Histoire de l'Anarchie de Max Nettlau

Re: Histoire de l'Anarchie de Max Nettlau

Messagede Lehning le Ven 26 Nov 2021 19:41

La grande majorité des camarades ont préféré l'autre conception, appelée optimiste, qui se confinait dans une inconscience passive, dans la Foi à la spontanéité où tout se ferait pour ainsi dire automatiquement, dans l'apathie passionnée et désirée ; dans le désir d'être à un niveau supérieur, même si cela doit entraîner un isolement complet, et de mépriser comme rétrograde toute velléité d'union. La routine et l'exubérance ont triomphé de la volonté consciente qui caractérisait Malatesta. Il ne savait pas, et personne non plus, ce qu'est la volonté, mais il savait qu'elle existe et qu'il faut l'appliquer comme la raison ; pour mener, sans autoritarisme à l'anarchie cette forme d'expression adéquate, raisonnée, mesurée, qui est propre à tout travail bien fait. L'anarchie est à l'image de la vie qui devient coexistente entre les hommes ; l'autonomie et la solidarité confèrent le maximum de bienfaits et le minimum de mésententes et de forces perdues. L'anarchie doit prendre pour modèle la marche des astres, et non le jeu, apparemment inépuisable, des comètes et des météores. Le système céleste est surtout composé d'astres, alors que les bolides sont l'exception ; et si les astres suffisent à ce système, à plus forte raison la petite société humaine, sur l'écorce de la petite terre, devrait n'ambitionner actuellement qu'une coexistence le plus possible harmonieuse, plutôt qu'une vie amorphe, dispersée, semblable à la course vagabonde des bolides, qui sont des étincelles éphémères.
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 17:04

Aussi grandes que soient et que furent l'activité et l'abnégation des autres camarades italiens, que je ne discute pas ici, leur tendance est le reflet ou la combinaison des deux courants déjà inscrits -celui de Kropotkine et celui de Malatesta- parfois avec une influence stirnerienne ou autre suivant la personnalité et le caractère de chacun. Les plus connus de ces hommes furent: Cafiero, Covelli, Fanelli, Friscia, Converti, Giovanni Rossi, Sergio di Cosmo, Paolo Schicchi, Roberto d'Angio, Ciancabilla, Fabbri, Pietro Gori, Luigi Galleani, Bertoni, Edoardo Milano, Ettore et Luigi Molinari, Samaja, Vezzani, Damiani, Borghi auxquels s'ajoutent ceux qui n'ont que peu ou pas écrit mais ont lutté et se sont sacrifiés à la cause. On trouve une pensée critique chez Gigi Damiani, mais tous me semblent différer de Malatesta sur ce point: aucun ne partageait complètement sa foi dans la possibilité d'une révolution sociale italienne.

Photos: Kropotkine ; Malatesta ; Cafiero:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 17:20

Photos: Covelli ; Fanelli ; Friscia:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 17:32

Photos: Converti ; Giovanni Rossi ; Paolo Schicchi:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 17:46

Photos: Ciancabilla ; Fabbri ; Pietro Gori:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 18:15

Photos: Luigi Galleani ; Bertoni ; Edoardo Milano:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 18:32

Photos: Ettore Molinari ; Luigi Molinari ; Vezzani:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 18:41

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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 18:51

Malatesta, peut-être sous l'influence des changements survenus de 1860 à 1870, auxquels il avait assisté, et sous l'influence de Bakounine, avait cette foi et la volonté de réunir les éléments qui assumeraient la lutte. Les autres, ayant vu l'Etat se réformer après 1870, n'avaient pas cette foi, ou ne coopéraient qu'à moitié, ou ne voulaient pas coopérer avec lui. Ainsi, soit qu'ils l'aient respecté, soit qu'ils l'aient combattu -et en le combattant on croyait abattre un tyran !- aucun ne secondait son continuel effort. Sur le plan international on préféra suivre la personnalité plus brillante qu'était Kropotkine. Après sa mort il aurait été souhaitable que Malatesta fût enfin mieux compris !

Photos: Malatesta ; Bakounine ; Kropotkine:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 19:14

L'anarchisme collectiviste en Espagne


L'histoire de la Fédération espagnole de l'Internationale nous est connue de juin 1870 au printemps 1874 par de nombreux documents: journaux, revues, ... Après un lent développement de 1870 à 1871, à la suite de la situation menaçante, la Fédération fut obligée de transférer son Conseil à Lisbonne ; au commencement de 1872, la situation s'étant améliorée, la conférence de Valence et la défaite de Paul Lafargue, qui tentait d'acclimater en Espagne la politique marxiste, lui permirent, en 1872-1873, d'augmenter ses sections et le nombre de ses membres.

Photo: Paul Lafargue:
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Messagede Lehning le Sam 27 Nov 2021 19:47

A La Haye, à Zurich et à Saint-Imier, les militants espagnols, comme les militants italiens et jurassiens, se trouvèrent d'accord avec Bakounine (septembre 1872). Un jeune maçon, Francisco Tomàs, de la ville de Palma de Majorque, secrétaire de la Commission Fédérale, s'occupait efficacement de l'association. Le but de Tomàs était de créer de nouvelles sections et surtout d'augmenter le nombre des adhérents. Au printemps 1873, il pensait que, si ce nombre pouvait croître au même rythme qu'en 1872-1873, les conditions nécessaires à une action vraiment efficace seraient réalisées en deux ans. Pour cette raison, il n'était pas partisan des grèves en chaîne, car il craignait l'usure des forces ouvrières qui aurait créé des désillusions et, par conséquent, des désorganisations locales. Pour la même raison, il aurait voulu que l'Internationale restât en dehors des luttes violentes qu'un fédéralisme exacerbé (le cantonalisme) déchaîna pendant l'été 1873. Mais cela ne fut pas possible car, dans certaines localités, les émeutes (surtout à Alcoy, siège de la Commission Fédérale, et à San Lucar de Barrameda, où se trouvait Morago) entraînèrent aussi les internationalistes, ce qui provoqua des persécutions et de nombreuses arrestations. Lorsque 74 ouvriers décriront les mauvais traitements et les violences (lettre du 29 octobre 1873) dont ils avaient été l'objet pendant leur captivité, une circulaire de la Commission Fédérale du 10 novembre (1), rédigée par Tomàs, fut la première déclaration vraiment révolutionnaire de la Fédération, puisqu'on y envisageait des représailles en rappelant les "Sheffield outrages", c'est-à-dire les actes de sabotage industriels des trade-unionistes de Sheffield.

(1): N° 34, imprimée, 2 pages in 40.

Photo: Bakounine:
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Messagede Lehning le Dim 28 Nov 2021 15:51

L'Internationale fut dissoute par un décret du gouvernement le 11 janvier 1874 ; la circulaire interne n° 38 (1) de la Commission Fédérale donnait des conseils sur l'organisation clandestine du mouvement, car les journaux disparaissaient ou perdaient tout leur caractère. Au mois de mars, on fit circuler dans le pays le Manifiesto de la Comision federal a todos los trabajadores de la Region Espagnola. (2) Nous savons qu'il en fut imprimé 11 720 exemplaires, dans lesquels était reproduite une grande partie du projet de Bakounine sur l'organisation des Frères internationaux ; il existait un journal clandestin "Las Represalias", et un "Manifiesto" du dernier congrès qui eut lieu à Madrid au mois de juin 1874 fut publié en 12 000 exemplaires: on y préconisait aussi des représailles. Dans la clandestinité l'organisation se reconstitua, ainsi que l'Alliance, et, à partir de 1875, des assemblées régionales remplacèrent les congrès. La Commission fédérale fut transférée à Barcelone, et son développement fut sensiblement différent de celui de Madrid. A Barcelone, elle fit paraître, après la restauration monarchique, des tracts clandestins, parmi lesquels "A los obreros", où l'on écrivait qu'il ne fallait plus considérer avec indifférence l'éventualité d'un changement politique, mais au contraire qu'il fallait lutter pour réduire le plus possible le pouvoir du nouveau régime. Je ne connais aucun des 63 numéros du journal clandestin "El Orden" (1875-1878) qui se définissait comme "feuille socialiste de propagande et d'action révolutionnaire", à laquelle collaborèrent Morago, Juan Serrano y Oteiza.

(1): Madrid, 12 janvier 1874 (lithographiée), 2 pages, in 40.

(2): In folio, de 5 colonnes, 2 pages.

Photos: Bakounine ; l'Alliance ; Juan Serrano y Oteiza:
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Messagede Lehning le Dim 28 Nov 2021 20:07

Le secrétaire Francisco Tomàs est probablement aussi l'auteur de "Moyens", pratique à adopter après avoir détruit l'Etat actuel, qui parut en 1876 ; cet écrit est très proche du document de Bakounine dont j'ai fait mention plus haut. En 1877, une agitation républicaine paraissait imminente, et à laquelle l'Internationale aurait pris également part ; ce fut peut-être pour cette raison que les républicains y renoncèrent et que, par la suite, ils se placèrent exclusivement sur le terrain parlementaire. En 1878, l'Internationale dut faire face au problème agraire de l'Andalousie où, en 1878, et 1879, il y eut des incendies volontaires dans les campagnes. La légende de la fameuse Mano Negra fut alors mise en circulation du moins par un juge qui aurait montré à un inculpé "un écrit intitulé La Mano Negra" (il m'est impossible actuellement de contrôler ce fait). Un tract clandestin de mai 1879, signé par la Commission fédérale, fut adressé A los obreros en général. (1) Les assemblées générales de 1879 acceptèrent le Programa de realizacion practica immediata, composé de 17 articles où étaient indiqués les moyens révolutionnaires durant et après la révolution. (2) Ce projet ressemble au programme du journal clandestin El Minicipio libre (3) et tous deux me semblent avoir été écrits par J.-G. Vinas, qui rédigea jusqu'à la fin de 1880 le journal "Revista Social", nécessairement incolore, mais qui, à l'approche de la chute du ministère conservateur de Canovas del Castillo (février 1881) prit une position plus nette.

(1): 2 pages in 40.

(2): 1 page, in 40, édition révisée pour les conférences de 1880, datée en Espagne, 8 avril 1881, 1 page in 40.

(3): Barcelone, novembre 1879.
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Messagede Lehning le Dim 28 Nov 2021 21:18

Photo: Canovas del Castillo:
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Messagede Lehning le Mar 30 Nov 2021 19:02

Grâce à ces publications, à quelques brochures et plus spécialement aux traductions faites par James Guillaume, nous pouvons nous rendre compte des idées de l'organisation, qui furent empreintes d'un anarchisme strictement collectiviste, qui préconisait des méthodes qui semblaient très rigoureuses et minutieuses pour le développement d'une éventuelle révolution. Francisco Tomàs et le docteur Vinas, malgré leur antagonisme personnel au cours de ces années, firent preuve, me semble-t-il, du même esprit rigoriste.
Au retour de l'Internationale à la vie publique, il y eut de graves dissensions au sujet de l'abandon de son ancien nom et à propos de sa nouvelle dénomination de Federacion de los trabajadores de la Region Espanola. Vinas et d'autres camarades auraient voulu que le mouvement restât dans la clandestinité révolutionnaire, tandis que Farga Pellicer, Llunas et d'autres à Barcelone, ainsi que Serrano y Oteiza à Madrid, étaient favorables à son organisation publique. Vinas se retira, mais les germes de mécontentement avaient pénétré profondément au sein de la Fédération depuis le commencement, et le problème de l'Andalousie fut la cause de nouveaux désaccords.

Photos: James Guillaume ; Farga Pellicer ; Llunas:
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Messagede Lehning le Mar 30 Nov 2021 19:25

Photo: Serrano y Oteiza:
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Messagede Lehning le Mar 30 Nov 2021 20:14

Une réunion qui eut lieu le 20 mars 1881 à Madrid, la fondation de la "Revista Social" (11 juin), le congrès de l'Union des ouvriers du bâtiment (fin juin), fondé en 1877, l'initiative de Farga Pellicer de convoquer un congrès ouvrier (10 juillet), le projet des Estatutos de la Federacion de los Trabajadores de la Region Espanola dans la Revista Social du 18 août, les écrits explicatifs de ce périodique (1), démontrèrent l'esprit dans lequel fut préparé le Congrès ouvrier des 23, 24 et 25 septembre. Les ouvriers du bâtiment s'étaient prononcés fin juin pour une: "... Commune (municipio) libre et autonome, composée de toutes les sections de producteurs de chaque localité, et qui, maîtres de la terre, du capital et des instruments de travail, s'administreront de la manière qu'ils jugent la plus conforme à leur intérêt et afin que chacun reçoive le produit intégral de son travail:

"Fédération des communes de chaque région pour tous les intérêts et les services régionaux ;

"Pacte ou alliance fraternelle entre toutes les régions pour que tout ce qui concerne les intérêts et services généraux, et pour que la fraternité humaine et la pratique de la justice sur terre deviennent une réalité".


L'assemblée se prononça "en faveur de la réunion d'un congrès régional composé de délégués de toutes les sections sympathisant avec les idées collectivistes, et en faveur de la libre fédération des communes libres...".

(1): Du 11 juin au 23 février 1882: "Autonomie, Pacte et Fédération", "La commune de l'avenir", "Notre politique", "Notre attitude", "Notre ligne de conduite", "Politique dévastatrice", ses conséquences et la Révolution.

Photo: Farga Pellicer:
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Re: Histoire de l'Anarchie de Max Nettlau

Messagede Lehning le Mar 30 Nov 2021 21:01

140 délégués prirent part au congrès comme représentants de 162 associations. Le compte-rendu fut imprimé en quatre éditions: au total 28 500 exemplaires. On peut citer le "Manifeste aux travailleurs de la Région Espagnole": "... de tout ce que nous venons d'exposer, il ressort clairement que le congrès ouvrier se déclare collectiviste quant à la propriété, anarchiste et autonomiste quant à la façon de comprendre l'organisation sociale...". Le mot autonomie était souvent utilisé alors, et pendant un an ou deux, comme synonyme d'anarchie. Serrano y Oteiza, dans "Nuestro programma" du premier numéro de la "Revista Social" (11 juin) écrit sans employer le mot "anarchie": "Nous voulons l'autonomie de l'individu, celle du groupe ou section de métier que des individus peuvent constituer, et celle de la commune. Pour réaliser cette autonomie, nous revendiquons la faculté pour l'individu, pour le groupe ou la section, pour la commune elle-même, de résoudre tous nos problèmes, et particulièrement ceux d'ordre économique, tout en sauvegardant les droits individuels, que nous estimons primordiaux et qui ont leur base sur l'égalité des moyens économiques, tant sur le plan individuel que social. En ce sens nous sommes autonomistes dans toute l'acception du terme. (...) L'organisation harmonieuse de toutes les autonomies réside dans le pacte qui, bien qu'il ne soit qu'un moyen de réalisation, est en soi essentielle... Nous devons préciser qu'en matière de science sociologique, nous professons les idées les plus opposées au communisme, au fouriérisme, au "coopérativisme" (qu'on nous permette ce terme): nous sommes donc collectivistes...".

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Messagede Lehning le Mer 1 Déc 2021 19:00

Le 10 janvier 1882 dans Nuestra Politica, Serrano écrivait: "... Les moyens matériels pour que cette société (la société de l'avenir, l'Armonia universal) puisse se réaliser sont: l'Autonomie, le Pacte et la Fédération fondée sur la propriété collectiviste qui est le principe juste de la propriété. Telle est la société où l'ordre sera permanent. Voilà ce qu'est la redoutable anarchie et non les sottises que l'on propage...".

Photo: Serrano:
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Re: Histoire de l'Anarchie de Max Nettlau

Messagede Lehning le Mer 1 Déc 2021 19:12

Juan Serrano y Oteiza (1837-1886), de Madrid, d'abord républicain et internationaliste de la première heure, juriste et lettré, conquis par les idées proudhoniennes, se montra alors le militant le moins influencé par Bakounine. Ses écrits d'une pensée très précise paraissent froids et dépourvus de sentiment. Ricardo Mella, gendre de Serrano, qui collabora dès 1880 aux publications libertaires, paraît avoir suivi son exemple, à en juger par ses écrits de la décennie suivante.

Photos: Juan Serrano y Oteiza ; Bakounine ; Ricardo Mella:
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