et social à réaliser, pour le plus grand bien de tous ; notre problème est donc de régler notre action de façon à obtenir le maximum de résultat utile dans les différentes circonstances que l'histoire crée autour de nous.

Il ne faut pas ignorer la réalité ; si elle est mauvaise, il faut la combattre en utilisant tous les moyens que cette même réalité nous offre.

Pensiero e Volontà, 1er janvier 1924.

Rêver à la perfection à venir, c'est bien ; mais se préoccuper des difficultés présentes n'est pas moins nécessaire. Nécessaire aujourd'hui, pour ne pas semer des visionnaires et enlever ainsi de la force à notre propagande ; nécessaire face aux lendemains, pour ne pas être pris à l'improviste par des problèmes qui s'imposent et qu'il faut donc résoudre, d'une façon ou d'une autre, bien ou mal.

Umanità Nova, 10 septembre 1920.

[Lehning]

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[Lehning]

PRODUCTION ET DISTRIBUTION

Il faut produire, disent le gouvernement et la bourgeoisie.

Il faut produire, disent les réformistes.

Il faut produire, nous le disons aussi.

Mais produire pour qui ? Et produire quoi ? Et pour quelles raisons ne produit-on pas assez ?

[Lehning]

Certains disent qu'on ne peut pas faire la révolution, parce que la production est insuffisante et qu'on risquerait de mourir de faim.

[Lehning]

Mais nous disons qu'il faut faire la révolution pour pouvoir produire, pour empêcher que la majeure partie de la population ne soit dans un état chronique d'inanition.

Umanità Nova, 7 mars 1920

[Lehning]

Le socialiste italien intransigeant bien connu, Arturo Labriola lui-même, a soutenu dans ses dernières conférences que "le problème le plus urgent et le plus important à résoudre n'est pas le problème de la distribution de la richesse mais le problème de l'organisation rationnelle de la production".

Photo: Arturo Labriola:

[Lehning]

Nous pensons qu'il est nécessaire d'insister sur cette erreur qui compromet les bases mêmes de la doctrine socialiste, parce qu'elle permet de déduire logiquement des conclusions qui n'ont rien de socialiste.

[Lehning]

Depuis Malthus jusqu'à nos jours, les conservateurs de toutes les écoles ont soutenu que la misère n'est pas due à la distribution injuste de la richesse mais bien à la limitation de la production ou à l'insuffisance de l'habileté humaine.

[Lehning]

De par son origine historique, et dans son essence même, le socialisme est la négation de cette thèse. Le socialisme est l'affirmation catégorique que le problème social est, avant tout, un problème de justice, un problème de distribution.

[Lehning]

Si la thèse adoptée par Labriola était vraie, l'antagonisme entre patrons et ouvriers ne serait pas irréductible, parce que la solution en serait l'intérêt commun des patrons et des salariés à augmenter la quantité des produits ; autrement dit, le socialisme serait faux, du moins comme moyen immédiat de résoudre la question sociale.

Il Pensiero, 16 mai 1905

Photo: Labriola:

[Lehning]

Notre compagnon et ami Rudolf Rocker écrit: "L'internationalisation des richesses naturelles (charbon, ressources minérales, pétrole, etc.) est l'une des conditions les plus importantes pour la réalisation du socialisme et pour libérer l'humanité de l'esclavage économique, politique et social".

Photo: Rudolf Rocker:

[Lehning]

C'est une erreur, selon moi ; une erreur grave qui peut être utilisée et a déjà été utilisée par les ennemis de la révolution pour paralyser le mouvement populaire dans des pays qui, tout en étant dépourvus de ce type de richesses naturelles, peuvent, dans certains moments historiques, être mieux à même d'abattre le régime capitaliste que d'autres pays. C'est ce qui s'est passé en Italie, en 1920. Un heureux concours de circonstances rendait possible et relativement facile une révolution dans le sens socialiste (ce mot étant pris dans son sens le plus large). Les anarchistes et les syndicalistes de l'Union Syndicale se sont efforcés de pousser les masses à l'action ; mais le parti socialiste, dirigé à l'époque par les communistes, et la Confédération Générale du Travail, bien plus forts que nous par le nombre de leurs adhérents, l'ampleur de leur organisation et les moyens matériels dont ils disposaient, étaient tout à fait décidés à empêcher tout mouvement, et ils se sont beaucoup servis de cet argument: le manque de matières premières.