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Louis Sala-Molins

MessagePosté: Ven 26 Déc 2014 12:12
de Boehme
Louis Sala-Molins, un homme, et rien que ça. C'est déjà beaucoup. A la formule humaniste de Térence « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger », il préfère l'irréductible « je suis homme et tous les hommes me sont égaux. » Quelle différence ? Celle qui est existe entre un slogan recyclable à chaque saison de guerre pétrolifère et la solitude grisaillante (c'est la faute à l'époque) mais néanmoins enchanteresse (c'est la faute à l'homme) du ladre qui danse avec la mort.

Sala-Molins, Sodome a écrit:Je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger. J’envoie de l’humain qui, certes, ne m’est pas étranger, mais dont le rempart est indispensable à la tranquillité de mes affaires, s’embourber dans les tranchées ou se comportera en brave humain. J’en expédie aux tropiques, d’où il me ramènera des bananes. Je l’arme jusqu’aux dents, le drogue à mort, de la cervelle humaine aux reins humains, et l’envoie au Viêt-nam écouter la messe la nuit de Noël, fêter en Afghanistan le nouvel an cyrilique. J’en remplis à ras bord les banlieues pittoresques de Mexico et de Sao Paulo, mais lui achète à bon prix l’artisanat qu’il tire de son ancestral savoir-faire dont je vante la grâce et la précision du trait en devisant, verre en main, avec des gens bien (des gens ceux-là, il ne faudrait pas tout mélanger). Non, je ne suis pas esclavagiste. Je ne suis pas même raciste, puisque je détecte de l’humain partout, et partout où j’en détecte il m’intéresse et m’attendrit, et je l’aime. J’en détecte chez les boches, les ratons, les viêts, les nègres, les négresses. J’en isole chez les youpins et les portos. Et que Conchita en a me saute aux yeux. Parlons classes ? Je réponds genres, car j’ai le cœur d’or et je veux de la violence aux fronts, pas dans mon salon. Et dans tous les cas, qu’il s’agisse des tranchées ou des bananes, des couleurs ou des peuples, des langues et des accents, nul ne me surprendra jamais en flagrant délit de racisme ou d’inhumanité.


Dans le fumet démocratique des servilités intellectuelles de toutes obédiences, Sala-Molins en envoie. Lorsqu'on cause esclavagisme et droit de l'homme au XVIIIème siècle, il se coltine les textes de l'époque en ne se payant pas de mot. Habitué des caveaux non-universitaires, il exhume l'horreur du glorieux passé de notre o combien glorieuse nation. Son pedigree républicain porte trois noms : Bible — et son compendium : Le manuel des inquisiteurs —, Code Noir, et les Lumières. Attention, ne va pas croire, malheureux, qu'il s'intéresse en théologien humaniste à ces antiquailles. L'affaire ne devient intéressante que dans ses conséquences. Et quelle conséquence à l'imprescriptibilité du crime contre l'humanité, sinon la réparation non seulement symbolique mais financière de l'esclavagisme ? — Anachronisme ! Contre-vérité historique ! hurlent d'effroi les historiens planqués à l'Université. Comme le fait de lire le livre rouge de Yahvé au plus près de sa dictée divine ?

Le livre rouge de Yahvé a écrit:Du premier mot de la Torah au dernier du Livre de Josué, Yahvé mène son affaire : de la création du monde à l’installation des Israélites, ses chouchous, sur pas mal d’hectares à l’est du Jourdain et sur tout l’ouest du fleuve, jusqu’à la mer, bande de Gaza comprise. C’est l’"Eretz Israël" dont parlent encore des Israéliens de maintenant en ligne directe avec les Israélites de jadis. Tant pis pour les Cananéens et Philistins d’alors, tant pis pour les Palestiniens d’aujourd’hui.


— Ca manque cruellement d'enrobage gradationnel, de glissement sémantiques et de commentaires de gloses ! psalmodient les spécialistes qui adorent leur discipline. Quant à la verdeur des Lumières, qui font pâles figures face à deux loupiotes capucines (lesquelles ont eu le front de réclamer en leur temps réparation inconditionnelle), elle se voit chez l'homme qui se réclame de Térence une fois confronté au ladre qui s'avise de le prendre au mot. Il n'est pas donné à tout le monde d'être la mauvaise conscience d'un temps qui cherche à tout prix, et souvent à bon marché, à blanchir son Autre de toute réalité. S'il est une chose que l'histoire peut nous apprendre au sujet de l'idéologie, c'est qu'elle se fout de l'histoire; et il arrive que celle-ci le lui rende bien, au hasard de la lecture bien suivie du Verbe fait chair, de la chair tropicale faite code ou de la lumineuse leçon faite du haut d'une chaire.

Oeuvres principales

Nicolau Eymerich, Le Manuel des inquisiteurs, 1973 et 2001.
Le Dictionnaire des Inquisiteurs. Valence 1494, Galilée, 1981.
Nicolau Eymerich, Court traité, Millon, 1986.
La loi, de quel droit ?, Flammarion, 1977.
Sodome. Exergue à la philosophie du droit, Albin Michel, 1991.
Le livre rouge de Yahvé, Paris, La Dispute, 2004,
Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, P.U.F., 1987, 12ème édition 2012.
Les misères des Lumières. Sous la raison l’outrage, 1992 et 2008.
Esclavage réparation, Lignes, 2014.