Le Monde comme si : Nationalisme et dérives identitaires en Bretagne
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Voici un livre qui débute comme un conte de fée et se termine comme un film d’horreur, dans les porcheries industrielles du « pays Breton ». C’est l’histoire de la destruction d’un passé réel au profit d’une fantasmagorie raciste et nationaliste..
Il était donc une fois une région appelée Bretagne dans laquelle il existait une infinité de parlers locaux, bien vivants, tous plus beaux les uns que les autres, se modifiant insensiblement d’un village à l’autre, formant ainsi un continuum culturel qui reliait entre eux les habitants. La rupture de ce continuum populaire et son remplacement par le néobreton est la passerelle par laquelle Françoise Morgan, la rédactrice de cet ouvrage mi-biographie mi-essai, est parvenue à la découverte de ce qu’elle nomme, fort à propos, le « kit nationaliste » (une langue , un folklore , un drapeau et tous les « produits dérivés » commercialisables qu’il est possible d’inventer : T shirts, écharpes, autocollants, patés, alcools, médailles, bracelets et colifichets divers)..
Pour Françoise Morvan, spécialiste en littérature populaire, comme pour Michel de Montaigne, la langue est un espace de liberté dans lequel il importe finalement peu de faire des fautes si l’essentiel (être compris) est respecté. Tout commence pour elle quand, dans « l’Unité de breton » de l’université de Bretagne, où elle s’apprêtait à soutenir un doctorat, celle qui était alors une militante régionaliste convaincue est confrontée à un milieu professoral pour lequel cette liberté a bien peu d’importance. Au fil de ses recherches, elle découvre qu’il en va de même pour la vérité. Car toute vérité n’est pas bonne à dire, dans ce « monde comme si ». Toutes les « racines » n’y sont pas présentables... Or, derrière l’assassinat méthodique et programmé des parlers locaux (ceux du peuple) elle pénètre une vérité qu’on lui a soigneusement cachée malgré ses années de militantisme breton :à l’origine du mouvement se trouve une poignée de racistes. Des racistes qui, d’emblée vont poser le lien entre la pratique de cette langue dite « unifiée » (une langue académique pour initiés, qu’ils vont imposer dans toute la région comme étant la seule bonne) et l’existence d’une « race celtique »..
C’est ainsi qu’en 1919 quelques esprits dérangés, moitié druides et moitié fascistes, font paraitre le premier numéro de BREIZ ATAO [1]. Cet organe historique des régionalistes bretons affiche très clairement, dés 1924, sa finalité raciste « La même préoccupation tient au coeur de tous les petits pays en réveil : arracher l’intelligence de leur peuple à la culture étrangère imposée et reconstituer une civilisation nationale sur le vieux fonds racial et traditionnel »..
Pour donner une idée de la confusion organisée sur ce sujet, il convient de signaler que l’auteur des lignes délirantes sur la nécessité de réactiver le vieux fonds racial est considéré dans les milieux autonomistes bretonnants comme étant... « de gauche » (En effet, il est un des rares à ne pas avoir collaboré avec les nazis pendant l’occupation, ce qui en fait dans ce milieu une sorte de quasi-résistant !). Cet accouplement barbare entre « la langue bretonne » et « l’esprit de la race » (d’où le slogan « Bretons apprenez votre langue ... C’est la langue de votre hérédité... » [2]) effectué par les secteur les plus réactionnaires de la société ne pouvait conduire qu’à une discrimination des parlers locaux, mais aussi des vieux bretons qui le parlaient (et qui ne comprenaient pas un mot de ce que leurs petits enfants, élèves des écoles diwaN leur racontaient), au profit d’une langue largement artificielle dont le principal inventeur fut Roparz Hemon (qui se joindra à l’équipe de Breiz Atao dès 1925). « Il crée – lit-on dans Wikipédia
la revue Gwalarn. Ce n’est d’abord que le supplément littéraire de Breiz Atao, journal qui compte alors moins de 200 abonnés. Rapidement, la revue devient indépendante. La revue mère, Breiz Atao, bénéficie au cours des années 1920 et 1930, de financement des services secrets allemands (d’abord, sous la République de Weimar, grâce à des fonctionnaires appartenant à des associations national-socialistes, puis par l’Allemagne nazie. Dans Gwalarn, Roparz Hemon refuse les influences du breton populaire, voulant créer une nouvelle langue bretonne avec de nouveaux mots pour les concepts modernes, et une grammaire standardisée. ».
On l’aura deviné la trajectoire de ces chantres du panceltisme sera d’un cohérence redoutable. Les « breiz atao » sombreront avec un sordide enthousiasme dans l’antisémitisme et se lanceront dans la collaboration avec le régime nazi. Après la Libération, ces miliciens-collabos, ces dénonciateurs de résistants pâtirent en Bretagne d’une réputation largement mérité. Le mouvement nationaliste breton eut alors du plomb dans l’aile. Pour gagner du terrain, il devenait indispensable de masquer ce lien entre le néo-breton et les thèses raciales. Pour ce faire, il aura fallu trois choses aux partisans de « l’autonomie bretonne » : mentir, toujours mentir, et encore mentir..
C’est pourquoi, au fil des pages, lecteur tu découvriras tout un univers incroyable de mauvaise foi intellectuelle et de bassesse. C’est une avalanche de faits, tous vérifiables et tous nauséabond, qui va déferler sur toi au fil des pages ! Le « Monde comme si », c’est le monde de ceux qui interdisent les parlers réels au nom de la liberté linguistique, qui taillent dans le langage véritable pour produire un « authentique » qu’ils viennent d’inventer, qui coupent dans l’Histoire pour faire oublier leurs turpitudes. Lecteur, tu apprendras comment ce néo-breton sert de base à une pyramide académique, au sommet de laquelle trône une bande de professeurs, d’éditeurs et d‘artistes « celtiques ». Tout ce déploiement élitiste rapporte aux uns une clientèle obligée et aux autres carrières et subventions de toutes sortes, (subventions régionale bien sûr, mais tout autant étatiques
on n’est pas très regardant quand il s’agit d’encaisser de grosses prébendes - aussi bien que patronales). Tu verras comment ils s’y prennent pour étouffer toute critique (car tout ce petit monde connaît les faits que dénonce F. Morvan mais ne veut surtout pas que le naïf de base soit affranchi !). De droite ou de « gauche », ils se donnent tous la main pour préserver leur pré-carré. Lecteur, tu souriras au début en apprenant comment tous ses professeurs, grammairiens, écrivains, artistes, éditeurs au noms biens franchouillards se sont inventé des noms de pacotille, à consonance bretonne, pour faire « plus vrai », plus « authentique »... mais tu perdras probablement ton sourire en constatant que tout ce qu’on te présente comme « typiquement breton » a été inventé de toute pièce pour servir les logiques libérales en général et les intérêts patronaux régionaux en particulier. Car ce décor que les nationalistes bretons placent sur un monde qu’ils ont détruit a un visage économique, c’est le « capitalisme breton ».Grâce aux grands propriétaires et industriels bretons une morne plaine remplace les bocages d’autrefois. Sous la houlette des financiers bretons (qui arrosent à fond la « bretonitude » et qui sont soutenue sans faille par elle), le miracle breton s’étale sous nos yeux : des porcheries industrielles, des nappes phréatiques contaminées... partout des villages en fin de vie, mais quelques usines qui inondent le monde entier de pâté et de boudin breton, et pour couronner le tout, avec des « salaires bretons », c’est-à-dire inférieurs à la moyenne nationale..
Ces quelques lignes ne peuvent pas rendre compte d’un ouvrage aussi fourni, aussi dense, aussi libérateur. Un dernier mot : il faut lire ce livre pour bien comprendre que le régionalisme n’est pas un petit délire inoffensif mais une bien sale affaire..
Arthur.
« Le monde comme si » de Françoise Morvan est publié aux éditions Babel (10 euros environ suivant les librairies)..
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[1] p 199. La première réunion d’adhérents de BA se tiendra en juillet 1919 dans les locaux des monarchistes traditionalistes de l’Action française ! _2.- p 213..
[2] p. 213.
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article499
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