vroum a écrit:Le Monde libertaire dénigré : des ravages médiatiques sur l’égocentrisme d’un esprit autrefois salutaire
in Le Monde libertaire n°1666 (29 mars-4 avril 2012) : http://www.monde-libertaire.fr/vie-du-journal/15521-le-monde-libertaire-denigre-des-ravages-mediatiques-sur-legocentrisme-dun-esprit-autrefois-salutaire
Après la publication de l’article (ou droit de réponse) de Lou Marin au sujet du dernier livre de Michel Onfray, le Comité de rédaction du Monde libertaire ne souhaitait pas poursuivre la polémique, jugeant qu’il y avait une actualité plus importante à traiter. Toutefois, les récentes déclarations télévisées du « dernier nouveau philosophe » à propos de notre hebdomadaire ne peuvent nous laisser indifférents. C’est pourquoi nous publions l’article ci-dessous, de notre camarade Marc Silberstein, ancien mandaté au Comité de rédaction du Monde libertaire.
Le CRML
Samedi 17 mars, dans l’émission « On n’est pas couché », sur France 2, déversoir de toutes les rengaines pseudo-intellectuelles du moment, dérisoire cénacle composé de propagandistes de cour ou d’histrions épatant la galerie, de journaleux dégoulinants de morgue, de savants factices, voire frauduleux, d’essayistes à la mode, de politicards en mission, ou de punching-balls offerts aux ego carnassiers de ceux qui ont le pouvoir de dire ce qui est bien et ce qui mal (en politique, en littérature, en musique, en sciences, en économie, en droit du travail, que sais-je encore), samedi soir donc, deux auteurs promus par les médias audiovisuels étaient invités pour offrir au peuple les fruits incomparables de leurs cogitations : le raciste et phallocrate Éric Zemmour, pour le recueil de ses chroniques matinales sur RTL, et Michel Onfray, pour sa biographie d’Albert Camus.
L’homme tout de noir vêtu allait rentrer dans le chou de l’homme au verbe haineux et rance, espéré-je. Ça va saigner, anticipé-je avec entrain. Zemmour qui pense que les dealers sont nécessairement noirs ou arabes, qui est passé devant un tribunal pour de tels propos, qui accompagne l’aile droite de l’UMP pour la conseiller, lui qui encore récemment, dans une de ses chroniques quotidiennes sur RTL, affirme avec jubilation et un aplomb sans bornes que l’abolition du mot « race » dans la Constitution est une idiotie 1. Lui encore qui s’inquiète que les femmes osent sortir de leur cuisine et s’indigne que des parents puissent s’abaisser à affubler leurs enfants de prénoms métèques. Eh bien, gourmandé-je, ce Zemmour-là – ce Maurras de sous-préfecture –, Onfray va lui apprendre ce que veut dire philosopher « anarchistement », il va le ridiculiser, ce petit contremaître de la rectitude de la France éternelle…
Il n’en fut rien. La télévision posséderait-elle inéluctablement cette propriété émolliente qui rend docile tout vendeur de livres, incapable même d’un affrontement à fleurets mouchetés ? Pas un mot pour signifier un antagonisme radical, les regards complaisants et les sourires affables de gens de lettres tenant salon télévisuel, de courtois « Michel » de la part de Zemmour qui, lui non plus, n’eut pas un mot agressif à l’encontre d’Onfray (pourtant censé représenter à peu près tout ce qu’il exècre), allant même jusqu’à fréquemment dodeliner du chef pour montrer son approbation du récit de la vie de Camus brossé par Onfray, lequel, tapant à bras raccourcis sur les cocos 2 et BHL, ne peut que réjouir Zemmour. Et Onfray de rendre hommage à son alter ego (je cite – l’émission est visible sur Dailymotion, ces propos sont vérifiables) : « Moi, j’aime bien l’homme parce que c’est un homme libre. […] C’est un homme sans catéchisme. […] Je ne souscris pas à tout, bien sûr. […] Si on est sincère, on est obligé de le dire : c’est un homme libre, et les paroles libres, elles sont rares. […] Il ne méprise pas les gens [sic !!!], il a des arguments 3 […], si on n’est pas d’accord, il est courtois, il est poli […], il a de la culture, il a du savoir, des lettres, il connaît bien l’histoire 4 et c’est intéressant de débattre avec lui. » Ah oui, c’est vrai, dans la conception la plus benoîte (faussement benoîte ? benoîte 16 ?) de la praxis libertaire, on trouve en son noyau cette douteuse vénération de la liberté. En son nom, que de conneries proférées… Mais, me rétorquera-t-on, ce n’est pas si important tout cela : certes, la bienséance a primé la virulence militante, certes il s’agit là de quelques accommodements avec nos idées-forces, mais du moment que les idées passent (à savoir : Camus), tout va bien, braves gens. Pour une fois qu’on entend le mot « libertaire » à la télé (« anarchi(sm)e » restant, lui, systématiquement assimilé à la violence, au désordre, aux émeutes), pour une fois qu’on le voit incarné par un auteur à succès, devant des centaines de milliers de spectateurs, quelle promotion pour nos idées et notre lutte, mon bon monsieur.
Cependant, la gêne ressentie s’amplifie quand l’histoire que je rapporte ici se termine de la sorte, quand ces deux hommes « libres », en ce sens si mondain du terme, se rencontrent et se savourent l’un l’autre, et que, paradoxe des paradoxes, ce n’est pas le plumitif du Figaro Magazine qui agresse Le Monde libertaire, mais le chevalier noir de « l’ordre libertaire ». En marge de cet étrange ballet de pions télévisuels, surgit, inattendu, le mot de trop de la part d’Onfray, le coup de Jarnac, la lame rouillée et émoussée pour faire mal. La victime de son ressentiment : Le Monde libertaire ! La phrase est rapide, au fil d’une longue et détaillée réprobation du sartrisme français ; elle est incompréhensible pour toutes les personnes présentes sur le plateau et sans doute pour la plupart des téléspectateurs ; toutefois, elle est sciemment prononcée, à dessein, dût-elle n’avoir pour seule finalité que le plaisir égotique de son auteur. L’attaque contre le sartrisme, ridicule protubérance sur la face de l’intelligentsia française, et contre ses porte-parole, au premier rang desquels BHL, est cinglante, roborative même, en un temps d’atonie et de conformisme philosophiques. Elle est juste et justifiée. Onfray fait alors son travail de philosophe critique. Puis vient le moment fatal : « Libé et Le Monde sont sartiens. Le Monde libertaire est sartrien. » Quelques mots rapides, mais que je perçois bien évidemment avec une particulière acuité. Pas d’explication, pas de justification. Si être sartrien, c’est être hostile à Camus – il faut bien évidemment l’entendre ainsi dans ce contexte –, alors par quelle opération bourbeuse de l’esprit en vient-on à qualifier ainsi notre journal ? Ici, l’absurde le dispute au malveillant. Un peu comme dans le cas des politiciens qu’Onfray adore avant de les conspuer, au gré de ses erratiques inclinations.
Le Monde libertaire est-il exempt de défauts ? Bien sûr que non. Est-il interdit de le critiquer ? Bien sûr que non. Personnellement, je ne m’en prive pas, in petto ou avec quelques amis de la Fédération anarchiste. Par exemple, ces analyses qui n’en sont pas et qui enquillent rituellement slogans éculés ou vaines incantations, on connaît ; ça m’ennuie, j’en bâille… et parfois je fulmine. Mais être critique de sa propre activité, c’est ce qu’on doit faire quand on apprécie un outil de propagande comme l’est Le Monde libertaire et qu’on souhaite qu’il s’améliore grâce aux efforts de tous, surtout quand au fil des ans on y a consacré des centaines d’heures de travail. Mais Onfray n’en a cure, en mettant dans le même sac d’une part des journaux nantis de rédactions fortes de centaines de professionnels, financés par des industriels, distillant une information généralement au service des pouvoirs et, d’autre part, notre hebdomadaire si évidemment en tous points aux antipodes de ces publications. Un article récent du Monde libertaire (n° 1658) est probablement la cause de cette vengeance de bas étage, un article reprochant aux 600 pages du livre qu’Onfray consacre à Camus des « oublis », des dissimulations de sources et de travaux antérieurs, un article faisant le constat nécessairement amer qu’Onfray occulte tout un pan de l’historiographie camusienne issue des rangs d’auteurs anarchistes. Alors oui, comme il y a eu crime de lèse-Onfray, il faut bien que celui par qui Camus peut encore donner de la voix en une société où il serait rendu muet par des quarterons de sartriens, y compris dans la presse anarchiste, châtie les manants qui ont osé le sermonner, et c’est ainsi que Le Monde libertaire est devenu un journal sartrien. CQFD.
Vu de cette lucarne, l’anarchisme « à la française » (ou faudrait-il dire le « libertairianisme » ?), serait-ce uniquement cela, de stériles affrontements ornés d’odes aux ancêtres, des anathèmes à peine audibles pour qui n’est pas inscrit dans cette histoire parfois torve, des esquives quasi systématiques face aux enjeux cruciaux de notre temps, en un mot un fantomatique espoir de conserver encore vivace un projet révolutionnaire ?
1. Parmi les obsessions de Zemmour, la race donc, déjà en 2008 : « […] Noirs et Blancs appartiennent à deux races différentes et que cette différence est faite par la couleur de la peau, sans pour autant les hiérarchiser. […] Mélanésiens et Antillais sont de la même race. […] S’il n’y a pas de race, il n’y a pas de métissage. […] À la sacralisation des races, de la période nazie et précédente, a succédé la négation des races. Et c’est d’après moi, aussi ridicule l’une que l’autre » (Arte, émission « Paris/Berlin », 13 novembre 2008). Quant à son billet radiophonique du 12 mars 2012, après des considérations toutes plus crasseuses les unes que les autres, il termine sur ce sophisme : « S’il n’y a plus de races, comment interdire les discriminations selon les races, il n’y aura plus de racistes puisqu’il n’y aura plus de races. Les lois punissant les diffamations raciales, les incitations à la discrimination raciale n’auront plus de fondements juridiques. Du chômage en perspective pour les associations antiracistes. Un drame social de plus… »
2. Le sartrisme, philosophie absconse et inutile, a prospéré notamment aux abords du PCF et dans une partie de l’extrême gauche.
3. Voir note 1.
4. Alors qu’il n’est, pour qui sait voir, que l’expression hautaine et sophistiquée de la « beauferie » ordinaire telle qu’elle se dessine dans l’article de Maurice Rajsfus ci-après.
Marc Silberstein
Onfray déclare également être abonné au Monde Libertaire (à vérifier) mais il considère malgré tout, que les articles
de ce journal ne sont pas dignes d'être lus par des lecteurs de plus de 14 ans !
Reconnaissant des qualités indéniables d'orateur talentueux à Onfray, je ne m'étonne pas que dans son auditoire, certains lui vouent
une certaine admiration voire même une ferveur (pour les fanatiques du culte de la personnalité) et puissent avaler de ce fait des couleuvres,
comme d'autres en ont avalés à une époque déjà lointaine avec Cohn-Bendit.
Béatrice, Radio-Libertaire 107.4MHz dans les Alpes de Haute Provence.
Béatrice a écrit:Après l'heure , c'est plus l'heure ! ( comme qui dirait l'autre )
Que m'étais-je attirée alors ( il y a plus de 5 ans déjà ) les foudres , pour ne pas dire plus , de la part d'un certain microcosme "garant" de la pensée anarchiste !
MDROnfray déclare également être abonné au Monde Libertaire (à vérifier) mais il considère malgré tout, que les articles
de ce journal ne sont pas dignes d'être lus par des lecteurs de plus de 14 ans !
Reconnaissant des qualités indéniables d'orateur talentueux à Onfray, je ne m'étonne pas que dans son auditoire, certains lui vouent
une certaine admiration voire même une ferveur (pour les fanatiques du culte de la personnalité) et puissent avaler de ce fait des couleuvres,
comme d'autres en ont avalés à une époque déjà lointaine avec Cohn-Bendit.
Béatrice, Radio-Libertaire 107.4MHz dans les Alpes de Haute Provence.
anouchka a écrit:encore un exemple de gens nommément cités dans des liens sans aucune réaction des admins cooptés par le proprio pour soi disant "défendre le forum". Une chance que tous les anars n'aient pas tendance (pour se venger) à porter plainte aux autorités étatiques!
(OK exclure les gens pour se venger c'est pas jojo non plus, mais est-ce nécessaire de se mettre au niveau éthique d'un vroum, par exemple?)
makno a écrit::wink:
Onfray un pseudo libertaire(dandy) mangeons a tous les rateliers de la politique politicienne,une vrai girouette dont les interets sont le tiroir caisse et son membrilisme.
Onfray dont la F.a en autre ouvre grandes ses portes(publico,ml ...) sans commentaires !
Vous avez dit anarchisme ?
toma a écrit:Cheïtanov a écrit:Vendre du Onfray c'est comme vendre du Chomsky....
http://infokiosques.net/IMG/pdf/chomsky ... arpage.pdf
(je ne remet pas en cause l'engagement de ton compagnon Anouchka)
Chomsky a le mérite de la constance, et même s'il s'est adoucit avec le temps, il a été le premier à dire certaines choses... Contrairement à Onfray, le nouveau BHL, qui est un nain qui se grandit en montant sur les épaules des grands hommes (formule de Garnier). Après c'est difficile de juger des gens comme Chomsky ou Naomie Klein, les USA n'ont pas la même histoire que nous... en faire des idoles est idiot, mais par opposition, on n'est pas forcé de les enterrer, eux et leurs travaux...
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