Baal, graine de matérialisme dans le ventre de la terre. De prime abord, insaisissable; trop profondément enraciné, trop impossible pour exister réellement. Mais Baal n'est pas un libertin, un partouzeur ou un libertaire. Le hérisson est un handicapé de la fête et des diners mondains : «
il faut être fort, car le plaisir rend faible. » Les récentes adaptations de la pièce de Berthold Brecht, parce qu'elles se sont engluées dans le festivisme apoiliste et culturaliste, ratent les contradictions tragiques de l'esprit. Il faudrait jouer
Baal dans le noir, pluie et cendres de safran. Les murs répercuteront le craquement de la terre et le vent mugissant dans la voix. La scène craquera sous le poids intolérable du sorcier drogué au schnapps, les cils tournés vers les cieux violets, une colombe blanche pendue au cou trois descentes de flics plus loin. Et il faut bien rentrer sa queue au fond, condition pour que le désir finisse enfin par fluer. Et surtout, bien crever les yeux du public, jusqu'à ce que «
sous les paupières ils gardent assez de ciel à emporter dans l'au-delà. » Et alors Baal ne sera plus nu, mais couvert de toutes les richesses du monde lorsqu'il retournera à la terre.
Baal, c'est Rainer Werner Fassbinder dans cette adaptation à l'écran de Volker Schönenberger, ogre improbable au visage porcin et à l'allure démonique. L'acteur parvient à y consumer Baal, il maigrit de bout en bout, s'étiole, seul, sans gesticulations superfétatoires. Vous n'y trouverez pas les miaulements d'usages : la violence, c'est pas bien, le pouvoir, c'est le mal. Non. Le taureau fulmine au printemps, et l'hiver passé, les taureaux sortiront de la salle. Les nécessités de l'image, la contrainte de limiter les prises de vue affaiblissent parfois la puissance dramatique de la pièce, mais le résultat est positif comparé aux indignes représentations de ces dix dernières années en France.
Interdit en Allemagne à sa sortie en 1970, sorti au cinéma ici au début de l'année, il repasse en fin d'année dans quelques salles en version sous-titrée — pour les parisiens : le MK2 Beaubourg. Le DVD est disponible, mais doit être commandé d'Allemagne.
Scène d'exposition "Der Choral vom grossen Baal" :
http://www.dailymotion.com/video/x2b6mn ... shortfilms