Bonsoir,
Tout d'abord, merci pour vos réponses : je m'aperçois que je ne suis pas la seule bien sûr à ressentir pleinement ces contradictions entre nos idéaux de justice, d'égalité, de liberté, d'autonomie et la nécessité vitale de travailler, quels que soient le secteur, la profession ou le contrat. Si je compare au privé, je dois pouvoir estimer même avoir beaucoup de chance : après tout, même en ouvrant ma g...., même si je me mets en conflit ouvert avec la hiérarchie (ce qui arrive rarement, je suis du genre diplomate retors), y a peu de chances que je perde mon boulot, mon salaire, et ça bien sûr quand t'as des mômes c'est inestimable. (peu de temps après avoir posté ce topic je me suis gravement interrogée et j'ai eu un peu honte de venir pleurnicher alors que certainement parmi vous il y a, comme dans l'ensemble de la société française, un paquet de gens au rsa, au chômage, ou sous le pouvoir d'un patron... la fonctionnaire qui la ramène, même si elle mal payée, mal considérée et manipulée par les exigences du ventre comme tous les autres, ça gonfle ceux qui sont pas payés du tout, encore plus mal considérés et encore moins libres de dire et faire ce qu'ils pensent juste. Bref, a posteriori et trop tard : désolée d'avoir posté ce truc, j'étais effectivement dans un moment d'abattement assez monstrueux...) C'est pas de la tristesse : c'est la frustration immense de tous ceux qui ne se sentent pas maîtres de leur vie...
Le coup du world-tour en camion, soupe à l'ortie cueillie dans la forêt et vente de ponchos cousus-maison (ma première proposition au papa), c'est niet, ça marche pas : trop dangereux pour les enfants, nan mais tu délires, pas d'avenir, c'est mort etc. Je dois, si je suis pas trop bouchée et immature, en convenir : mes enfants ont 8 et 10 ans, l'idée c'est leur ouvrir des horizons, qu'ils apprennent et aiment assez pour avoir envie de construire un autre monde, de faire autrement, pas qu'ils se retrouvent paysans, pêcheurs ou bûcherons exploités par des multinationales au fond du Venezuela par manque de choix. D'où le plan B (et ma question : qu'est-ce que vous en pensez ?
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Plan B : je retourne (légèrement, un quart de tour suffit) mon cardigan la croix-rouge : d'anarchiste de gauche, je me fais anarchiste de droite ! Ça ne règle pas mes problèmes de conscience mais mes problèmes de fric, oui... En tant que prof je fais partie des rares privilégiés qui peuvent se déplacer en conservant leur job. A mon stade, ça concerne forcément les dom-tom-com je sais plus comment on les appelle, passage par Mayotte obligatoire (ou autre île pourrie où l'administration (et le fric) français font tout pour rester entre les mêmes mains tout en essayant de faire croire à la population qu'on oeuvre pour l'égalité des chances : exactement le même mensonge qu'en Métropole, sauf que là-bas les inégalités et les basses manoeuvres sont encore plus criantes/frappantes). Du coup cette question du néo-colonialisme est plus brûlante que jamais : si je pars pour faire du fric, sachant quand même que j'aime mon boulot, que s'il a une utilité quelconque (éveiller à un minimum de sens critique comme dit plus haut) j'y suis entièrement dévouée, mais sachant aussi que ce travail-là est presque impossible (va-t'en faire de la concurrence toi la Tv, à la pub, au capital, au lavage de cerveaux organisé) mais enfin plus indispensable encore là-bas qu'ici (imagine si des rangs des miens s'élève UN esprit capable de vraiment réfléchir, et contribuer à l' harmonisation de la société !)... suis-je raccord avec moi-même ???!! tain les copains, je vous raconte pas le bordel dans ma tête...
Le néo-colonialisme, c'est quand tu crois que tes valeurs sont plus vraies que les valeurs des autres. Moi si je pars j'apporte pas des vérités, mais seulement des questions. Quelque part, depuis longtemps, je suis sûre de l’innocuité de mon enseignement, la seule chose que je peux faire, si je suis efficace, c'est du bien. Je sais que je plaquerai pas ma grille de lecture sur le réel. Mais que je me le prendrai en plein dans la g... comme à Bondy (6 ans dans le 93, c'était chaud !) Bah tfaçons, les élèves, c'est les mêmes partout : de jeunes êtres avides, d'être en vie, d'être libres, d'être heureux. C'est pour ça eux et moi qu'on s'entend bien... ;)
Je sais pas, c'est difficile. D'un côté je peux me dire : c'est l'occasion de former les jeunes qui en ont le plus besoin à faire face au monde qui les attend demain ; de l'autre : je profite à mort d'un système inique, je prends le fric là où il est (si je pars à Mayotte je vivrai dans un luxe relatif alors que mes élèves, que j'exhorterai pourtant à se battre pour faire reconnaître leurs droits face à un occident profiteur, surtout quand on parle de l'Afrique, seront pour la plupart issus de milieux très défavorisés - mais c'était déjà le cas partout où j'ai travaillé, là en campagne profonde avec des fils d'agriculteurs quasi analphabètes) et quand je me barrerai de là-bas j'aurai rien changé juste pompé un peu plus un système qui se nourrit des plus pauvres... Bref, j'ai toujours été pétrie de contradictions mais en ce moment, crise de la quarantaine oblige, c'est le pompon...
Enfin : qu'est-ce vous pensez de ça : j'ai envie (si on part et si c'est possible niveau organisation) de déscolariser mes enfants. De plus en plus de mes collègues, ici ou ailleurs, mettent leurs enfants dans le privé, ce dont je n'ai pas les moyens d'une part et ce qui, d'autre part, me pose encore d'autres problèmes de conscience, insurmontables ceux-là. Bref, pas d'école, mais une instruction libre, épanouissante, mettant au coeur des apprentissages le plaisir de l'instant, la sagesse de se contenter de rien, l'amour de son prochain (désolée je suis du genre anar chrétienne à fond), la collaboration etc. Toutes choses auxquelles l'educ nat prétend, mais sans jamais s'en donner les réels moyens, sachant que ce qui est visé au final, et à travers un mensonge institutionnel, c'est que les élèves fassent de bons petits esclaves serviteurs du Capital... Alors, j'aurai beau être la plus incitative possible, pousser mes élèves à développer leur personnalité, leur individualité, leur créativité, leur liberté... ça restera un enseignement que j'estimerai insuffisant pour mes propres enfants... Cette pensée c'est insupportable. Tu veux le meilleur pour tes gamins, et le meilleur c'est faire partie de l'élite (du moins en connaître les codes) tout en étant capable de t'en séparer (par l'esprit critique). Toutes choses que j'essaierai, mais en vain la plupart du temps, parce que contrainte par un système pervers qui s'y connaît en injonctions contradictoires, de transmettre à mes élèves, via un mode de fonctionnement que je n'estime pas digne de mes enfants ! Merde, là y a un gros problème. Travailler pour l'ennemi, et en même temps contre lui, tout en tirant son épingle du jeu, j'en demande beaucoup, non ?
Merci si vous me lisez avec bienveillance comme vous l'avez fait jusque là, je partage avec vous mes déchirements intimes, ce que je peux rarement. Aucune décision n'est encore prise, j'ai besoin d'être éclairée avant.
Ah oui, quand même : dernière option : le papa, avec ma participation, pourrait très bien, s'il s'occupe de nos enfants, monter une sorte d'école associative : à Mayotte les besoins en écoles sont très forts, on manque bcp de profs, les petites assoc' de parents de ce genre se multiplient. Est-ce que ce pourrait être une façon d'oeuvrer un peu mieux au bien commun ? de faire une concurrence déloyale (enseignement gratuit ouvert à tous) à l'éduc nat ? En dehors des grandes "enseignes" d'écoles libres (Montessori, Freynet...), pensez-vous qu'il soit possible (et rentable, non financièrement mais idéologiquement si je puis dire) de proposer un autre type d'éducation à nos enfants ? Enfin, sachant que si cette école libre - et gratuite - voit le jour ce ne sera que grâce à mes salaires (il en faut bien au moins un pour vivre à 4 ...), que penser de cette nouvelle "prostitution" ?
Pffffff, j'ai conscience que cela est très embrouillé, désolée, c'es à l'image de mes pensées en ce moment. Merci encore si vous voulez me donner un avis sur tout ça.