Albert Camus, le libertaire

Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede nano le Mer 8 Fév 2012 18:21

Ben sans toi, la croisière FA a été suffisante avec ses capitaines naufrageurs.

"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse." Albert Camus dans NobelPrize.org, paru à Stockholm le 10 décembre 1957

Jean jacques – ex producteur des émissions pour Radio libertaire "Les Partageux de la Commune" et "ni maître ni dieu" censurée pour refus de cautionner les dérives racistes, homophobes, sexistes, handiphobes, autoritaires, politiciennes… de mandatés de la FA .
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede doc tutut le Mer 8 Fév 2012 22:07

nano a écrit:Ben sans toi, la croisière FA a été suffisante avec ses capitaines naufrageurs.

"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse." Albert Camus dans NobelPrize.org, paru à Stockholm le 10 décembre 1957

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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede vroum le Mar 14 Fév 2012 10:39

Onfray contre les libertaires : Michel Onfray contre l’historiographie anarchiste dans son livre sur Albert Camus

In Le Monde libertaire # 1658 du 2 au 8 février 2012 : http://www.monde-libertaire.fr/expressions/15326-onfray-contre-les-libertaires-michel-onfray-contre-lhistoriographie-anarchiste-dans-son-livre-sur-albert-camus

Dans son dernier livre, L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Michel Onfray affirme que la « question politique chez Camus avait été peu traitée, et, quand elle l’avait été, mal traitée » (p. 379-380), en visant de la sorte les recherches des anarchistes militants. Il ajoute : « Leur argumentation reste en surface » ! D’après lui, les anarchistes montrent seulement qu’« ici ou là, dans l’œuvre il [Camus] dit du bien de Bakounine », mais il y a, poursuit-il, « le gardien du temple Gaston Leval » (p. 380) qui corrige. La vitupération la plus forte commise par Onfray touche aux actes des Rencontres méditerranéennes Albert Camus en 2008 (Le Don de la liberté. Les relations d’Albert Camus avec les libertaires, Les éditions de La Nuit, 2009), qui contiennent une dizaine d’interventions de haute qualité d’universitaires et de militants du mouvement libertaire. Onfray ne cite à plusieurs reprises (p. 380 et 545) que la contribution sur le « football comme outil d’éducation » à laquelle il « ne peut pas souscrire ».

Il semblerait qu’il n’ait même pas lu le reste du livre. Car lui échappent à l’évidence les relations, précieuses aux yeux de Camus, avec les filières libertaires, que les contributions d’Alessandro Bresolin, Marianne Enckell ou de Charles Jacquier mettent en lumière. Pour donner seulement un exemple : Bresolin a fait des recherches sur la filière italo-américaine de Camus via l’anarchiste non violent Carlo Caffi et via Nicola Chiaromonte, Nancy et Dwight Macdonald, qui l’ont mené à la fondation des Groupes de liaisons internationales (GLI) au cours de son premier voyage aux États-Unis au printemps 1946. La compréhension que Camus a eu de la non-violence d’après-guerre doit beaucoup à l’influence de Caffi. Camus revient en France et écrit aussitôt Ni victimes, ni bourreaux, texte traduit dans la foulée par les Macdonald et qui devient un texte phare pour le jeune étudiant noir Bob Moses, et donc pour le mouvement des étudiants noirs du sud des États-Unis (Moses fut un militant, fondateur du Student Nonviolent Coordinating Committee, le groupe le plus radical au sein du mouvement pour les droits civiques). Chiaromonte et Caffi relient Camus à Ignacio Silone, dont Jean-Paul Samson (rédacteur de la revue Témoins) est le traducteur français. Tous ces liens sont passés sous silence dans le livre d’Onfray.

Mais la méthode d’Onfray devient encore plus contestable, quand (p. 380) il défend Camus contre l’interprétation social-démocrate habituelle avec les Lettres sur la révolte de mai 1952 qu’il cite du tome III de la nouvelle Pléiade. En fait, c’est le texte de Camus qui est paru pour la première fois sous le titre « Réponse à Gaston Leval » dans l’hebdomadaire Le libertaire, numéro 318 du 5 juin 1952 et intégré, en 1953, à Actuelles II sous le titre « Révolte et romantisme », texte repris ultérieurement dans la Pléiade. C’est exactement le même texte dans lequel Camus écrit : « Bakounine est vivant en moi », que les libertaires ont toujours mis en évidence bien avant Onfray ! Mais, pour lui, c’est un sujet « mal traité » par les anarchistes, qui restent « en surface », en constatant qu’« ici ou là » Camus dit « du bien de Bakounine ». Cependant, dès que lui-même s’y réfère, il qualifie ce propos de profond.

Même chose avec le méprisable « gardien du temple Gaston Leval », qui devient tout à coup estimable quand c’est Onfray qui découvre son Manifeste-programme du mouvement socialiste libertaire : « Bien sûr, il faut lire Leval » (p. 514). Même chose avec les articles de Camus dans la revue La Révolution prolétarienne qu’Onfray – lecteur superficiel des revues libertaires –, dans le paragraphe beaucoup trop bref sur Nicolas Lazarevitch, présente comme collaborateur d’une Revue prolétarienne (p. 442) non existante, car il fait une confusion de titres. Et pourtant, les articles de la revue réellement intitulée La Révolution prolétarienne avaient déjà été publiés et analysés à l’issue des recherches de militants du mouvement libertaire, mais Onfray les cite (p. 385-387) comme s’il en était le découvreur. Même chose avec la revue Témoins (p. 389 et 505). Il a un art consommé de se vanter des travaux que d’autres ont conduits avant lui !

Maurice Joyeux, Robert Proix, André Prudhommeaux, Pierre Monatte, Fernando Gomez Pelãez ou bien Jean-Paul Samson – pourtant tous des grands amis anarchistes contemporains de Camus – ne figurent même pas dans ce livre de 600 pages ! Seuls les publications de recherche de Progreso Marin, Teodosio Vertone, les actes du colloque de Lourmarin 2008 et les miens sont cités, mais même ces références sont dépréciées. Les souvenirs de Roger Grenier, le recueil du Groupe Fresnes-Antony, le texte de Sylvain Boulouque sur le syndicalisme révolutionnaire et Camus, et les analyses de Morvan Lebesque, Fabrice Magnone, Christine Fauré, Freddy Gomez, Hélène Rufat ne sont pas pris en considération.

Le rôle de Rirette Maîtrejean

Quant à mes propres recherches dans Albert Camus et les libertaires (1948-1960) (Égrégores éditions – et pas éditions Égrégores comme l’écrit Onfray à tort –, Marseille, 2008), Onfray me reproche d’avoir créé une légende, celle « d’une initiation à l’anarchie d’Albert Camus » par l’anarchiste Rirette Maîtrejean (p. 232), ce qu’il répète dans sa bibliographie (p. 545) en disant cette fois-ci que cette « légende » se trouve chez moi « une fois de plus recyclée ». Donc, on ne sait même pas ce qu’Onfray veut me reprocher : est-ce d’avoir créé une légende ou seulement d’avoir repris ladite « légende » ?

Le rôle de Rirette auprès de Camus avait été tellement négligé dans toutes les études depuis des décennies qu’il importait que je le souligne. J’ai écrit : « C’est Rirette Maîtrejean qui sensibilisa Camus à la pensée libertaire et lui fit découvrir le milieu anarchiste » (Albert Camus et les libertaires, p. 13) et qu’elle l’a « quasiment initié à la tradition libertaire en France » (p. 19). J’avoue que ces mots sont équivoques et si on s’en tenait à ces lignes, j’accepterais la critique d’Onfray. Mais on est loin de cela (d’où le mot « quasiment »). Car dans mon introduction, et précisément entre les pages 13 et 19, j’énumère les influences libertaires dans les années 1930 précédant la rencontre de Camus avec Rirette en 1940 : l’oncle Gustave Acault, la révolte des mineurs asturiens, le milieu espagnol à Oran, les articles sur la Kabylie, le rôle du journal Le Soir républicain et l’influence de Pascal Pia à l’époque (Albert Camus et les libertaires, p. 16-18) – voilà tout ce qu’Onfray me reproche d’avoir oublié (p. 231). Il convient de remarquer encore, pour être plus précis, que ces diverses rencontres ici évoquées ne donnent – à mon avis – pas encore une connaissance cohérente et précise de la pensée et notamment de la genèse de la pensée libertaire de Camus : l’oncle Acault, par exemple, n’est pas seulement décrit comme militant libertaire par le biographe Lottman, mais parallèlement comme maurassien et autoritaire !

D’ailleurs, sur le rôle de la grande anarchiste française Rirette Maîtrejean, j’ajoutais : « Pourtant, il fallut un deuxième événement pour que Camus prenne vraiment connaissance de l’histoire et de la pensée de la tradition libertaire. Cet événement décisif fut, comme nous l’avons déjà dit, sa rencontre avec Rirette Maîtrejean avant, pendant et après l’exode de Paris avec l’équipe des secrétaires, typographes et correcteurs-correctrices du journal bourgeois Paris-Soir » (p. 18-19). Je parle donc explicitement d’un « deuxième événement » ! Pourtant, Onfray minimise la portée de cette rencontre en disant que Rirette aurait déclaré n’avoir eu que des « relations assez lointaines » (p. 232) avec Camus. Mais elle le dit seulement à propos du début de leur rencontre, à Paris. Par la suite, ils sont partis en exode ensemble, dans la même voiture ; ils se sont vu chaque jour pendant trois mois à Clermont-Ferrand, puis encore, mais moins intensément, à Lyon jusqu’à la fin de l’année 1940 ; soit six mois au total ! Et elle en témoigne ouvertement : « Nous étions tout le temps ensemble. » « Il était vraiment exceptionnellement près de nous » (« Albert Camus au marbre », Témoins, n° 23, mai 1960, repris dans Camus et les libertaires, p. 240). Ces deux phrases témoignent à la fois de l’intensité de leur rencontre et de la richesse de leurs échanges. On ne connaît pas d’enregistrement de leurs débats, mais on peut sûrement avancer l’hypothèse qu’une personnalité aussi rayonnante et expérimentée que la sienne au sein du mouvement libertaire depuis fort longtemps lui a certainement beaucoup appris de l’histoire (l’itinéraire de Victor Serge dans les geôles soviétiques, donc une vue beaucoup plus profonde du communisme, par exemple), du milieu et de la pensée libertaires. Rirette avait 53 ans à l’époque, Camus à peine 27.

L’omission de l’impact de Simone Weil sur la pensée libertaire de Camus

Écrivant une vie philosophique d’Albert Camus, on ne peut pas se passer d’analyser d’une manière détaillée et exhaustive l’impact de Simone Weil sur la pensée libertaire de Camus. Ce dernier travaillait, selon Gay-Crosier et Weyhemberg, vers 1948-1949, selon Wernicke dès 1946, en tant que directeur de la publication à l’édition des Écrits historiques et politiques de Simone Weil – qui seront publiés en 1960, après la mort de Camus, dans la collection « Espoir » de Gallimard. En plus, Camus a édité encore sept (!) ouvrages de Simone Weil : de L’Enracinement (1949) en passant par La Condition ouvrière (1951) et Oppression et liberté (1955) jusqu’aux Écrits de Londres (1957) (sur ce travail d’édition de Camus, voir la nouvelle Pléiade, tome III, p. 1411). Donc, tout au long de son travail chez Gallimard, les écrits de Simone Weil étaient une source d’inspiration fondamentale à laquelle Camus s’abreuvait pour nourrir les débats avec les libertaires. En particulier celui sur les effets néfastes de la violence révolutionnaire en pleine guerre espagnole. Or Onfray cite le nom de Weil trois fois sur l’ensemble de ses 600 pages, mais toujours comme si cela n’était qu’anecdotique.

Pourtant Camus en est venu à bien comprendre l’importance et la valeur de la pensée de Proudhon par exemple en lisant Weil – et pas à travers Claude de Fréminville avant 1935, car cette lecture de Proudhon ne les avait pas empêchés d’adhérer au PC. Roger Quillot écrit dans son texte « Simone Weil et Camus » (dans l’ancienne édition de la Pléiade de 1965, tome II, p. 1699) : « La sympathie qu’il portait à Simone Weil et à son œuvre a sans doute contribué à rapprocher Camus des milieux syndicalistes révolutionnaires où elle avait longtemps évolué et où il retrouvait la même flamme intransigeante » – rapprochement qui a déjà commencé lors de la rencontre avec Rirette Maîtrejean. L’œuvre de Simone Weil était pour Camus la solution au problème immense de la relation théorie-pratique. Il l’admirait profondément parce que elle a tout sacrifié de sa vie personnelle pour la lutte du mouvement libertaire, chose dont Camus ne s’est jamais senti capable. Il éprouvait pour cela un sentiment d’humilité devant elle comme devant les luttes des mouvements libertaires en général. Et notamment la lutte espagnole qui lui tenait à cœur, si bien qu’il a mis de côté ses différends avec Breton afin de le convaincre de participer aux campagnes libertaires pour des prisonniers de Franco, et cela en pleine polémique sur L’Homme révolté (Freddy Gomez, dans Camus et les libertaires, p. 334-336). On doit en conclure que le mouvement libertaire était beaucoup plus important pour Camus que ses prises des positions personnelles – contrairement à Onfray !

En réduisant le rôle de Rirette Maîtrejean et en omettant complètement le rôle de la philosophe anarcho-syndicaliste Simone Weil, Onfray a commis deux graves erreurs qui invalident son livre. Onfray écrase toutes les autres influences philosophiques de Camus sous le rouleau compresseur d’un nietzschéisme omniprésent. De plus, il se prive de cette occasion de mettre en avant le fait que ce sont deux femmes qui ont exercé les influences les plus déterminantes sur Camus dans son choix libertaire et ainsi de démentir l’idée propagée par Simone de Beauvoir et d’autres que Camus n’écoutait ni ne prenait au sérieux les propos politiques et les textes écrits par des femmes, en ne voyant en elles que de possibles objets sexuels.

Un intellectuel qui veut se désolidariser du mouvement libertaire

Le mépris exprimé devant les recherches des militants libertaires atteint la caricature, quand Onfray procède dans sa bibliographie (p. 544-545) au décompte des pages que ceux-ci auraient consacrées et publiées sur Camus libertaire. Il n’a pas seulement oublié les textes d’au moins huit (!) auteurs libertaires (voir ci-dessus), mais fait un comptage ridicule des pages de petites brochures anarchistes pour pouvoir qualifier les recherches anarchistes d’« étiques » (p. 544), c’est-à-dire maigres, en regard de ses 600 pages (auxquelles je lui suggère d’en soustraire au moins une cinquantaine vouées à des leçons inutiles sur Nietzsche qui fut, je lui rappelle, grand admirateur de Napoléon, son vrai « surhomme »). En plus, il cesse d’indiquer le nombre de pages dès qu’il nomme les grands livres d’historiographie venant de militants libertaires, dont les actes du colloque de Lourmarin et le mien rassemblant les textes de Camus dans des journaux libertaires, les réponses des libertaires et deux textes d’analyse, l’un de Freddy Gomez et l’autre de moi. Je ne vais pas jusqu’à indiquer le nombre de pages de mon livre en allemand sur Camus et l’anarchisme, que j’ai publié en 1998. Depuis quand compte-t-on la quantité des pages et ne prend-on pas en compte la qualité de la recherche ?

Pire, Onfray, semble-t-il, ne sait pas vraiment compter ! À la page 117 de son livre, on peut lire : « L’adhésion d’Albert Camus au Parti communiste français entre août-septembre 1935 et la même période en 1937 mérite un examen. Douze mois de militantisme au sein du PC, voilà qui étonne... » et qui devrait surtout étonner un Onfray qui dit que Camus, à ce moment-là, donc, de longues années avant sa rencontre avec Rirette Maîtrejean, était déjà complètement pénétré de la pensée libertaire – « au moins dix ans avant » (p. 545) selon Onfray ! Erreur de calcul : ce n’est pas durant douze mois que Camus est resté au PC, car de 35 à 37 cela atteint vingt-quatre mois d’adhésion ! Freud, l’ami d’Onfray, pourrait nous éclairer sur cette erreur de calcul !

Un nietzschéisme et un hédonisme pur et dur ne font pas un anarchisme, pas encore. Onfray défend bec et ongle son Nietzsche contre une interprétation national-socialiste allemande – voilà une maladie habituelle des philosophes français bien symptomatique de l’ignorance de la masse de critiques de la pensée de Nietzsche parue en Allemagne depuis bien longtemps (je lui conseillerais de commencer avec Bernhard Taureck : Nietzsche und der Faschismus – Nietzsche et le fascisme –, Hambourg, 1989, par exemple !). Le Camus libertaire fraternisant avec le milieu libertaire des années 1950 était à la fois un Camus avec une éthique ou une morale révolutionnaire (c’est cela, donner des limites ou une mesure à la violence, même révolutionnaire). Onfray ne nie pas cela, mais selon lui on a un Camus libertaire nietzschéen dans les années 1930 devenu un Camus libertaire nietzschéen de gauche-éthique (!) dans les années 1950 – alors que je maintiens que l’on n’a pas du tout encore un Camus libertaire cohérent dans les années 1930 puis un Camus éthique et social parce que libertaire et proche du mouvement anarchiste après la Deuxième Guerre mondiale seulement.

En effet, s’il avait été un anarchiste convaincu, il eût été assez clairvoyant pour ne pas devenir membre du PC de 35 à 37, époque où se tinrent à Moscou des procès staliniens parmi les plus terrifiants – rapport qu’Onfray n’établit pas. Or cette adhésion montre bien que Camus n’était pas encore assez sensibilisé à la pensée libertaire pour évaluer la portée politique des procès tenus à Moscou et résister aux pressions qui l’ont poussé à y adhérer – à l’inverse d’une Simone Weil clairvoyante. Camus, après la rencontre avec Rirette et l’expérience qu’elle lui a communiquée des campagnes pour libérer Victor Serge des geôles soviétiques, devient un tout autre personnage qui ne peut plus adhérer au communisme.

Onfray décrit la situation de Camus après sa polémique avec Sartre/Jeanson sur L’Homme révolté en 1952, et prétend que seul René Char a pris sa défense : « On comprend qu’en attaquant tout seul sur autant de fronts, les ralliements soient nuls » (p. 339). C’est faux ! Presque tout le monde libertaire a soutenu Camus. Maurice Joyeux, Pierre Monatte, Jean-Paul Samson, Louis Lecoin et même Georges Fontenis ont élevé la voix. Et surtout les anarchistes espagnols : dans Solidaridad Obrera, Felipe Alaíz publie dix (!) articles entre février et avril 1952 soutenant Camus dont « Un libro sugestivo : L’Homme révolté de Camus » (voir Freddy Gomez, dans Camus et les libertaires, p. 331-332). Hormis quelques rares exceptions, tout le mouvement libertaire a pris fait et cause pour lui, et il le savait. Onfray reproduit la même invective que Jeanson/Sartre – « Vous êtes seul, Camus » –, mais Camus se sentait bien défendu par le mouvement libertaire. C’est exactement à ce moment-là, dans sa « Réponse à Gaston Leval » en mai 1952, que Camus utilise le « nous » dans son article au Libertaire. Le « nous » est un aveu clair qu’un Onfray néglige sciemment, peut-être parce que ce « nous » dément toute sa théorie d’un Camus libertaire dans les années 1930. C’est en prononçant ce « nous » lui-même en 1952 que Camus se lie et s’allie par cette seule personne plurielle aux journaux des libertaires.

Onfray semble ignorer les propres propos de Camus et ne se prive pas de vilipender les chercheurs venant du mouvement par de basses attaques telles que : « L’historiographie anarchiste dominante considère que la publication d’un article dans une revue anarchiste, estampillée comme telle, fait la loi » (p. 233). Non, ce n’est pas la loi, mais cela n’en a pas moins de sens et dévoile beaucoup plus qu’Onfray ne consent à admettre.

Et, soit dit en passant, il a manqué de se saisir d’une autre opportunité, celle de préciser qu’on chercherait en vain dans la presse libertaire française des articles de Sartre.

Nietzschéen et hédoniste à l’excès, Onfray veut donner l’impression qu’il a tout découvert.

Il prend ses distances à l’égard du mouvement libertaire et de son historiographie et dévalorise toutes leurs publications, tel un petit concurrent dans une compétition ! Il se désolidarise volontiers de ceux qui luttent encore aujourd’hui pour la révolution sociale et concrète et qui, ainsi, font en sorte que les espérances de Camus d’un socialisme libertaire deviennent enfin réalité. Onfray espère-t-il changer la société ou n’aspire-t-il qu’à une gloire médiatique au sein de la société capitaliste ?

Ainsi, il se situe aux antipodes de Camus, qui se considérait si chaleureusement accueilli au sein du mouvement libertaire, au point de se sentir chez lui parmi nous. Camus fut un intellectuel qui s’est montré humble devant ceux qui luttent, et a voulu rester à leur service en étant solidaire pour « rendre plus efficace cette pensée » (Camus dans Le Libertaire, n° 318, 5 juin 1952).

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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede nano le Mer 15 Fév 2012 12:22

Je peux ressortir quelques échanges de mels de la liste interne de la FA sur Saint Joseph Onfray et sa page dans le ML sans contradiction, Onfray aussi largement invité, sans doute comme charpentier, par Philippe, alors secrétaire mandaté par la FA, idem pour 2008 et la position de quelques abrutis de la FA qui allait dans le sens de la récup panthéonesque de Sarko.
Comme par exempe ce mel du 2 janvier 2008:
"... - Obtenir l'accord d'Onfray, qui peut ne pas avoir apprécié nos critiques sur ses prises de position, mais je pense que c'est possible malgré tout...
...
- En tout état de cause, nous n'avons pas vu d'autre moyen d'avoir une affluence suffisante à cette manif, et si nous devions ne pas avoir Onfray, nous avons estimé qu'elle n'aurait pas d'autre retentissement que celui que mériterait la centaine de nos militants qui aurait fait le déplacement.
Le mieux est de perdre le moins de temps possible, priorité absolue, contacter Onfray.
..."

En termes élégants, cela s'appelle baisser son froc, ou abdiquer ses idées pour du fric.

La FA se résume tout simplement à l'aune de ses mandatés: c’est l'ouvrier partant chier résumé dans « Philanthropie de l’ouvrier charpentier » fameuse émission ( http://lille.indymedia.org/article18321.html ) de Philippe, régulièrement mandaté par le congrès souverain de la FA.
La FA n’est qu’une orga accompagnant le pouvoir, pour preuve, et ce n’est pas une analyse, elle vire par l’entremise du larbin Vroum, les clairvoyants et les anarchistes.
C'est ça la règle de l'unanimité à la FA.

Le secrétaire aux relations extérieures, par honnêteté intelelctuelle, devrait demander à Indymedia de modifier ses conclusions:
"Une organisation ou ces mandats sont en très petit nombre, et donc absolument pas anodins. Une organisation dont les membres ne peuvent se réfugier derrière « la trahison du mandaté », dans la mesure, ou il s’agit de mandats directs et révocables à tout moment, si besoin est, et selon un mécanisme qui peut être demandé par tout adhérent"

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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede anouchka le Mer 15 Fév 2012 19:35

http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=14&t=5756&st=0&sk=t&sd=a&start=1640#p123010

parce que ce qu'il cherche à occulter par toutes les magouilles possibles c'est ça:

Re: RADIO LIBERTAIRE: "LA VOIX DE SES MAÎTRES"

Messagede anouchka le Jeu 8 Déc 2011 10:58
pour moi le sujet essentiel de ce topic c'est le risque d'alliances (même informelles) entre anarchistes et fachos racistes, et c'est un risque bien réel depuis quelques années.
ces tentations n'existent pas que dans les milieux libertaires malheureusement, j'en ai déjà discuté avec des gens de diverses orgas "de gauche" et assos qui m'ont cité des dérives similaires.
personnellement je situerais le début de ce virage après les attentats de 2001 (même si je pense que le racisme a toujours été présent, de façon plus ou moins larvée). le battage médiatique qui a suivi ces attentats était particulièrement efficace et a eu de nombreuses répercussions délétères sur les esprits fragiles.
le fait est qu'en 1996, par exemple, les manifs de soutien aux sans papiers rassemblaient des dizaines de milliers de personnes. aujourd'hui, cinq mille, c'est un maximum, et à Paris il n'y en a quasiment plus. les soutiens actifs aux collectifs de sans papiers se comptent sur les doigts de la main. et quand on essaie de sensibiliser la population, par exemple en diffusant des tracts sur le sujet, on obtient souvent cette réponse: "ce sont des musulmans, ils veulent nous imposer leur culture, si on en dégage un maximum ça fera toujours ça de moins qui cherchera à nous envahir et nous dominer".
:peur:
dans les milieux libertaires (et d'extrême gauche) c'est plus subtil en général (quoique j'ai déjà entendu cet argument de la part de gens qui se disaient anarchistes...): si on est obsédé par les musulmans c'est au nom de la laïcité, de l'antisexisme (alors qu'ils expriment leur haine, leur peur des femmes et même des gamines voilées, qui pourtant dans cette logique devraient être considérées comme victimes de ce sexisme - voir ce qui s'est dit dans l'émission qui a invité Riposte laïque).
évidemment on va jurer que cette obsession ne concerne pas les arabes en général mais uniquement les musulmans.
sauf que la plupart du temps (dans cette émission en particulier) on constate un glissement à peine conscient de "musulman" à "arabe".
les arabes même athées sont tous des musulmans potentiels, les musulmans sont tous des islamistes intégristes militants (prêts à prendre le pouvoir en France pour y imposer la charia...) potentiels.
ce prétendu danger, vécu comme le plus grand danger actuel pour "les libertés" en général par certains individus, les conduit à accepter toutes les alliances pour faire front contre "l'ennemi commun".

en 2004 j'avais déjà constaté ce phénomène (y compris dans le milieu libertaire) et je développais ce triste constat dans un article du Monde libertaire:

http://fa-ivry.forlogaj.tk/article84/

cet animateur ne s'est pas contenté d'inviter une fois Riposte laïque dans son émission, d'approuver et même de surenchérir aux propos tenus.
je ne lui reproche pas de ne pas avoir fait un minimum d'enquête au sujet de ses invités (il ne répond, ses amis présents sur le forum ne répondent qu'à ce sujet, savait-il ou non qui ils étaient quand il les a invités?), nul n'est à l'abri d'une négligence.
les questions qui ont été posées, dans ce topic, dans un autre topic à l'époque, mais aussi sur de nombreux sites anarchistes et antiracistes, et dernièrement dans la revue Sans patrie ni frontières, concernaient uniquement les propos tenus pendant l'émission, par les invités, mais aussi par les animateurs.
si vous écoutez cette émission vous comprendrez que ces propos sont... difficiles à justifier, même pour un as de la rhétorique.

(je n'ai mis que des faits avec preuves irréfutables à l'appui, tels que les liens pour écouter cette émission):

viewtopic.php?f=14&t=5756&st=0&sk=t&sd=a&start=440#p107544

cet animateur ayant commis quelques autres "faux pas" dans cette direction (alliances douteuses au nom de "la lutte contre la religion musulmane"), il importe de ne pas banaliser, minimiser ce genre "d'écart", bref, de rester le plus vigilant possible, pour éviter de glisser de plus en plus vite sur cette pente dangereuse sans même s'en rendre compte (effet "grenouille ébouillantée"...)

viewtopic.php?f=14&t=5756&st=0&sk=t&sd=a&start=1300#p119663

bref quant à moi, je ne trouve pas que le véritable sujet du topic (propagande raciste - Radio libertaire ce n'est pas qu'une affaire interne!, alliance noirs-bruns en milieu anarchiste...) soit un sujet dépourvu d'intérêt.

pour faire le lien avec Jean-Jacques, le fait est qu'il demandait des explications au sujet de cette émission quand le secrétariat a supprimé les siennes: on peut constater également que les secrétaires n'avaient même pas réussi à se mettre d'accord sur les raisons de cette suppression...
mais ça ne constitue pas une preuve irréfutable qu'il y ait eu un lien de cause à effet.
Dernière édition par anouchka le Jeu 16 Aoû 2012 18:51, édité 1 fois.
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede vroum le Mer 15 Fév 2012 20:54

c'est quoi le rapport de ces deux derniers messages avec le sujet du topic ?

Vous êtes tellement narcissiques qu'il faut vous lire dans tous les topics du forum quitte a copier-coller des dizaines de fois le même message être complètement hors-sujet, ce doit être ce qu'on appelle le trollage...
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vroum
 
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede nano le Jeu 16 Fév 2012 11:36

Nous sommes en plein dans le sujet.
Quelques mandatés de la FA et leurs sbires sont prêts à tout pour remplir une salle, vendre un canard, augmenter l’indice d’écoute d’une radio…

C’est malhonnête de planter Lou Marin, Briganti, et combien d’autres.
Comme c’est dégueulasse de signer avec le blog de Chronique Hebdo émission animée par un groupe que Vroum a exclu de la FA en invoquant des « fuites » soupçonnées suite au piratage d’une ordi par modération d'un nom par vroum (ce type qui invite et surenchérit sur des propos racistes)
Si vraiment ces « abrutis » de la FA défendaient une autre cause que leur pouvoir minable sur un troupeau de moutons affiliés, ils présenteraient des dossiers suivis comme par exemple les courbettes à un Onfray qui actuellement dégueule sur Camus qu’il n’a pas pu connaître dans son institution Saint Joseph de Caen, idem pour Briganti qui perd sa crédibilité en venant cartonner Dieudonné sur RL alors que Dieudonné nous a été imposé par modération d'un nom par vroum alors mandaté par le congrès souverain de la FA et qu’à ce jour, pas plus pour Dieudonné que pour Riposte laïque, la FA ne s’est fendue d’aucune mise au point précise qui aurait permis une analyse en profondeur du fonctionnement unanimitaire de la FA à moins qu’il soit systématiquement dévoyé à la FA pour entretenir les pathologies perverses et dérives sectaires et prouver, à l’instar des libéraux et autres bourgeois, que l’anarchie ne conduit qu’au « bordel ».

Une organisation ou ces mandats sont en très petit nombre, et donc absolument pas anodins. Une organisation dont les membres ne peuvent se réfugier derrière « la trahison du mandaté », dans la mesure, ou il s’agit de mandats directs et révocables à tout moment, si besoin est, et selon un mécanisme qui peut être demandé par tout adhérent ( http://lille.indymedia.org/article18321.html)


Jean jacques – ex producteur des émissions pour Radio libertaire "Les Partageux de la Commune" et "ni maître ni dieu" censurée pour refus de cautionner les dérives racistes, homophobes, sexistes, handiphobes, autoritaires, politiciennes… de mandatés de la FA.
Communiqué lu avant l’émission pendant 4 semaines:
http://orailec.free.fr/Rlib/Ni_maitre_ni_dieu_27_03_2011_a.mp3
nano
 
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede vroum le Mar 25 Juin 2013 21:26

Rencontre avec Catherine Camus, fille d'Albert Camus

http://www.cesar.fr/catherine-camus-317-2013

« Même ma mort me sera disputée. Et pourtant, ce que je désire de plus profond aujourd’hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j’aime. »

Albert Camus


Pas de manifestation officielle, pas de partage culturel national autour du Centenaire d’Albert Camus (1913-1960), l’auteur de L’Etranger, Le Mythe de Sisyphe ou d’Actuelles, dont l’œuvre est traduite en soixante langues. Mais aux quatre coins de la France et de par le monde, une myriade d’initiatives. On dira que cela correspond mieux à l’esprit libertaire de Camus, mais quand même. D’autant que la grande exposition prévue par Marseille-Provence Capitale européenne de la Culture a avorté.

Il était donc l’heure d’aller rencontrer celle qui, avec pudeur et humilité, s’occupe de la vie des œuvres de son père. Catherine Camus a accepté de nous recevoir dans la fameuse maison de Lourmarin, celle que les habitants du cru refusent de vous indiquer afin de la protéger des indiscrets. Extraits d’une très longue conversation ponctuée de beaucoup de rires.

Deux mots sur ce lieu. Votre père qui fréquentait René Char à l’Isle sur Sorgues a acheté cette maison et en a fait la surprise à sa famille ?
Il l’a trouvée en septembre 1958. Il nous a amenés ici. Je me souviens d’un jour de septembre brumeux, très doux, et de la grande rue de Lourmarin qui était paysan à l’époque. Il a demandé si l’on regretterait la mer. Mon frère a dit non, moi j’ai dit oui. Puis il a acheté la maison et l’a entièrement arrangée avant de nous faire venir. Il y avait tout, rideaux, lits, draps, tasses, assiettes, meubles.
Il avait tout conçu avec des artisans et des brocanteurs. C’était un cadeau magnifique, irréel pour nous qui avions été élevés sans superflu.

Qu’est-ce qui lui plaisait dans cette maison ?
Elle possède une vue magnifique. On y ressent un sentiment de respiration, de beauté. Et pour lui, la mer était derrière les montagnes et, derrière la mer, il y avait l’Algérie.

Lorsqu’on évoque Albert Camus, il y a le mythe. Mais pour vous, il y a le père. Comment le décrire ?
C’était quelqu’un de rassurant. De juste. De sévère. D’éthique. Et de tendre.

Des tonalités que l’on retrouve dans ses écrits si l’on estime qu’Albert Camus, ça grandit le lecteur, ça apaise, ça suscite des interrogations ?
En effet, ce n’est pas lui qui répond à votre place. Mon père nous posait des questions. Il nous mettait devant qui on était, ce qu’on avait fait. Il nous demandait ce qu’on en pensait. Il m’a appris à ne pas mentir. Le mensonge est mortifère, il tue la vie. On était libres et responsables. C’est sûr que c’est fatigant. C’est pour cela que beaucoup de gens n’ont pas envie d’être libres. Cela suppose un état d’alerte permanent.
La liberté sans responsabilité n’existe pas. Sinon vous êtes un parasite. Vous êtes responsable de vous-même et de vos actes. Et à chaque heure de la journée, vous faites un choix et ce choix a des conséquences.

Aujourd’hui, les responsabilités sont extrêmement diluées. Vous ramassez un truc des impôts, vous dites que vous avez payé, mais on vous dit que c’est l’ordinateur. Lequel ordinateur peut aller jusqu’à vous envoyer le commissaire ou le serrurier. On ne sait pas quand cela va s’arrêter, mais c’est la faute à personne.
Après, le principe de transversalité dont on nous rebat les oreilles, c’est la dilution de la responsabilité individuelle.

Comment se manifestait à l’égard de votre frère et de vous cette exigence ?
Elle se manifestait tout le temps, dans le mal et le bien. Par exemple, il m’apportait des livres et me demandait ce que j’en pensais. Ce que je disais ne devait pas être d’un très haut niveau intellectuel, mais il ne m’a jamais dit que c’était idiot. Au contraire, il me demandait pourquoi je pensais cela, insistait sur des points particuliers.

Si l’on avait fait une connerie, il ne criait pas. Il nous demandait ce qu’on en pensait. Mon père disait toujours : « Ce qu’on ne peut pas changer, il faut juste en tenir compte mais pas se résigner ». Et quand il y avait un gros problème, il disait qu’il fallait « se faire une disposition pour ». Cela m’a aidée toute ma vie. Et Dieu sait que je n’ai pas eu une vie sur des roulements à billes.
Mais j’ai pensé que ma vie, c’est ma vie, la seule que j’ai. Et que la seule liberté que j’ai, c’est de faire en sorte que j’accepte même l’inacceptable s’il est inéluctable. Sinon, l’on se perd. Or, qu’est ce qu’on peut donner aux autres si on s’est perdu ?



Autre aspect de la personnalité de votre père, il était plutôt spartiate, pas dispendieux.
Mon père avait vécu dans la nécessité, se demandant si on allait manger et s’il y aurait de l’argent pour le lendemain. Il avait une juste idée de comment on dépense son argent.
Alors, élevée comme cela, c’est un peu compliqué pour moi d’accepter l’époque dans laquelle on vit. Aujourd’hui, on est tellement passé à la machine à laver de la publicité que les gens sont malheureux parce qu’ils ne consomment pas assez ou parce qu’il y a un retard dans le train. (Ici l’on évoque Pierre Rahbi qu’elle adore et ses réflexions sur « la sobriété heureuse »).

Vous avez composé un livre, Albert Camus, solitaire et solidaire 1. Pourquoi ces deux termes ?
Un jour, je lui demande : «Tu es triste ? » et il me répond : « Je suis seul ». C’était au moment de L’Homme révolté et j’ai compris beaucoup plus tard pourquoi, parce que lorsque vous avez neuf ans, vous ne savez pas 2. Je l’ai juste regardé en espérant qu’il ait compris. Car, pour moi, il n’était pas seul puisque j’étais là ! Mais évidemment que oui, il était seul ! Il y a des gens comme cela qui ont autour d’eux une espèce de cristal de solitude qui fait comme un sas entre le monde et eux. Et qui sont présents quand même.

Doit-on voir dans cette solitude le fait que certains de ses écrits, dans leur souci des nuances humaines, juraient avec les logiques idéologiques d’une époque, celle de la Guerre froide, terriblement manichéiste ?
Oui ! Et c’est en cela qu’il était seul. D’autant qu’il n’avait pas derrière lui un parti, ou l’orchestre que beaucoup de gens prennent la précaution d’avoir avant de s’exprimer. Lui, il était seul, à côté de l’Homme. De tous les hommes. De tous ceux qui justement n’avaient pas la parole.

A propos du mot solidaire. Peut-on comprendre Camus à travers la métaphore de la passe en football ? Lui qui disait : « Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois » ?.
Bien sûr. La passe, c’est la solidarité. Sans les autres, vous n’êtes rien. En 2008, d’ailleurs, Wally Rosell a écrit un truc génial pour les Rencontres méditerranéennes Albert Camus de Lourmarin : Eloge de la passe tiré de l’acte fondateur du football anarcho-camusien.

Quid des rapports d’Albert Camus avec les libertaires ?
J’ai souvent suggéré en haut lieu qu’on fasse quelque chose sur ce thème mais l’on m’a regardée en me faisant comprendre qu’on n’était pas sur la même fréquence d’ondes. Aussi ce thème fut abordé lors des Rencontres. A ce propos, j’avais dis à l’organisatrice, Andrée Fosty : « Je t’assure que c’est intéressant. Ceci dit, si les libertaires débarquent à Lourmarin je te souhaite du plaisir ». En fait, le seul remous qu’il y eut fut à propos du football. Wally Rosell, qui est le neveu de ce libertaire formidable, Maurice Joyeux, s’était mis à expliquer qu’il n’y avait pas de plus belle place dans une équipe que celle de demi-centre (rire)…

Pour sa part, votre père avait été gardien de but du Racing Universitaire d’Alger ?
Et il paraît que c’était un bon ! A cet égard, étant donné que Marseille Provence 2013 fut un échec, j’ai proposé que Lourmarin-Provence-2013 organise le 15 juin un match en hommage au premier goal Prix Nobel de Littérature. Il y aura une équipe Camus contre l’IJSF (La jeunesse sportive de Lourmarin) et des chibanis. L’arbitre sera le facteur qui est un bon joueur de foot !

Vous gérez l’œuvre de votre père depuis 1980 mais n’avez jamais voulu être une gardienne du temple. Quelle est votre philosophie à l’égard de toutes les sollicitations qui vous parviennent ?
Il n’y en a pas (rire). A partir du moment où l’esprit, l’éthique, de mon père sont respectés, j’accepte. Les demandes sont aussi variées que l’humanité. Et donc, à ceux qui s’adressent à moi, y compris les opportunistes pour lesquels papa fait plus tabouret qu’autre chose, je dis oui si c’est correctement fait. Après, j’ai une vision de l’oeuvre de Camus comme tous les lecteurs. Je ne détiens aucune vérité.

Dans toutes ces propositions, je suppose qu’il y en a d’étonnantes ?
Il y en a aussi de consternantes et j’ai d’ailleurs constitué un dossier de « curiosités » (rire). Mais il y a aussi des choses en bien. J’ai été très étonnée, par exemple, lorsque Abd al Malik souhaitait travailler sur la préface de L’Envers et l’endroit. L’oeuvre n’est pas très connue et la préface, très importante, l’est encore moins. Quand ce garçon formidable m’a envoyé ses textes je les ai trouvés en harmonie avec la préface. Et bien que n’ayant pas une passion pour le rap, lorsque je suis allée l’écouter, j’ai été fort séduite par son travail et j’ai eu le sentiment que mon père était à sa place.

Vous avez achevé la publication du manuscrit Le Premier homme au bout de huit ans 3. Qu’avez-vous découvert à travers ce texte ?
Ce qu’il y avait dans Le Premier homme, je le savais. Une chose a changé, c’est la vision de ma grand-mère maternelle qui se promenait quand même avec un nerf de bœuf. Je la détestais parce que papa s’y référait lorsque nous voulions quelque chose de superflu, nous expliquant qu’on avait un toit, à manger et des livres, ou lorsqu’il nous disait comment il enlevait ses chaussures pour pouvoir jouer au foot. Et puis, je me suis rendu compte qu’elle avait eu des méthodes un peu rudes mais qu’elle n’avait pas eu le choix.

Vous avez dit qu’en travaillant sur ce livre vous sentiez presque son écriture ?
Vous ne pouvez pas travailler longtemps sur un manuscrit de mon père au risque de partir sur une mauvaise piste. C’est comme un tricot. Vous sautez deux mailles, vous avez un trou dans le tricot ou montez une manche à l’envers. Il faut faire attention à chaque mot. Donc, j’y travaillais trois heures par jour.

Mais c’est vrai que par moments j’avais l’impression que l’écriture ne passait pas par ma tête mais que je mettais le mot qu’il fallait. C’était juste parce que c’était du corps à corps avec le texte. C’est limite comme impression ! On sent que Montfavet n’est pas très loin (rire).

Comment était ce manuscrit ?
Très raturé. Il comportait beaucoup de rajouts, d’interrogations, que j’ai respectés. Pour certaines feuilles, c’était la place de l’Etoile. Avec le doigt, vous devez suivre la ligne pour voir si vous ne vous êtes pas trompé…

Parlant de votre lecture de La Chute lorsque vous aviez 17 ans, vous avez dit : « Je trouvais qu’il était innocent » ?
Ce livre est douloureux. Et lorsque je l’ai lu à cet âge-là, je me suis demandée : « mais il ne le savait pas qu’on est double ? » Mais lui, avait dû me l’apprendre. C’est en cela que je l’avais trouvé innocent. Mais c’est vrai que La Chute c’est aussi le déchirement de la perte de l’innocence…

Ceci dit, il y toujours en filigrane dans les écrits d’Albert Camus une innocence ?
Oui, au sens originel, ce qui ne nuit pas. Et en ce sens, je pense que les écrits de mon père tendent à aider les autres. Quand il dit : un artiste ne juge pas, il essaie de comprendre. Mais artiste ou pas, nous devrions tous faire cela.

Certes, il y a des choses à ne pas accepter et on peut juger que quelqu’un qui va dénoncer un Juif durant la guerre est incompréhensible, mais en dehors de situation extrême, dans la vie courante, on peut essayer de comprendre sans toutefois admettre.

Vous le voyiez écrire ?
Oui, debout à son écritoire. Je pense que lorsqu’on a été très malade et qu’on a pensé mourir (Ndlr : Camus fut atteint de tuberculose), le lit est quelque chose de très anxiogène. Qu’on a besoin de remuer…

Votre père était exigeant avec la langue française, au point, lors de son discours de réception du Prix Nobel de Littérature à Stockholm, de saluer Louis Germain, son instituteur. Il pensait que c’était une conquête pour lui ?
C’en était une ! Car enfant, il parlait le pataouète, le langage de la rue à Belcourt 4. C’est ce qui le sépare de la majeure partie des écrivains français de son époque qui étaient issus de milieux aisés.

Comment a-t-il vécu cette célébrité ?
Comme tout un artiste, il aimait être reconnu. Mais il était pudique et ne se prenait pas pour Pic de la Mirandole. Car vous perdez de l’humain dans la célébrité.

Albert Camus devait être l’un des temps forts de Marseille-Provence Capitale européenne de la Culture 2013 (MP 2013), à travers notamment une grande exposition gratuite mettant en valeur son œuvre, ses idées, ses engagements et sa vie. Tout cela a capoté. Quelle est votre version de ce pataquès ?
Je n’ai rien compris. Franchement, je ne sais pas ce qui s’est passé ! Ce que j’apprenais, c’était par les journaux. J’ai vécu six mois d’enfer. D’autant que Jean-François Chougnet (Ndlr : directeur de MP 2013) a déclaré que c’était moi qui avait décidé qu’il n’y aurait plus d’exposition ! Alors que j’ai seulement dit : j’ai besoin de connaître de quels documents Benjamin Stora, le commissaire de l’expo, a besoin afin de savoir ce qui est disponible compte tenu des sollicitations que je reçois du monde entier. Une liste que j’ai attendu un an et demi.

Mais Benjamin Stora, c’était le scénario ? Qui aviez-vous en face pour réaliser la mise en œuvre technique de cette exposition avec ce que cela suppose de logistique ?
Mais je ne sais pas ! Au départ, il y avait un monsieur, parfaitement correct, Jean Iborra (Ndlr : directeur adjoint à MP 2013 des expositions). C’est lui qui m’a envoyée, en avril 2012, une liste de demandes tellement vague, que je ne me trouvais pas plus avancée. Je le lui ai dit.

Or, trois jours après, il me téléphone pour me dire que l’exposition est annulée sans même m’en donner la raison.

Donc, il n’y a pas eu le début d’une mise en œuvre pour cette mega-exposition ?
Je ne crois pas. Alors qu’entre mon approbation du synopsis de Benjamin Stora et le moment où tout s’arrête, il s’est passé un an et demi. Voilà la réalité. Et j’ai toutes les preuves de ce que j’ai dit. Car dans cette affaire, il n’y a que moi qui écris. Les autres, ils téléphonent ou passent par les journaux.

Quand aux medias, ils n’ont pas cherché à se renseigner. Y compris lorsqu’on a évoqué les nostalgiques de l’Algérie française pour justifier l’arrêt de l’exposition. Au point de susciter des amalgames et des glissements ayant l’air de dire que je ne voulais pas de Benjamin Stora, auquel j’avais dit oui, au motif que j’aurais été proche de l’OAS !

Vous imaginez, j’ai quand même en mémoire que l’OAS avait condamné mon père à mort !

Si l’on comprend bien, MP 2013, qui est l’organisateur de l’expo, ne prend pas la peine de venir vous voir et vous informer d’éventuelles difficultés dans sa mise en œuvre ?
Le seul que j’ai vu fut, mais c’est dans la préhistoire, Bernard Latarjet au tout début. Après, j’ai travaillé durant cinq ans pour eux : j’ai un dossier énorme ! Cela jusqu’en 2012 lorsqu’ils me disent : c’est fini.

Autrement dit, on vous a rendu responsable de l’échec de l’expo Camus sans droit de réponse ?
Là où j’ai été en colère, c’est lorsqu’on m’a mis tout sur le dos, en instillant des termes d’un machisme effondrant : « évaporée », « qui n’assume pas », « on ne sait jamais ce qu’elle va faire ». Alors que je n’avais aucun pouvoir décisionnaire, ni à la mairie d’Aix, ni à MP 2013, et que j’assume Camus depuis 32 ans. Oui, j’ai trouvé tout cela d’une grande lâcheté.

Les gens de MP 2013 n’assument pas ce qu’ils font. Seul Benjamin Stora a dit qu’il avait toujours eu de bons rapports avec moi.
Quand à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, je ne l’ai jamais vue. Elle a seulement déclaré que la seule belle expo était celle de Stora et ses services m’ont appelé pour me dire qu’elle était arrêtée.

Pourtant, dans le projet de candidature de MP 2013 auprès du jury européen, Albert Camus en constituait une pièce maîtresse ?
Mais il était au centre ! J’ai conservé le gros document initial de candidature que MP 2013 ne m’a pas envoyée d’ailleurs : c’est un copain qui a récupéré un exemplaire pour me signaler tout ce qui concernait Camus. Et bien, là dedans, ils disent que je suis « conseiller scientifique », cela sans demander mon autorisation. Et donc l’on peut se demander où est passé l’argent gagné grâce à l’image de Camus.

Au bout du compte, de tout cela, qu’il s’agisse de l’opéra autour de Camus, des pièces de théâtre, du match de football au Stade Vélodrome, de la grande exposition de 5 000 m2, il ne reste rien !
Heureusement qu’il y aura quand même l’exposition Albert Camus, les couleurs d’une œuvre, assumé par la Cité du Livre d’Aix. Cette exposition attend d’ailleurs le 17 juin pour savoir s’il elle va avoir le tampon MP2013. Mais il n’est pas sûr qu’ils la tatouent (rire).

Quel était votre sentiment par rapport à ce projet d’exposition ?
Au départ, l’idée de MP2013 présentée par Bernard Latarjet, était de faire une expo de 5 000 m2 pour le Centenaire, scénarisée par Benjamin Stora et Aurélie Filippetti qui n’était pas alors ministre. C’était prévu autour de l’Algérie.

Je leur ai dit : « Si vous voulez le faire comme cela, pourquoi pas, mais je pense qu’Albert Camus est un écrivain universellement connu, certes nourri par l’Algérie, mais dont la pensée dépasse le cadre régional ».



Quid d’une célébration nationale du Centenaire de Camus en France ?
La Bibliothèque de France ne veut pas en entendre parler. Beaubourg a dit à Gallimard qu’il n’y avait pas de place. En juillet 2012, Antoine Gallimard a écrit à Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture, pour lui demander ce que la France comptait faire pour le Centenaire. Il attend toujours la réponse.

C’est dommage, car ailleurs, c’est une belle image de la France. En définitive, si l’institution française boude, cela me réjouit beaucoup. C’est tout à l’honneur d’Albert Camus. Finalement, il y a peu, les instituts français ont demandé à Gallimard une exposition, pour répondre je suppose aux sollicitations de pays étrangers, puisqu’il y a eu des événements concernant Camus à New Dehli, en Jordanie, au Mexique, en Argentine, au Brésil, à New-York…



Comment avez-vous vécu le projet de panthéonisation de votre père ?
Pour moi, au départ, c’était affreux. Je ne le voyais pas à Paris dans ce truc minable que je déteste, lui qui était claustrophobe. D’autant que lorsque Alexandre Dumas, que j’adore, y avait été mis, j’avais manifesté avec une pancarte : « Alexandre, reste avec nous ! » (rire). J’ai fini par céder car tous les gens issus du même milieu que papa m’ont demandé de dire oui. C’était pour ma grand-mère, pour une reconnaissance nationale en forme d’espoir.

Je savais aussi que le seul président qui pouvait avoir une idée aussi farfelue était Sarkozy et qu’après, ça serait fini. J’ai téléphoné à Florence Malraux pour savoir comment cela s’était passé pour elle. Elle m’a dit que cela avait été abominable, que la grande machine étatique l’avait traitée comme une moins que rien. Ceci dit, sur cette affaire, Sarkozy a été correct et respectueux.

Mais dire oui, c’était accepter qu’on enlève mon père du cimetière de Lourmarin. En disant non, mon frère m’a rendu service. Mais pourquoi ne pas faire comme avec Aimé Césaire dont la famille a dit non ? Il est tranquille aux Antilles et l’on a mis une plaque en son nom au Panthéon.



Les chercheurs ont à leur disposition le Centre de documentation Camus d’Aix en Provence qui recèle énormément d’archives. Or, peu d’entre eux sont orientés vers Camus ?
C’est l’Université française ! Dernièrement, un chercheur de Harvard m’a dit qu’il pensait qu’il devrait attendre huit jours son tour pour accéder aux archives. Car lorsqu’un professeur français était venu faire une conférence sur Camus à Harvard, il n’y avait pas eu assez de place pour accueillir tous les étudiants !

Faut-il y voir encore un effet induit du différent avec les Sartriens ?
Je suppose… Mais c’est dommage pour les chercheurs… car Papa fait du bien.

C’est tout de même un paradoxe dans la mesure où Camus, qualifié hier de « philosophe pour classes terminales », se retrouve aujourd’hui au cœur de nombreuses problématiques éthiques, citoyennes, ou nord-sud, voire les révoltes du monde arabe ?
C’est l’évidence. Encore que ce n’est déjà pas si mal d’être philosophe pour classes terminales. Ce n’est pas méprisant, même si ce l’était dans la bouche de Jean-Jacques Brochier 5.

Camus récusait d’ailleurs qu’on le qualifie de philosophe…
Il disait qu’il n’était pas philosophe parce qu’il ne croyait pas assez en la raison. C’est vrai que la raison déifiée, c’est desséchant. Il disait que rien n’est vrai qui force à exclure. Que forcément un système exclut puisque c’est fermé. La philosophie en Occident étant pensée comme système, ça exclut tout ce qui ne peut pas rentrer dans le système.

Donc Camus ne pouvait pas être philosophe en ce sens-là. Si maintenant, c’est ami de la sagesse et ami de l’Homme, il serait plus philosophe que beaucoup d’autres.

La gestion de l’héritage Camus au quotidien qu’est-ce que c’est ?
En terme d’investissement, les traductions, c’est peanuts. Les demandes concernent surtout les chercheurs, les théâtres, le cinéma et les adaptations, les télévisions, les lecteurs qui écrivent parce qu’ils adorent Camus, les écoles, les médiathèques, les colloques, les expos de tous les lieux qui vont s’appeler Camus. Tous les matins on ne sait pas ce qui va arriver au courrier. C’est cela qui fait que Camus c’est vivant.

Quelle est votre attitude à l’égard des biographies ?
Mon père se méfiait des biophages. L’essentiel d’un être est dans son mystère. Je les lis seulement pour éviter les erreurs factuelles.

N’est-il pas encombrant de vivre avec Albert Camus ?
Non, mon père ne l’est pas ! Il m’a toujours aidé. Je l’ai perdu jeune, mais il m’avait donné des bases solides. Ce qui est difficile, ce n’est pas mon père, c’est la célébrité, le regard que les autres posent sur vous. Chacun pense que je dois être comme ceci ou comme cela. Moi, je suis une chèvre. Je suis comme je suis. Même si, à l’adolescence, ce fut plus compliqué d’être la fille de. Oui, je pense que mon père était un chouette mec !

Propos recueillis par Frank Tenaille

(1) Albert Camus, solitaire et solidaire, Ed Michel Lafon. L’essentiel des œuvres d’Albert Camus est disponible chez Gallimard.
(2) Paru en 1951, L’Homme révolté suscite une violente polémique avec les « Existentialistes » qui sera entretenue par la revue Les Temps modernes et qui entraîne la brouille définitive avec Sartre. Camus écrira : « C’est un livre qui a fait beaucoup de bruit mais qui m’a valu plus d’ennemis que d’amis (du moins les premiers ont crié plus fort que les derniers). (…) Parmi mes livres, c’est celui auquel je tiens le plus ».
(3) Un roman qu’écrivait Albert Camus au moment de son accident mortel. Une oeuvre aux accents autobiographiques qui évoque avec tendresse ses souvenirs d’enfance.
(4) Le parler des Français d’Algérie qui comporte beaucoup d’emprunts à l’arabe, à l’espagnol et à l’italien.
(5) Jean-Jacques Brochier, auteur de Camus, philosophe pour classes terminales, un pamphlet de 1970.
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede vroum le Mar 25 Juin 2013 21:28

Libertaire, j'écris ton nom

Hubert Prolongeau

http://www.marianne.net/Libertaire-j-ec ... 29596.html

Un recueil de textes jusqu'ici éparpillés permet de jeter un regard neuf sur la pensée politique d'Albert Camus.

Fille de l'écrivain, Catherine Camus défend comme « essentiel » ce nouveau recueil de textes de son père, Ecrits libertaires. Diable ! Alors qu'on croyait connaître par cœur Camus, voilà qu'il y aurait encore des zones à explorer dans son œuvre ? Les éditions Indigène viennent de réunir ses « écrits libertaires », reprenant ainsi un volume plus que confidentiel publié en 2008 par les éditions marseillaises Egrégores.

Jamais avant cette initiative n'avaient été réunis de façon thématique ces textes écrits pour des revues comme le Monde libertaire, la Révolution prolétarienne, Solidaridad Obrera, Die freie Gesellschaft, et éparpillés ensuite dans diverses éditions ou rangés en Pléiade dans des appareils de notes ou de documents qui ne rendaient pas compte de ce qu'ils avaient pu représenter pour Camus.

Relus ainsi à la suite les uns des autres, ils jettent aujourd'hui une lumière différente sur la pensée et l'œuvre du philosophe, à la suite du livre de Michel Onfray l'Ordre libertaire, paru début 2012.

Ces textes ont été dénichés et réunis par un chercheur allemand dont le nom de plume est Lou Marin. Il s'y mêle des articles d'auteurs anarchistes écrits sur Camus, qu'une introduction longue et passionnante permet de remettre en perspective. Ils montrent un homme très préoccupé par la question de la violence, et très hostile à elle tout en étant sensible au nécessaire désir de liberté des peuples. Comment concilier ces inconciliables ?

Camus ne contourne pas la difficulté, mais s'agrippe au principe de l'illégitimité de la violence. Il refuse aussi bien le terrorisme que la peine capitale, et n'accepte pas la mort du tyran comme une porte ouverte vers la liberté. Partisan de Gandhi, et ce dès 1958, il soutenait aussi les objecteurs de conscience. On peut suivre au fil des pages la façon dont cette attitude, née à l'époque de la guerre froide, l'a amené à mettre sur le même pied la violence du capitalisme et celle des révolutionnaires rouges.

Camus avait écrit, dans Actuelles II : «Bakounine est vivant en moi.» Cette ligne libertaire court le long de nombreux engagements, que l'écrivain dénonce la situation misérable de la Kabylie, déplore Hiroshima, s'indigne de la répression à Sétif et à Guelma ou s'oppose au FLN sur la nécessité d'un cessez-le-feu.

Ces engagements, qui l'ont souvent isolé, ont été sous-tendus par des rencontres fréquentes avec des militants anarchistes (Carlo Caffi, Dwight Macdonald...). Il sera difficile désormais d'écrire sur la pensée d'Albert Camus sans se référer aussi à ces écrits. Et encore plus dur de ne pas sourire en pensant que Nicolas Sarkozy voulait faire de ce penseur-là un « modèle » à faire entrer au Panthéon.

Ecrits libertaires, 1948-1960, d'Albert Camus, éd. Indigène, 342 p., 18 €.
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede vroum le Jeu 19 Déc 2013 21:11

Guerre culturelle autour d’Albert Camus

http://www.monde-libertaire.fr/cultures/16810-guerre-culturelle-autour-dalbert-camus

Le 7 novembre 2013 fut le centième anniversaire de la naissance d’Albert Camus (1913-1960). En France il est, et de loin, l’auteur le plus lu d’après-guerre : depuis des années, L’Étranger et La Peste trônent en tête des chiffres de vente (respectivement première et deuxième place). De 1957 à 1960, Camus a résidé à Lourmarin, village provençal situé à quelque 60 kilomètres au nord de Marseille, où se trouve également sa tombe ; aussi était-il devenu un atout qu’on abattit en septembre 2008 au profit de la candidature de Marseille au grand spectacle de la capitale européenne de la culture 2013. En l’occurrence, l’intitulé Marseille-Provence 2013 désigne un espace qui englobe le lieu d’inhumation de Camus.

Depuis cette candidature, on assiste à une guerre culturelle ininterrompue – aux relents bien souvent grotesques – au sujet de l’interprétation qui se veut à tout coup « exacte » de l’héritage politique de Camus. Chaque parti, chaque courant s’est efforcé et s’efforce de récupérer Camus comme porte-drapeau de sa propre idéologie ou de son courant politique ; d’aucuns au prix d’incroyables contorsions, souvent en dépit d’une vraie connaissance, et parfois enfin au mépris de la stricte vérité.

Cela va des anciens « pieds noirs » d’Algérie d’extrême droite au FN, en passant par les présidents Sarkozy et Hollande – qui s’avouent publiquement admirateurs de Camus – jusqu’à l’autre bout de l’éventail où Camus passe pour l’homme de la « gauche libertaire » (l’historien Benjamin Stora), mais sans se borner là. L’auteur de cet article ne s’exclut pas du lot, puisqu’il s’insère de fait comme bien proche de l’interprète anarchiste et non violent de Camus, Lou Marin. L’intérêt de cette guerre culturelle au sujet de l’écrivain le plus renommé de France réside à mon sens dans le fait que, à travers l’interprétation libertaire de son œuvre et la publication des articles que Camus a fait paraître dans les journaux anarchistes français et espagnols (Solidaridad Obrera, Le Libertaire, Le Monde libertaire, Témoins, Libertés, Défense de l’homme, Révolution prolétarienne), le contenu libertaire véhiculé par Camus a pu largement pénétrer dans l’opinion publique – d’autant qu’il intéresse beaucoup de monde et que cela concerne l’unique domaine de son œuvre qui était resté largement inconnu du grand public jusqu’ici.

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À proprement parler, ces efforts ont déjà été couronnés de succès : on est pris au sérieux dans les discussions qui tournent autour de Camus et l’on a établi que son arrière-plan politique libertaire constituait une donnée légitime et non plus une éventualité négligeable 1.

Le conflit à l’occasion du transfert de la dépouille de Camus au Panthéon
Ce lustre de guerre culturelle a débuté sous la présidence de Sarkozy. De concert avec la proposition d’Henri Guaino, conseiller spécial de Sarkozy, c’est au cours d’une conversation privée avec Sarko que le philosophe Michel Onfray lui avait soufflé à l’oreille l’idée d’exhumer Camus de sa tombe de Lourmarin pour le transférer, en tant qu’écrivain national, au Panthéon où il voisinerait avec Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau et Alexandre Dumas. Le médiatique Michel Onfray se présente ouvertement, du reste, depuis des années comme un « libertaire », c’est en cette qualité qu’il est passé maintes fois à la télé. Nul courant ni organisation anarchiste, dont il se tient sagement à l’écart, ne l’a jamais encouragé ou autorisé à parler dans les médias au nom des libertaires – mais quelques-uns se sont sentis flattés, au fil des ans, lorsqu’il a parfois fait valoir à la télévision, en tant que « libertaire », des arguments loin d’être stupides, surtout comme théoricien de l’athéisme.

Or cela a changé ces dernières années. Lorsqu’a paru en 2012 le livre d’Onfray L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Lou Marin l’a critiqué sur le fond dans Le Monde libertaire 2, ce qui a déclenché dans les cercles anarchistes des discussions certes contradictoires, mais dans l’ensemble fructueuses et éclairantes sur les avantages et inconvénients de se présenter comme « libertaire » autoproclamé dans les shows télévisuels – notamment quand il se révélait soutenir Montebourg dans les primaires du PS.

Dans son article, Lou Marin critiquait ainsi le livre d’Onfray. Primo, sa manière de dénigrer (qui vise ouvertement la concurrence) tous les travaux de militantes et militants issus du mouvement anarchiste qui ont paru après la mort de Camus ; secundo, son ignorance délibérée de sources et séminaires d’importance où il ne pouvait pas se poser en vedette – ce fut par exemple le cas du colloque sur Camus libertaire qui se tint en 2008 à Lourmarin ou des Actes du colloque qui en émanèrent ; tertio, le fait qu’il n’avait pas traité de l’influence que les écrits anarcho-syndicalistes de Simone Weil 3 ont exercée sur Camus ; et enfin, quarto, ses spéculations des plus aventureuses, dans les soixante dernières pages de son livre, imaginant ce que serait la position de Camus de nos jours.

Un capitaliste libertaire ?
Ce faisant, Onfray laissait entendre que Camus se ferait aujourd’hui l’apôtre d’un « capitalisme libertaire », chose qui n’est nulle part évoquée et à laquelle on ne trouve dans ses écrits pas la plus minime allusion.

À l’opposé, Camus a toujours approuvé tout au long de sa vie le « socialisme libertaire » ; il a même écrit que « la propriété c’est le meurtre » (radicalisant ainsi la formule de Proudhon, « La propriété c’est le vol ») – tandis qu’Onfray a de façon très fataliste écrit qu’il y a toujours eu de la propriété et qu’elle existera toujours. Cette réclame d’un « capitalisme libertaire » dont Onfray s’est servi dans les médias, et qu’il avait déjà utilisée auparavant en d’autres occasions, explique aussi pourquoi il lui était facile d’accéder à Sarkozy et que ce dernier lui accorda même une audience privée.

Il est donc également caractéristique de la manière d’Onfray de lancer des proclamations ou des projets libertaires en contournant tout débat avec le mouvement libertaire et en s’adressant à des personnalités qui, pour la plupart, ne sauraient recevoir l’aval d’anarchistes. Sarkozy a aussitôt repris sa proposition de transférer Camus au Panthéon, et il s’est décrit dans les médias comme un partisan de Camus en livrant ainsi son interprétation : Camus fut un vaillant porte-parole de la liberté démocratico-capitaliste, donc un représentant du statu quo régnant.

Pour entériner la décision du transfert, il fallait l’accord des enfants de Camus : les jumeaux Jean et Catherine, qui possèdent les droits de succession. Catherine reçut un courrier très fourni de lecteurs et de lectrices des romans de Camus qui approuvaient ce transfert et, après avoir longtemps hésité, elle se prononça en sa faveur (elle est aujourd’hui franchement heureuse qu’on n’en soit pas arrivé là). Néanmoins, quelques intellectuels et exégètes, issus de la gauche jusqu’aux libertaires, adoptèrent un point de vue opposé qu’ils soutinrent publiquement et qu’on ne pouvait déjà plus passer sous silence – il est pourtant douteux que ceci ait pu en fin de compte être décisif dans le veto que Jean opposa à ce transfert. En tout cas, ce dernier employa le même argument que les anarchistes. À savoir que Camus s’est avant tout défini dans les années d’après-guerre en tant qu’adversaire du nationalisme, et qu’il a par exemple activement soutenu des campagnes antinationalistes, telle celle de Garry Davis qui avait publiquement déchiré son passeport en 1948 à Paris pour se déclarer citoyen du monde ; il a donc fait valoir que Camus ne pouvait pas faire un bon héros national. Finalement, ce fut grâce au veto incontournable de Jean qu’échoua le plan Sarkozy-Onfray. Ce qui n’est déjà pas si mal du point de vue anarchiste.

Débats à propos de deux grandes expositions sur Camus et leur échec
On a pourtant vu mieux : l’apothéose et le clou de cette année de promotion de Marseille-Provence en capitale européenne de la culture avaient été planifiés en une grande exposition Camus à Aix-en-Provence. C’est au départ à Benjamin Stora que devait revenir cet extra, comme organisateur de cet événement ; cet historien reconnu de la guerre d’Algérie vient de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), dite « lambertiste », qu’il n’a quittée qu’en 1986 4.

Son projet était de concevoir une exposition comportant cinq domaines, où un seul était dévolu au positionnement de Camus sur la guerre en Algérie. On en vint toutefois rapidement à discuter pour savoir si le centre de gravité de l’exposition reposerait quand même sur l’Algérie.

C’est alors qu’on aboutit à un inextricable lacis de décisions et d’intérêts contradictoires où s’entremêlaient divers protagonistes : la direction de la capitale de la culture de Marseille, la député-maire d’Aix, Maryse Joissains, et – encore lui – Michel Onfray. Or il faut d’abord savoir aussi que Benjamin Stora, en tant qu’historien qualifié, est évidemment irrécusable, mais qu’aujourd’hui, s’étant écarté du trotskisme, il ne fait pas mystère d’être publiquement proche du Parti socialiste et du gouvernement de Hollande. Il est bien certain, et la chose s’est plusieurs fois révélée, que cette affaire représente une épine dans le pied de la maire d’Aix. C’est ainsi qu’en 2012 Benjamin Stora a été démis de son poste de responsable de l’exposition sans motif – l’instigatrice en a été la première magistrate d’Aix, femme impossible et bête à manger du foin, qui a par exemple interdit en 2012 une semaine de commémoration pour le cinquantenaire de l’indépendance algérienne à l’initiative de groupements indépendants. Elle fut d’ailleurs soutenue par la direction de Marseille 2013.

Les intérêts des associations d’anciens combattants en Algérie et de l’OAS
Maryse Joissains appartient à cette partie de l’UMP qui est ouvertement favorable à une alliance gouvernementale avec le parti néofasciste de Marine Le Pen, le Front national.

Il est patent, en arrière-plan, que la base électorale de la maire est constituée d’anciennes familles de colons français en Algérie et de leur descendance, qui ont été rapatriés en 1962 au moment de l’indépendance, sont restés pleins de ressentiments à l’égard de leur patrie qui les a abandonnés ; et que l’on compte parmi eux d’influentes associations de vétérans de l’Organisation armée secrète (OAS) qui avaient, du 21 au 25 avril 1961, fomenté un putsch contre de Gaulle, puis perpétré – après que le putsch eut été étouffé – des attentats dirigés contre la politique gaullienne de décolonisation. Aux yeux de la maire et de sa base électorale, Stora était premièrement trop proche du PS, ensuite trop critique vis-à-vis de la politique brutale menée durant la guerre d’Algérie par l’armée française ; car la député-maire persiste publiquement, même aujourd’hui, à défendre la thèse qu’il ne s’agissait que d’une poignée d’insurgés et que l’histoire finirait par lui donner raison !

Mais alors voilà justement que le hasard voulut qu’à Aix ait lieu une présentation du livre d’Onfray sur Camus. Tout de go, la maire vint présider cette manifestation et convaincre sans barguigner Onfray de reprendre l’organisation de l’exposition Camus en lieu et place de Stora qui avait été viré ; ce à quoi consentit Onfray. Le tarif d’Onfray pour cette présentation d’une soirée à Aix fut de 2 000 euros, bien sûr réglés par Joissains.

Et voici Onfray en fâcheuse posture à plus d’un titre. D’une part pour s’être laissé persuader par Maryse Joissains alors qu’il connaissait sa position sur l’échiquier politique – et sans avoir le moins du monde consulté les courants libertaires, ni même Stora. Mais d’autre part aussi parce que les organisations réactionnaires des « pieds noirs » proches de l’OAS se prononcèrent publiquement en faveur d’Onfray contre Stora.

Jean-François Collin, ancien membre de l’OAS et président actuel de l’Adimad, situé à Aix, une association d’aide aux « anciens détenus de l’Algérie française » – c’est-à-dire, principalement, aux partisans de l’OAS –, estima alors que Stora « est vomi par la communauté des Français d’Algérie ».

À son avis, en revanche, Onfray serait « effectivement un réel progrès » 5. Onfray s’était acquis cette réputation entre autres pour avoir prétendu, lors d’un voyage qu’il avait récemment fait en Algérie, dans El Watan (quotidien algérien en français), que l’armée française n’avait plus commis de massacre en Algérie depuis 1945 (massacres de Sétif et Guelma) – et donc sans doute pas non plus pendant la guerre d’indépendance. Ça, c’est fort de la part d’un spécialiste de Camus 6 !

Simultanément, on assista à une nouvelle tempête d’indignation de journalistes et d’intellectuels à propos de la mise à l’écart de Stora, de sorte qu’Onfray, confronté à ce climat délétère, jeta l’éponge au bout de quelques semaines à peine et renonça à diriger l’exposition. Mais ce qui joua un rôle décisif dans l’affaire fut que, en raison de cette lutte de partis (un Stora proche du PS contre une Joissains à l’aile droite de l’UMP) qui a suivi la destitution de Stora, toutes les subventions de l’État (400 000 euros) furent supprimées par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Et l’on sait que tous ces « cultureux » ne savent balancer leurs mirifiques projets que pour y flamber des subventions ; et qu’ils sont structurellement incapables d’organiser par eux-mêmes une telle exposition. C’en était donc fini de la bonne volonté d’Onfray sans subsides étatiques.

Un bon mot pour conclure
Lors d’un premier projet d’exposition, Onfray, qui venait d’être nommé commissaire, s’était aussitôt occupé de trouver une suite à donner, qu’il avait exposée à Joissains et que visiblement il voulait aussi accomplir avec elle ; et du coup il s’agissait de réaliser une Maison de l’anarchie à Aix, forteresse de la droite – il va de soi qu’une fois de plus ce projet, sans consulter les personnes agissant dans les milieux libertaires, s’adressait directement à une maire qui ne sait pas, premièrement, ce qu’est l’anarchie et, deuxièmement, s’attacherait à l’interdire si elle le savait 7.

En tout cas, pour finir, la maire d’Aix a financé seule, à la va-comme-je-te-pousse et à partir des fonds municipaux la petite exposition alibi qui s’est ouverte en octobre 2013 et se poursuit jusqu’à fin décembre – « Camus Citoyen du monde » –, qui a déjà été critiquée dans divers articles comme une initiative assez affligeante 8.

Amédée Pache

1. Voir Albert Camus, Écrits libertaires (1948-1960) rassemblés et présentés par Lou Marin, Éditions Égrégores & Indigènes, Marseille-Montpellier, 2e édition 2013 (1er tirage 2008).
2. Lou Marin, « Onfray contre les libertaires. Michel Onfray contre l’historiographie anarchiste dans son livre sur Albert Camus », Le Monde libertaire n° 1658 du 2-8 février 2912.
3. Lorsqu’il était lecteur chez Gallimard après guerre, Camus s’est chargé de lire et de publier pas moins de huit livres de Simone Weil, parmi lesquels ses écrits politiques et historiques. Voir à ce sujet le livre Simone Weil, L’Expérience de la vie et le travail de la pensée, sous la direction de Charles Jacquier, Sulliver, 1998.
4. Voir Benjamin Stora, La Dernière Génération d’Octobre, Hachette, Paris, 2003.
5. Pour les citations de Collin, voir Benjamin Stora, Camus brûlant, Stock, 2013, p. 28-29 ; voir aussi Macha Séry, « Albert Camus à Aix-en-Provence ; autopsie d’un gâchis », Le Monde du 8 octobre 2013.
6. Voir par exemple Catherine Simon, « Affaire Camus : Onfray quitte la “pétaudière” », Le Monde du 18 septembre 2012.
7. L’information sur le projet d’Onfray et Joissains d’une Maison de l’anarchie m’est parvenue par intermédiaire d’un membre de l’Uppa, l’université populaire des Pays d’Aix.
8. Voir la note 5, l’article de Macha Séry.
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Re: Albert Camus, le libertaire

Messagede jeannetperz le Ven 20 Déc 2013 11:23

alors le vroum et le lehning le perz y brasse du vent remarquez c est mieux que la merde. Onfray enfin la vérité sur vos manipulations et mensonges.
jeannetperz
 
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