de Lehning le Dim 16 Aoû 2020 19:15
Quoi qu'il en soit, le point de vue de Shaftesbury fut celui que devait adopter plus tard Darwin (dans sa deuxième œuvre fondamentale, la Descendance de l'homme) et que devra nécessairement adopter tout psychologue dégagé des idées préconçues. En Shaftesbury nous avons également un précurseur de Marie-Jean Guyau, en ce qui concerne les idées développées par ce dernier dans son livre Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction. Les sciences naturelles modernes arrivent aux mêmes conclusions ; c'est ainsi que j'ai pu dire, après avoir pris connaissance des faits d'entr'aide parmi les animaux et les sauvages primitifs, qu'il serait plus facile à l'homme de recommencer à marcher à quatre pattes que de renoncer à ses instincts moraux, car ces instincts ont été élaborés dans le règne animal, bien avant l'apparition de l'homme sur la terre. (1)
(1): Dans son œuvre: Les Moralistes, etc., SHAFTESBURY parle ainsi de lui-même: "Il en est qui soutiennent avec chaleur la vertu, et qui sont réalistes à cet égard" ; qui veulent démontrer que quelque chose par soi-même existe réellement dans la nature, quelque chose d'involontaire et de non factice, mais d'origine extérieure et indépendant de la coutume de la mode ou de la volonté. La Volonté Suprême elle-même ne peut gouverner ce quelque chose, mais comme elle est nécessairement bonne, c'est elle qui est gouvernée, au contraire, et se confond avec lui. (Les Moralistes, etc.), II° partie, & 2, p. 202 du vol. I des Œuvres.
Ailleurs, Shaftesbury écrit: "La crainte de l'Enfer et toutes les terreurs de l'autre monde ne marquent de la conscience que quand elles sont occasionnées par un aveu intérieur des crimes que l'on a commis: mais si la créature fait intérieurement cet aveu, à l'instant la conscience agit, elle indique le châtiment, et la créature s'en effraie, quoique la conscience ne le lui rende pas évident."
(Recherches sur la Vertu, partie V, & I, Oeuvres, vol. II, p. 118).
Voici un autre passage:
"Vous avez ouï dire sans doute, comme un mot assez commun, que l'intérêt gouverne le monde. Mais, pour moi, je crois que si l'on considère de près comment va le monde, on trouvera que la passion, le caprice, le zèle, l'esprit de faction, et mille autres ressorts, directement contraires à un intérêt particulier, ont autant de part aux mouvements de cette grande machine." (Essai sur la Raillerie et l'Enjouement, partie III, & 3, Oeuvres, vol. I, p. 101.) En réalité ajoute-t-il, "tandis qu'on ne regarde aucune action humaine comme un effet d'humanité, de générosité, de la pure bonté de caractère, d'une vraie et sincère amitié, ou d'aucune sorte d'affection sociale ou naturelle..., au fond, les principes mobiles des actions humaines sont, ou ces mêmes affections naturelles, ou un composé qui tire d'elles son essence, et qui retient plus de la moitié de leur nature".
(Ibid., p. 102). Et il raille sans merci Hobbes et les autres défenseurs d'une explication "égoïste" de la vie (p. 104-105).
"La félicité est recherchée de tous les hommes. Mais de savoir si l'on trouve la félicité en suivant la nature et en s'abandonnant aux mouvements d'une affection commune, ou bien en étouffant ces mouvements, et en faisant servir chaque passion à des avantages particuliers, à des fins uniquement bornées à nous-mêmes, ou bien à la conservation de la vie, ce serait là le point à discuter entre tous."
(Ibid., p. 108). "Ce qui constitue l'homme, c'est surtout son tempérament, le caractère de ses passions et de ses affections. Vient-il à perdre ce qu'il y a de mâle et d'excellent dans cette partie si considérable de son être, il est autant perdu pour lui-même, que s'il avait perdu sa mémoire et sa raison." (Ibid., pp. 108-109.)
J'ajouterai encore ceci. Shaftesbury naturellement n'admettait pas le libre arbitre. "Que la volonté soit libre, tant que l'on voudra, écrivait-il, l'expérience démontre que le caprice et l'imagination la gouvernent." (Soliloque ou avis à un auteur, partie I, & 2, Oeuvres, vol. II, p. 195.)
Photo: Shaftesbury:
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