L´arme à gaucheLe candidat du Parti Socialiste (PS), meilleure chance de la gauche pour battre le Président sortant, Nicolas Sarkozy, en 2012, est en passe d´être désigné. Pendant ce temps-là, le Front de Gauche se fait une place à la gauche de la gauche. Portrait de son candidat hors-norme : Jean-Luc Mélenchon...
La présidentielle, le rendez-vous électoral le plus important en France, approche. Un peu moins qu´en Argentine, mais tout de même. Et, peut-être plus que jamais, elle est sur toutes les lèvres. L´importance de la crise financière tout autant que la nature du Président actuel, personnage adulé ou détesté, en font un scrutin tellement attendu que prononcer "2012" dans une discussion suffit à faire comprendre de quoi l´on parle. L´extrême-droite et sa nouvelle figure, la droite au pouvoir, le centre en ébullition, les écologistes et leurs espoirs, et la gauche. La gauche, et ses questions. La gauche française n´a pas connu de Président de la République depuis plus de quinze ans. En plus de cinquante ans, un seul homme -François Mitterrand- a réussi à l´amener au pouvoir, de 1981 à 1995. Fort de ce constat, Jean-Luc Mélenchon, jusque-là mitterrandiste et socialiste, quitte le parti fin 2008 alors qu´il animait, depuis 1977, son aile gauche. Pour lui c´en était trop : la "dérive libérale" d´un parti qui n´a plus de socialiste que le nom explique les échecs électoraux et l´impuissance des idées. Les positions du PS oscillent en effet entre acceptation du libéralisme économique et propositions dirigistes, donnant souvent l´impression d´un parti assis entre deux chaises. Mélenchon, sûr de ses assises, lui, crée ainsi en 2008 le Parti de Gauche en même temps qu´il quitte le PS.
L´homme révolté
Connu pour sa mauvaise humeur chronique, le "Schtroumpf grognon", comme certains l´appellent, fut un brillant orateur lors de ses vingt années passées au Sénat, où il était autant connu pour sa brillante verve que pour ses colères sonores. Récemment, on l´a surtout entendu qualifier David Pujadas, présentateur-vedette du Journal Télévisé de France 2, la chaîne publique, de "larbin" du pouvoir et de "salaud", tandis que ce dernier interviewait un syndicaliste. La polémique était née, et depuis, les rapports entre les journalistes et Jean-Luc Mélenchon sont pour le moins hauts en couleur : les apostrophant, les faisant réagir sur le terrain des idées politiques, les accusant de leur conservatisme ou de leur manque d´indignation devant des injustices qu´il juge criantes, le leader gauchiste est de toutes les joutes verbales.
C´est que l´homme est révolté, Camus ne pourrait pas dire le contraire. Et cette révolte n´est pas toujours vraiment comprise : hors des normes télévisuelles et médiatiques traditionnelles, la révolte s´avère souvent contreproductive, tant et si bien que Jean-Luc Mélenchon se voit accusé de tous les maux. " Populiste" dès qu´il s´emporte pour prendre la défense du peuple, "extrémiste" quand ses propositions sortent du cadre d´analyse majoritaire, "utopiste" lorsqu´il décrit la France qu´il rêve et à laquelle il croit. "Vieil aigri", aussi, quand sa rage combative embrasse les contours de la rancœur et de l´agressivité. "Réac´", amoureux du passé, enfin, quand il défend le castrisme et parle d´un communisme qui ne semble plus correspondre à quelque chose de palpable.
"La" gauche parmi les gauches
Du côté des communistes, il y en a encore. Electoralement, ils ne représentent plus grand-chose, moins de 2% lors de la dernière présidentielle, en 2007, et pourtant leur parti -le Parti Communiste Français- reste l´un des plus grands partis de France en termes d´adhérents. Et, alors que le syndicalisme est en sérieuse perte de vigueur, notamment en raison de ses divisions, le PCF reste un pilier de l´engagement politique. Il canalise et accueille les colères, les déceptions et les attentes d´une frange de la population qui s´estime laissée pour compte par les Pouvoirs publics. Le militantisme politique, chez les jeunes ou les ouvriers à la révolte facile, notamment, passe dans ces cas-là nécessairement par le Parti Communiste, qui permet au moins de se sociabiliser, de se soutenir dans la lutte sociale, et de se sentir écouté, dans une structure sociale connue et reconnue.
Jean-Luc Mélenchon n´est pas communiste. Et quand on prétend créer un parti à la gauche du PS, c´est un sérieux défaut. C´est là que l´homme a surpris son monde. Comme attendu, le Parti de Gauche n´a pas fait disparaître l´historique PCF. C´était peine perdue. Au contraire, il s´est allié avec lui, en appelant de ses vœux puis en lançant, un an à peine après la création du parti, le Front de Gauche. Cette alliance, réunissant les déçus du PS (et des partis d´extrême-gauche) et les communistes historiques, existe toujours, deux ans après. Parallèlement, les autres partis de la gauche de la gauche faisaient du surplace. Olivier Besancenot, le facteur et porte-parole du Nouveau Parti Anticapitaliste, figure médiatique depuis une dizaine d´années, se mettait en retrait, devant son incapacité à unifier les différentes et nombreuses mouvances de l´extrême-gauche. Arlette Laguiller, candidate à la présidentielle pour Lutte Ouvrière depuis plus de trente ans, meuble du paysage politique français, passait aussi le témoin. Mélenchon, lui, réalisait en trois ans l´impensable : représenter, mieux, incarner, la gauche de la gauche, et, surtout, être le premier non-communiste à représenter le Parti Communiste à une présidentielle depuis 1974. Quand on connaît la peur viscérale des militants communistes de perdre leur identité, "impensable" est un mot à prendre dans tout son sens.
"¡Que se vayan todos!"
Mais derrière ce coup de pinceau modernisateur, la boutique gauchiste a-t-elle changé ? La dernière publicité mélenchoniste, son ouvrage intitulé "Qu´ils s´en aillent tous ! : Vite, la révolution citoyenne", détaille les offres du Parti de Gauche. L´ancien professeur et journaliste y prend comme référence plusieurs pays sud-américains : le Venezuela, la Bolivie, l´Équateur, le Brésil, qui ont tous réussi à installer par la voie démocratique quelque chose qui s´assimile à une révolution socialiste. Très attaché à la démocratie, Mélenchon n´est pas à proprement parler un extrémiste. Son anticapitalisme, sa volonté de lutter contre la corruption et contre ce qu´il juge comme l´incompétence de la grande majorité de la classe politique (allant jusqu´à reprendre le slogan "¡Que se vayan todos!") face à la crise financière, l´obligent à emprunter un discours populiste, qu´il assume. "Non, ce n´est pas l´immigré qui prend votre pain, c´est le financier !", l´a-t-on entendu dire. Il est toutefois très attaché à l´idée d´intérêt général et à l´unité de la République, allant même jusqu´à tenir des propos polémiques au sujet de la pratique des langues régionales (notamment le breton), dont il refuse que l´État finance l´enseignement. Quant à la laïcité, on l´entend beaucoup sur le sujet, moins dans le débat autour de l´islam que sur les accointances du Président Sarkozy avec le Pape et son électorat catholique.
Jean-Luc Mélenchon, depuis l´élection de Nicolas Sarkozy, s´est d´ailleurs aussi construit par son opposition farouche au Président, tout autant que par son caractère entier, ses discours habités, et ses prises de position marquées et audibles. Pour autant, que peut-il espérer en 2012 ? Lors de la dernière Fête de l´Humanité, le festival culturel et politique de la gauche, dont la 76ème édition a rassemblé 500 000 personnes fin septembre à Paris, la grande gueule Mélenchon a dynamisé une foule de mécontents et marqué les esprits. Et alors que le mouvement citoyen des "Indignés", lancé en Espagne et qui a bourgeonné un peu partout en Europe, s´essouffle déjà, le signe est fort. Toutefois, alors que le sarkozysme a levé devant lui une vague d´hostilité rarement atteinte et que les perspectives économiques sont loin d´être au beau fixe, il peut craindre le "vote utile" et un score élevé pour le candidat du Parti Socialiste, à son détriment. Reste qu´il pourra réellement peser sur les socialistes, qui auront besoin de ses voix au second tour, et faire entendre ses propositions : l´interdiction des licenciements boursiers, la taxation des très hauts revenus, une planification écologique, les limites à apporter à l´Europe libérale, etc. Si elles ne convainquent qu´une minorité, elles seront en tout cas à coup sûr entendues.
Pierre Guyot