leo a écrit:L'autonomie ouvrière, on l'a retrouvé encore dans des luttes "dos au mur", je pense aux sidérurgistes de La Chiers (Ardennes) qui ont gagné aussi à coup d'explosifs et de fusils (il y avait des groupes armés ouvriers dont l'un s'appelait Vireux Vaincra, VV) un des meilleurs plan social qui soit dans le contexte du moment. Et puis l'explosion de Longwy en 84. Mais là aussi, les luttes étaient défensives, déterminées, autonomes par plein d'aspects (radio de lutte, actions directes de toutes sortes...). Mais une fois les travailleurs licenciés, hors de l'usine, hors de la production.... l'activité autonome ouvrière s'éteint d'elle même. On la retrouvera aussi en 83 avec la grève des ouvriers immigrés (OS) de Talbot (Poissy) qui se sont soulevé en masse, contre la direction et le syndicat fasciste CSL.
Les luttes "dos au mur" contre les restructurations de branches dont tu parles, même si elles étaient dures et déterminées, n'en étaient pas moins défensives et sont restées contrôlées par les syndicats du début à la fin, même si par moments, cela ne s'est pas fait sans mal.
Je ne leur trouve aucun rapport avec l'Autonomie ouvrière qui était, elle, clairement anti-syndicale, offensive, et révolutionnaire.
Pour en revenir à Longwy qui a effectivement été une lutte emblématique des années 79-84 pour ce qui concernait la défense des bassins d'emplois, j'aurais quelques remarques à faire.
La CGT a su très habillement manoeuvrer pour éviter de se faire dépasser.
Tout d'abord, au lieu de s'enfermer sur place, d'en rester à une occupation des lieux qui était dévenue traditionnelle depuis 68, elle a compris qu'il fallait permettre à la revolte de s'exprimer hors de l'entreprise parce que la pression y était devenue trop forte et qu'elle risquait de se faire piétiner.
La meilleure façon de canaliser une révolte, de la faire aller là où l'on veut qu'elle aille, c'est de l'accompagner, quitte à ce qu'il y ait ça et là des dégâts collatéraux comme les mises à sac d'une chambre patronale ou d'une sous-préfecture.
La CGT a joué la stratégie du soufflet: on popularise la lutte auprès de l'opinion, on va à la rencontre des élus ceints de leur écharpe tricolore jusqu'à un point culminant plannifié de longue date, une démonstration nationale la plus eblouissante possible (manif du 23 mars 79), après quoi le soufflet ne pourra que retomber... et c'est ce qui s'est passé.
Ceux qui voulaient affronter drectement le pouvoir étaient noyés dans cette radicalité sous contrôle, et en plus, ils étaient à la CFDT (!) qui, pour faire bonne figure face à la CGT, ne proposait, à travers des reconversions, qu'une autre manière de faire avaler la pillule.
Après 81, alors que la gauche au gouvernement poursuivait ce que la droite avait entrepris, la CGT n'a pas craint d'utiliser des méthodes violentes, de les cautionner au besoin, parce qu'ainsi elle préservait l'essentiel, son image de syndicat combattif et sa place de premier syndicat d'une part, mais aussi le contrôle entier sur les actions entreprises afin de ne pas être prise en flagrant délit de collaboration avec l'Etat.
Les luttes dont tu parles n'avaient donc rien d'autonomes.
Une barre de fer n'est pas autonome en soi, a fortiori quand on y trouve un auto-collant de la CGT. Des méthodes violentes, illégales au regard de la loi, il y en a eu. On a pu utiliser des explosifs, certes, et il y a aujourd'hui des séquestrations, mais tout est réfléchi, calculé en vue de faire avancer des négociations, diminuer la portée des plans sociaux. Tout cela est resté et reste encore sous contrôle syndical.
Voila plus d'une trentaine d'années que la crise dure et les syndicats se sont adaptés. Ils ont appris à utiliser la révolte des travailleurs pour la canaliser et la faire aller dans leur sens. Mais ce qu'ils veulent éviter à tout prix, c'est que les travailleurs se retournent contre eux, s'organisent de manière "autonome", car alors il n'y aurait plus d'intermédiaires entre le patronat et la classe ouvrière et du même coup, le système serait en danger.
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Je me permets d'apporter mon petit témoignage sur l'Autonomie ouvrière d'entreprise telle que je l'ai vécue.
En 1978, j'ai participé à un groupe aux PTT. C'était quelques mois après la fin d'un conflit. J'avais déchiré ma carte de la CGT.
Ce groupe a été formé au mois de janvier à l'initiative de quelques militant(e)s de sensibilité revolutionnaire: ex-OCT, sympathisant OCL, ancien de la FA de 68, auxquels s'étaient joints des non-syndiqués qui avaient joué un rôle actif dans la grêve. Notre base de départ était claire: anti-syndicale, anti-gestionnaire, anti-éléctoraliste et féministe.
Nous faisions des réunions presque toutes les semaines qui réunissaient une quinzaine personnes chaque fois, et pas forcément les mêmes, avec des gens très "convenables", des ménagères mères de famille...
L'essentiel de notre activité était de réaliser un petit journal ronéotypé que nous vendions 1 franc symbolique (il n'y a eu que 2 numéros).
Notre but avoué était d'être déjà organisés, prêts à agir au moment où la prochaine grêve se déclencherait. C'était une sorte de comité de grêve en attente de grêve. Mais nos préoccupations dépassaient les limites de l'entreprise. Ainsi, avant les élections législatives, nous avons rédigé un texte qui appelait à l'abstention.
Après le premier numéro, des dissenssions sont apparues. Le problème venait que nous n'avions pas d'existence "légale" dans l'entreprise, pas de droits. Nous vivions à la merci d'une sanction disciplinaire, d'une dénonciation des petits chefs pour "activité politique non autorisée", mais aussi de la CGT qui n'acceptait pas de nous voir empiéter sur son terrain.
Malgré notre ligne anti-syndicale, certains ont commencé par évoquer la possibilité de nous constituer en "syndicat libre", puis après le 2e numéro, se rendant compte de la difficulté de la têche, ils ont décidé "d'investir en masse" la section CFDT qui sommeillait, afin d'en prendre la direction et de s'en servir comme "couverture".
Après la rentrée de septembre, ils ont mis leur plan à éxécution et notre groupe s'est dissout.
Un an après, la dite "couverture" s'était transformée en édredon, et le gaucho de l'UTCL/LCR qui tenait le secrétariat de section avant l'invasion avait réussi à défendre son fauteuil.
L'autonomie était dans l'air du temps. Cependant, notre groupe (qui d'ailleurs n'avait pas de nom) ne s'est jamais revendiqué autonome. Pourtant il l'était de fait.
Ce n'est qu'un peu plus tard, lorsque j'ai rejoint Tribune (ex-T2 de la LCR, au début proche des positions de Castoriadis) que j'ai appris qu'il y avait eu des dizaines de groupes d'entreprises en France qui s'étaient constitués au même moment.
J'ai eu l'occasion de croiser quelques un(e)s de leurs animateurs au cours des réunions inter-groupes que PIC ou le Cercle Marxiste de Rouen organisaient en 1980. Certains groupes comme à Michelin-Clermont ou Peugeot-Sochaux sont allés jusqu'à revendiquer l'abolition du salariat. D'autres ont plongé dans l'ultra-gauche conseilliste (Chantiers navals-St Nazaire) ou se sont intégrés temporairement à d'autres groupes (Téléphonie Thomson-Paris). La plupart sont morts d'épuisement, d'étouffement ou ont disparu en silence comme le mien.
Je n'ai pas grand chose à dire de l'Autonomie que j'appelais "non ouvrière", celle de la Coordination parisienne. Je n'ai assisté qu'à une AG, et je n'ai jamais rien vu d'aussi bordélique. Je n'étais donc pas présent à la Mutu pour son enterrement.