Quand la consommation de drogue se lit dans les eaux usées Guillaume GENDRON 24 septembre 2013 http://www.liberation.fr/societe/2013/09/24/quand-la-consommation-de-drogue-se-lit-dans-les-eaux-usees_934113[...]Et si l’analyse des eaux d’égouts devenait la méthode de référence pour mesurer avec précision la consommation de drogues sur l’ensemble des territoires ? Ce protocole, développé par des scientifiques dans toute l’Europe depuis la fin des années 2000, commence en tout cas à porter ses fruits et prendre de l’ampleur, avec notamment, la publication au début du mois d’une première carte de France de la consommation de drogues par une équipe du CNRS.
Cinq chercheurs du laboratoire Santé publique-Environnement de l’université Paris-Sud, en partenariat avec Veolia, ont pu analyser des échantillons d’eaux provenant de 25 stations d’épuration à travers la France, lors de deux campagnes de prélèvement en 2012. Ils y ont recherché les molécules de 17 drogues illicites présentes dans l’urine et les selles des consommateurs grâce à des spectromètres de masse. Soit un dépistage antidrogue anonyme à l’échelle de villes entières.
Pour le profeseur de santé publique et coauteur de l’étude Yves Levi, le procédé est une « belle avancée », donnant des résultats plus objectifs et révélateurs que les études menées jusqu’à présent auprès des usagers. Trop même, aux yeux de certaines municipalités, qui ont refusé de se prêter aux analyses, alors que les villes participantes ont demandé à être « anonymisées » dans l’étude. Et à voir l’embryon de polémique suscitée par la présentation des résultats sous forme de classement par le blog Docbuzz (1), certains édiles ont peut-être des raisons de craindre les conclusions cet outil. La consommation de drogue en France n’est pas homogène
D’emblée, les mesures des chercheurs du CNRS confirment les conclusions de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies dont un rapport de 2012 établissait les Français comme les plus gros consommateurs de cannabis en Europe. Par ailleurs, les prélèvements des eaux usées démontrent que la consommation de cannabis ne varie pas durant le week-end en France, à la différence de la prise de cocaïne, d’amphétamines ou d’ecstasy. Conclusion : en France, le cannabis n’est pas une drogue « festive ».
Autre enseignement : la consommation de drogue n’a rien d’homogène au niveau national - elle varie selon la taille des villes et les régions. Selon Yves Levi, il est « absurde » de dresser un classement des « capitales de la drogue » basé sur ces premiers résultats en l’absence de données dans certains « bassins de vie » clés comme Marseille ou Lyon (2). Mais l’étude dessine des spécificités géographiques qui interpellent.
Par exemple, les traces d’opiacés, comme l’héroïne, sont particulièrement élevées dans le Nord-Est en comparaison avec le reste du territoire. La consommation de MDMA et d’amphétamines est quant à elle prévalente dans le Sud, qui fait aussi de gros scores pour l’usage de cannabis et de cocaïne. Les hypothèses pour expliquer ce tropisme sont diverses : d’une part, les stations balnéaires de la côte sont propices à la prise récréative de drogues. De l’autre, le Sud est la première région de France sur la « route de la drogue », ce qui entraîne une plus grande disponiblité des produits. Pauvres et riches consomment de la même manière
Pourtant, les échantillons prélevés dans la région lilloise présentent des taux de molécules illicites exceptionnellement hauts. Notamment pour le cannabis, dont la consommation atteint cinq fois celle retrouvée à Amsterdam lors d’une étude transeuropéenne de 2011 réalisée suivant le même protocole. Seul bémol : une partie des échantillons ont été prélevés lors de la grande braderie de Lille, ce qui pourrait avoir biaisé les moyennes.[...]