de Lehning le Sam 14 Mar 2020 13:06
Il est certain que ces vues de Darwin ne seront adoptées que par ceux qui reconnaîtront que les facultés intellectuelles des animaux ne diffèrent de celles de l'homme que par leur degré de développement et non par leur essence. Or, c'est à cette conclusion qu'aboutissent maintenant la plupart de ceux qui ont étudié la psychologie comparée de l'homme et des animaux ; au contraire, les tentatives récentes faites par certains psychologues pour creuser un abîme infranchissable entre les instincts et les facultés intellectuelles de l'homme, d'une part, et ceux des animaux, de l'autre, n'ont pas atteint leur but. (1) La similitude des instincts et de l'intelligence chez l'homme et les animaux ne signifie naturellement pas que les instincts moraux, lorsqu'on les compare chez les différentes espèces et plus encore chez les différentes classes d'animaux, soient identiques entre eux. Ainsi, en comparant, par exemple, les insectes aux mammifères, il ne faut jamais oublier que les directions suivant lesquelles s'est faite leur évolution ont divergé dès une époque très reculée de l'évolution du monde organique sur le globe terrestre.
Chez les fourmis, les abeilles, les guêpes, etc., il s'est établi une division physiologique profonde entre la structure et le genre de vie des diverses catégories d'individus de la même espèce (ouvrières, bourdons, reines) et en même temps une profonde division physiologique du travail au sein de la société (ou, plus exactement, une division du travail et une division dans la structure). Une telle division n'existe pas chez les mammifères. Aussi, il est douteux que les hommes puissent juger de la "moralité" des abeilles, qui, dans leur ruche, tuent les mâles. C'est pourquoi l'exemple tiré de la vie des abeilles, cité par Darwin, fut accueilli d'une façon si hostile dans le camp religieux. Les sociétés d'abeilles, de guêpes et de fourmis, d'une part, et les sociétés des mammifères de l'autre, ont suivi depuis si longtemps des voies de développement indépendantes que l'intelligence réciproque entre eux est, sur beaucoup de points, perdue. Le même manque d'intelligence réciproque -bien qu'à un degré moindre- s'observe entre sociétés humaines aux différents stades de leur développement.
(1) L'incapacité de la fourmi, du chien ou du chat à faire une découverte ou à trouver la vraie solution d'une difficulté, dont parlent si souvent certains de ceux qui écrivent sur cette question, ne prouve nullement l'existence d'une différence essentielle entre les facultés de l'homme et des animaux, car l'homme fait constamment preuve du même manque d'esprit d'invention et d'à-propos.
Comme la fourmi d'une des expériences de John Lubbock, des milliers d'hommes essaient de traverser une rivière sans avoir au préalable pris connaissance de la localité, et périssent dans ces tentatives avant de jeter un pont primitif quelconque, un tronc d'arbre tombé, par exemple. Je le sais par expérience, et tous les explorateurs des pays sauvages le confirmeront. D'autre part, nous voyons chez les animaux la raison collective de la fourmilière ou de la ruche. Et si une fourmi ou une abeille sur mille tombe sur la solution juste, les autres l'imitent et résolvent alors des problèmes beaucoup plus difficiles que ceux dans lesquels se sont trompés d'une façon si comique la fourmi, l'abeille et le chat dans les expériences de certains naturalistes, et -j'ose dire- ces naturalistes eux-mêmes dans leur façon d'organiser leurs expériences et de tirer leurs conclusions. L'exemple des abeilles de l'Exposition de Paris qui ont trouvé un procédé pour se défendre contre ce qui gênait constamment leur travail, en assurant la fermeture d'une petite fenêtre au moyen de leur propolis résineux (Entr'aide, ch. I) et d'autres exemples bien connus d'esprit inventif chez les abeilles et les fourmis, ainsi que chez les loups dans leurs chasses, confirment pleinement ces vues.
Photo: John Lubbock:
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