Le souffrances sont visibles.
Pas le temps de répondre, j 'ai ma terrine de foie gras à préparer. Ce qui me chagrine c'est cette propension à ne manger du foie gras qu'à Noël alors que c'est bon toute l'année et que quand on le fait soi-même ce n'est plus un met de luxe. Mais sans doute est-ce l'image du luxe que nous cherchons.
Beatrice, dis-lui de se relever !
Merci Hocus pour le rappel de ce beau texte de levi-strauss... quelques extraits (le texte de Levi-strauss fut écrit suite à un "brulage du père noël" réalisé, au début des années 50 je crois, par les autorités ecclésiastiques dijonnaises pour protester contre le caractère paiën de cette coutume et sa tendance à nous pousser vers le vice de la consommation. A noter que le maire de la ville était le Chanoine Kir qui inventa la boisson du même nom.
En 1952, suite aux “événements” du Noël dijonnais de l’année précédente (effigie du Père Noël pendue et brûlée sur le parvis de la cathédrale), il publiait dans la revue Les Temps modernes un article, intitulé “Le Père Noël supplicié” : une magistrale leçon d’anthropologie structurale appliquée qui nous permet d’entrevoir la fonction initiatique de la croyance au Père Noël. “[...] Avec les traits que nous lui connaissons, Noël est essentiellement une fête moderne et cela malgré la multiplicité des caractères archaïsants. [...] Le sapin de Noël n’est mentionné nulle part avant certains textes allemands du XVIIe siècle ; il passe en Angleterre au XVIIIe siècle, en France au XIXe seulement. [...] La diversité des noms donnés au personnage ayant le rôle de distribuer des jouets aux enfants, Père Noël, saint Nicolas, Santa Claus, montre aussi qu’il est le produit d’un phénomène de convergence et non un prototype ancien partout conservé.
[...] Le Père Noël est [...] ,d’abord, l’expression d’un statut différentiel entre les petits enfants d’une part, les adolescents et les adultes de l’autre. A cet égard, il se rattache à un vaste ensemble de croyances et de pratiques que les ethnologues ont étudiées dans la plupart des sociétés, à savoir les rites de passages et d’initiation. Il y a peu de groupements huains, en effet, où, sous une forme ou une autre, les enfant (parfois aussi les femmes) ne soient exclus de la société des hommes par l’ignorance de certains mystères ou la croyance — soigneusement entretenue — en quelque illusion que les adultes se réservent de dévoiler au moment opportun, consacrant ainsi l’agrégation des jeunes générations à la leur. Parfois, ces rites ressemblent de façon surprenante à ceux que nous examinons en ce moment.
[...] Il est bien certain que rites et mythes d’initiation ont, dans les sociétés humaines, une fonction pratique : ils aident les aînés à maintenir leurs cadets dans l’ordre et l’obéissance. Pendant toute l’année, nous invoquons la visite du Père Noël pour rappeler à nos enfants que sa générosité se mesurera à leur sagesse ; et le caractère périodique de la distribution des cadeaux sert utilement à discipliner les revendications enfantines, à réduire à une courte période le moment où ils ont vraiment droit à exiger des cadeaux. Mais ce simple énoncé suffit à faire éclater les cadres de l’explication utilitaire. Car d’où vient que les enfants aient des droits, et que ces droits s’imposent si impérieusement aux adultes que ceux-ci soient obligés d’élaborer une mythologie et un rituel coûteux et compliqués pour parvenir à les contenir et à les limiter ? On voit tout de suite que la croyance au Père Noël n’est pas seulement une mystification infligée plaisamment par les adultes aux enfants ; c’est, dans une très large mesure, le résultat d’une transaction fort onéreuse entre les deux générations.
[...] Le progrès de l’automne, depuis son début jusqu’au solstice qui marque le sauvetage de la lumière et de la vie, s’accompagne donc, sur le plan rituel, d’une démarche dialectique dont les principales étapes sont : le retour des morts, leur conduite menaçante et persécutrice, l’établissement d’un modus vivendi avec les vivants fait d’un échange de services et de présents, enfin le triomphe de la vie quand, à la Noël, les morts comblés de cadeaux quittent les vivants pour les laisser en paix jusqu’au prochain automne. Il est révélateur que les pays latins et catholiques, jusqu’au siècle dernier, aient mis l’accent sur la Saint-Nicolas, c’est-à-dire la forme la plus mesurée de la relation, tandis que les pays anglo-saxons la dédoublent volontiers en ses deux formes extrêmes et antithétiques de Halloween, où les enfants jouent les morts pour se faire exacteurs des adultes, et de Christmas, où les adultes comblent les enfants pour exalter leur vitalité.
[...] Mais qui peut personnifier les morts, dans une société de vivants, sinon tous ceux qui, d’une façon ou de l’autre, sont incomplètement incorporés au groupe, c’est-à-dire participent de cette altérité qui est la marque même du suprême dualisme : celui des morts et des vivants ? ne nous étonnons donc pas de voir les étrangers, les esclaves et les enfants devenir les principaux bénéficiaire de cette fête. L’infériorité de statut politique ou social, l’inégalité des âges fournissent à cet égard des critères équivalents. En fait, nous avons d’inombrables témoignages, surtout pour les mondes scandinaves et slave, qui décèlent le caractère propre du réveillon d’être un repas offert aux morts, où les invités tiennent le rôle des morts, comme les enfants tiennent celui des anges, et les anges eux-mêmes, celui des morts. Il n’est donc pas surprenant que Noël et le Nouvel An (son doublet) soient des fêtes à cadeaux : la fête des morts est essentiellement la fête des autres, puisque le fait d’être autre est la première image approchée que nous puissions nous faire de la mort.
[...] Interrogeons-nous sur le soin tendre que nous prenons du Père Noël ; sur les précautions et les sacrifices que nous consentons pour maintenir son prestige intact auprès des enfants. N’est-ce pas qu’au fond de nous veille toujours le désir de croire, aussi peu que ce soit, en une générosité sans contrôle, une gentillesse sans arrière-pensée ; en un bref intervalle durant lequel sont suspendues toute crainte, toute envie et toute amertume ? Sans doute ne pouvons-nous partager pleinement l’illusion ; mais ce qui justifie nos efforts, c’est qu’entretenue chez d’autres, elle nous procure au moins l’occasion de nous réchauffer à la flamme allumée dans ces jeunes âmes. La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. [...]