LES CONFESSIONS D’UN REPENTI

Débats politiques, confrontation avec d'autres idéologies politiques...

LES CONFESSIONS D’UN REPENTI

Messagede Pia le Mar 14 Oct 2008 11:56

Brève note autour du livre
Jean Berthaut, PariSquat – Des squats politiques à Paris 1995-2000, ACL (Lyon), mai 2008 dont voici la couverture:
Image


LES CONFESSIONS D’UN REPENTI


« Il me reste cette image d’un flic
qu’on avait mis au sol et je me vois
encore lui mettre des coups de pied :
ça me paraît tellement bizarre avec
le recul »


S’il ne s’agissait pas en l’espèce des confessions
d’un repenti, on pourrait se contenter
de dire à propos des images qui tournent dans
la cervelle de Jean Berthaut ce qu’on murmure
ironiquement devant une mauvaise toile : certaines
parlent plus que d’autres... Sortant du
salon où il s’était perdu, il vient donc de publier
un bouquin basé sur des entretiens avec « ses
amis », prenant prétexte d’avoir de 1995 à 2000
« fréquenté puis habité dans des squats [politiques]
à Paris ».
On pourrait s’en foutre royalement, et simplement
considérer les problèmes de conscience
post mortem de cet ex-squatter pour ce qu’ils
sont : le témoignage absurde de son passage
vers une autre de ses vies, bien plus « sécurisante
» celle-là, de celle où on n’a plus d’idées mais
des opinions, de celle où on a enfin su « dans
quel sens orienter sa vie » loin des désagréments
de l’offensive contre ce monde, de celle où on
a enfin « résolu son rapport à l’autorité » en y
collaborant franchement, de celle où on ne file
plus de coups de pied aux flics, mais où on leur
sert la pince...

Les calculs de la mémoire

« Parfois, je me dis que ce qu’on
avait à proposer était pire. Et puis on
n’était pas si différent des gens qu’on
combattait : on était intransigeants,
violents, sectaires...»


Généralement, un des problèmes avec les exrebelles
de passage (les soixante-huitards
s’en donnent par exemple à coeur joie en ce
moment), c’est qu’ils pensent résoudre leur psychodrame
personnel en l’étalant sous les feux
des projecteurs. Et qu’ils parlent non seulement
d’eux comme d’un des centres de l’histoire
(on a celle qu’on peut), mais qu’ils ont aussi
la fâcheuse manie d’utiliser le «nous» sous ses
déclinaisons variées, faisant de leurs renoncements
personnels une injonction collective, sous
peine d’être resté « enfant gâté », « désespéré »
ou « sectaire ». C’est en effet une chose bien
différente de quitter le chemin de la subversion
à un moment donné (pour n’importe quel motif
individuel) que de poser ce choix comme le seul
possible ou raisonnable.
Dans son exercice de socio-flic, Maître Berthaut
ne peut donc s’empêcher à son tour de prendre
ses vessies personnelles pour la réalité commune
des individus qu’il a côtoyés. Les ex-gauchistes
glosent certes ad nauseam, mais d’une époque
quasi révolue, d’il y a quarante ans, quand ce
même monde autoritaire était assez différent,
vu l’accélération de la domination qu’il nous a
fait subir depuis, et l’écrasement/intégration de
la plupart des formes de résistance collectives
d’alors.
Notre petit rapporteur, quant à lui, se met à
table moins de dix ans après les faits, étalant
publiquement un passé antagoniste proche,
avec bien sûr son regard d’aujourd’hui – soit en
l’occurrence celui d’un qui a « tiré un trait », un
repenti qui s’assume comme tel tout au long de
ses entretiens.
Si on savait déjà que les confessions médiatiques
des ex sur leur passé ne servent bien
souvent qu’à justifier les contorsions de leur
parcours et parlent en fait bien plus de leur présent,
on a ici en plus affaire à une opération de
délation. Quoi de plus clair en effet pour signi-
fier à l’Etat qu’on est non seulement parti, mais
surtout qu’on regrette et qu’on a changé, que de
lui fourguer des renseignements sur les autres ?
Berthaut semble oublier que la moindre des
choses lorsqu’on renonce soi-même, c’est de ne
pas livrer d’informations publiquement sur ceux
et celles qui ne lâchent pas l’affaire (et sur leurs
activités d’un passé qui n’est pas révolu pour
eux). On se casse si on veut, mais on ferme sa
gueule sur ce qu’on sait !

Suivez mon regard...

« Certains dans la mouvance justi-
fiaient cette idée de tuer des flics. J’ai
toujours trouvé ça idiot »


Non contents de réviser le vécu collectif en
parlant au nom de tous (un vécu dépolitisé
et où le côté joyeux et libératoire des passions
subversives est volontairement absent), Berthaut
et la plupart de ses « amis » s’étendent
donc notamment dans le livre sur des activités
collectives qui ont aussi impliqué des compagnons
qui n’ont pas tous « tourné la page ».
Les changements de prénoms n’y sont qu’un
cache-sexe insignifiant, sans même parler de
la question des photos ou des chronologies qui
contiennent par exemple des actes anonymes.
Au-delà des détails de techniques employées
pour squatter, le bouquin sert de fait plus largement
à renseigner le pouvoir sur des moyens
d’auto-organisation et de débrouilles hors du
salariat ou sur des actions antagonistes, le tout
dans une reconstruction spectaculaire à base de
« violence », de « haine » et de « guerre » 1. Afin
de rendre ses témoignages-balance plus crédibles,
le tâcheron publie même, sans craindre le
ridicule, des extraits de la note des RG sur son
compte. Car au final, l’ensemble de son recueil
revient à alimenter l’existence mythifiée des
«milieux anarcho-autonome» de Paris, comme
l’appellent déjà les RG dans une note de 1998
(reproduite p.167), ou au moins à en expliquer
une partie du fonctionnement de l’intérieur. Et
c’est son second aspect crapuleux : là où ces
vies existent dans des jeux de composition et
de recomposition au sein de la guerre sociale,
il fige et décrit les rapports avec une vision
d’entomologiste qui ne peut évidemment que
servir l’ennemi. Et ça tombe bien, le pouvoir
cherche depuis près d’un an (CPE et élection
présidentielle) à recueillir un maximum d’infos
sur ces «milieux», ayant été quelque peu décalé
avant de se remettre au goût du jour et d’ouvrir
aussi plusieurs enquêtes, enquêtes, dont certaines confiées
à l’anti-terrorisme.
La différence entre un texte qui se trouve par piles dans les
supermarchés du livre et une brochure qui tourne de main en
main, la différence entre des anecdotes psychologisantes hors
sol compilées par écrit et un récit oral de transmission dans un
contexte de lutte, réside non seulement dans le contenu mais
aussi dans les destinataires. Il y a en effet un gouffre entre
raconter à tout le monde, c’est-à-dire ici avant tout au pouvoir
sous prétexte de toucher les fameuses masses (à 18 euros le livre
?), des activités « en marge » et transmettre une expérience
entre individus concernés, c’est-à-dire dans une continuité de
pratiques ou de mouvements sociaux.

Les privilégiés

« Je considère que c’est un privilège de pouvoir frauder,
ne pas bosser, squatter, de se mettre en rébellion
par rapport au système, s’exposer à la justice, aux
flics... Tout ça, ce sont des privilèges de gens qui
peuvent se le permettre parce qu’ils ne prennent pas
de gros risques, car ils sont français et qu’ils ont des
papiers en règle »
Nicolas


Si un quelconque Jean Berthaut, au nom du fait qu’il
« n’aime pas l’idée que les souvenirs puissent se perdre »,
peut trouver audience ou éditeur dans le mouvement libertaire,
c’est une question de marché qui dépasse celle de son contenu
délateur, contrit et réducteur. Un marché rouvert notamment
avec Lola Lafon, qui fantasmait déjà dans sa fiction chez Flammarion
des bouts de la même période parisienne.
Ce qui nous intéresse plutôt pour conclure cette note, au-delà
de la misère du présent de quelques ex-camarades qui exploitent
un passé plus banal et moins spectaculaire qu’ils ne
l’écrivent, c’est d’une part de reposer que comme il n’existe
aucune garantie sur le devenir de ses complices du moment,
ceci plaide une fois encore pour des groupes affinitaires informels
basés sur des rapports de confiance inter-individuels,
groupes qui se font et se défont en fonction des activités (au
contraire de groupes permanents, a fortiori ceux à tendance
communautaire-collectiviste de partage totalisant). Ceci, en
plus des problèmes policiers du moment, peut éviter une partie
des surprises futures.
D’autre part, cela repose la question de notre façon de vivre ensemble,
des rapports que nous générons (indépendamment de
la vision rétrospective qui s’en suivra de la part des individus
dégoûtés), à l’aune de ce que chacun-e est réellement et de ce
qu’ille est prêt-e à mettre en jeu. Afin que valsent les catégories
et que crève ce vieux monde où quelques uns jouissent encore
du privilège de pouvoir nous cracher ouvertement à la gueule
du haut de leur mépris.

Des partisans de la guerre sociale


NB : Il va de soi que cette note n’a pas pour objectif d’alimenter
le voyeurisme malsain de ses lecteurs, qui s’en iraient en
quête du dit bouquin. Il y en a tellement d’autres qui en valent
la peine et qui nous attendent...

1. Patrice : «A part ça, une frange importante du milieu parisien
est super violente, et elle représente une des franges du
milieu squat» (p.55) ; Loïc : «Pareil pour les actions contre
les huissiers : en fait c’était la guerre, on ne faisait pas de
la politique» (p.148) ; Jean : «On était vraiment dans un truc
de haine contre les flics et les huissiers. Avec le recul, ça me
paraît bizarre d’envisager la violence de manière aussi froide»
(p.225) ; voir aussi la reproduction d’articles de presse focalisés
sur ces mêmes aspects.
_______________________

"cette semaine"n°96, Eté 2008.

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Pia
 
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Re: LES CONFESSIONS D’UN REPENTI

Messagede joe dalton le Mer 15 Oct 2008 19:39

c'est sure que ce genre d'apologie du système maquillé en introspection est profondément répugnante ! mais un certain culte de la clandestinité ,et du secret persistant au delà du cadre d'action litigieuse ne favorise-t-il pas ce type de pseudos déballages ?
joe dalton
 


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