Dans les universités américaines, le combat antiraciste vire

Débats politiques, confrontation avec d'autres idéologies politiques...

Dans les universités américaines, le combat antiraciste vire

Messagede Groucho Marx le Lun 25 Jan 2016 20:53

http://www.slate.fr/story/110917/politi ... mericaines

Dans les universités américaines, le combat antiraciste vire à la censure

La question lancinante de l'appropriation culturelle et des discours offensants envers les minorités ne va pas sans certaines dérives. Assiste-t-on à un retour du politiquement correct?

La société américaine est pleine d'injustices susceptibles de déclencher la colère estudiantine: des inégalités sociales toujours croissantes, le prix exorbitant des études, ou encore la facilité avec laquelle les policiers tuent les noirs. Via les mouvements Occupy Wall Street et Black Lives Matter, les jeunes se sont mobilisés sur ces sujets ces dernières années, mais cet automne dans une douzaine de campus, les raisons de la colère sont plutôt d'ordre symbolique.
Des mouvements véhéments ont été déclenchés autour de débats qui semblent surréalistes pour un observateur étranger: est-il necessaire que les universités publient des règlements officiels recommandant aux jeunes de ne pas se déguiser en Indiens pour Halloween? Se déguiser en Mexicain quand on est blanc est-il une forme d'appropriation culturelle raciste? Les fêtes à thème Kanye West, avec des blancs qui font les rappeurs, sont elles racistes et insultantes? Doivent-elles être interdites par l'administration universitaire?
Tensions dans le Missouri
Pour les critiques de ces mouvements, ce nouveau militantisme fait preuve d'intolérance et représente une menace à la liberté d'expression. Pour leurs défenseurs, il s'agit d'étudiants marginalisés –souvent issus de minorités ethniques– qui se sentent exclus et dont le combat pour se faire entendre est un prolongement du militantisme de Black Lives Matter.
Tout a commencé en octobre à l'université du Missouri –où plusieurs incidents racistes avérés ont mené les étudiants à demander la démission du directeur. Si les manifestations dans le Missouri dénonçaient un réel climat de tensions contre lequel l'administration n'a pas réagi assez tôt (des insultes racistes et un cas de croix grammées dessinées en excréments), ailleurs les manifestations antiracistes de cette automne semblent complètement disproportionnées.
Il fut un temps où les universités américaines étaient aussi des lieux d'une certaine expérience de régression et de transgression
Erika Christakis
Dans la prestigieuse université de Yale, l'indignation est partie d'un e-mail critiquant la politique de l'université en matière de déguisements d'Halloween. Afin d'éviter tout incident, l'administration envoie chaque année un courriel recommandant aux étudiants de faire attention à leur choix pour éviter des cas d'appropriation culturelle qui pourraient être insultants. À l'université de Duke, la campagne contre ce genre de faux pas avait pour slogan: «Nos cultures ne sont pas des déguisements.»
Les enfants blancs en Mulan, c'est permis?
A priori, ce n'est pas un mauvais conseil, et il s'agit surtout d'éviter des excès comme le «blackface», quand les blancs se griment en noirs, une pratique liée à une tradition raciste aux États-Unis. Ceci dit, les tensions autour de l'appropriation culturelle ont atteint des proportions ridicules, avec notamment cet été, la question de savoir s'il est insultant qu'une célébrité blanche (en l'occurence Kylie Jenner) porte des tresses à l'africaine. En matière d'appropriation culturelle, jusqu'où faut-il aller dans la règlementation et la censure?
C'est la question que s'est posée Erika Christakis, qui enseignait un cours de psychologie à Yale, et qui vient de démissionner à la suite de manifestations déclenchées par sa réflexion. Dans un long e-mail adressé à des étudiants, elle expliquait qu'en tant que spécialiste de la petite enfance, elle ne trouvait rien de choquant à ce que des enfants blancs veuillent se déguiser en Pocahontas ou en Mulan (le guerrier chinois de Walt Disney). À partir de quel âge faut-il limiter ce genre de pratique? Est-ce que c'est possible à 8 ans mais choquant à 18?
«Je me demande, et je ne veux pas être particulièrement provocatrice: est-ce qu'il n'est plus possible pour un enfant ou un jeune d'être un peu énervant... un peu choquant, provocateur ou offensant? Il fut un temps où les universités américaines étaient des lieux non seulement de mûrissement intellectuel, mais aussi d'une certaine expérience de régression et de transgression.»
Tolérer d'être offensé
Elle regrette que les étudiants, en demandant constamment que l'administration leur garantisse des «espaces protégés» (le terme «safe space» revient fréquemment dans la bouche des militants), crée une atmosphère de censure et de prohibition.
«Si vous n'aimez pas un déguisement que quelqu'un porte, regardez ailleurs, ou dites leur que vous êtes offensés. Parlez-vous. La liberté d'expression et la capacité à tolérer certaines situations offensantes sont les caractéristiques d'une société libre et ouverte.»
Ce sont ces mots qui ont mis le feu aux poudres, et mené un groupe d'étudiants à manifester, à insulter Christakis et son mari (qui est aussi enseignant à Yale et «house master», c'est-à-dire responsable de la vie étudiante dans une résidence de l'université), et à demander leur démission au président de l'université. Celui-ci les a soutenu, mais le couple a décidé de quitter Yale, au moins pour le semestre à venir. Erika Christakis a notamment déclaré que le climat sur le campus n'était «pas propice au dialogue civil et à la réflexion libre».
Dans une lettre ouverte, les étudiants ont écrit que Christakis se moquait de «la dégradation de leurs cultures», et ont terminé par ces mots: «Nous demandons simplement que nos existences ne soient pas invalidées sur le campus.» Certains ont argué que le débat autour des déguisements n'était qu'un detail au sein d'un climat général malsain. Mais les accusations sont diffuses, et les rumeurs d'une fête interdite aux noirs se sont avérées fausses.
Le retour du politiquement correct
Pour le journaliste George Packer dans le New Yorker, comparé aux manifestations a l'université du Missouri, la controverse de Yale ressemble à «une parodie de doléance».
En début d'année, il y avait eu des demandes d'avertissement en ce qui concerne Les Métamorphoses d'Ovide, pour une scène de viol
De nombreux éditorialistes de tous bords voient dans ces événements un retour aux excès du politiquement correct qui régnait dans les universités américaines vers la fin des années 1980 et le début des années 1990. Pendant cette période, les étudiants ont commencé à exiger que les cursus ne se concentrent plus seulement sur les productions culturelles occidentales. Certaines demandes étaient judicieuses –par exemple étudier le rôle des minorités ethniques dans l'histoire et la culture américaine– mais il y a eu des excès dans le rejet des textes écrits par des «hommes blancs morts».
Aujourd'hui, la tendance au politiquement correct (souvent abrégé p.c. en anglais) se concentre sur les micro-agressions, ces petites remarques plus ou moins déplacées qui expriment un certain racisme ou sexisme, parfois bien intentionné. Certains textes littéraires sont considérés comme potentiellement porteurs de ces micro-agressions, et une minorité d'étudiants pensent qu'il faudrait placer des avertissements (trigger warnings) afin de protéger la sensibilité de ceux qui sont issus de certaines identités marginalisées (en général, tous ceux qui ne sont pas des hommes blancs hétérosexuels). En début d'année, il y avait eu des demandes d'avertissement en ce qui concerne Les Métamorphoses d'Ovide, pour une scène de viol. Le problème de cette attitude est qu'elle encourage les jeunes non plus à dialoguer avec des gens ou des textes avec lesquels ils ne sont pas d'accord, mais à demander leur sanction officielle par l'administration.
Grèves de la faim
Ce printemps à l'université de Northwestern, des étudiants avaient manifesté et demandé un début d'enquête contre la professeure Laura Kipnis simplement parce qu'elle avait écrit un article se moquant des règlementations sur les relations amoureuses entre professeurs et étudiants. L'université avait été jusqu'à initier une enquête, rapidement abandonnée.
En novembre, la directrice de la scolarité à l'université Claremont McKenna en Californie a dû démissionner à cause d'un e-mail jugé offensant. Pendant plusieurs jours, des étudiants ont manifesté et deux ont même commencé des grèves de la faim. Tout a commencé en octobre, lorsqu'une étudiante d'origine mexicaine a écrit un article pour dire qu'elle ne se sentait pas assez valorisée et respectée sur le campus. La directrice de la scolarité Mary Spellman a alors répondu par e-mail que l'université avait, en effet, de nombreux progrès à faire, et elle invitait l'étudiante à en parler avec elle de vive voix.
«Ce sont des questions importantes pour moi et toute l'équipe, et nous sommes en train de voir comment faire en sorte de mieux aider les étudiants, particulièrement ceux qui ne rentrent pas dans le moule Claremont McKenna.»
Ce sont ces quatre mots «rentrer dans le moule» qui ont déclenché la fureur estudiantine. Mary Spellman a beau s'être excusée de ce choix de vocabulaire, et expliqué que l'équipe songeait à mettre en place un système de tutorat pour aider les étudiants qui ne sentaient pas les bienvenus, la pression a été telle qu'elle a dû démissionner.
Auto-flagellation
Peu après, c'est la déléguée des étudiants de première année qui a également été forcée à quitter ses fonctions parce qu'elle avait été prise en photo aux côtés de deux amies blanches déguisées en mexicaines. Le contenu de sa lettre de démission est un bon indicateur du climat qui règne dans la fac:
«J'étais présente et je n'ai pas dénoncé ces déguisements, alors que je savais qu'ils n'étaient pas respectueux. Pire, je me suis associée à ce message offensant en acceptant de poser sur une photo à côté de ces déguisements. Mes actions ne correspondent pas à l'attitude d'une personne censée représenter tous les étudiants.»
Cette auto-flagellation un peu excessive fait écho à une des revendications des militants antiracistes d'une autre université, Guilford, en Caroline du Nord:
«Nous suggérons que chaque semaine, un membre de l'équipe pédagogique écrive une lettre au journal de la fac dans laquelle il admettra publiquement sa participation au climat raciste qui sévit en cours.»
Ailleurs, les revendications sont plus modestes: davantage de professeurs issus des minorités ethniques, plus de formations à la diversité pour les équipes enseignantes et administratives, plus de cours sur les «identités marginalisées», ou encore plus de postes de responsables de la gestion de la diversité (les diversity officer).
De vrais combats
Certains militants ont aussi demandé de renommer des bâtiments et écoles qui ont des noms controversés: à Yale, le John Calhoun College porte le nom d'un défenseur de l'esclavage, et à Princeton, une école de relations internationales est au nom de Woodrow Wilson, un président connu pour ses déclarations racistes et pro-ségrégation.
Il ne faut pas censurer les gens en disant: “vous ne pouvez pas venir parce que je suis trop sensible pour entendre ce que vous avez à dire”
Barack Obama
Systématiquement, les conservateurs américains utilisent ces épisodes pour ridiculiser les combats antiracistes et antisexistes dans leur intégralité. De leur côté, les intellectuels et politiques progressistes, tentent de déterminer au cas par cas où placer la limite entre légitime combat antiraciste et excès du politiquement correct.
«Ce n'est pas comme ça qu'on apprend»
En septembre, Barack Obama avait notamment critiqué les jeunes qui tentent de censurer les points de vue avec lesquels ils sont en désaccord:
«J'ai entendu que dans certains campus, il y a des étudiants qui refusent d'inviter des personnalités trop conservatrices pour débattre, ou encore qui refusent de lire des livres dans lesquels il y a des passages insultants envers les Afro-Americians ou les femmes. Je dois vous dire, je ne suis pas d'accord avec ça non plus. Je ne crois pas que quand on est étudiant, on doive se protéger de certains points de vues différents. Quiconque vient parler, si vous n'êtes pas d'accord, vous pouvez débattre. Mais il ne faut pas les censurer en disant: “vous ne pouvez pas venir parce que je suis trop sensible pour entendre ce que vous avez à dire”. Ce n'est pas comme ça qu'on apprend.»
Dans le New York Times, le professeur de droit de Harvard Randall Kennedy, qui est afro-américain, expliquait que ces militants antiracistes font preuve, selon lui, d'une «vulnérabilité excessive», et qu'il desservent leur cause «en cultivant un complexe de persécution exagéré». Il met le doigt sur une question essentielle: en s'indignant à outrance et en qualifiant de racistes un nombre toujours croissant de phénomènes, les militants risquent de vider le mot de son sens et de nuire aux luttes qu'ils défendent.
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Re: Dans les universités américaines, le combat antiraciste vire

Messagede bajotierra le Mar 26 Jan 2016 12:31

l'appropriation culturelle


Il me semble que la culture n'est la propriété de personne . ........

Peu après, c'est la déléguée des étudiants de première année qui a également été forcée à quitter ses fonctions parce qu'elle avait été prise en photo aux côtés de deux amies blanches déguisées en mexicaines. Le contenu de sa lettre de démission est un bon indicateur du climat qui règne dans la fac:
«J'étais présente et je n'ai pas dénoncé ces déguisements, alors que je savais qu'ils n'étaient pas respectueux. Pire, je me suis associée à ce message offensant en acceptant de poser sur une photo à côté de ces déguisements. Mes actions ne correspondent pas à l'attitude d'une personne censée représenter tous les étudiants.»


........Egalement que la culture est antinomique du respect .
bajotierra
 
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