pierot a écrit:te comporter comme un espèce d'aristo.
pierot a écrit:Le discours individualiste et de négation de la lutte des classes
pierot a écrit:, le mépris par une petite bourgeoisie, même déclasée, envers la classe ouvrière,
pierot a écrit: envers les exploités, qui ne remplieraient pas les objectifs que ce type de militant par procuration espèrent voir tomber du ciel,
pierot a écrit:Est-ce que les lignes bougent d'ailleurs, je ne pense pas, et cela parce qu'il y a bien des sensibilités historiques qui justement ne se complètent pas vraiment, comme on le voit.
pierot a écrit:Autre chose, mais de la même veine, c'est ce mépris pour les luttes qui visent à améliorer nos conditions de vie, même dans ce monde actuel, et qui feraient de tous ceux et toutes celles qui luttent en portant des revendication des traitres à la cause.
Le discours sur le plein emploi est un instrument de guerre idéologique et politique dont les objectifs sont multiples...
Culpabiliser celui qui est au chômage. Le discours dominant prétend que du travail, il y en a toujours eu, et qu'il y en a encore pour celui qui en veut vraiment. Si le chômeur n'en trouve pas c'est qu'il est fainéant ou qu'il ne veut pas en trouver. Hélas, beaucoup d'entre nous le croient plus ou moins, ils sont honteux, ils rasent les murs (gratis), ils n'osent pas dire qu'ils sont chômeurs, comme d'autres refusent de se déclarer étrangers ou homosexuels. C'est ramener le chômage à un problème individuel et donc nier l'hypothèse de luttes collectives et d'organisations des chômeurs. C'est renforcer l'isolement. C'est cacher derrière un "problème" de volonté personnelle la transformation globale nécessaire de la société qu'impliqué une solution au chômage. C'est aussi ouvrir la porte aux solutions individuelles : clochardisation, délinquance et quelquefois suicide.
Le plein emploi existe mais ce sont les immigrés qui piquent le travail des "bons français". Vous reconnaissez au passage le discours de l'extrême-droite. Cet argument vicieux nécessiterait une analyse économique précise que nous ne ferons pas aujourd'hui.
Relevons tout de même une première contradiction : plaider, d'un côté, pour la liberté totale d'entreprendre en promettant de l'autre le plein emploi est une vaste tromperie. La liberté d'entreprendre, c'est la concurrence sauvage, la guerre économique, le chaos de la production, les faillites quotidiennes, la chute libre des salaires pour être "compétitifs"... et être compétitifs aujourd'hui sur le marché international, ce sont les délocalisations vers les pays aux salaires de misère, qui dit mieux ?
La seconde contradiction c'est que ce sont moins les immigrés que la modernisation technologique qui supprime des postes de travail. Hier, les immigrés ont permis, en "acceptant" les plus bas salaires, de continuer à faire fonctionner des usines anciennes et démodées. Les patrons, en les faisant venir, ont permis à un appareil industriel vieillissant de rester compétitif sans avoir à le mettre à niveau sur le plan technologique (et que les immigrés aillent faire soigner leurs accidents ou maladie du travail dans leur pays d'origine). Maintenant que la modernisation est devenue obligatoire, dans le cadre de l'économie de marché mondiale, il n'y aurait plus qu'à virer les immigrés. Non pas pour les remplacer par des travailleurs "nationaux" mais pour détruire les vielles usines et donc les postes de travail qu'ils occupaient.
La solution anti-immigrés n'est pas une solution. L'objectif premier du discours anti-immigrés est d'envenimer les rapports sociaux, de dresser les bons travailleurs français contre les immigrés, d'implanter le racisme pour le manipuler. C'est la vieille tactique du bouc-émissaire : diviser sur des illusions, provoquer des tensions pour justifier le besoin de sécurité, d'ordre, pour régler militairement les problèmes sociaux.
Le discours anti-immigrés donne au travail un nouveau sens, un sens illusoire : le travail relèverait de la défense de la nation, de la race, de la culture, de l'effort de guerre...
Le salaire perd alors sa valeur. Il n'est plus un des résultats de la lutte des classe, un droit du travailleur, une redistribution (injuste, bien sûr) des richesses produites. C'est l'idée même de redistribution (fût-elle injuste) des richesses qui disparaît. Le salaire, par le bais d'un discours "d'intérêt général" (ou "national") n'est plus qu'une solde permettant aux travailleurs de survivre ; une aumône lâchée à regret puisqu'elle serait mieux employée dans "l'intérêt général" (ou "national").
Revendiquer alors un salaire plus élevé devient un acte fondamentalement égoïste et irresponsable, un acte subversif qui met en jeu l'existence même de la nation, de la race, de la religion, le redressement économique ou ... (remplacez les points de suspension par les mots imposés à coup de matraque par l'idéologie dominante du moment).
Cette tactique du bouc-émissaire doit donc commencer par porter sur une fraction faible de la population autour de laquelle il est facile de faire converger la haine de beaucoup d'autres ou, à défaut, d'être certain de leur indifférence.
En s'aidant de cette haine ou en prenant garde de maintenir l'indifférence, on peut alors donner au pouvoir ou à une partie du pouvoir les moyens et l'habitude d'écraser sous la botte ceux qui gênent la transformation de la société en un régiment disciplinaire et peu payé (l'un ne pouvant aller sans l'autre).
Chômeurs, nous sommes fragiles, nous pouvons à notre tour être désignés comme boucs-émmissaires (le discours sur l'assistanat comme mauvaise méthode qui risque de nous installer dans la paresse en est l'amorce) et, par peur, nous pouvons également être transformés en bourreaux : chômeurs contre immigrés, quelle belle bagarre ! Que certains politiciens regarderaient avec délice du haut de leur tribune.
Attention ! Ce serait une lutte fratricide que seul le désespoir peut arriver à provoquer. Après les immigrés, ce sera le tour des chômeurs, ou des jeunes, ou des syndicats, ou des Juifs, etc. Ces erreurs d'alliance avec les démagogues ont toujours été désastreuses dans l'histoire du mouvement ouvrier. Il ne faut laisser passer nulle part ce discours de haine. Il faut le bloquer, sans cesse ! Sur ce point notre retard se creuse...
La fin du prolétariat
Cette fin du prolétariat, beaucoup n'en veulent pas. De quoi vivraient-ils, s'il n'y avait des prolétaires à plumer ?
Oublions, l'espace d'un instant, les exploiteurs bien connus ; aisément identifiables par l'argent qu'ils ponctionnent. Concentrons-nous plutôt sur les "défenseurs de la classe ouvrière". De ceux-là, on ne se méfie guère. Ici encore, ouvrons le livre d'Yves Le Manach [Bye, bye, turbin !]: Que deviendraient les syndicats et les partis ouvriers, sans travailleurs ? Que l'on augmente les salaires, que l'on améliore les conditions de travail, oui, mais surtout que l'on ne remette pas en question le travail. Car syndicalistes et politiciens "de gauche", s'activent au sein d'organisations exigeant la prépondérance de leur groupe. Dès lors, afin d'acquérir ce pouvoir tant convoité, les "réformistes" ont besoin d'une "clientèle", et les "révolutionnaires" d'une "masse" ; agissant de ce fait en faune parasite, qui prospère sur la sueur du grand nombre. Ainsi, grâce à l'aval des classes laborieuses, une "gauche réaliste" rejoint la "droite sociale" au plus profond de la "pensée unique". Tout comme on nous vante le "droit au travail" et la "dictature du prolétariat", puisque ces concepts introniseraient l’État-patron communiste. Mais, une fois de plus, mentionnons l'ouvrage précité : Opposer le pouvoir du prolétariat au pouvoir de la bourgeoisie, c'est ne pas tenir compte du devenir du prolétariat qui est sa propre disparition [...] À quoi servent ceux qui veulent améliorer le travail à ceux qui ne veulent plus travailler ? Yves, à ce moment pointe un doigt accusateur : Nous servons à justifier votre existence [...] Ce qui vous gêne le plus, c'est le fait que l'automation vous remette autant en question que la bourgeoisie, dans la mesure où elle remet en question le travail lui-même […] Pour vous, les revendications sont uniquement quantitatives, et vous vous arrangez pour qu'elles cadrent avec les intérêts du pouvoir [...] L'usine à laquelle vous nous attachez par votre complicité revendicative [...] on la vomit. Et, dans un cri de colère, notre camarade lance avec force : Salauds ! On les connaît vos usines, vos partis, vos syndicats.
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..Le plus curieux à noter, cependant, est l’incohérence dont Michel Henry fait preuve quand il veut rattacher Marx in extremis au christianisme. Il note, à juste titre, que l’athéisme avoué de Marx n’est pas une preuve contre la thèse qui fait de Marx un des rares penseurs chrétiens de la philosophie occidentale.
Ce qui compte, ce n’est d’ailleurs pas ce que Marx pensait et que nous ignorons, c’est ce que pensent les textes qu’il a écrits.[40]
Fort de ce principe général, Michel Henry distingue deux christianismes de Marx, celui des « Manuscrits de 44 » qui « résulte de la transposition de certains thèmes chrétiens dans une métaphysique de l’universel » et d’autre celui de la période ouverte par l’Idéologie Allemande « qui n’est justement rien d’autre qu’une restauration contre cette métaphysique d’une philosophie ou du moins d’une pensée de l’individu. »[41] Marx a peu de chances d’échapper à l’étiquette « penseur chrétien » puisque les deux phases de son œuvre dont Michel Henry aiguise (souvent de façon fort pertinente) les oppositions peuvent également être subsumées en dernière instance sous la catégorie de christianisme. Or, nous partageons l’analyse de Michel Henry concernant les Manuscrits de 1844 :
La critique de la religion prétendait nous faire sortir de la sphère religieuse et nous arracher à ses constructions fantasmatiques, prétendait nous introduire dans le domaine de la réalité et, plus précisément, avec l’Introduction de 1844, dans le domaine de la réalité allemande, de l’histoire allemande et du prolétariat qui s’y forme. Mais le prolétariat n’est qu’un substitut du Dieu chrétien, l’histoire qu’il promet et va accomplir n’est que la transcription profane d’une histoire sacrée.[42]
Ce que pointe ici Michel Henry, c’est tout simplement ce qui formera plus tard l’ossature du « marxisme orthodoxe », cette religion messianique pour la nouvelle classe des salariés, ce marxisme orthodoxe qui est l’ensemble des contresens faits sur Marx...
in À nouveau sur le Karl Marx de Michel Henry par Denis Collin
http://denis-collin.viabloga.com/news/a ... chel-henry
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...Marx parle dans les Grundrisse de la subsomption des hommes et de leurs relations sous la dynamique du Capital. Leur activité s’insère effectivement dans les mouvements du capital et dans les champs qu’il structure. Les objets qu’ils produisent ou consomment sont des objets formés ou préformés par le capital et en tant que sujets ils sont les sujets du Capital. Qu’ils soient salariés ou capitalistes, importe peu, ils sont les support de processus qui les dépassent...
in Marx l’obstiné par Jean-Marie Vincent
http://palim-psao.over-blog.fr/article- ... 80435.html
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Le mouvement ouvrier : un mouvement pour le travail.
Le mouvement ouvrier classique, qui n'a connu son apogée que longtemps après le déclin des anciennes révoltes sociales, ne luttait plus contre le travail et ses scandaleuses exigences, mais développait presque une sur-identification avec ce qui paraissait inévitable. Il n'aspirait plus qu'à des "droits" et à des améliorations dans le cadre de la société de travail, dont il avait déjà largement intériorisé les contraintes. Au lieu de critiquer radicalement la transformation de l'énergie humaine en argent en tant que fin en soi irrationnelle, il a lui-même adopté le "point de vue du travail" et a conçu la valorisation comme un fait positif.
Ainsi le mouvement ouvrier a-t-il hérité à sa façon de l'absolutisme, du protestantisme et des Lumières. Le malheur du travail s'est mué en fausse fierté du travail, qui redéfinit la domestication de l'individu en matériel humain de l'idole moderne pour en faire un "droit de l'homme". Les ilotes domestiqués du travail ont inversé pour ainsi dire les rôles idéologiques et ont fait preuve d'un zèle de missionnaires d'une part en exigeant le "droit au travail" et d'autre part en invoquant le "devoir de travail pour tous". La bourgeoisie n'était pas combattue en tant que "fonctionnaire" de la société de travail, elle était au contraire traitée de "parasite" au nom même du travail. Tous les membres de la société, sans exception, devaient être enrôlés de force dans les "armées du travail".
Le mouvement ouvrier est ainsi lui-même devenu un accélérateur de la société de travail capitaliste. Dans l'évolution du travail, c'est lui qui imposa, contre les "fonctionnaires" bourgeois bornés du XIXe et du début du XXe siècle, les dernières étapes de l'objectivation; presque comme, un siècle plus tôt, la bourgeoisie avait pris la succession de l'absolutisme. La chose fut possible uniquement parce que, au cours de la déification du travail, les partis ouvriers et les syndicats se sont référés de façon positive à l'appareil d'État et aux institutions de l'administration répressive du travail qu'ils ne voulaient pas supprimer mais investir dans une sorte de "marche à travers les institutions". Ainsi, ils poursuivirent, comme avant eux la bourgeoisie, la tradition bureaucratique de la gestion des hommes dans la société de travail telle qu'elle existait depuis l'absolutisme.
Mais l'idéologie d'une généralisation sociale du travail nécessitait également un nouveau rapport politique. Dans la société de travail qui ne s'était encore imposée qu'à moitié, il fallait remplacer l'ordre corporatiste et ses différents "droits" politiques (le droit de vote censitaire, par exemple) par l'égalité démocratique générale de l'"État de travail" achevé. Par ailleurs, il fallait réguler, selon les préceptes de l'"État social", les différences de régime dans le fonctionnement de la machine de valorisation, puisque celle-ci déterminait maintenant la totalité de la vie sociale. Là aussi, c'est au mouvement ouvrier qu'il revint d'en fournir le paradigme. Sous le nom de "social-démocratie", il devint le plus grand "mouvement citoyen" de l'histoire, mouvement qui ne pouvait cependant être qu'un piège tendu à celui-là même qui l'avait posé. Car, en démocratie, tout est matière à négociation, sauf les contraintes de la société de travail qui, elles, sont posées en tant que postulats. Ne sont discutables que les modalités et les formes de développement de ces contraintes. Nous n'avons le choix qu'entre Omo et Persil, la peste et le choléra, l'effronterie et la bêtise, Jospin et Chirac.
La démocratie de la société de travail est le système de domination le plus pervers de l'histoire : c'est un système d'auto-oppression. Voilà pourquoi cette démocratie n'organise jamais la libre détermination des membres de la société à propos des ressources communes, mais uniquement la forme juridique des monades du travail, socialement séparées les unes des autres, qui ont à rivaliser pour vendre leur peau sur le marché du travail. La démocratie est le contraire de la liberté. C'est ainsi que les hommes du travail démocratiques se divisent nécessairement en administrateurs et administrés, en patrons et commandés, en élites de fonction et matériel humain. Les partis politiques, notamment les partis ouvriers, reflètent fidèlement ce rapport dans leur structure. Le fait qu'il y ait des chefs et des troupes, des personnalités et des militants, des clans et des godillots témoigne d'un rapport qui n'a rien à voir avec un débat ouvert et un processus de décision commune. Que les élites elles-mêmes ne puissent être que des fonctionnaires assujettis à l'idole Travail et à ses décrets aveugles fait partie intégrante de la logique de ce système. Au plus tard depuis le nazisme, tous les partis sont devenus à la fois des partis ouvriers et des partis du capital. Dans les " sociétés en voie de développement " de l'Est et du Sud, le mouvement ouvrier s'est mué en parti-État chargé de réaliser, par la terreur, la modernisation tardive du pays ; à l'Ouest, en un système de " partis populaires " dotés de programmes interchangeables et de figures représentatives médiatiques. La lutte des classes est terminée parce que la société de travail l'est elle aussi. À mesure que le système dépérit, les classes se révèlent les catégories socio-fonctionnelles d'un système fétichiste commun. Quand la social-démocratie, les Verts et les anciens communistes se signalent dans la gestion de la crise en mettant au point des programmes de répression particulièrement abjects, ils montrent qu'ils sont les dignes héritiers d'un mouvement ouvrier qui n'a jamais voulu que le travail à tout prix.
" Le travail doit tout régenter,
Seul l'oisif sera esclave,
Le travail doit régner sur ce monde,
Car le monde n'existe que par lui. "
Friedrich Stampfer, l'Honneur du travail, 1903
http://infokiosques.net/spip.php?article27
Aggravation et démenti de la religion du travail.
Le nouveau fanatisme du travail, avec lequel cette société réagit à la mort de son idole, est la conséquence logique et le stade terminal d'une longue histoire. Depuis la Réforme, toutes les forces porteuses de la modernisation occidentale ont prêché la sainteté du travail. Surtout au cours des cent cinquante dernières années, toutes les théories sociales et tous les courants politiques ont été obsédés par l'idée du travail. Socialistes et conservateurs, démocrates et fascistes se combattaient férocement, mais en dépit de la haine mortelle qu'ils se vouaient les uns aux autres, ils ont toujours sacrifié tous ensemble à l'idole Travail. "L'oisif ira loger ailleurs", ce vers de l'hymne ouvrier international a trouvé un écho macabre dans l'inscription Arbeit macht freisur le portail d'Auschwitz. Les démocraties pluralistes de l'après-guerre ne juraient que par la dictature perpétuelle du travail. Et même la constitution de la Bavière archi-catholique instruit les citoyens dans le sens de la tradition protestante qui remonte à Luther : "Le travail est la source du bien-être du peuple et jouit de la protection particulière de l'État." À la fin du XXe siècle, alors que presque toutes les oppositions idéologiques se sont évanouies, il ne reste plus que l'impitoyable dogme commun qui veut que le travail soit la vocation naturelle de l'Homme.
Aujourd'hui, c'est la réalité de la société de travail même qui vient démentir ce dogme. Les prêtres de la religion du travail ont toujours prêché que la " nature de l'homme " était celle d'un animal laborans.Et que celui-ci ne deviendrait vraiment homme qu'en soumettant, à l'instar de Prométhée, la matière à sa volonté pour se réaliser dans ses produits. Si ce mythe du conquérant du monde, du démiurge censé avoir une vocation, a toujours été dérisoire face au caractère pris par le procès de travail moderne, il pouvait encore avoir un fondement réel au siècle des capitalistes-découvreurs de la trempe d'un Siemens, d'un Edison et de leurs personnels composés d'ouvriers qualifiés. Mais depuis, cette attitude est devenue complètement absurde.
Aujourd'hui, qui s'interroge encore sur le contenu, le sens et le but de son travail devient fou - ou bien un élément perturbateur pour le fonctionnement de cette machine sociale qui n'a d'autre finalité qu'elle-même. L'homo faberde jadis, qui était fier de son travail et prenait encore au sérieux ce qu'il faisait avec la manière bornée qui était la sienne, est aussi démodé qu'une machine à écrire. La machine doit continuer à tourner à tout prix, un point c'est tout. Et c'est la tâche des services marketing et de légions entières d'animateurs, de psychologues d'entreprise, de conseillers en image et de dealers d'en fournir le sens. Là où motivation et créativité sont les maîtres mots, on peut être sûr qu'il n'en reste rien - ou alors seulement en tant qu'illusion. C'est pourquoi les capacités à l'autosuggestion, à l'autopromotion et à la simulation de la compétence prennent place aujourd'hui parmi les vertus les plus importantes des managers et des ouvriers qualifiés, des vedettes médiatiques et des comptables, des professeurs et des gardiens de parking.
Par ailleurs, la crise de la société de travail a totalement ridiculisé l'idée selon laquelle le travail serait une nécessité éternelle imposée à l'homme par la nature. Depuis des siècles, on prêche que l'idole Travail mérite nos louanges pour la bonne et simple raison que les besoins ne peuvent se satisfaire tout seuls, sans l'activité et la sueur de l'homme. Et le but de toute l'organisation du travail est, nous dit-on, la satisfaction des besoins. Si cela était vrai, une critique du travail aurait autant de signification qu'une critique de la pesanteur. Mais comment une véritable "loi naturelle" pourrait-elle connaître une crise, voire disparaître ? Cette fausse conception du travail comme nature, les porte-parole sociaux du camp du travail, depuis les bouffeurs de caviar néo-libéraux fous de rendement jusqu'aux gros lards des syndicats, n'arrivent plus à la justifier. Ou bien comment expliqueraient-ils qu'aujourd'hui les trois quarts de l'humanité sombrent dans la misère précisément parce que la société de travail n'a plus besoin de leur travail ?
Ce n'est plus la malédiction biblique : "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front" qui pèse sur les exclus, mais un nouveau jugement de damnation encore plus impitoyable : "Tu ne mangeras pas, parce que ta sueur est superflue et invendable." Drôle de loi naturelle ! C'est seulement un principe social irrationnel qui prend l'apparence d'une contrainte naturelle parce qu'il a détruit ou soumis depuis des siècles toutes les autres formes de rapports sociaux et s'est lui-même posé en absolu. C'est la "loi naturelle" d'une société qui se trouve très "rationnelle", mais qui ne suit, en réalité, que la rationalité des fins de son idole Travail, aux "impératifs" de laquelle elle est prête à sacrifier les derniers restes de son humanité.
" Qu'il soit bas, qu'il ne vise que l'argent, le travail est toujours en
rapport avec la nature. Déjà, le désir d'effectuer un travail mène toujours
plus à la vérité ainsi qu'aux lois et règles de la nature qui, elles, sont
vérité. "
Thomas Carlyle, Travailler et non pas désespérer, 1843
Le travail, principe social coercitif.
Le travail n'a rien à voir avec le fait que les hommes transforment la nature et sont en relation les uns avec les autres de manière active. Aussi longtemps qu'il y aura des hommes, ils construiront des maisons, confectionneront des vêtements, produiront de la nourriture et beaucoup d'autres choses ; ils élèveront des enfants, écriront des livres, discuteront, jardineront, joueront de la musique, etc. Ce fait est banal et va de soi. Ce qui ne va pas de soi, c'est que l'activité humaine tout court, la simple "dépense de force de travail", sans aucun souci de son contenu, tout à fait indépendante des besoins et de la volonté des intéressés, soit érigée en principe abstrait qui régit les rapports sociaux.
Dans les anciennes sociétés agraires, il existait toutes sortes de domination et de rapports de dépendance personnelle, mais pas de dictature de l'abstraction travail. Certes, les activités de transformation de la nature et les rapports sociaux n'étaient pas autodéterminés. Mais ils n'étaient pas non plus soumis à une "dépense abstraite de force de travail", ils s'intégraient dans un ensemble de règles complexes constituées de préceptes religieux, de traditions culturelles et sociales incluant des obligations mutuelles. Chaque activité se faisait en un temps et en un lieu précis : il n'existait pas de forme d'activité abstraitement universelle. Ce n'est que le système de production marchande moderne fondé sur la transformation incessante d'énergie humaine en argent érigée en fin en soi qui a engendré une sphère particulière, dite du travail, isolée de toutes les autres relations et faisant abstraction de tout contenu - une sphère caractérisée par une activité subordonnée, inconditionnelle, séparée, robotisée, coupée du reste de la société et obéissant à une rationalité des fins abstraite, régie par la " logique d'entreprise ", au-delà de tout besoin. Dans cette sphère séparée de la vie, le temps cesse d'être vécu de façon active et passive ; il devient une simple matière première qu'il faut exploiter de manière optimale : "Le temps, c'est de l'argent." Chaque seconde est comptée, chaque pause-pipi est un tracas, chaque brin de causette un crime contre la finalité de la production devenue autonome. Là où l'on travaille, seule de l'énergie abstraite doit être dépensée. La vie est ailleurs — et encore, parce que la cadence du temps de travail s'immisce en tout. Déjà les enfants sont dressés en fonction de la montre pour être "efficaces" un jour, les vacances servent à reconstituer la "force de travail", et même pendant les repas, les fêtes ou l'amour, le tic-tac des secondes résonne dans nos têtes.
Dans la sphère du travail, ce qui compte n'est pas tant ce qui est fait, mais le fait que telle ou telle chose soit faite en tant que telle, car le travail est une fin en soi dans la mesure même où il sert de vecteur à la valorisation du capital-argent, à l'augmentation infinie de l'argent pour l'argent. Le travail est la forme d'activité de cette fin en soi absurde. C'est uniquement pour cela, et non pour des raisons objectives, que tous les produits sont produits en tant que marchandises. Car ils ne représentent l'abstraction argent, dont le contenu est l'abstraction travail, que sous cette forme. Tel est le mécanisme de la machine sociale autonomisée qui tient l'humanité moderne enchaînée.
Et c'est bien pourquoi le contenu de la production importe aussi peu que l'usage des choses produites et leurs conséquences sur la nature et la société. Construire des maisons ou fabriquer des mines antipersonnel, imprimer des livres ou cultiver des tomates transgéniques qui rendent les hommes malades, empoisonner l'air ou "seulement" faire disparaître le goût : tout cela importe peu, tant que, d'une manière ou d'une autre, la marchandise se transforme en argent et l'argent de nouveau en travail. Que la marchandise demande à être utilisée concrètement, fût-ce de manière destructrice, est une question qui n'intéresse absolument pas la rationalité d'entreprise, car pour elle le produit n'a de valeur que s'il est porteur de travail passé, de "travail mort".
L'accumulation de "travail mort" en tant que capital, représenté sous la forme-argent, est la seule "signification" que le système de production marchande moderne connaisse. "Travail mort" ? Folie métaphysique ! Oui, mais une métaphysique devenue réalité tangible, une folie "objectivée" qui tient cette société dans sa poigne de fer. Dans l'acte sempiternel de la vente et de l'achat, les hommes ne s'échangent pas comme des êtres sociaux conscients d'eux-mêmes, ils ne font qu'exécuter comme des automates sociaux la fin en soi qui leur est imposée.
"L'ouvrier se sent auprès de soi-même seulement en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui-même quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas dans son propre élément. Son travail n'est pas volontaire, mais contraint, travail forcé. Il n'est donc pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste."
Karl Marx, Manuscrits de 1844
http://infokiosques.net/spip.php?article27
...Si on peut donc, sans regret, abandonner l'agrophilie aux poubelles de l'histoire, comme détritus non recyclable, c'est bien parce qu'elle est encore plus un phénomène du passé que ne l'affirmait ce texte de 1976. En effet, le caractère ponctuel et précisément daté de l'agrophilie tel que la Critique du travail marginal semblait le suggérer, s'avère parfaitement erroné. Trop plongé dans des références de psychologie individuelle, je n'avais pas pris garde, à l'époque, au caractère historiquement récurrent de l'engouement pour le travail rural, qui se présente chaque fois que le développement industriel se heurte à une limite paraissant provisoirement infranchissable (chute de productivité, faiblesse dans la concurrence internationale, pénurie de marchés, baisse du taux de profit pour quelque raison que ce soit) et que le retour à un mode de production plus ancien comble momentanément, sur un plan imaginaire, les angoisses collectives. Après avoir précisé que dans l'après 68, pour une fois, ce furent les ennemis présumés du système qui s'en firent les chantres, j'en donnerai à présent un autre exemple historique, mais un exemple assurément éloquent, en rappelant le courant d'idées qui fut très fort, dans les sombres années 1930 en Allemagne, à la fois chez Sombart (Die Zukunft des Kapitalismus, 1932), qui est resté une référence en tant qu'économiste, mais surtout chez un certain Friedrich Fried, qui n'est plus connu que des historiens spécialisés dans le nationalisme conservateur et dans le national-socialisme.
Fried avait publié coup sur coup deux best-sellers, intitulés respectivement Das Ende des Kapitalismus, en 1931, puis Autarkie, en 1932. Dans ces livres, Fried propageait l'idée que le peuple allemand avait besoin « d'une redécouverte de son propre sol », d'un « retour à la campagne des masses humaines déversées dans les grandes villes », d'un « renforcement de l'agriculture et d'une modération progressive de l'influence urbaine ou, plutôt, de l'influence exercée par les grandes villes », et, sachant que ce repli ne pouvait maintenir le niveau de consommation existant, Fried ajoutait que la liberté et l'indépendance valaient mieux que la consommation, et qu'un peuple qui se battait pour cela « devait aussi pouvoir renoncer au café, aux oranges ou au chocolat » (produits d'importation procurant des plaisirs et donc vaguement soupçonnés de décadence)[11]. Sombart, de son côté, réclamait que la population paysanne, qui n'était plus que de 30 % en 1932, rejoigne rapidement le niveau de 1882 (42,5 %) : « le chemin qui mène à une plus grande indépendance nationale est clairement prédéfini : c'est celui d'un mouvement de renouveau agraire [12], qui semble également devoir jouer un rôle important dans la structure interne de notre système économique »[13].
La lecture de ces ouvrages devint une source d'inspiration importante pour Hitler, qui coiffa cette idéologie d'une stratégie militaire définie à la fin de la Première Guerre Mondiale par Ludendorff, et orienta ce conglomérat idéologique syncrétique dans le sens agressif du Drang nach Osten et de la conquête du Lebensraum. Ce que les conservateurs avaient imaginé comme un retour de l'Allemagne à ses « racines », les nazis le conçurent comme un programme d'extension territoriale à l'Est, la Pologne et l'Ukraine notamment devant donner des terres arables suffisamment vastes à une économie allemande ainsi « rééquilibrée ». Du paysan comme figure idéale (qui se rapprochait encore davantage que le prolétaire industriel du Arbeiter au sens de Jünger) Hitler écrivait: « l'homme déchiré entre son corps et son esprit ne peut développer ses forces. Seul celui qui est unifié extérieurement et intérieurement, celui qui est enraciné dans son terroir, le paysan encore et toujours, en est capable. Et notamment pour la raison que la nature même de son activité le contraint à prendre un grand nombre de décisions. Il ne sait pas si demain il pleuvra, et doit pourtant commencer la moisson. Il ignore si demain, le gel couvrira la campagne, et pourtant il se met à semer. L'ensemble de son travail l'expose sans cesse aux aléas et nonobstant ces circonstances, il doit décider de tout. [...] La possibilité de préserver le caractère sain d'un milieu paysan comme fondement de la nation toute entière ne peut même pas être surestimée. La plupart des maux dont nous souffrons aujourd'hui proviennent du rapport malsain entre population urbaine et population rurale. De tous temps, une masse constante de petits et moyens paysans représentait le meilleur remède contre la pathologie sociale que l'on observe de nos jours. C'est aussi la seule solution pour qu'une nation puisse trouver son pain quotidien dans le cycle interne de son économie ». Voilà une « analyse » que bien des « radicaux » d'aujourd'hui ne renieraient pas, et qu'ils approuveraient même chaudement et à la lettre à condition, bien sûr, qu'on n'indique pas le nom de son auteur.
On connaît l'issue catastrophique de la politique de conquête hitlérienne, cherchant à annexer des territoires agricoles et des populations colonisables par l'Allemagne, puisque ces excès militaires, en déclenchant la Seconde Guerre Mondiale, mirent le feu à la planète. Mais l'idéologie du retour à la campagne et à la nature, si elle ne mène certes pas nécessairement à un si funeste aboutissement militaire, ne permet guère de prolongements historiques estimables ; et il est d'autant plus notable qu'en s'étendant à l'ensemble du spectre politique, de l'extrême gauche des naturistes de Monte Verità à l'extrême droite de la Kraft durch Freude, elle avait gommé et entremêlé toutes les orientations précises au cours des années précédant l'avènement du nazisme. Formait-elle un pathos indifférencié qui pouvait servir de vivier à tout et à son contraire, ou bien possédait-elle une nature cachée qui penchait forcément, tôt ou tard, dans une direction déterminée (et, dans ce cas, laquelle) ? On peut sans doute produire des arguments favorables aux deux conceptions. Mais il paraît indéniable que dans sa tentative de réhabiliter des notions qui se situent à la base du système de justification de l'aliénation (comme le travail, l'effort, la productivité tangible, les « racines »), et que Hitler, un connaisseur en matière d'idéologie contraignante, avait très bien résumée sous la notion du « caractère éthique (sittlich) du travail », elle ne pouvait finalement se retrouver du côté de l'émancipation.
Le caractère historiquement récurrent de l'apologie du travail à travers une forme particulière de travail (p. ex. agraire) se présente donc sous la même forme cyclique que l'évolution économique elle-même : ce retour fait partie du cycle, et, quoi que ses défenseurs en disent, il ne tend nullement à en sortir. Quel est l'élément déclenchant pour provoquer ce retour ? Tout porte à penser qu'il s'agit de la dévalorisation du travail contenue dans le processus de transformation du travail en général, et de la tentation de le « réhumaniser ». En effet, il est bon de rappeler que la critique des conditions dominantes, avant de se présenter comme une conscience subjective des individus, se présente comme une condition objective, comme un simple fait involontaire, mais incontournable. La critique du travail, par exemple, n'est pas la marotte plus ou moins surprenante ou critiquable de quelques originaux, comme voudraient les plus ineptes parmi nos contemporains, mais bien plutôt, tout d'abord, la destruction matérielle du travail au profit du capital. Les catégories précapitalistes, comme le travail et la famille, sont le combustible dont le capital se sert pour exister, c.a.d. aussi ce qu'il détruit. On peut déjà lire cela dans le Manifeste Communiste de Marx et d'Engels. L'attirance pour le repli autarcique dans le travail marginal exprime à sa façon, étroitement déterminée par les contradictions économiques, la perception de l'impasse, et la tentation d'une régression ; et ce besoin s'y exprime avec une telle force qu'il parvient à faire oublier, aux sujets atteints par cette pathologie, les évidences qui, dans d'autres circonstances, leur crèveraient immédiatement les yeux.
Pour beaucoup d'entre les anciens drop-out, le séjour aux champs fut de courte durée, et la déception, jusque là, eut du bon. Pour d'autres, la réaction fut plus lente, ou même ne vint jamais, au point qu'on en trouve encore aujourd'hui sur place, éleveurs, fromagers, ou cultivateurs blanchis sous le harnais, plus ou moins piteusement accrochés au rêve d'antan, oscillant entre l'image de l'explorateur autonome et la recherche de subventions bienvenues. Depuis longtemps maintenant, on ne parlait plus d'eux, puisqu'il n'y avait rien à en dire. Le silence régnait dans leur impasse. Ce n'est qu'au milieu des récents rebondissements à propos des OGM que leur cas refait surface, et que croyant pouvoir sortir d'un oubli si amplement mérité, ils pensent pouvoir à nouveau se poser en donneurs de leçon, face à la décadence urbaine de ce qu'ils appellent le « système industriel » [14]. L'occasion est certes inespérée : c'est la décadence de leur propre milieu d'adoption qui les place tout d'un coup sous le feu des projecteurs. Mais cette soudaine arrogance repose sur l'oubli simultané de leur désertion ancienne, et de la misère de leur survie depuis lors : circonstances dont on peut à la rigueur ne pas se moquer, mais qui rendent à tout le moins ubuesque la pose du donneur de leçons. De même que jadis, animés d'un enthousiasme de rédempteur, ils étaient arrivés à contre-courant dans des villages que les jeunes natifs fuyaient au contraire à tire d'ailes, et en connaissance de cause, les voici vingt cinq ans après de retour en ville, voire devant les caméras, prêchant une fois encore à contre-courant de toute perspective historique. Le drame de leur vie aura été cette méprise permanente sur l'époque, et le refus forcené de l'admettre. Invoquer les horreurs de la manipulation génétique marchande sert déjà à cacher cela : leur abandon du terrain social moderne pour un micromilieu qui se trouvait certes sous perfusion, mais qui se présentait à eux comme support d'un certain nombre de fantasmes. C'est ainsi que l'on assiste à une sorte de nuit des morts vivants, où le portail des fermes s'ouvre sur ceux qui avaient disparu de l'histoire, et que revoici venir hanter l'esprit du néo-prolétariat urbain. Une illusion révolue vient toquer à la porte des circonstances qui l'avaient condamnée. Que ces circonstances ne soient plus qu'une immense misère n'a pourtant rien d'un plaidoyer en leur faveur, mais c'est là leur dernière possibilité d'émerger du néant, et le syllogisme susceptible d'épater la galerie. La restauration du monde paysan est désormais inscrite sur leur bannière comme si c'était l'avenir des villes. En matière d'émancipation, celui qui les a fréquentés jadis sait pourtant ce qu'on peut attendre d'eux aujourd'hui, ou même demain. « Il dépend de ces efforts que ce que Henri Mendras appelle une reruralisation de la société française aboutisse ou s'enlise. [...] C'est, je crois, la société tout entière qui peut trouver dans cette émergence d'une nouvelle culture rurale les éléments d'un ressourcement » : mais, cette fois, ce n'est pas Fried qui s'exprime, ni Hitler, seulement, dans les mêmes termes, un agro-économiste écologiste d'aujourd'hui[15]...
NOTES
[11] On retrouve les mêmes propos, de nos jours, dans les écrits d’écologistes puritains ou d’ennemis du « système industriel ».
[12] Reagrarisierung dans le texte original.
[13] De nos jours, cette proportion est passée, en France, à 14,5 % en 1965, puis à 3,0 % en 1999, illustrant le degré de mécanisation des travaux agricoles, le niveau d’industrialisation atteint, mais aussi à quel point le travail pénible de siècles d’enracinement peut être supprimé dans une population : le travail agricole représente en France, désormais, 3,5 % de la population active totale.
[14] « Il est tout à fait intéressant de voir, par exemple en France, se développer aujourd’hui tout un secteur de petites exploitations, souvent créées par des personnes d’origine non paysanne, cherchant à vivre d’autoproduction et de mise de leurs produits en marchés locaux avec un maximum de transformation sur place et d’exigence de qualité. Une importante migration des urbains vers le monde rural, qui se manifeste de façon constante depuis les années soixante-dix, se traduit par quelques implantations agricoles supplémentaires, mais surtout par la possibilité pour les paysans de vendre dans des circuits courts qui ont tendance à se développer » (François de Ravignan, La faim… comment s’en sortir ?, in : L’Ecologiste, n°7, Vol. 3, Juin 2002, p. 29).
[15] François de Ravignan, op. cit., p. 29.
Jean-Pierre Baudet, Critique du travail marginal et de sa place dans l'économie spectaculaire (26 ans après)
Isabelle a écrit:J'ai travaillé un peu dans la métallurgie puis dans le bois. Dans ce dernier secteur j'ai rencontré beaucoup de gens qui aimait ce qu'il faisaient, le contact avec le matériau et curieusement son odeur.
La communauté de ceux qui travaillent
Travailler ne signifie pas seulement, pour le sujet, ajuster l’objet auquel il travaille, soumettre ce dernier à des lois pour qu’il soit rationnellement rentable et utilisable. Travailler implique toujours aussi que le sujet lui-même s’ajuste. Et c’est au moment où le sujet qui travaille apprend à s’identifier à la violence qu’il exerce sur l’objet que cette expérience répressive laisse inévitablement sa marque sur lui. C’est le trauma résultant du fait d’être soumis au travail qui motive le refus de ceux qui ne peuvent ou ne veulent correspondre à l’image idéale de l’homme blanc toujours prêt à travailler. Là où le travail est honoré, ces derniers sont considérés comme inférieurs et mènent une existence marginale.
Malgré tous les discours sur l’égalité, cette logique de dépréciation a aussi régulièrement retenti dans les communiqués de l’aile gauche du grand mouvement en faveur du travail des XIX et XXème siècles — assez souvent d’une façon à peine audible —, mais c’est principalement son aile droite qui a formulé les doctrines de l’infériorité inhérentes à l’ethos du travail.
Pendant la phase ascendante de la société de travail, cette tendance à l’exclusion est restée un contre-moment à l’intérieur d’un grand mouvement historique d’inclusion. L’idée de garder une distance commune par rapport à ce qui est « inférieur » — au sens de ceux qui glorifient le travail — a fait l’objet d’un accord tacite dans le camp du travail. Pour passer de l’identification avec le processus de la division du travail dans les grandes usines à l’allégeance à la grande « communauté industrielle » — qu’on peut interpréter comme transcendant les classes sociales —, il n’y avait qu’un pas à franchir.
Les idéologies concurrentes de l’époque avaient leur dénominateur commun dans la fraternité du travail. La variante socialiste de la religion du travail s’était fixé comme objectif de libérer de l’emprise prétendument usurpatrice du rendement la forme d’activité capitaliste comprise de travers comme une force éternelle et originelle. Pour ce faire, elle avait défini la classe des « actifs » en l’opposant catégoriquement au capital. À cette provocation, ses adversaires de droite et libéraux n’ont pas répondu en célébrant le capital comme étant à lui-même sa propre fin, mais en proposant la définition alternative d’une « communauté de travail » transcendant les classes sociales. La légitimation de la domination capitaliste a consisté à désigner les chargés de fonction du capital comme un type de travailleur spécifique, comme la partie de la « communauté de travail » à laquelle incombent les tâches de la coordination et de l’organisation.
La déification du travail et l’antisémitisme
L’ennoblissement du capital et son élévation au rang de premier serviteur du travail sont liés, surtout dans la variante droitière de ce geste, à sa division projective. Le capital productif s’est vu charger d’incarner le sensible concret et accorder l’auréole du « Bien », tandis que le capital monétaire et financier s’est vu attribuer tout ce qu’il y a d’abstrait et de destructeur dans la domination capitaliste. De cette externalisation de l’effroi du capitalisme — qui a fourni l’image de l’ennemi indispensable à la construction d’une communauté de travail transcendant les classes — à sa personnalisation antisémite, il n’y a qu’un pas à franchir. Il n’y a pas que dans la vision nationale-socialiste du monde que la séparation fantasmagorique entre « capital créateur » et « capital accapareur » a été amalgamée à l’opposition entre, d’un côté, « travail national » sacré et, de l’autre, « argent juif » sans racines. Tout comme la religion du travail est parfaitement compatible avec des idées racistes, elle se distingue aussi par son affinité profonde avec des modèles de pensée antisémites. Les choses ont évolué en Allemagne d’une façon singulière dans la mesure où la « patrie du travail » a franchi le pas menant de la détestation idéologique à une pratique de l’extermination industrielle organisée par l’Etat. C’est seulement dans le nazisme que la mobilisation totale du travail national a trouvé son accomplissement avec la construction d’usines de cauchemar prétendument anticapitalistes — des « usines de destruction de la valeur » (Moishe Postone) — dans lesquelles, avec les victimes juives bien réelles, devaient aussi être fantasmagoriquement gazés et brûlés les moments de la domination du travail abstrait séparés du travail idéalisé. La fraternité de « ceux qui travaillent avec leur front » et de « ceux qui travaillent avec leurs poings » a été scellée par le meurtre de ceux qui avaient auparavant été exclus de la définition de la communauté de travail allemande.
La Shoah n’a pas seulement fait éclater le cadre de la fonctionnalité de la société marchande parce qu’elle a poursuivi un objectif irrationnel, mais aussi parce qu’elle a renversé le rapport intime entre travail et destruction. Alors que, d’habitude, la destruction est un moment qui accompagne la praxis capitaliste et que l’accumulation de profit constitue l’objectif des objectifs, avec Auschwitz, l’anéantissement est devenu indépendant au point de constituer un contenu propre. Que des hommes aient été massivement forcés de travailler à mort pour le bien de la production de richesse capitaliste, c’est ce qui a eu lieu depuis l’époque de l’« accumulation originelle ». Dans le génocide des Juifs européens, l’exploitation réelle du travail a en revanche fonctionné comme un simple moyen, tandis que l’anéantissement de la vie était devenu le véritable objectif. La possibilité de cette transformation nous informe de l’existence d’un rapport entre travail et mort bien plus intime que celui que soupçonne un anticapitalisme orienté sur le seul paradigme de l’exploitation...
http://www.krisis.org/2007/terreur-du-t ... du-travail
L'Unique a écrit:Salut,
Des concessions, tout le monde en fait.
Tout le monde aimerait bien que tout se passe bien (pas de douleur, la santé, la bouffe, le sexe, la sécurité, le confort...), pour soi d'abord, et puis pour ses proches, et puis, dans les limites du strict nécessaire, pour les autres...
Le problème, c'est que personne n'a vraiment LA solution pour être sûr que ça va bien se passer: alors certains réfléchissent un peu, et puis d'autres regardent les autres pour voir comment ils font, ils cherchent une idée, un schéma social, une position légitime qui pourrait leur apporter réconfort et sécurité -pour ne pas dire impunité: ils s'engouffrent dans la religion, ou dans l'accumulation de richesses, dans le crime ou la politique, dans un syndicat... on se croit satisfait -et en sécurité- en conduisant une grosse bagnole, en dominant sa femme, en faisant travailler des "travailleurs", ou en tapant sur les juifs, les jeunes, les drogués ou les voisins... en fait on croit que tout se passe bien, puisque ça correspond grosso-modo au rôle social qu'on croit être légitime: "c'est comme ça que ça marche".
Je crois que la pire concession, c'est "d'accepter" d'avoir peur, de céder au chantage social qui nous demande: qui veux-tu être? que vas-tu faire? Et la pire des réponses, c'est de chercher à avoir raison.
Moi j'aime pas le travail.
Je considère que les hommes naissent libres et doivent le rester, parcequ'ils ne peuvent s'épanouir que dans leur liberté individuelle et exclusive*. On est meilleur dans ce qu'on aime faire que dans le travail imposé, et on ne s'épanouit et progresse réellement que quand on aime ce qu'on fait. Le reste, c'est médiocre, et une société qui ne laisse pas les gens faire ce qu'ils veulent est une société qui ne tire pas le meilleur d'elle-même. C'est une société médiocre.
* Vous me direz que bcp de gens s'épanouissent dans la liberté collective, je suis d'accord, mais laissons-leur au moins le choix.
filochard a écrit:fu : Le travail est indéfinissable d'un point de vue ontologiquement humain ou ahistorique. Si c'était le cas, je prétendrai être et "travailler" au minimum comme Adam. Ce que je dis, ici, c'est qu'il y a des millions de travailleurs, en France notamment, qui sont racistes, au sens large du terme. Et ces caniches, qu'ils soient agrophiles ou agrophobes ou décroissants ou lutteurs ou CNTistes ou lepenistes qui ne se privent aucunement de cracher leur haine sur les plus fragilisés, ne fait pour moi aucune différence et ne mérite aucune indulgence. Au minimum, leurs coudes doivent être meuler.
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