L'Anarchisme, d'Edouard Jourdain

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L'Anarchisme, d'Edouard Jourdain

Messagede vroum le Mar 5 Fév 2013 15:40

Edouard Jourdain, "L’anarchisme"

http://widget.yodawork.com/book/viewer2.aspx?largeur=940&hauteur=708&ean13=9782707169099&bookshop=ladecouverte&page=0&wid=fbc072bdcfcf4990b161eb38e4be5963

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Editions La Découverte, Collection Repères, n°611

parution : janvier 2013, 120 x 190 mm, 128 pages, 10 €.

Edouard Jourdain, docteur en études politiques de l’EHESS, a notamment publié "Proudhon, Dieu et la guerre "(L’Harmattan, 2006) et "Proudhon, un socialisme libertaire" (Michalon, 2009).

Edouard Jourdain fait partie du collectif de rédaction de Réfractions.

L’anarchisme demeure un mouvement largement méconnu, pourtant riche de théories et d’expériences qui ont marqué, souvent dans l’ombre, les deux derniers siècles.

Né en Europe lors de la révolution industrielle, il se forme en réaction à la condition prolétarienne et à l’autorité de l’État. Si l’anarchisme naît d’une négation radicale de tout ce qui diminue ou asservit l’homme, il est aussi porteur d’un projet fondé sur l’égalité, la liberté et l’autonomie.

Les courants multiples qui nourrissent l’idée anarchiste se retrouvent ainsi unis dans des combats (contre les totalitarismes, le colonialisme, le capitalisme...) menés de concert avec des pratiques grosses de la société future (syndicalisme, écoles, fédéralisme, communes libres...).

Éclipsé un temps par l’hégémonie marxiste, le projet libertaire renaît aujourd’hui, ouvrant de nouvelles perspectives d’émancipation empruntes d’expériences passées toujours vivantes.
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Re: L'Anarchisme, d'Edouard Jourdain

Messagede vroum le Ven 8 Fév 2013 22:22

Edouard Jourdain, L'anarchisme, Paris, La Découverte, coll. « Repères », Janvier 2013, 125 p., ISBN : 978-2-7071-6909-9.

http://lectures.revues.org/10613

S’inscrivant dans la politique éditoriale de la collection « Repères » de la Découverte, L’anarchisme d’Édouard Jourdain répond à une ambition à la fois de synthèse des savoirs sur ce courant philosophico-politique dont on ne peut que mesurer la méconnaissance, sans pour autant clôturer la présentation du libertarisme au label « anarchiste ». Ce court ouvrage entend ainsi présenter à la fois les théories anarchistes et les penseurs qui les ont portées, dans leurs points de rencontres philosophiques autant que dans les différences qui les séparent, mais aussi l’anarchisme « réalisé », c’est-à-dire la place de l’anarchisme dans les mouvements sociaux historiques et contemporains, et les réalisations politiques d’inspiration anarchiste ou libertaire. L’ouvrage est organisé en trois grandes parties : la première présente l’émergence de la pensée anarchiste et ses grandes doctrines ; la seconde porte sur la place de l’action anarchiste dans l’histoire — l’histoire révolutionnaire plus particulièrement ; la troisième partie s’intéresse à l’actualité de l’anarchisme et de ses pratiques.

La première partie de l’ouvrage s’ouvre sur une présentation des pères de l’anarchisme et de leurs variances théoriques, Proudhon (1809-1865) en tête de cortège. L’auteur de la célèbre phrase « la propriété privée c’est le vol », développe une théorie générale de la critique de l’autorité et de l’aliénation qui en découle : aliénation de la raison par la religion, aliénation de la volonté par l’État, aliénation des corps par la propriété. La réponse proudhonienne repose sur un « socialisme du crédit », visant à transformer la propriété capitaliste en possession anarchiste : une modalité de propriété dans laquelle seul le travailleur peut posséder son outil de production, le social s’organisant sur le mode de l’autogestion associative. Pour Bakounine (1814-1876) en revanche, la libération de l’homme passe par une profession de foi athéiste, la religion lui apparaissant comme l’archétype sur lequel se fonde la domination. À la différence de Marx, cependant, le religieux chez Bakounine n’est pas uniquement le produit de rapports de domination économique, mais au contraire, c’est l’idéologie qui est le support de l’aliénation, trouvant dans le processus de reproduction sociale et économique une certaine autonomie. Le modèle de la dictature du prolétariat est ainsi contesté comme moyen pour atteindre la liberté par Bakounine : une dictature ne peut avoir d’autre fin que de durer et se reproduire. L’anarcho-communisme de Kropotkine (1842-1921) propose une voie médiane, prônant la communauté des biens de production mais aussi des biens de consommation, là où la théorie de Proudhon met la possession au centre du projet libertaire. Enfin, Jourdain présente Stirner (1806-1856), quatrième nom « classique » de l’anarchisme, se rapprochant d’un nihilisme vivement critiqué par Bakounine. Pour Stirner, il n’existe pas de « grandes causes » : famille, patrie, société etc. sont des fétiches empêchant l’expression individuelle, la liberté se différenciant de l’individualité et s’apparentant à une utopie quasi-romantique, puisque limitée en soi par celle des autres. Seule l’individualité serait l’idéal à atteindre.

En marge des « pères fondateurs » se dessinent des théories politiques que l’on peut rattacher à l’anarchisme, parmi lesquelles l’anarchisme romantique (sensibilité vitaliste et millénarisme, organisation autogérée sur l’unité de l’ « humanisphère », cellule de base de l’organisation sociale) ; l’anarchisme religieux, représenté par Tolstoï ; l’anarcho-capitalisme (abolition de l’État, les lois du marché pouvant s’y substituer) etc. Le socialisme libertaire, enfin, incarné par Fournière et Malon, refuse à la fois l’économie marxiste et l’économisme libéral, la propriété coopérative permettant le développement des individualités.

La deuxième partie de l’ouvrage présente les implications historiques de l’anarchisme, qui trouve un terreau fécond dans l’agitation révolutionnaire européenne à la fin du XIXe siècle, en tête de laquelle l’expérience de la Commune de Paris dès le mois de mars 1871. De nombreux proudhoniens, tels que Courbet et Vallès, mais aussi de « nouveaux » anarchistes comme Louise Michel ou Élysée Reclus, s’investissent dans le mouvement révolutionnaire et contribuent à faire de la Commune une référence historique pour les libertaires. Outre les mouvements portés par Malatesta en Italie ou Makhno en Russie au moment de la prise de pouvoir par les soviets, on retiendra comme grand moment de l’expérience anarchiste les trois années de guerre civile en Espagne (1936-1939) qui voient la réalisation d’un période de « règne » libertaire. Menée par Buenaventura Durruti, l’autogestion de certaines zones sous formes de collectivités (notamment en Catalogne, au Levant et en Aragon) s’organise autour de trois grandes directions : les statistiques pour organiser l’économie, l’innovation technique pour rendre l’économie plus efficace et le développement de l’accès à la culture par la création d’écoles. Parmi les expériences vraiment marquantes de l’anarchisme espagnol, on notera plus particulièrement la séparation de la monnaie en deux catégories : la monnaie de consommation et la monnaie de production, basée sur l’échange et qui ne peut faire l’objet d’aucune spéculation. Le mouvement anarchiste espagnol s’inscrit dans « une guerre civile dans la guerre civile », puisqu’il est combattu à la fois par les franquistes mais aussi les communistes et les socialistes français, aboutissant in fine à la fuite de ses dirigeants lors de la victoire franquiste.

Le courant libertaire mobilise plusieurs voies d’expression : syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme, utilisant tantôt la grève comme moyen d’instaurer l’autogestion, tantôt le sabotage, allant parfois jusqu’au terrorisme : le point d’acmé est atteint le 24 juin 1894 quand le président Sadi Carnot est assassiné par l’anarchiste italien Caserio. Les attentats anarchistes servent alors d’argument à l’État français qui fait voter dès 1893 les « lois scélérates » prodiguant aux forces de l’ordre de nouveaux outils pour la répression des organisations libertaires1. La contestation anarchiste a également dans sa ligne de mire la lutte contre les empires en général (soutien aux soulèvements contre l’empire austro-hongrois en Bosnie-Herzégovine, contre l’empire Ottoman en Macédoine etc.) et contre les empires coloniaux en particulier. Le projet libertaire pose enfin sa marque dans une lutte culturelle contre l’idéologie dominante, imprégnant le mouvement de mai 68 où l’on réclame davantage d’autonomie pour le salarié comme pour l’étudiant. Ainsi, si ces mouvements ne sont pas à proprement parler anarchistes, ils sont, pour l’auteur, portés « en filigrane (…) par un certain souffle libertaire » (p. 78).

La dernière partie de l’ouvrage se penche sur l’actualité des mouvements anarchistes et sur leurs « dialogues », notamment avec le libéralisme. Si libéralisme et anarchisme partagent une même défiance à l’égard de l’État et une défense irréductible des libertés individuelles, le débat Chomsky/Foucault révèle une dissension anthropologique profonde entre les deux théories. Pour le libéralisme hobbesien, c’est la nature de l’homme d’être un loup pour l’homme et cela justifie la nécessité d’un contrat social ; à l’inverse, l’anarchisme considère que la liberté individuelle n’est pas innée et atomique, mais le produit de la liberté de tous permettant l’égalité. L’ouvrage ouvre ensuite la présentation de l’anarchisme aux « sensibilités libertaires », c’est-à-dire des personnalités ou des mouvements emprunts des idéaux libertaires sans véritablement s’en revendiquer. Citons « les non-conformistes des années 30 », mouvement né en réaction au crash boursier de 1929 et réclamant l’abolition de l’État et des classes sociales, ou encore les figures de George Orwell, Albert Camus, Jacques Ellul ou encore Cornélius Castoriadis2 appelant de ses vœux l’abolition du capitalisme d’État dans le cas de Castoriadis, ou encore de la technique en tant qu’outil d’aliénation dans les sociétés de consommation pour Ellul. Parmi les propositions de réalisation locales d’inspiration anarchiste, on trouve le municipalisme libertaire (recentrement de la vie sociale et politique à l’échelle locale de la commune pour aboutir à la propriété municipalisée) ou encore les zones autonomes temporaires (TAZ), où la cartographie du Web permet d’imaginer la création d’ « espaces libres autonomes », temporaires, locaux mais ouvrant à l’expérience de l’autonomie.

À l’issue de la lecture de cet ouvrage, le lecteur a le sentiment d’avoir ouvert un pan d’histoire politique relativement méconnu, ou, en tout cas, souvent rangé du côté du minoritaire. Au contraire, la variété des propositions des courants anarchistes et sa pérennité dans des champs divers révèlent la vitalité d’une pensée à la fois originale, mais corrélée aux mêmes questionnements que son contemporain marxiste : comment lutter contre l’aliénation ? Devant tant de variances, la question se pose finalement de savoir ce qui définit l’anarchisme et si la catégorie est réellement homogène ; mais au-delà de l’abolition de l’État ou des classes sociales, qui sont finalement historiquement et géographiquement définis, le socle de la pensée libertaire semble reposer sur deux postulats complémentaires. Le premier, l’idée que la société, avant l’économie, avant la politique, doit être autonome ; le second, que la liberté de l’homme ne découle pas de sa nature, mais s’acquiert, précisément, par l’autonomie.

Notes

1 Les « lois scélérates », adoptées en décembre 1893, permettent à la police de perquisitionner les locaux de la presse sur simple « délit d’apologie de faits qualifiés de crime » (p. 72), définissent le délit d’association de malfaiteurs, interdisent la propagande anarchiste et antimilitariste.

2 Castoriadis a récemment fait l’objet d’un numéro de la collection « Repères » par Jean-Louis Prat ; voir le compte rendu de François Thoreau : http://lectures.revues.org/10082.


- Synthèse faite par Célia Poulet

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Re: L'Anarchisme, d'Edouard Jourdain

Messagede vroum le Mar 26 Fév 2013 11:43

L'anarchisme, une pensée critique dans les luttes

http://zones-subversives.over-blog.com/article-l-anarchisme-une-pensee-critique-dans-les-luttes-115661290.html


L’anarchisme, un courant historique du mouvement ouvrier révolutionnaire, permet une réflexion critique pour agir dans les luttes actuelles.


Le courant anarchiste semble méconnu. Pourtant, dans les luttes sociales actuelles, des pratiques libertaires se diffusent. Surtout, face à la faillite du capitalisme, l’anarchisme apparaît comme un projet de société alternatif. Ce vieux courant politique du mouvement ouvrier fait donc l’objet d’un regain d’intérêt. Si ce courant révolutionnaire semble particulièrement multiple, un livre récent tente de lui donner une cohérence. Édouard Jourdain, étudie la pensée de P.J.Proudhon et consacre un livre de synthèse sur l’anarchisme.

« L’anarchisme est encore aujourd’hui mal compris, souvent considéré comme une doctrine prônant le désordre et le chaos, où toute vie politique serait impossible », constate Édouard Jourdain. Pourtant, l’anarchisme présente également un projet positif, de construction d’une nouvelle organisation sociale. L’anarchisme semble également associé à l’utopie. Pourtant, les anarchistes semblent attachés à l’expérimentation depuis le réel plutôt qu’à l’invention strictement théorique. Surtout l’élaboration d’un nouveau projet de société s’articule avec la nécessité de lutter ici et maintenant. L’anarchisme a « recours à la méthode historique pour tenter de prouver que la société future n’est pas son invention, mais le produit même d’un travail souterrain du passé », souligne Daniel Guérin. La pensée anarchiste demeure ancrée dans le mouvement ouvrier et les luttes sociales. Mais les sujets ne se limitent pas à la classe ouvrière et doivent se libérer de toutes les formes d’oppression et d‘aliénation.

L’anarchisme est éclipsé par le marxisme et connaît un déclin. Mais la critique de l’URSS, puis son effondrement, ravive la réflexion anarchiste révolutionnaire. Les pratiques libertaires se répandent également dans les luttes sociales. « Sur le plan pratique, de nombreux mouvements renouent avec les idées de démocratie directe, d’assemblées délibératives, d’action directe, d’autogestion, court-circuitant ainsi volontairement les courroies de transmission de l’appareil d’État », observe Édouard Jourdain. L’anarchisme refuse de séparer égalité et liberté, pour ne pas sombrer dans le libéralisme ou l’autoritarisme.


Les théories anarchistes


Proudhon (1809-1865) apparaît comme l’un des premiers théoriciens de l’anarchisme. Issu de milieu populaire, il développe une première critique scientifique de la propriété. Les révolutions, selon lui, ne font que changer un gouvernement par un autre. Seule une révolution économique et sociale peut supprimer l’exploitation pour transformer les rapports humains. Mais Proudhon se présente aux élections, et se rapproche de Bonaparte avant de s’en éloigner. Son rapport au pouvoir politique semble donc ambigu. Pourtant il développe les premières critiques libertaires de la religion, de l’État et de la propriété.

Proudhon observe que Dieu apparaît comme la synthèse métaphysique de tout un système d’autorité. La propriété n’est pas contrôlée par ceux qui produisent, et s’apparente donc à un vol. Proudhon défend une socialisation des moyens de production. Des sociétés autogérées peuvent alors se fédérer pour construire une nouvelle organisation sociale. Proudhon souligne que l’État empêche le peuple de se gouverner lui-même. La démocratie représentative favorise au contraire la délégation.


Mikhaïl Bakounine (1814-1876) est issu de la petite noblesse russe. Il met fin à une carrière d’officier militaire pour étudier la philosophie. Bakounine voyage à travers l’Europe pour fuir le régime russe. A Paris il rencontre Proudhon et Karl Marx. Il participe à plusieurs insurrections à travers l’Europe, attise la révolte et crée une société secrète. Son organisation adhère à l’Association internationale des travailleurs (AIT). Mais il s’oppose à Marx avant d’être exclu de l’Internationale. Cet anarchiste privilégie l’action. « Plus d’idées ont été développées par l’Internationale qu’il n’en faut pour sauver le monde, mais désormais c’est l’action qui est indispensable », affirme Bakounine.

Ce penseur anarchiste critique la religion et l’idéologie, comme systèmes fondés sur l’autorité. Bakounine s’attache à une philosophie matérialiste. Au contraire, l’idéologie permet de rendre acceptable le discours du pouvoir.

Pour Bakounine, la liberté est un leurre qui justifie la tyrannie gouvernementale. Les libéraux estiment que les libertés de chacun s’opposent entre elles. Seul le contrat social, assuré par l’État, garantirait alors la liberté de tous. Pour Bakounine, l’État impose l’ordre, l’autorité et la sécurité mais s’oppose à la liberté. Il critique également la science qui permet un gouvernement des experts. Pour cet anarchiste, « l’ordre social doit être le résultat du plus grand développement de toutes les libertés collectives et individuelles ». Mais cette liberté semble indissociable de l’égalité. La liberté individuelle se renforce avec la liberté de tous. « Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tous s’étend à l’infini », affirme Bakounine. Cette réflexion esquisse un véritable projet de société contre toutes les formes de dominations. La société libertaire repose sur « la plus grande liberté fondée sur la plus complète égalité économique, politique et sociale », selon Bakounine.

Les marxistes s’appuient sur l’appareil d’État pour transformer la société. Bakounine, au contraire, dénonce le parlementarisme. Dans ce cadre tout mouvement politique « ne pourra être dirigé que par des bourgeois ou, ce qui sera pis encore, par des ouvriers transformés par leur ambition, ou par leur vanité, en bourgeois », souligne Bakounine. Ensuite, le marxisme autoritaire aspire à un régime encore plus répressif que le régime bourgeois. Bakounine refuse toute forme de transition, car cette période peut alors durer et s’enliser. Les formes d’organisation doivent porter en germes la société future. Les moyens déterminent la fin pour les anarchistes. « La liberté ne peut être crée que par la liberté », résume Bakounine.


Pierre Kropotkine (1842-1921) invente l’anarcho-communisme. Les collectivistes rémunèrent les individus selon leur mérite et leur travail. Les communistes organisent la société selon les besoins. Kropotkine s’attache à une démarche scientifique qui repose sur l’observation des comportements. L’expropriation des moyens de production doit permettre de satisfaire les besoins de la population. Il étudie la révolution française et insiste sur l’alliance décisive entre ouvriers et paysans. Il évoque également le rôle fondamental des communes et des assemblées locales.

Max Stirner (1806-1856) invente l’individualisme libertaire. L’individu doit s’opposer à toutes les institutions et formes d’autorité pour jouir de la vie. Contre l’idée de société, il préconise une association des Égoïstes. La propriété et la possession n’ont aucune légitimité. L’individualité semble encadrée dans la société. Stirner s’attache à la révolte existentielle et à l’insurrection. Il s’oppose au communisme et à sa valorisation du travail. Les anarchistes individualistes peuvent s’opposer aux notions d’organisation ou de révolution. Mais ils peuvent également s’attacher à la « prise au tas » et à l’action directe, comme les anarcho-communistes. L’individualiste Émile Armand s’attache à la liberté sexuelle et à la camaraderie amoureuse. Les individualistes insistent également sur la nécessité d’une révolution mentale. Les anarchistes individualistes s’attachent à se soustraire de toute forme de norme et de contrainte sociale.


Les pratiques libertaires


L’anarchisme n’est pas une simple philosophie. Cette pensée s’enracine dans les luttes au cours de l’histoire et développe des pratiques originales.

En 1864, l’Association internationale des travailleurs (AIT) est créée. Du mutuellisme inspiré par Proudhon, cette organisation évolue vers la lutte sociale préconisée par Bakounine. Mais l’AIT subit l’opposition entre marxistes et anarchistes. La construction d’un parti, la participation aux élections et l’abolition de l’État sont clairement rejettées par les libertaires. La fédération jurassienne est crée en 1872 par les anti-autoritaires qui s’attachent à la grève générale et à l’autogestion des travailleurs pour abolir toute forme d’autorité.

En 1871, avec la Commune de Paris, le peuple se révolte contre le pouvoir central. Avec son système de démocratie directe, les élus deviennent révocables, responsables et leur mandat devient impératif. « En s’attaquent à la fois au régime propriétaire, à la religion et à l’État, la Commune de Paris tentait de mettre en pratique pour la première fois à grande échelle les principes anarchistes », résume Édouard Jourdain. Mais la Commune de Paris n’abolie pas entièrement le système de la représentation et la propriété souligne Kropotkine. La Commune n’est pas directement anarchiste mais inspire la mise en pratique des idées libertaires.

Au début des années 1870, les anarchistes tentent d’organiser des insurrections en Italie. De 1919 à 1921, des luttes ouvrières se développent des les usines italiennes. Contre le bolchevisme et les syndicats, les travailleurs s’organisent eux-mêmes à travers des conseils ouvriers. Malatesta et Cafiero incarnent la vigueur de l’anarchisme en Italie.

En 1917 éclate la révolution russe. Les ouvriers et les paysans s’organisent eux-mêmes, à travers les soviets comme unité de base de la société nouvelle. Mais les bolcheviques dénoncent un ennemi intérieur pour prendre le pouvoir et liquider la révolte libertaire. Nestor Makhno et les paysans d’Ukraine, après avoir participé activement à la révolution russe, se révoltent contre la répression bolchevique. Pour Makhno le parti et le pouvoir d’État ne peuvent pas réaliser la révolution sociale. L’armée rouge, dirigée par Trotsky, écrase dans le sang tous les soviets libres qui appliquent les décisions des travailleurs, comme à Kronstadt. Makhno refuse toute période de transition pour appliquer le communisme libertaire immédiatement. Le peuple se gouverne lui-même à travers des assemblées. Les travailleurs se réapproprient les moyens de productions pour devenir libres et égaux, et s’associer au sein de soviets autonomes.

Dans l’Espagne des années 1930, la Confédération nationale du travail (CNT) devient une organisation anarcho-syndicaliste puissante. Les anarchistes, souvent décrits comme spontanéistes, s’attachent pourtant à construire progressivement un mouvement révolutionnaire. Les fascistes rentrent au gouvernement et tentent de prendre le pouvoir en 1934. La CNT appelle à participer aux élections pour la première fois de son histoire. Mais, dès les premiers soulèvements militaires de 1936, la CNT appelle à la révolution sociale et libertaire pour lutter contre le fascisme. Les anarchistes affrontent les fascistes sur le plan militaire. Mais ils s’attachent également à organiser l’autogestion des entreprises. « Quelle que soit la situation, les ouvriers prennent en main la production et se réunissent en assemblée générale pour voter les décisions importantes », décrit Édouard Jourdain. Les terres sont collectivisées par les paysans selon leurs désirs. Pourtant, le gouvernement républicain perdure, et refuse d’abolir la monnaie. Dans la population, les conservateurs et les staliniens s’opposent à cette expérimentation libertaire. Ensuite, le gouvernement réprime les collectivités. L’État, les fascistes et les staliniens s’opposent conjointement aux anarchistes. Pourtant, l’expérience espagnole reste une référence.


L’anarchisme se caractérise par divers pratiques. Après la Commune de Paris, les libertaires s’organisent dans les syndicats. En France, la Confédération générale du travail (CGT) proclame la Charte d’Amiens en 1906. L’abolition du salariat et de patronat devient l’objectif du syndicalisme révolutionnaire. L’amélioration immédiate des conditions des travailleurs s’articule avec un projet de révolution sociale. Toute forme de direction bureaucratique est rejetée. Le syndicat se gouverne de bas en haut. Émile Pouget s’attache à l’action directe, à travers la grève ou le sabotage. En 1922, dans le contexte de la révolution russe, les marxistes autoritaires prennent le contrôle de la CGT.

La propagande par le fait s’inscrit dans une démarche insurrectionnaliste. Les anarchistes organisent des actions violentes et des attentats pour pousser le peuple à se révolter. En France, à partir, de 1880, de nombreux attentats sont organisés puis écrasés par une répression brutale. L’État renforce alors son contrôle sur la population.

Les anarchistes s’attachent à la pédagogie pour diffuser leurs idées. L’éducation libertaire ne doit pas favoriser la soumission, mais au contraire permettre l’autonomie et l’émancipation des individus.

Mai 68 apparaît également comme une expérience libertaire. Les nouvelles idées libertaires influencent le mouvement du 22 mars. La critique de la vie quotidienne, de toutes les autorités, des normes et des contraintes sociales est également attisée par les situationnistes. Dans les entreprises, les ouvriers s’organisent eux-mêmes dans les assemblées. Cette puissante grève générale est inspirée par un souffle libertaire.


Le renouveau de l’anarchisme


Avec l’effondrement du communisme d’État et la crise du capitalisme, les idées libertaires connaissent un regain d’intérêt.

Le postanarchisme critique la perspective d’un projet de société libertaire, jugé trop universaliste, pour davantage combattre les multiples relations de pouvoir.

Les anarchistes se rapprochent des libéraux car ils défendent les libertés individuelles et publiques, comme la liberté d‘expression. En revanche, le libéralisme défend une liberté qui se cantonne à la sphère privée et individuelle. L’anarchisme conçoit la liberté comme la participation à l’organisation collective. L’individu n’est pas un atome isolé mais la composante d’un milieu social estiment les anarchistes.

L’anarchisme peut se rapprocher du marxisme. Pour Maximilien Rubel, Marx apparaît comme le principal théoricien de l’anarchie car ses écrits développent une critique radicale de l’État. Daniel Guérin s’attache à concilier anarchisme et marxisme. Les analyses marxiennes et matérialistes du capitalisme doivent s’articuler avec la spontanéité et la créativité des libertaires. La lutte des classes ne procède pas d’un déterminisme historique, mais d’un désir d’émancipation.

L’anarchisme s’intéresse également à l’écologie. Murray Bookchin propose la création de petites communautés autogérées et fédérées pour réorganiser la production sur des bases écologiques. John Zerzan et les anarcho-primitivistes critiquent la technologie et la civilisation industrielle comme source de l’aliénation. En revanche leur proposition d’un retour à l’idéal du chasseur-cueilleur se révèle moins convaincante.

L’anthropologie, qui étudie les relations de pouvoir, nourrit la pensée anarchiste. Pierre Clastres observe les relations de domination, y compris dans les sociétés sans État.


L’anarchisme inspire de nombreux intellectuels au XXème siècle. Les non-conformistes des années 1930 reprennent une critique libertaire de l’État. Dans le contexte d’une montée des totalitarismes, l’État et la démocratie révèlent leur dérive vers la terreur bureaucratique. La revue Esprit d’Emmanuel Mounier critique autant le capitalisme que le communisme.

L’écrivain George Orwell, pourtant attaché aux valeurs traditionnelles, se réfère à l’anarchisme. Sa réflexion s’appuie sur le socialisme traditionnel des ouvriers anglais qui s’attachent à des valeurs et au mieux-vivre. Ce socialisme ouvrier s’oppose au socialisme chic des intellectuels de gauche. Orwell critique l’utilisation de la langue et le discours scientifique qui permet la domination des intellectuels.

Albert Camus se rattache à un socialisme humaniste. Il critique la confiscation du pouvoir politique par une minorité et défend une « vraie démocratie populaire et ouvrière ».

Jacques Ellul analyse la société technicienne. La propagande n’est plus centralisée par le parti-État mais se diffuse à travers les systèmes d’information et de communication. La technologie englobe tous les aspects de la vie et les individus acceptent plus facilement leur condition. La supposée neutralité de la technique masque une domination économique et politique.

Cornélius Castoriadis critique la démocratie représentative. L’État décide et fait la loi à la place des citoyens. Les sociétés démocratiques et bureaucratiques (ZS) reposent sur un clivage entre exploiteurs et exploités, mais aussi entre dirigeants et dirigés. Castoriadis s’attache à l’autonomie et à l’auto-institution de la société. Il propose une démocratie directe pour supprimer la domination politique.


L’anarchisme contemporain invente de nouvelles pratiques, pas toujours révolutionnaires.

Le municipalisme libertaire propose de développer la démocratie directe dans un quartier ou une ville. Cette pratique doit s’étendre progressivement à l’ensemble du territoire sans rupture révolutionnaire.

Hakim Bey propose de créer des Zones d’autonomie temporaire (TAZ), ici et maintenant, sans attendre la destruction de l’État et du capitalisme. Cette démarche permet d’expérimenter de nouvelles manières de penser, d’agir, de vivre. Mais la logique capitaliste traverse tous les aspects de la société et les modes de vie alternatifs reproduisent les rapports de domination.

La CFDT des années 1970 propose un socialisme autogestionnaire. L’altermondialisme permet un renouveau de l‘autogestion, qui demeure un aspect majeur de la pensée anarchiste. En Amérique latine, des luttes développent des assemblées communautaires pour permettre la réappropriation des terres et des lieux de production. John Holloway se réfère au mouvement zapatiste qui émerge au Mexique dans les années 1990.


« Les anarchistes même peu nombreux, ont pu tout au long de leur histoire faire coïncider leurs idées avec des inspirations profondes du peuple, participant à la création de mouvements révolutionnaires qui, même sans aboutir à la victoire, laissent l’empreinte de la liberté qu’il appartient aux générations futures de redécouvrir », souligne joliment Édouard Jourdain. L’anarchisme, loin d’être une simple utopie, s’ancre dans la réalité des luttes et des expériences sociales. En tant que doctrine cohérente, l’anarchisme semble minoritaire. Pourtant, des pratiques et des aspirations libertaires se diffusent. Face à la misère marchande, le désir de vivre autrement s’accentue.


Source: Édouard Jourdain, L’anarchisme, La Découverte, 2013
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Re: L'Anarchisme, d'Edouard Jourdain

Messagede vroum le Jeu 13 Juin 2013 10:36

L’étrange unité de la diversité anarchiste

http://www.monde-libertaire.fr/expressions/16486-letrange-unite-de-la-diversite-anarchiste

En janvier de cette année a paru un petit livre sobrement intitulé L’Anarchisme. Il ne manque pas d’ouvrages généralistes qui ont la vocation de présenter un tour d’horizon au grand public. La réussite n’est pas toujours au rendez-vous. Le dernier en date, très bien écrit par notre ami Philippe Pelletier, fut un succès pour l’éditeur. 1 Le livre d’Édouard Jourdain, d’un abord facile, s’adresse à deux publics, au moins. Le public des libertaires, à qui on offre là une ouverture parfois surprenante – et par là, intéressante et discutable – à des personnalités ou des mouvements et qui amène à réfléchir, à élargir nos propres horizons. Le public moins spécialisé, lui, trouvera dans ce livre un tour d’horizon philosophique, historique et, surtout, des remarques qui sont autant de ponts jetés entre la culture libertaire et des cultures dissidentes de contestations sociales, politiques ou culturelles, ce qui ne peut qu’aider à un rapprochement possible entre elles. Nous avons demandé à l’auteur de nous éclairer sur sa démarche.

Le Monde libertaire : Ce livre est-il une commande de l’éditeur et à quoi correspond cette demande ?
Édouard Jourdain : Oui, il s’agissait de réaliser une synthèse sur l’anarchisme en une centaine de pages, dont l’objectif était à la fois de donner une idée d’ensemble et d’apporter quelques éléments que l’on ne retrouve pas dans les ouvrages de vulgarisation, notamment concernant les « marges de l’anarchisme », afin que ceux qui connaissent bien le mouvement découvrent peut-être des idées ou des mouvements peu connus et qui pourtant peuvent avoir des affinités avec le mouvement libertaire.

Le ML : Vos ouvrages précédents consacrés à Proudhon furent-ils une entrée vers ce livre-ci ?
Édouard Jourdain : Ils le furent directement, en effet, dans la mesure où c’est suite à la lecture de mon ouvrage sur Proudhon aux éditions Michalon que le directeur de la collection a voulu me confier la rédaction de ce livre. Plus largement, c’était l’occasion aussi pour moi d’écrire sur la postérité de la pensée de Proudhon qui a posé pour la première fois le terme « anarchie » dans sa dimension positive.

Le ML : Vous abordez des marges peu connues et polémiques : l’anarchisme de droite, une certaine contestation des années trente… Votre travail propose une lecture enthousiasmante de l’anarchisme contemporain et retient également des sensibilités qui relèvent plus de la posture esthétique, dont les valeurs fondamentales contredisent le progressisme radical de l’anarchisme. Votre démarche d’originalité ne va-t-elle pas trop loin ?
Édouard Jourdain : Je ne suis pas sûr que ma démarche d’originalité aille trop loin, j’aurais presque tendance à penser le contraire ! J’ai tenté dans la mesure du possible de montrer la richesse et la diversité des positions que l’on peut retrouver dans le mouvement anarchiste, composant cette « étrange unité qui ne se dit que du multiple » (Deleuze).

Le ML : Pourquoi avoir écarté certains noms dans le volet culturel de votre livre (la chanson française, les écrivains, Ragon, Vian…) ou bien avoir abordé Castoriadis, qui n’est pas explicitement anarchiste, et évité dans le chapitre vi, Vaneigem ou Onfray, entre autres ?
Édouard Jourdain : C’est le problème d’une synthèse de ce type qui ne se voulait pas et ne pouvait pas être exhaustive. Il y a malheureusement beaucoup d’auteurs que j’ai écartés afin d’éviter une liste à la Prévert qui m’aurait empêché de développer convenablement tel ou tel aspect d’une œuvre ou d’un mouvement. Le parti-pris était d’axer mes propos sur les dimensions plus proprement politiques de l’anarchisme, en termes de réalisations historiques et d’idées. Quant à Castoriadis, il ne s’est en effet pas explicitement réclamé de l’anarchisme, mais pourtant son œuvre est solide sur la plupart des points qui intéressent les anarchistes : dans sa critique de l’État, du capitalisme et son projet de société autonome. D’un certain point de vue, je trouve son œuvre beaucoup plus féconde pour le mouvement anarchiste que celles de Vaneigem ou d’Onfray. J’ai bien sûr pensé à traiter ces derniers auteurs mais là encore il m’aurait fallu en évoquer d’autres, comme Michéa. Ce fut un choix difficile : j’ai préféré développer ce qui me paraissait le plus pertinent, ce qui exigeait de faire un tri parmi la richesse du mouvement anarchiste.

Le ML : Considérez-vous que les « nouveaux mouvements sociaux » comportent une dimension libertaire ? Si oui, pourquoi n’y a-t-il pas une plus franche convergence ?
Édouard Jourdain : Nous retrouvons en effet dans les « nouveaux mouvements sociaux » une dimension libertaire, dans la mesure où ils se méfient des partis et privilégient des modes d’organisation à l’horizontale, souvent autogestionnaires, sans tête dirigeante. La convergence n’a pas lieu pour diverses raisons : les nouveaux mouvements sociaux n’axent souvent leurs luttes que sur certaines dimensions, certains secteurs, alors que le mouvement anarchiste conçoit les choses beaucoup plus globalement. Puis, les mouvements sociaux ne connaissent en règle générale pas bien ce qu’est l’anarchisme, comme la plupart des gens. Ils le considèrent comme un mouvement utopiste ou romantique et préfèrent privilégier l’action locale dont ils peuvent voir les effets concrets. De l’autre côté, beaucoup d’anarchistes considèrent ces mouvements comme des mouvements réformistes qui ne remettent pas en cause radicalement le système. De ces a priori et caricatures résultent des malentendus qui induisent malheureusement cette non-convergence dont vous parlez.

Le ML : Dans vos repères bibliographiques, on s’aperçoit de la profusion d’ouvrages très récents publiés sur l’anarchisme : comment expliquez vous ce paradoxe alors que l’émergence de ces idées peine encore à se faire ?
Édouard Jourdain : Malatesta pouvait dire que le problème avec l’anarchisme n’était pas le mot mais la chose, en d’autres termes l’idée qu’il était possible que nous puissions vivre dans une société autonome, égalitaire, sans État et sans capitalisme. Dans une certaine mesure je crois que désormais les termes du problème se sont quasiment inversés. De plus en plus de personnes peuvent concevoir la possibilité d’alternatives, notamment après les critiques des totalitarismes et les crises du capitalisme qui ont marqué le XXe siècle. La chose, l’idée anarchiste, a plus que jamais une fenêtre d’ouverture sur l’histoire malgré la multitude d’obstacles de taille. Cependant, il est vrai que l’anarchisme, tout du moins en France, reste malgré tout assimilé à un certain mouvement romantique de la Belle époque dont on ne retient que les poseurs de bombe. Mais quand vous expliquez ce qu’est l’anarchisme, nombreuses sont les personnes surprises (« Ah, c’est ça l’anarchisme ? ») qui demandent à en savoir plus. En cela, il existe toujours un travail pédagogique important à continuer.

Le ML : Ce sont les travaux philosophiques, universitaires ou les mouvements sociaux à l’étranger aujourd’hui qui peuvent donner des raisons de penser que l’anarchisme évolue avec son temps et a des chances sérieuses de sortir de l’incompréhension ?
Édouard Jourdain : C’est très difficile de répondre à cette question dans la mesure où de nombreux travaux et mouvements peuvent nourrir la réflexion et l’action anarchiste sans toutefois être explicitement anarchistes. Je retiendrai comme exemple parmi d’autres celui d’Elinor Ostrom qui me paraît particulièrement significatif. Cette femme a reçu le prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur les biens communs. Son argument était que la gestion et l’exploitation des biens communs naturels (forêts, pâturages, lacs, etc.) ne pouvaient correctement fonctionner qu’en dehors du marché et de l’État, sur la base d’une coopération autogestionnaire. Ses travaux rejoignent en cela des préoccupations anarchistes fondamentales, qui pourraient étendre ses réflexions à l’ensemble du régime de production des biens et des services. Une des raisons principales de ces rencontres qui n’ont pas lieu, dans l’immédiat tout du moins, est la parcellisation du savoir et des luttes. Le « penser global, agir local » retrouve ici ses limites : il faut aussi agir globalement. Ici la notion de fédéralisme développée par les anarchistes garde toute sa pertinence, comme alternative à la fois au centralisme et à l’émiettement postmoderne.

Le ML : Quel est votre regard sur ce que l’on appelle communément « le mouvement libertaire » ? Le connaissez-vous ? Est-il une solution ou un problème pour faciliter la diffusion des idées et pratiques libertaires ?
Édouard Jourdain : J’ai notamment milité à la Fédération anarchiste, au groupe Jules-Vallès à Grenoble, et fais partie actuellement du comité de rédaction de l’excellente revue Réfractions. Le mouvement libertaire est bien sûr le moyen le plus indiqué pour diffuser les idées et pratiques libertaires, notamment dans la mesure, et c’est là aussi le défaut de ses qualités, où il recèle une pluralité et une richesse insoupçonnée par beaucoup de nos contemporains. La difficulté tient entre autres à faire de ce pluralisme parfois contradictoire un projet cohérent et viable, en cela le mouvement libertaire est une expérimentation quotidienne de ce que peut être une société anarchiste, et ce n’est pas toujours évident.

Entretien avec Édouard Jourdain mené par Daniel, groupe Gard-Vaucluse de la Fédération anarchiste.



1. Philippe Pelletier, L’Anarchisme, éditions Le Cavalier Bleu, collection Idées reçues, 2010, 128 pages, 9,80 euros, disponible à la librairie du Monde libertaire. Il a été chroniqué dans Le Monde libertaire : www.monde-libertaire.fr/expressions/138 ... anarchisme

L'anarchisme, Edouard Jourdain, éditions La Découverte, Janvier 2013, Collection Repères, 9782707169099.
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