Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

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Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Sulfateuse le Sam 15 Jan 2011 12:35

Travail collectif de 30 pages sur la contre- culture, "hors-série" du groupe "La Sulfateuse" :
http://www.fichier-pdf.fr/2011/01/30/ccc-5/ccc.pdf
Dernière édition par Sulfateuse le Dim 30 Jan 2011 16:04, édité 3 fois.
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede fabou le Sam 15 Jan 2011 23:23

ça m'a l'air super interressant ma foi ^^
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede fu hsang le Sam 15 Jan 2011 23:33

qué socedem alors ce fabou
moi j aurais bien aimé le lire mais mon truc qui sert a lire les pdf , il foire
je peux meme pas me torcher avec vu que c est du numerique ....
fu hsang
 

Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Alayn le Dim 16 Jan 2011 01:20

Il faut soit que tu mettes à jour Adobe Reader ou soit le re-télécharger pour lire tes PDFs.
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede ZERRO le Dim 16 Jan 2011 02:09

O.K. je vais vérifier si je peut en tirer une conclusion aussi constructif que libertaire. :|
(pour la partie constructif je n'en doute guère, par contre libertaire laissait moi vérifier)

merci pour le travail fourni, Sulfateuse. :)
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede nargu le Dim 16 Jan 2011 02:32

Juste une petite remarque (je viens de commencer la lecture de ce HS) :

Plus d’un siècle avant les premiers vagissements de la « contre- culture », Marx avait déjà analysé...
...
Nous ne prétendons pas ici que le matérialisme historique constitue la doctrine interprétative historique
absolue...


On doit également noter que le terme de « matérialisme historique » n'est pas de Karl Marx. Il a parlé uniquement de « nouveau matérialisme » et, plus tard de « conception matérialiste de l'histoire ». Le terme est considéré comme impropre, voire comme une trahison de la pensée de Marx, par plusieurs marxologues (en particulier Maximilien Rubel). Toutefois ce concept, au contenu flou et changeant, a été revendiqué par la plupart des courants se déclarant marxistes et fait partie intégrante de la doctrine marxiste.

http://www.wikiberal.org/wiki/Mat%C3%A9 ... historique


Ya pas que des marxistes orthodoxes ou des libéraux qui le disent :wink:
"Si alayn a été insultant, c'est parce que des gens le cherchaient" (wayra warmi, admin sur ce forum).

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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Sulfateuse le Dim 16 Jan 2011 02:49

Il a sous- titré "l'idéologie allemande" par les mots "la conception matérialiste de l'histoire", j'appelle ça du "matérialisme historique" à moins qu'on veuille vraiment jouer sur les mots.
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Sulfateuse le Mar 18 Jan 2011 12:51

e précise que cette brochure n'est pas tout à fait l'oeuvre de "La Sulfateuse" mais d'un copain à nous qui a déjà un peu collaboré au zine, et qu l'on a pas mal (beaucoup) aidé, tant sur le plan logistique qu'intellectuel :hehe:
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Troska le Mar 18 Jan 2011 13:42

Je l'ai lu en entier, en prenant mon temps et je dois avouer que ... j'aime beaucoup !
J'ai appris vraiment un tas de choses intéressant et qui mérite vraiment réflexion, réflexions que je m'étais déjà faites mais que je n'avais pas poussé jusqu'au bout.
Sympa en tout cas, j'vais faire tourner ce petit PDF, y a des choses intéressantes ( comme le BPP qui flinguait les dealers, ça m'a beaucoup fait rire :lol: )
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede spleenlancien le Mar 18 Jan 2011 13:56

Bon boulot intéressant.
J'aime bien quand on s'applique à deboulonner les mythes...
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Sulfateuse le Mer 19 Jan 2011 19:07

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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede conan le Ven 21 Jan 2011 11:03

Je l'ai dit ailleurs, je ne suis pas tout à fait d'accord avec tous ses postulats ("matérialisme", jugement un peu trop idéologique et catégorique sur l'expression artistique) ; mais cette brochure a déjà le mérite de faire plaisir en distribuant des claques, et vaut vraiment le coup pour pointer du doigt les rapports entre le politique et l'art - à chacun-e de développer cette réflexion.

Un texte d'Anselm Jappe pour prolonger la réflexion (plutôt dans le sens de la brochure ^^ ) :

Est-ce qu'il y a un art après la fin de l'art ?
Les situationnistes avaient annoncé dans les années cinquante et soixante le «dépassement» et la «réalisation» de l’art. Pour eux, l’art avait perdu sa raison d’être et son histoire était terminée ; et Guy Debord a réaffirmé en 1985 que cette proclamation n’était pas exagérée, parce que «depuis 1954 on n’a jamais plus vu paraître, où que ce soit, un seul artiste auquel on aurait pu reconnaître un véritable intérêt» [Guy Debord, préface à Potlach 1954-1957, éditions Gérard Lebovici, 1985].

Si l’on prend au sérieux les thèses situationnistes — et il est devenu difficile de ne pas le faire — alors surgit inévitablement cette question : comment se poser aujourd’hui face à la production artistique qui a continué dans le demi-siècle qui nous sépare de la fondation de l’I.S., et dans des proportions auparavant inimaginables ? La condamner en bloc est assurément très cohérent, mais n’offre aucune explication de ce qui est advenu, c’est-à-dire l’échec du projet historique de réaliser l’art dans la vie. Le dépassement de l’art tenté par les situationnistes a été en vérité un projet de sauver l’art, une dernière grande déclaration d’amour pour l’art et la poésie, jugés trop importants pour être laissés aux artistes et aux institutions culturelles. Ce n’était pas la créativité artistique que les situationnistes considéraient comme périmée, mais la fonction sociale de l’art, devenu incapable de contenir les richesses possibles de la vie humaine.

On doit admettre — et Debord lui-même l’a fait — que la réalisation de l’art n’a pas eu lieu. L’assaut du ciel est retombé sur terre, la société capitaliste spectaculaire, sérieusement ébranlée autour de 1970 (et il n’y avait pas que des révolutionnaires exaltés pour l’affirmer — il suffit de lire les rapports du patronat de l’époque [Par ex. en Luc Boltanski/Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard 1999, p. 249]) a réinstauré son règne sans partage, qui voit pointer à son horizon non plus la révolution, mais la chute définitive dans la barbarie généralisée. Dans cette situation, l’art qui, dans les années soixante, pouvait aux yeux des esprits les plus «avancés» sembler trop peu par rapport au «grandiose développement possible» [Internationale situationniste no 8 (1964)], ferait aujourd’hui figure de dernier refuge de la liberté. S’il n’est pas la richesse humaine réalisée, il pourrait être au moins ce qui en tient lieu, le souvenir, l’annonciation de sa venue possible. Ce serait mieux que rien. On pourrait donc finalement donner raison aux thèses de Theodor W. Adorno avec une argumentation «situationniste».

Mais si, du point de vue d’une critique radicale du monde existant (qui trouve nécessairement une de ses racines dans la pensée de Debord) il semble possible — du fait de l’évolution historique, et faute de mieux — d’admettre à nouveau la possibilité d’un art contemporain en général, cela ne signifie pas forcément faire l’éloge de cet «art contemporain», c’est-à-dire de la production artistique qui a effectivement eu lieu après 1975. La réflexion théorique n’a pas pour tâche de justifier le présent ou de le glorifier — et cela est vrai non seulement pour la politique ou l’économie, mais aussi pour l’art. Avant d’analyser ce que font les artistes d’aujourd’hui (ou ceux que le marché, les médias et les institutions désignent comme tels) il faudrait peut-être poser une question préalable : quelles attentes peut-on formuler légitimement à l’égard de l’art contemporain ?

Bien sûr, certains nieront a priori la pertinence de tout discours sur l’art contemporain fondé sur une théorie sociale. Aujourd’hui, dans la «démocratie plurielle» évoquée onctueusement à longueur de journée, chacun, artiste et public, est libre, dit-on, de faire son choix dans la pluralité des pratiques et d’y effectuer son zapping selon ses envies. Tout jugement de valeur qui se veut objectif, surtout s’il se fonde sur des considérations non strictement internes à l’œuvre, passe alors pour démodé, voire totalitaire.

Il n’y a rien qu’on puisse objecter à cette conception libérale de l’art : chacun est effectivement libre de s’y adonner comme il est libre de manger chez McDonalds, de regarder la télévision, ou de voter aux élections. En revanche, ceux qui ne s’en accommodent pas, ou qui prétendent au moins qu’il devrait être possible d’élaborer quelques critères qui ne soient pas purement subjectifs pour parler des produits culturels et juger de leur importance, seraient peut-être d’accord sur ce point de départ minimal : les productions culturelles font partie de la sphère symbolique, de ces structures avec lesquelles les hommes ont toujours tenté de se représenter et de s’expliquer à eux-mêmes la vie et la société, et parfois aussi de les critiquer. On peut s’interroger alors sur la capacité de l’art contemporain à créer des symboles qui ne seraient pas purement personnels, mais qui correspondraient à un vécu plus large, et sur cette base on pourrait risquer quelques opinions sur les créations d’aujourd’hui.

La question ne doit pas être posée de façon abstraite : il ne s’agit pas de déterminer une essence intemporelle de l’art au-delà de ce que nous venons d’énoncer, mais de parler du hic et nunc. Quels sont les traits essentiels de la vie d’aujourd’hui qui demandent une traduction sur le plan symbolique ? Il ne peut pas s’agir simplement d’injustices, de guerres et de discriminations, parce que celles-ci forment depuis longtemps le tissu de l’existence sociale. Plus spécifiquement, l’époque «contemporaine» se distingue par la prévalence désormais totale de ce phénomène que déjà Karl Marx a appelé le fétichisme de la marchandise. Ce terme indique bien plus qu’une adoration exagérée des marchandises, et il ne se réfère pas non plus à une simple mystification. Dans la société moderne — capitaliste et industrielle — presque toute activité sociale prend la forme d’une marchandise, matérielle ou immatérielle. La valeur de la marchandise est déterminée par le temps de travail nécessaire à sa production. Ce ne sont pas les qualités concrètes des objets qui décident de leur sort, mais la quantité de travail qui leur est incorporée — et celle-ci s’exprime toujours dans une somme d’argent. Les produits de l’homme commencent ainsi à mener une vie autonome, régie par les lois de l’argent et de son accumulation en capital. Le «fétichisme de la marchandise» est à prendre à la lettre : les hommes modernes — tout comme ceux qu’ils nomment les «sauvages» — vénèrent ce qu’ils ont produit eux-mêmes, en attribuant à leurs idoles une vie indépendante et le pouvoir de les gouverner à leur tour. Il ne s’agit pas d’une illusion ou d’une tromperie, mais du mode de fonctionnement réel de la société marchande. Cette logique de la marchandise domine désormais tous les secteurs de la vie, bien au-delà de l’économie (et la théorie du spectacle de Debord en reste une des meilleures descriptions). Parmi les très nombreuses conséquences de cette religion matérialisée, il faut ici mentionner la suivante : en tant que marchandises, tous les objets et tous les actes sont égaux. Ils ne sont rien d’autre que des quantités plus ou moins grandes de travail accumulé, et donc d’argent. C’est le marché qui exécute cette homologation, au-delà des intentions subjectives des acteurs. Le règne de la marchandise est donc terriblement monotone, et il est même sans contenu. Une forme vide et abstraite, toujours la même, une pure quantité sans qualité — l’argent — s’impose peu à peu à la multiplicité infinie et concrète du monde. La marchandise et l’argent sont indifférents au monde qui n’est pour eux qu’un matériel à utiliser. L’existence même d’un monde concret, avec ses lois et ses résistances, est finalement un obstacle pour l’accumulation du capital qui n’a d’autre but que lui-même. Pour transformer chaque somme d’argent en une somme plus grande, le capitalisme consomme le monde entier — sur le plan social, écologique, esthétique, éthique. Derrière la marchandise et son fétichisme se cache une véritable «pulsion de mort», une tendance, inconsciente mais puissante, à l’«anéantissement du monde».

L’équivalent du fétichisme de la marchandise dans la vie psychique individuelle est le narcissisme. Ici, ce terme n’indique pas seulement une adoration de son propre corps, ou de sa propre personne. Il s’agit d’une grave pathologie, bien connue en psychanalyse : une personne adulte conserve la structure psychique des toutes premières années de son enfance où il n’y a pas encore distinction entre le moi et le monde. Tout objet extérieur est vécu par le narcissique comme une projection de son propre moi, et en revanche ce moi reste terriblement pauvre à cause de son incapacité à s’enrichir dans de véritables relations avec des objets extérieurs — en effet, le sujet, pour ce faire, devrait d’abord reconnaître l’autonomie du monde extérieur et sa propre dépendance à son égard. Le narcissique peut apparaître comme une personne «normale» ; en vérité il n’est jamais sorti de la fusion originaire avec le monde environnant et fait tout pour maintenir l’illusion de toute-puissance qui en découle. Cette forme de psychose, rare à l’époque de Freud, est devenue au cours du siècle l’une des affections psychiques principales ; on peut en voir les traces un peu partout. Non par hasard : on y retrouve la même perte du réel, la même absence de monde — d’un monde reconnu dans son autonomie fondamentale — qui caractérise le fétichisme de la marchandise. D’ailleurs, cette dénégation résolue de l’existence d’un monde indépendant de nos actions et de nos désirs a représenté dès le début le centre de la modernité : c’est le programme énoncé par Descartes lorsqu’il découvre dans l’existence de sa propre personne la seule certitude possible.

Or, on peut s’attendre à ce que l’art contemporain, s’il veut être plus qu’une branche de l’industrie culturelle, tienne compte de ce détraquement si grave du rapport entre l’homme et son monde, qui n’est pas un destin métaphysique, mais la conséquence de la logique de la marchandise. George Lukács reprochait déjà à l’art d’avant-garde son «absence de monde» ; aujourd’hui, ce terme prend une signification nouvelle. Il semble alors légitime d’espérer l’apparition d’œuvres qui laissent entrevoir la possibilité d’arrêter la dérive vers l’inhumain et qui sauvegardent l’horizon ultime d’une réconciliation future entre l’homme et le monde, l’homme et la nature, l’homme et la société, et cela sans trahir cette perspective avec la prétention de sa réalisation immédiate ou déjà advenue. On peut discerner une telle orientation vers la réconciliation dans les œuvres — au sens le plus large — qui prêtent une véritable attention à leur matériel, que ce soit la pierre, le tissu, l’environnement, la couleur ou le son. Le monde est plein d’architectes qui ignorent tout des propriétés des matériaux qu’ils emploient (la nouvelle Bibliothèque nationale à Paris en est un cas d’école), de stylistes qui ne savent pas comment tombe un tissu, de peintres qui seraient incapables de dessiner une pomme. C’est la culture du «projet» pour lequel le matériel n’est trop souvent qu’un support inerte que le sujet peut manipuler pour y déposer ces «idées». C’est une forme de narcissisme et de dénégation du monde, ressenti comme trop indocile aux sentiments de toute-puissance du consommateur. Explorer les potentialités et les limites du matériel, du son, des mots, et voir où on peut arriver ensemble, au lieu de les plier à sa volonté, constitue ainsi un premier pas vers un rapport moins violent avec le monde, les autres hommes, la nature. Cela n’est pas un plaidoyer pour un art «objectif» ou un refus de l’introspection et de toute œuvre où le sujet s’occupe de lui-même : on peut comprendre, et dire, beaucoup de choses sur le «monde» en regardant à l’intérieur de soi (et on peut aussi parler du monde extérieur sans y trouver en vérité autre [chose] que des reflets de soi-même).

La logique fétichiste traverse la société entière, et aussi chaque individu. Elle ne permet pas de distinguer nettement entre acteurs et victimes, oppresseurs et opprimés, exploiteurs et exploités, bons et méchants. Tout un chacun participe à cette logique (mais pas de la même manière). C’est pourquoi la bonne volonté (par exemple, l’intention de se battre contre les préjugés, ou pour les victimes du Sida) ne suffit pas. Pousser les individus à être un peu plus gentils et conviviaux dans leur vie quotidienne, comme le propose l’«esthétique relationnelle», dégrade l’art en thérapie contre la froideur du monde. S’il veut briser la dureté des individus fétichistes et narcissiques, l’art lui-même doit être dur et difficile. Cela ne veut pas dire volontairement cryptique, mais exigeant. Cet art doit heurter — non des conventions morales déjà complètement ébranlées, mais l’entêtement des êtres humains dans leur existence empirique, leur pétrification dans les catégories courantes (ce qui aujourd’hui n’exclut pas la liquéfaction la plus extrême). Idéalement, ce ne sont pas les œuvres qui doivent plaire aux hommes, mais les hommes qui devraient tenter de suffire aux œuvres. Il ne revient pas au spectateur/consommateur de choisir son œuvre, mais à l’œuvre de choisir son public, en déterminant qui est digne d’elle. Ce n’est pas à nous de juger Beethoven ou Malevitch ; ce sont eux qui nous jugent et qui jugent de notre faculté de jugement. L’art, s’il ne veut pas participer à la marche de ce monde, doit s’abstenir de venir à la rencontre des «gens», faciliter leur vie, rendre la société plus sympathique, être utile, plaire ; il reste plus fidèle à sa vocation lorsqu’il s’oppose à la communication facile et s’efforce de confronter son public avec quelque chose de plus «grand» que lui. Il ne faut pas aimer les hommes, mais ce qui les dévore.

Mais est-ce que ce genre d’œuvres va arriver ? Les signaux ne sont guère encourageants. Il est beaucoup plus facile de dresser un constat du monde actuel que d’indiquer des œuvres qui en rendent vraiment compte, ou seulement de les imaginer concrètement. Encore moins voit-on avancer un courant artistique cohérent capable d’assumer l’état du monde, tel que l’ont fait la peinture abstraite réagissant au devenir-abstrait de la vie sociale au début du XXe siècle, ou le surréalistes, d’un côté, et les constructivistes, de l’autre, en offrant différents instruments pour réagir à l’irruption de la société industrielle dans la vie quotidienne et au «désenchantement du monde».

Il faut cependant poser la question : la situation actuelle de l’art contemporain, maintes fois déplorée, est-elle une simple aberration ? Est-ce la faute des artistes, des musées, des institutions ? Peut-on envisager une correction de la situation ? Une grande conférence de tous les professionnels de l’art qui décident de tout changer dans le monde de l’art ? Y a-t-il des artistes à valoriser qui sont actuellement négligés injustement, mais qui pourraient redresser la barre ? Faut-il refaire les programmes des écoles d’art ? Employer autrement les ressources que l’État alloue à la culture ? Rien n’est moins sûr. Le problème est plus grave. C’est l’état actuel de la société, et l’évolution qui l’a amené, qui rend si difficile toute autre situation de l’art. Le problème est que, depuis que quelque chose comme l’«art» existe — à partir de la Renaissance — jamais son rôle social a été si petit, jamais son existence si marginale, bien qu’on n’ait jamais vu une telle quantité d’artistes et une telle masse d’informations et de connaissances artistiques circuler dans le public, et de queues si longues devant les expositions. Le problème de l’art contemporain est son manque total de poids dans la vie collective, et le plus drôle c’est que ses professionnels s’en accommodent parfaitement — parce que ils n’ont jamais gagné autant. Mais y a-t-il des œuvres qui rendront compte, dans cent ans, de ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui ? Et y a-t-il des gens qui en ressentent la nécessité ?


Texte d’Anselm Jappe, auteur de Guy Debord. Essai, Denoël (2001) et Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël (2003).
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede nargu le Ven 21 Jan 2011 13:40

"Révolte consommée : Le mythe de la contre-culture" de Joseph Heath et Andrew Potter, ça vaut d'être lu ?

Le mythe de l'artiste
http://www.cybermusique - 10 mars 1998

http://pages.infinit.net/musis/2_mythe_arti.html

Le compositeur autrichien de la première moitié du XXe siècle Arnold Schoenberg aurait écrit ceci: «Si c'est de l'art, ce n'est pas pour tous. Si c'est pour tous, ce n'est pas de l'art.» Cet aphorisme décrit explicitement la conception occidentale de l'art: l'Art avec un grand A, que seuls les connaisseurs et esthètes savent reconnaître et apprécier, se distingue des arts dits populaires et folkloriques qui n'existent que pour le bon plaisir du peuple. En musique, ce que les musicologues, philosophes, sociologues et psychologues considèrent sous le terme général de musique fait généralement référence à la «musique classique». Leurs grandes théories sont en fait des théories à propos de ce type particulier de musique.

Cette différentiation dans notre conception actuelle de la musique nourrit trois grands mythes en occident : 1) le mythe de l'art, 2) le mythe de l'artiste et 3) le mythe de la star. Le premier mythe fait référence à l'idéalisation socioculturelle de la musique et, par le fait même, à sa hiérarchisation: l'Art et ce qui n'en est pas (cette situation n'est toutefois pas exclusive à l'occident). Ce mythe présente deux variantes. Premièrement, la musique classique est marginalisée par rapport à toute autre forme de musique. L'art égale musique classique. Deuxièmement, chez monsieur Tout-le-monde, ce mythe prend la forme d'une fierté de faire de l'art, comparativement à ceux qui n'en font point. Le meilleur exemple est la fierté de parents qu'un de leurs enfants apprennent la musique (et surtout la musique classique). Le deuxième mythe fait référence à l'idéalisation et la «marginalisation» de l'artiste face au commun des mortels. Le troisième mythe, pour sa part, fait référence à la suridéalisation de l'artiste, ce qui en fait une figure socioculturelle si forte qu'elle peut influencer les comportements et attitudes mêmes de ses fans. Nous retrouvons ces mythes dans toutes les formes de musique qu'elles soient classiques ou populaires. Dans la présente chronique, je vais m'attarder au mythe de l'artiste, alors que j'aborderai le mythe de la star dans la prochaine.

L'artiste est considéré «distinct» du commun des mortels. Du simple fait qu'il est un artiste, il a toute la latitude pour exprimer des états intérieurs que le non artiste ne peut aucunement. Il a par conséquent une liberté d'expression que les autres n'ont pas. Tout un chacun peut exprimer ses émotions et partager ses idées, mais seulement l'artiste peut les exprimer avec autant de liberté, d'individualité, sans être réprimandé. L'artiste estperçu comme un être marginal, excentrique, extravagant, excessif, déraisonnable et parfois même irrationnel. En fait, ce comportement est encouragé chez l'artiste, surtout sur scène; il sera accepté, mais parfois réprimandé dans les lieux publics. Il sera toutefois sévèrement critiqué chez une personne qui n'est pas considérée comme un artiste. Ce mythe est nourrit par deux types d'individus: 1) ceux qui désirent devenir et qui deviennent des artistes et 2) ceux qui ne le désirent point; mais par leur acceptation tacite de ce mythe le nourrisse et l'entretienne.

Il existe des normes de comportements fort distinctes et pour les artistes et pour ceux qui ne le sont pas, normes qui peuvent varier d'un type de musique à l'autre. Il s'avère que chaque type de musique, que ce soit la musique classique, le rock, le reggae, le rap et autres, a ses normes, son langage, ses comportements et autres qui les différencient. Un musicien classique ne peut se permettre de monter sur scène en jeans et sans cravate ou boucle; il doit démontrer une certaine attitude aristocratique. Par contre, le rocker doit s'habiller en jeans, doit démontrer une attitude «cool» et rebelle. Il en est de même pour leurs fans.

Il semble que l'homme ait besoin de mythes pour donner un sens à sa vie. Les mythologies religieuses, mystiques et autres, que l'on retrouve encore dans plusieurs sociétés non occidentales réfèrent à des personnages historiques décédés qui ont forgé l'histoire d'une société. Par contre, la mythologie occidentale contemporaine, en se sécularisant, se construit sur des personnages vivants ou récemment décédés possédants un certain pouvoir psychosocial. Les meilleurs exemples sont bien sûr les personnages politiques, que ce soit Gandhi, Kennedy, Hitler, Mao Tsé-Tung et bien d'autres. Il y a alors identification avec ce personnage : il représente et véhicule des valeurs, des croyances et un symbolisme social que chacun de nous, individuellement, reconnaissons comme valable et véridique. Plus il y a corrélation entre les valeurs représentant un tel personnage et celles auxquelles nous croyons, plus nous allons apprécier cette personne. C'est cette identification par un large groupe d'individus à l'égard d'un tel personnage qui entretient de tels mythes.

On retrouve tout autant ce type d'identification mythique à l'égard d'artistes, à la différence marquante qu'un très grand nombre d'artistes vivent encore. Ces artistes deviennent des images psychosociales qui définissent une certaine identification psychosociale de ses fans. L'exemple le plus extrême est celui des fans d'Elvis Presley dont le mythe s'est amplifié suite à son décès. Ceux-ci s'identifient si profondément à Presley qu'un très grand nombre s'habille comme lui, incluant plusieurs d'entre eux qui se font faire une chirurgie plastique pour lui ressembler.

L'anthropologie considère que nos valeurs et croyances psychosociales et psychoculturelles sont en grande partie modelées et structurées par les mythes. Chez les Bouddhistes, par exemple, la croyance en la réincarnation modèle considérablement comment la vie et la mort sont perçues : la mort n'est pas une fin. Chez les chrétiens par contre, la croyance contraire modèle cette même perception: la mort est une fin. En acceptant et en considérant véridique et valable un mythe quel qu'il soit, il modèle conséquemment une certaine vision de la vie. Et c'est le cas des fans d'Elvis Presley. Évidemment, c'est un exemple extrême. Mais le point que je désire soulever est qu'en s'identifiant à un artiste, on s'identifie à une image mythique qui modèle une certaine vision de la vie, et bien sûr de la musique.
L'anthropologue Mircea Eliade dans «Aspects du mythe» (Paris, Gallimard, 1963) suggère qu'un des buts premiers du mythe est de transcender la réalité partagée par les membres d'une société. Pour sa part, Roland Barthes dans son livre «Mythologies» (Paris, Seuil, 1957) suggère que le mythe contemporain est un système de communications. Ce qui définit un mythe, ce n'est pas tant le message qu'il véhicule que les intentions qu'il communique et qu'il cherche à faire partager à ceux qui s'y identifient. En ce sens, un mythe ne définit pas la réalité mais lui attribue une signification grâce à laquelle on espère la transcender. Une identification «mythique» à un artiste apporte une sorte de contentement, si ce n'est de gratification et de transcendance. Nous n'apprécierons peu ou pas du tout un artiste qui n'offre rien auquel nous pouvons nous identifier. Plus il y a identification avec un artiste et les valeurs et la symbolique qu'il véhicule, plus il y a gratification, par conséquent, plus il y a une chance d'atteindre une certaine forme de transcendance.


La notion de transcendance en musique n'est pas récente. Les grandes théories philosophiques de la musique cherchent généralement à présenter comment celle-ci peut s'atteindre. Toutefois, étant conçues selon les préceptes occidentaux de la musique classique, on ne tient aucunement en ligne de compte le contexte psychosocial par lequel une musique est appréciée et par lequel cette transcendance est possible. Pour ces philosophes, la transcendance n'est possible qu'avec la musique classique. D'autre part, en psychologie, on propose qu'une écoute transcendante de la musique dépends directement, si ce n'est uniquement, de l'état psychologique dans lequel nous sommes lors de l'écoute et da la satisfaction que la musique entendue réponds à nos attentes. Onignore le fait que chaque type de musique ne s'écoute pas de la même façon que les autres, ainsi qu'avec les mêmes attentes. Par exemple, on ne peut écouter la musique classique avec les mêmes attentes que le rock ou un raga indien ou bien avec le même état d'esprit du fait que le contexte psychosocial qui définit chacun de ces types de musique diffère considérablement. Face à la très grande diversité psychosociale et ethnique des types de musique que nous avons la chance d'écouter aujourd'hui, notre appréciation est tout autant dépendante de ce contexte psychosocial qui définit et encadre tout type de musique. Si nous considérons que le rap ou le rock ne sont que des types de musique qui incitent à la rébellion, nous ne nous identifions aucunement à ces types de musique et, par conséquent, ne les apprécierons aucunement.


Une question se pose: pourquoi l'identification avec des artistes de la scène, et surtout des chanteurs, est beaucoup plus intense qu'avec des peintres, des sculpteurs ou des écrivains, par exemple? Une réponse possible à cette question est la suivante: L'identification aux formes d'art comme la peinture, la sculpture et la littérature, est plus ou moins statique et figée dans le temps. L'oeuvre est détachée et indépendante de celui qui l'apprécie; elle devient un objet distinct tant de son créateur que de celui qui l'apprécie. On s'identifie alors à l'oeuvre pour son esthétisme et pas nécessairement au créateur. En ce qui concerne les arts de la scène, l'identification est principalement avec le créateur et/ou l'interprète qui véhiculent une certain symbolique psychosociale temporelle à la quelle chacun de nous pouvons nous identifier. L'oeuvre se déroule dans le temps; elle nous envahit, nous submerge et ce, grâce à l'artiste. Une telle identification est beaucoup plus poignante et intense. L'artiste réponds à nos attentes, à nos cris et à nos applaudissements, ce qui obligatoirement intensifie et nourrit l'expérience esthétique alors ressentie. Avec les autres formes d'art, il n'y a aucun échange psychosocial avec l'artiste dans un processus temporel de création.

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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Alayn le Ven 21 Jan 2011 23:10

Bonsoir ! Je viens de lire ce "pamphlet", assez intéressant, bien sûr exagéré sur la critique notamment du mouvement hyppie, Woodstock, mais même sur les punks jusqu'au hip-hop pour finir, etc... [le rap semble épargné...]

On nous y explique, en tout début, que Marx avait déjà prévu tout ça... (arf !)... et que si toute cette "contre-culture" l'avait lu, on en serait pas là... [voui... au lieu de se trémousser sur du rock, on danserait sur les Choeurs de l'Armée Rouge ou sur du Yvan Rebroff...]

Bien sûr, certaines critiques sur le mouvement hyppie, les punks, etc... sont assez justes, en relevant quelques points négatifs de ces mouvements mais tout semble fait, dans cet article, pour démonter.
Tout est vu négativement.

Le seul truc qui semble bien vu, c'est le Parti des Blacks Panthers !!!

En fait, on pourrait presque croire que cet article a été écrit d'une datcha communiste, fustigeant principalement la culture populaire anglo-saxonne (même si effectivement, pour une bonne partie, inventée et crée de toutes pièces par l'establishment -industrie du disque, etc...-)

"Who are you ? Hou Hou !Hou Hou !" and "Don't Want To Be Fooled Again":
The WHO.

Salutations Anarchistes !
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede fabou le Ven 21 Jan 2011 23:33

Alayn a écrit:"Who are you ? Hou Hou !Hou Hou !"

Cette musique est le générique d'une série policière américaine, "Les Experts", ou de gentils flics traquent les méchants criminels grace aux "preuves scientifiques" (ADN, empreintes, balistique ...).
fabou
 

Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Alayn le Ven 21 Jan 2011 23:55

Yes et alors ?
Cette musique est celle des WHO !!! (c'est ça qui m'intéresse !)

J'm'en fout des "Experts". Arf !
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede fabou le Sam 22 Jan 2011 00:30

Alayn a écrit:Yes et alors ?
Cette musique est celle des WHO !!! (c'est ça qui m'intéresse !)

Bah à propos des Who (puisque ça t'interresse), sache qu'ils font toutes les musiques (génériques + musiques d'ambiance) de 3 séries policières : "Les Experts", "Les Experts : Miami" et "Les Experts : Manhattan" ...

La "contre-culture" a encore frappé ! :lol:
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede joe dalton le Sam 22 Jan 2011 00:50

fabou89 a écrit:
Alayn a écrit:Yes et alors ?
Cette musique est celle des WHO !!! (c'est ça qui m'intéresse !)

Bah à propos des Who (puisque ça t'interresse), sache qu'ils font toutes les musiques (génériques + musiques d'ambiance) de 3 séries policières : "Les Experts", "Les Experts : Miami" et "Les Experts : Manhattan" ...

La "contre-culture" a encore frappé ! :lol:

arrêté de dire des aneries !
les who ils étaient hyper rebelle !
la preuve il cassaient des guitare a mille euros a chaque concert !
apres ils y a toujours des dénigreurs a 2 balles pour dire que c'est parce qu'ils avaient les moyens de les remplacer facile grace au flouses qu'il tiraient de de leurs rebeletudes , mais moi je dis qu'il y a toujours des gens pour cracher sur les grands héros de la rébellion !
croyez toujours vroum, ce n'est pas un trotskiste !.
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede Alayn le Sam 22 Jan 2011 00:57

fabou89 a écrit:
Alayn a écrit:Yes et alors ?
Cette musique est celle des WHO !!! (c'est ça qui m'intéresse !)

Bah à propos des Who (puisque ça t'interresse), sache qu'ils font toutes les musiques (génériques + musiques d'ambiance) de 3 séries policières : "Les Experts", "Les Experts : Miami" et "Les Experts : Manhattan" ...

La "contre-culture" a encore frappé ! :lol:


Ils ne passent pas vraiment les originaux. C'est mixé. C'est truqué !
La série "Les Experts" a juste acheté aux WHO les droits de diffusion de ces 2 titres et les royalties qui vont avec.

Bien sûr que beaucoup de choses rebelles à la base sont bien trop souvent récupérées ensuite par le Système.
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Re: Contre-culture et Capitalisme : une brochure de La Sulfateus

Messagede nargu le Sam 22 Jan 2011 01:02

A MORT L’ARTISTE
http://infokiosques.net/spip.php?article273

extrait du livre La fête est finie. http://lafeteestfinie.free.fr

" J’aurais voulu être un artiste
Pour avoir le monde à refaire
Pour pouvoir être un anarchiste
Et vivre comme un millionnaire
Et vivre comme un millionnaire
J’aurais voulu être un artiste...
Pour pouvoir dire pourquoi j’existe. "
Le Blues du businessman


Avertissement
L’intention de ce texte est d’annoncer la mort prochaine d’une des figures symboliques de ce vieux monde marchand : l’artiste.
*
Si vous devez savoir qu’une telle annonce nous réjouit particulièrement, nous n’irons pas cependant jusqu’à rire de la mort de l’artiste - quand le rire dans ce siècle se réduit le plus souvent à n’être que l’expression de la résignation -, ce serait encore une façon détournée de sauver le moribond. Non plus nous ne nous permettrons de jouer sur les mots. Encourager la mort de l’artiste et participer à son enterrement est un jeu sérieux qui mérite que nous nous y attardions sans complaisance ni facilité.
*
Nous tenons également à préciser qu’aucune nostalgie ne guide notre propos. Et nous restons indifférents à toute forme de querelles strictement esthétiques - en particulier, celle éternelle opposant anciens et modernes qui sous-tend tout débat sur l’art et la culture et qui participe inévitablement au maintien de l’ordre des choses.
*
C’est bien à l’artiste que nous nous attaquons ici. La question de l’art, moins triviale, n’a que de manière anecdotique à voir avec la question posée par l’existence de l’artiste. N’importe qui dans ce monde du je-m’en-foutisme généralisé vous le confirmera.
Préambule
Pour les sept siècles qui viennent de s’écouler laborieusement, ce qu’on appelle l’histoire de l’art n’a été essentiellement que l’histoire de l’artiste. L’art s’est confondu dans l’illusion économique d’un monde immuable et sans fin, ne trouvant plus de signification ni d’intérêt que comme reflet de " l’esprit " de l’artiste. Or, sans ne vouloir froisser personne en particulier, il faut ici rappeler que cette individualité singulière que représente l’artiste est un mythe de la modernité : personnage unique et séparé, spécialisé et voué à son art " corps et âme ", se croyant de tout temps et de toute éternité. Les évolutions et les innovations esthétiques de ces derniers siècles doivent par conséquent être perçues, avant toute autre considération, comme un facteur de consolidation du mythe de l’artiste. Ce mythe réside dans l’idée de vocation qui, si elle n’est pas une caractéristique propre à l’artiste, fait spécifiquement de ce dernier un être spirituel idéalisé, accompli dans le monde capitaliste du règne de la marchandise et de l’accumulation illimitée. La vocation dans son sens mondain, a permis un rapport individuel de soumission au monde. C’est ce qui explique en partie la transformation de l’artisan en artiste, quand le travail artistique devient progressivement un devoir d’accomplissement (non plus seulement pour Dieu mais pour la société, pour l’homme) et un but en soi. Par conséquent, nous pouvons dire sans trembler que l’artiste est à la fois produit et agent du monde capitaliste et libéral.
Son faux ennemi.
Pourtant, ce renversement qui, du culte momentané voué à l’art bascule rapidement à partir du XVe siècle vers le culte de l’artiste, marque à la fois le triomphe et la dissolution inéluctable de cette figure moderne. L’artiste aura fini par se croire œuvre. Il ne se réduit aujourd’hui qu’à une idée, une belle idée immortelle qu’il se fait de lui, guettant la postérité d’un air faussement désintéressé. Condamné à ne vivre que dans la représentation, l’artiste se suffit désormais à lui-même. Il est son propre but qu’il poursuit sans fin, malgré toutes les justifications hasardeuses et souvent hors de propos qu’il avance pour se sauver du néant. En ne travaillant qu’à sa conservation, il participe, qu’il le veuille ou non, à la conservation de ce monde.
L’artiste n’est pas une personne digne de confiance. Il est à l’image de la société marchande : une imposture.
La vie d’artiste
La construction de ce personnage prétentieux, narcissique, ridicule et parfois talentueux que représente l’artiste est relativement récente. On peut sans trop se tromper la faire commencer en Europe à la fin de l’époque féodale. Autour des XIIIe-XIVe siècles, une catégorie d’artisans - parmi laquelle on retrouve principalement des peintres enlumineurs, des sculpteurs et des architectes - tend à vouloir se démarquer et à se séparer des autres corporations d’artisans, considérant que leur activité manuelle mérite une attention particulière, supérieure. En Italie, certains déjà se distinguent par leur travail. Ils en viennent à s’enrichir et à "se faire un nom" [1].
C’est à partir de la Renaissance que les puissants accordent à quelques-uns de ces artisans de l’image une place d’exception. Ceux-ci se voient dès lors invités à la table des grands, prenant goût au luxe et rompant progressivement avec la populace. Leur ambition se précise en même temps que leur prestige s’accroît. Se dessinent à l’époque les prémices de l’individualité artistique. Aspirant à faire leur place aux côtés des arts dits " libéraux ", une minorité choisie de ces habiles techniciens s’érige progressivement en personnes d’esprit, se séparant progressivement des préoccupations et des intérêts du bas monde. Ceux qui se croient alors touchés par le génie artistique ont désormais la fâcheuse tendance à se prendre pour des demi-dieux [2].Ils ne sont déjà plus des hommes comme les autres.
La vie d’artiste peut commencer.
*
En Europe, jusqu’à la fin du Moyen Age, les plus doués de ces artisans étaient traditionnellement employés par les autorités religieuses et politiques. Or, dès le XIVe siècle, la haute bourgeoisie des riches marchands et banquiers, de plus en plus influente, dans une rivalité de prestige avec les princes et pour conforter son image, se met en tête d’aimer la peinture [3], articipant ainsi à l’épanouissement de cette forme d’art jusque-là quelque peu méprisée. Dans son évolution complexe que nous simplifions ici avec la plus grande rigueur, cette figure moderne qu’est l’artiste doit évidemment beaucoup à l’Eglise catholique, de la Renaissance à la Contre-Réforme. Il est redevable à l’Etat monarchique de sa prestigieuse reconnaissance sociale, avec l’institutionnalisation au XVIIe siècle des académies, symboles de l’élitisme intellectuel. Mais l’accomplissement de sa vie d’artiste, il la doit surtout à la bourgeoisie et à l’Etat moderne qui resteront jusqu’à aujourd’hui ses principaux mécènes et clients. Si à la fin du XVIIIe siècle l’artiste ne se prend plus pour Dieu, il se conforte dans son sentiment d’être " hors du commun ", mettant en avant son Moi créateur séparé du réel et de ses basses besognes. " Artiste " devient un concept sacré qu’il est désormais suspect de remettre en question.
Qu’il le veuille ou non, l’artiste incarne une forme particulière de l’individualisme libéral et bourgeois. C’est au XIXe siècle que cet idéaliste parvient à ses fins, non sans difficulté, en imposant l’idée de l’autonomie du champ artistique, achevant de faire de l’art une activité spécialisée n’ayant plus aucun lien avec la réalité. L’artiste s’illusionne d’être enfin un individu libre sous prétexte qu’il serait désormais libre de créer. L’autonomie de l’art fera croire à l’autonomie de l’artiste, quand la célèbre formule " l’art pour l’art " cache en réalité celle beaucoup plus concrète de " l’artiste pour l’artiste ". C’est pourquoi d’un titre honorifique, le nom de l’artiste pourra progressivement se transformer en une simple marque de fabrique.
La vie d’artiste peut se finir.
*
La chute de l’ancien régime, avec les transformations économiques et sociales qui l’accompagnent, a évidemment eu un impact non négligeable sur les transformations du statut de l’artiste, c’est-à-dire sur la place que la société hiérarchisée nouvelle lui confère. Si la société bourgeoise entérine l’artiste comme figure élitiste inscrite et reconnue dans l’organisation sociale, la fin des ateliers et des corporations ainsi que l’augmentation incessante du nombre d’artistes amènent paradoxalement à fragiliser économiquement la place de l’artiste. Il devient de plus en plus difficile pour lui de trouver aide et mécénat. S’il parvient enfin à la reconnaissance et au prestige intellectuels, il fait mine de redécouvrir les lois de la survie.
Pourtant, avec le triomphe de l’ordre bourgeois, les conditions nécessaires à la pseudo émancipation de l’artiste sont enfin réunies. La bourgeoisie offre à l’artiste l’illusion de son autonomie individuelle. Le libéralisme lui concède un terrain où il pourra dès lors en toute " liberté " se consacrer à l’expression de sa sensibilité, à l’affirmation de sa personnalité et, comble du bonheur, continuer à en faire son métier. L’artiste se croit enfin libre de créer, en toute indépendance, affranchi de toutes contraintes, éloigné de la fureur du monde. Les écoles et mouvements artistiques (picturaux, littéraires, etc.) qui travaillent à rompre et à dépasser les conventions et les normes esthétiques se multiplient. Dans cette euphorie artistique qui éclate à partir du milieu du XIXe siècle, l’artiste se construit un champ d’activité qu’il croit sans limite [4].
L’artiste refusant de suivre les canons esthétiques imposés par l’Etat ira parfois jusqu’à déclarer impudemment n’obéir et ne devoir plus rien à personne. Il se met à l’époque à ressembler à un enfant gâté, capricieux et ingrat envers le bourgeois qui le fait vivre - quand il est lui-même le plus souvent issu de la bourgeoisie. Par ailleurs, inquiété par les tumultes politiques et économiques de l’époque, l’artiste aura tendance à se réfugier dans la nostalgie du confort que l’ordre ancien lui offrait. C’est pourquoi il pourra garder pendant quelque temps une posture périmée ou fausse, s’apparentant soit à celle de l’aristocrate - le modèle fantasmé de cet homme d’ancien régime vivant dans un arrière-monde dont il se croit être l’avant-garde - soit à celle de la bohème - mode de vie consistant pendant un temps à jouer au pauvre, au marginal en se croyant un génie inspiré et doué d’un don dont Dieu seul sait de qui il le reçoit. Il aurait été tentant à l’époque de présenter l’artiste comme quelqu’un de foncièrement réactionnaire [5] si nous n’avions pas vu au XXe siècle avec quelle facilité il s’était définitivement soumis, sans trop broncher, au monde de la marchandise et à l’Etat démocratique.
*
L’artiste ne s’est jamais vraiment interrogé sur la signification de cette liberté que lui octroyait la bourgeoisie - liberté qui, réduite à celle de l’esprit, n’est toutefois que l’illusion de la liberté. L’artiste, malgré les apparences, acceptera d’autant plus ce monde qu’il prétendra échapper aux contraintes et aux impératifs de la domination marchande. Répétons-le : l’artiste n’est pas un homme comme les autres. Il est cet individu qui croit incarner l’homme. Le mariage de la médiocrité et de l’arrogance. C’est pourquoi il se persuadera représenter dans la société - qui elle-même lui renvoie cette image - le travailleur le moins aliéné, sous prétexte que son ouvrage fait partie intégrante de sa vie, que son travail porte en soi sa propre satisfaction et que son œuvre sera toujours attachée à son nom... : cet idéaliste qu’est l’artiste se pose en modèle de l’homme émancipé, en modèle de l’homme libre tel que le conçoit l’individualisme libéral et bourgeois. On mesurera très tôt dans la réalité l’absurdité d’une telle position : alors que son travail artistique bénéficie d’une liberté toujours plus grande et qu’il refuse de plus en plus d’obéir aux contraintes et aux exigences de ses commanditaires, l’incompréhension entre l’artiste et ses clients s’accentue ; leurs goûts inévitablement coïncident de moins en moins. Ce constat, pourtant simple et évident, restera toujours trop prosaïque aux yeux de l’artiste pour que celui-ci ne l’entende pas autrement que comme une injure à sa condition. Cet ambitieux souhaite tirer tous les avantages du monde moderne (l’argent, le confort, la reconnaissance et la distinction sociale, etc.) sans en subir les inconvénients (l’obéissance aux impératifs marchands et l’acceptation du contrôle social total). C’est de cette contradiction - inhérente à sa condition d’artiste - que va notamment naître le concept romantique et fantasmé de l’artiste " maudit ", " incompris ", dont la portée symbolique permettra un temps de renforcer le mythe de l’artiste en lui donnant l’impression de s’éloigner et de se séparer davantage du reste du monde. Or, s’il fallait encore le rappeler, l’artiste n’est " maudit " ou " incompris " que dans la mesure où il ne trouve personne à qui vendre ses œuvres. L’artiste maudit - qui n’est qu’une fiction de l’individualisme artistique [6] - ne s’est pas construit sur un refus et une critique radicale de l’ordre bourgeois, comme on aurait généralement tendance à le penser, mais plutôt sur un profond ressentiment à l’encontre d’un ordre social peu reconnaissant. Ce manque de reconnaissance - qui n’existe pourtant qu’aux yeux de l’artiste - lui fait prendre conscience que son existence et son travail n’ont de sens que dans la servilité et la soumission au pouvoir. Et voilà que l’artiste prend l’air désemparé : on le voit tantôt tourmenté, passionné, parfois proche de la folie, ne sachant plus ce qu’il veut ni qui il est, tantôt névrosé, mégalomane... Ce spectacle romantique, l’artiste le joue assez bien à la fin du XIXe siècle. Mais le ressentiment n’a qu’un temps. Dans les premières décennies du XXe siècle, l’artiste se retrouve devant un choix assez simple qu’il se doit d’affronter : assumer sa condition d’artiste et se soumettre ou rompre définitivement avec la vie d’artiste. L’artiste évidemment fera le premier choix sans hésiter trop longtemps, obstiné qu’il est à vouloir exister, sans raison précise.
L’artiste est une marchandise
Nous l’avons vu, historiquement, la construction de l’individualisme artistique est concomitante de l’affirmation de l’individualisme bourgeois [7]. Aujourd’hui, l’artiste est achevé. Plus rien ne le sépare fondamentalement du bourgeois contemporain et de ses aspirations : comme le jeune cadre dynamique, convaincu d’exercer une activité " stimulante ", l’artiste veut " réussir ", par tous les moyens. Il ne peut plus désormais se passer du bourgeois qui ne peut plus se passer de l’artiste. L’un ne va désormais plus sans l’autre. L’artiste devient le reflet du bourgeois, son image renversée et sa fausse bonne conscience. Sa garantie morale. Ce n’est pas par exemple un hasard si nous avons tout oublié de la majorité des artistes officiels et bourgeois du XIXe siècle pour ne retenir officiellement de cette époque qu’une grosse poignée de marginaux et d’" avant-gardistes " qui s’avançaient souvent, en apparence et de manière contradictoire, dans une attitude de refus de la réalité bourgeoise. C’est la preuve qu’à l’époque déjà peu de chose séparait réellement l’idéal artistique de l’idéal bourgeois. Le XXe siècle ne sera pour l’essentiel qu’une succession interminable d’avant-gardisme et de surenchère dans la nouveauté pour tenter de vivifier et de distraire le vieux monde marchand.
Si par hasard à notre époque l’artiste apparaît encore en " contestataire ", il s’enferme inévitablement dans la représentation du refus et de la critique plutôt que dans le refus en acte du monde de la marchandise [8]. L’artiste, en raison de sa position sociale, est incapable de remettre en question le monde dont il est issu et qui le légitime. Il peut très bien de temps à autre choquer et scandaliser le bourgeois, toujours dans une certaine limite indépassable. Ça ne mange pas de pain. D’ailleurs, en tant que catégorie sociale reconnue notamment pour son " droit " à la subversion et à la transgression, l’artiste reste le meilleur agent de la neutralisation de la critique et de son recyclage esthétique [9].
L’artiste est désormais totalement intégré au système de domination capitaliste - c’est la raison pour laquelle l’artiste représentatif de notre époque n’est autre que le publicitaire. Si jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’artiste a eu pour fonction principale de permettre à l’art de trouver sa place dans l’économie de marché (en donnant à croire que la réalité de ce monde ne se réduisait pas simplement à la marchandise), il a par la suite pu se consacrer entièrement à la production de marchandises artistiques dès lors que le capitalisme fit de la culture, au sens moderne et restreint, un secteur d’activité économique puissant. " La production de masse exige l’éducation des masses ; celles-ci doivent apprendre à se conduire comme des êtres humains... Ceux-ci doivent apprendre non seulement à écrire et à compter, mais à se cultiver [10]". Cette déclaration, en 1919, d’un riche propriétaire d’un grand magasin de Boston résume assez bien le rôle que le capitalisme confère dès la fin de la Première Guerre mondiale à cette prétendue " culture ", cette farce dans laquelle l’artiste joue complaisamment un des rôles principaux. L’instrumentalisation de la culture, dont le premier objectif fut d’éduquer les foules à la consommation de masse, l’a transformé logiquement, surtout après la Seconde Guerre mondiale, en un vaste et abondant secteur de production et d’accumulation infinies d’images et de désirs. Le spectacle mégalomane de Lille2004 en est aujourd’hui une brillante illustration, quand la culture se révèle être un moyen fort profitable pour vendre une ville. Nous serions ici tentés de crier au loup en traitant l’artiste de vendu si une telle insulte n’était pas en définitif pléonastique. L’artiste fait son boulot.
Aujourd’hui, il est un modèle de travailleur, passionné par son métier [11] : créatif, flexible, capable de s’adapter et de se renouveler en permanence face aux rythmes imposés par le marché de l’offre et de la demande culturelles illimitées [12]. Il est perçu le plus souvent comme " jeune, technologique et citoyen ", et de gauche évidemment. Son ralliement à l’idéologie progressiste du " peuple de gauche ", à partir de la fin du XIXe siècle, s’explique surtout en raison du rapport paradoxal et schizophrène qu’il a longtemps entretenu avec la bourgeoisie (rejet du monde bourgeois et de ses valeurs combiné à une volonté d’être reconnu par lui). Ce progressisme s’exprimera dans le monde spécialisé de l’art au XXe siècle à travers le phénomène des avant-gardes qui s’étaient donné pour principal objectif de " faire avancer " l’art...
Mais si à notre époque l’artiste est devenu un modèle de travailleur citoyen qui a pu inspirer de nouvelles formes de gestion du capital, ce processus a permis dans un même temps d’affermir son sentiment de supériorité. Et puisqu’il représente effectivement une forme élitiste de l’activité créatrice autonome et individuelle, il participe logiquement à la légitimation du système hiérarchique moderne de domination. L’artiste prétend - et c’est l’image que la société lui renvoie - ne pas être véritablement un travailleur comme les autres. Il se situe au-dessus de la foule des autres travailleurs en produisant des objets qui autorisent " l’esprit " à s’élever loin des velléités consommatrices du bas monde vulgaire. L’artiste, distingué, porte en lui ce quelque chose que " les autres ", que nous les gueux n’avons pas : une sensibilité, une façon de voir et d’interroger le monde... Parfois il pourra dire, avec une modestie qui déguise une réelle mauvaise foi, que son travail consiste juste à vendre du rêve - alors qu’on sait très bien que la fourniture du rêve est aujourd’hui une des fonctions de base de toute marchandise - ou à nous rendre service en nous divertissant - alors que la fonction principale du divertissement dans ce monde consiste d’abord à rendre le désert et l’ennui plus supportables, plus acceptables, plus " cool ".
Le récent " combat " des artistes intermittents du spectacle est ici éloquent, quand leurs revendications de fonctionnaires ratés se réduisent à vouloir continuer à travailler en toute sécurité subventionnée. Se présentant comme des victimes de la marchandisation de la culture, ils en sont pourtant à la fois le résultat et un des principaux acteurs. Ces artistes qui travaillent dans l’industrie du spectacle culturel, employés pour la plupart par l’industrie audiovisuelle et le spectacle dit " vivant ", se considèrent comme des travailleurs particuliers que l’Etat doit privilégier. Sous le fallacieux prétexte de " l’exception culturelle " de défense de la culture (qui n’est en réalité que la défense de leur culture), ils exigent de la part de l’Etat une protection économique alors même qu’ils ne seraient pas tous rentables [13]. Au nom de l’art et de la création - en attendant qu’ils se lèvent au nom de l’humanité, du bien et de la civilisation - ces pauvres artistes veulent échapper, dans une certaine mesure raisonnable et négociée, aux lois de la domination marchande, afin de travailler librement à la production infinie de marchandises culturelles, participant ainsi à la consolidation du compromis social. Le combat de ces idéalistes précaires a eu au moins le mérite de décrédibiliser définitivement une forme inachevée [14] de l’artiste aux yeux de tous ceux et de toutes celles pour qui les rapports économiques et sociaux sont d’abord des rapports d’exploitation et de domination. Leur lutte - qui indiffère forcément la plupart des gens [15] - rentre parfaitement dans celle plus large des citoyennistes altermondialistes qui n’attendent qu’une chose : qu’on les autorise à participer équitablement à la gestion du vieux monde à l’agonie. Les artistes intermittents sont en quelque sorte des poujadistes de la culture... pour la défense du petit commerce artistique. Il n’y a donc aucune raison de les plaindre. Dans son monde, l’artiste vit dans la dénégation de la conflictualité des rapports sociaux. Le monde de l’artiste est un monde pacifié... C’est là encore un intérêt pour le bon fonctionnement de l’économie. On notera par exemple que l’artiste pauvre n’entretient aucun grief vis-à-vis de l’artiste riche. Au fond, l’artiste pauvre jalouse l’artiste riche. Il accusera plus volontiers le public lorsque celui-ci n’aura pas daigné consommer le fruit de son travail. Ce qui finalement énerve l’artiste intermittent qui dénonce et attaque un spectacle tel que Star Academy, ce n’est pas tant les conditions de travail des techniciens intermittents qui y sont employés, mais plutôt le fait que ce spectacle soit regardé par des millions de personnes. Dénoncer la dimension purement commerciale et le succès de ce genre de marchandise télévisuelle illustre bien le niveau de naïveté, d’hypocrisie ou de prétention - au choix - que peut atteindre l’artiste.
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Se dire artiste aujourd’hui c’est une manière très branchée de se résigner à accepter - et donc à défendre - le monde marchand et à en être, sous couvert de "reconnaissance", son esclave le plus docile ; un VRP de la non-vie et de l’ennui. L’extension du terme " artiste " à une multitude d’activités - comédiens, musiciens, chanteurs, comiques, danseurs, cinéastes, photographes, designers, stylistes, etc. - est une expression de l’acceptation toujours plus grande des valeurs bourgeoises. Si cette dissolution du mot " artiste " participe à le déprécier, elle n’implique pas pour autant sa fin. Le galvaudage du mot " artiste " ne signifie pas la mort de l’artiste, bien au contraire. Si l’artiste doit mourir, c’est parce que nous avons décidé de l’annoncer ici et maintenant. Parce que nous savons très bien que tout a une fin.
Collectif
[1] Cf. l’exemple célèbre et emblématique de l’"embourgeoisement" du peintre italien Giotto.
[2] Dès 1435, Alberti annonçait à l’aube de la Renaissance dans son traité De la peinture que l’artiste de génie, "peignant ou sculptant des êtres vivants, se distinguait comme un autre Dieu parmi les mortels [...]. Les artistes consommés, lorsqu’ils voient leurs oeuvres admirées, comprennent qu’ils sont presque égaux à un dieu".
[3] A cette époque, la peinture (sur panneau puis sur toile) a pour ces bourgeois le meilleur rapport " qualité / prix " sur le marché. Les tapisseries, les œuvres d’orfèvrerie et les manuscrits sont restés le privilège de la Noblesse qui seule avait les moyens de se les payer.
[4] Cette prétention artistique s’explique en grande partie par l’institutionnalisation de l’enseignement artistique qui se renforce à l’époque. L’artiste tel que nous le concevons aujourd’hui s’est construit en opposition au conformisme officiel. La figure de l’artiste indépendant, solitaire, voire " rebelle " n’existe que par rapport à l’artiste à la mode, officiel, " bourgeois ", et vice versa. C’est d’ailleurs cette légitimation mutuelle qui amène ces deux figures de l’artiste à renforcer leur propre sentiment de supériorité.
[5] En raison d’une part de sa croyance en un mythique "âge d’or" de l’artiste et d’autre part de son pseudo mépris aristocratique des valeurs bourgeoises.
[6] Dans le sens où l’artiste maudit joue son propre rôle social en s’auto-parodiant jusqu’à l’absurde. En réalité, l’artiste maudit n’existe pas. Seul existe le pauvre artiste.
[7] Quand nous entendons par "individualisme bourgeois" l’idéologie de la domination de l’Homme sur l’individu.
[8] Les exemples abondent. Probablement le plus ridicule aujourd’hui est celui des squats d’artistes. Très médiatisés et superficiels, ils n’aspirent qu’au confort. Sans vouloir être grossier, on peut dire que les squats d’artistes ne sont rien d’autre que des squats bourgeois.
[9] L’exemple situationniste est ici symptomatique. Une des limites de cette "avant-garde" fut d’être restée prisonnière du mythe de l’artiste. Ce n’était pas tant le "dépassement de l’art" - concept qui, pour être resté assez confus, n’a bien évidemment jamais pu se concrétiser - que le dépassement de l’artiste qu’il fallait chercher. Les membres de l’IS, et Debord en particulier, n’ont jamais vraiment su, ou voulu, rompre avec cette (im)posture artistique. C’est ce qui explique pourquoi aujourd’hui tant de gens pensent que l’Internationale situationniste est avant tout le nom d’un mouvement artistique. L’IS a eu autant d’influence dans les milieux gauchistes que dans ceux du marketing et du crétinisme mondain, c’est bien connu. Et on ne retient le plus souvent de ce groupe subversif que son style.
[10] Cité in La culture du narcissisme de Christopher Lasch.
[11] Mais dans sa fausse pudeur, l’artiste préférera aux termes de "clientèle" et de "consommateurs" ceux plus nobles de "public" et de "spectateurs".
[12] Cf. par exemple Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur : "Les artistes, aux côtés des scientifiques et des ingénieurs passent pour le noyau dur d’une "classe créative" ou d’un groupe social avancé, les "manipulateurs de symboles", avant-garde de la transformation des emplois hautement qualifiés. [...] Dans les représentations actuelles, l’artiste voisine avec une incarnation possible du travailleur du futur, avec la figure du professionnel inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrinsèquement motivé, pris dans une économie de l’incertain, et plus exposé aux risques de concurrence interindividuelle et aux nouvelles insécurités des trajectoires professionnelles [...]."
[13] Il est évident qu’il existe sur le marché plus d’intermittents que ce que l’économie culturelle a effectivement besoin. C’est le caractère flexible de ce genre d’emploi qui permet l’existence d’une armée de réserve afin d’une part d’en tirer le plus de profit et d’autre part d’en faire des travailleurs disciplinés. Cf. l’étude de Pierre-Michel Menger déjà citée.
[14] "Inachevé" puisque n’acceptant pas toutes les règles du jeu marchand. C’est le propre de l’artiste pauvre.
[15] A l’exception peut-être des lecteurs et lectrices assidus de Télérama ou des Inrockuptibles, ces torche-culs culturels de gauche.
"Si alayn a été insultant, c'est parce que des gens le cherchaient" (wayra warmi, admin sur ce forum).

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