Toujours a Mathausen , organisation d'un réseau pour sortir des clichés clandestins , très bien résumé dans le texte ci dessous
Pourquoi tant de photos à Mauthausen et comment ont-elles été partiellement préservées ?
Un service spécialisé, l’Erkennungsdienst (service de l’identification photographique), y avait été créé, comme dans les autres camps, chargé de photographier chaque déporté à son arrivée – sous trois angles (de face, de demi-profil, de profil), avec son numéro en évidence sur une pancarte tenue devant la poitrine – ainsi qu’à son décès, mais aussi les visites officielles, les photos d’identité des personnels SS. À ces tâches se sont vite ajoutés des clichés de la vie quotidienne du camp, le développement des pellicules personnelles des SS du camp… Chaque photo était tirée à cinq exemplaires, au format 13 cm x 18 cm. Une épreuve était conservée sur place, les quatre autres envoyées aux quartiers généraux SS de Berlin, Oranienburg (siège de l’Office central de l’administration et de l’économie SS, incluant la gestion de l’ensemble des camps), Vienne et Linz. Les photos des visites officielles étaient très prisées des SS du camp et donnaient lieu à de multiples retirages et agrandissements.
L’Erkennungsdienst était dirigé, au moment des visites de Himmler de 1941, par l’adjudant SS, Friedrich Kornacz, seul autorisé à prendre les photos, remplacé peu après par l’adjudant-chef SS, Paul Ricken. Avec pour adjoint le sergent SS Hermann Peter Schinlauer. Six déportés travaillaient au labo photo sous leurs ordres en mai 1941 : un socialiste autrichien, Hans, était le Kapo, secrétaire du service et responsable de la transmission des tirages à l’administration SS. Un jeune républicain espagnol, Antonio García Alonso, fait prisonnier sous l’uniforme français en juin 1940, sur la ligne Maginot, et transféré début avril 1941 d’un Stalag autrichien à Mauthausen en même temps que 300 autres Espagnols, travaillait depuis début mai au labo photo : c’est lui qui était exclusivement chargé du développement des pellicules en chambre noire, tout en supervisant les tirages et les agrandissements. Stefan Grabowski, le « Polonais rouge », qui avait combattu en Espagne dans les Brigades internationales, gérait les planches-contacts ; Miroslav Lastowka, un autre Polonais, s’occupait des retouches ; Johann Gralinski aidait le Kapo dans le travail documentaire (légendes des photos, classement et rangement des négatifs) ; enfin un autre Espagnol, Ruiz, veillait à la propreté des lieux.
García s’est vite rendu compte que Grabowski, responsable avant son arrivée du développement, tirait clandestinement un sixième exemplaire de certaines photos et cachait cette collection dans le labo. Il continua lui-même ce travail qui, découvert, leur aurait valu une mort atroce, et a probablement mis de côté quelques clichés de la visite de Himmler du 31 mai. Fin 1942, García demanda un assistant, étant donné la surcharge de travail due aux arrivées massives de déportés, et proposa à Paul Ricken un nom, choisi en fait par les dirigeants clandestins à Mauthausen du parti communiste espagnol : un autre Catalan, Francesc Boix Campo, appelé couramment Francisco Boix, lui aussi combattant dans l’armée française et prisonnier de guerre, transféré comme García en tant que prisonnier politique à Mauthausen, un camp non géré par l’armée allemande – une double violation de la convention de Genève. Plus tard, en 1944, arriva dans le service photo un dernier Espagnol : José Cereceda.
La sortie des photos hors du camp
Trois déportés étaient au courant de la collection secrète : Grabowski, mort fin 1944, García et Boix. Très malade, García fut hospitalisé au Revier (hôpital) de février à mars 1945. À son retour, la collection, d’environ 200 clichés, avait disparu de sa cachette. Boix, devenu dans l’intervalle Kapo du labo (mais il le nia au procès de Nuremberg), finit par dire à García l’avoir remise aux dirigeants communistes clandestins, qui l’avaient dispersée et camouflée dans le camp. Après le suicide de Hitler le 30 avril, annoncé à la radio le lendemain, le commandant de Mauthausen ordonna à Paul Ricken de détruire l’ensemble des négatifs et des photos de l’Erkennungsdienst, pour effacer les traces de l’esclavage et de la barbarie à l’œuvre dans le camp. García et Boix réussirent alors à soustraire encore des négatifs et des photos.
L’organisation clandestine espagnole avait, quelques semaines avant, décidé de faire sortir du camp les clichés cachés depuis quatre ans, grâce à deux jeunes communistes catalans, Jacinto Cortés et Jesús Grau, qui portaient chaque jour ses repas à un Kommando d’Espagnols travaillant au village de Mauthausen. Ils avaient sympathisé au fil des mois avec Anna Pointner, une habitante voisine du chantier, qui accepta de dissimuler les photos dans une lézarde du mur de son jardin. Et le 5 mai, donc, le camp fut libéré.
Boix, apparemment, récupéra le lot de clichés et l’emporta en France où il travailla pour la presse communiste : le 1er juillet, l’hebdomadaire Regards publia 21 des photographies ; le 1er août, le quotidien Ce soir leur consacra un numéro spécial. En 1946, Boix s’attribua le mérite d'avoir sauvé 20 000 photos… Mais « sa » collection fut éclatée : García récupéra certains tirages, Boix en vendit à des agences de presse, notamment tchèques, avant sa mort survenue en 1951, à l'âge de 31 ans, de tuberculose – il est enterré au cimetière parisien de Thiais. Boix devint ensuite un héros porté par la mémoire du Parti communiste espagnol, clandestin sous Franco, et du PCF. García, lui, soupçonné de sympathies trotskystes, n’a pas bénéficié de la même valorisation. L’historien américain David Wingeate Pike, qui a très longuement interviewé García, décédé en 2000, a réhabilité aujourd’hui son rôle dans la soustraction et le sauvetage des photos.
Des photos SS présentées comme preuves aux procès de Nuremberg et Dachau
Francisco Boix fut le seul Espagnol appelé à témoigner devant le tribunal militaire international de Nuremberg, les 28 – le même jour que Marie-Claude Vaillant-Couturier – et 29 janvier 1946. Six photos apportées par Boix furent projetées devant le tribunal et versées au dossier des preuves. Dans sa déposition, il certifia, par le biais des photos développées et tirées à l’Erkennungsdienst, la présence de Kaltenbrunner (en compagnie de Himmler) et de Speer (en mars 1943) lors de visites officielles de Mauthausen ou de l’annexe de Gusen – alors que les deux accusés niaient connaître le camp. C’était là la raison d’être de la comparution de Boix, cité comme témoin de l’accusation par Charles Dubost, procureur adjoint de la délégation française.
C’est à Dachau qu’eut lieu, du 7 mars au 13 mai 1946, le procès de 61 responsables, médecins, gardes et Kapos du camp de Mauthausen. Ils furent jugés par un tribunal militaire américain, bien que Mauthausen fît partie de la zone d’occupation soviétique : c’était en effet l’armée américaine qui avait libéré le camp. Francisco Boix témoigna de nouveau, le 11 mai, et fournit 30 photographies qui furent versées au dossier d’accusation comme preuves. Tous les accusés plaidèrent non coupables ; tous furent jugés coupables de violation des lois de la guerre et de la convention de Genève, 58 étant condamnés à mort (mais 9 virent leur sentence commuée en prison à vie) et 3 à la prison à vie. 49 furent donc pendus les 27 et 28 mai 1947, à la prison de Landsberg, dont August Eigruber, le Gauleiter de la Haute-Autriche, qui accompagnait Himmler lors de ses visites du camp en avril-mai 1941. Paul Ricken, de son côté, qui dirigea l’Erkennungsdienst de mi-1941 à début 1944, puis fin avril-début mai 1945, fut condamné à la prison à vie le 23 juillet 1947, sur la base de faux témoignages de Kapos. On le libéra en novembre 1954.