Violences urbaines à Mayotte : "On avait l’impression d’être en guerre"
OBSERVATEURS
Eric Decombe
Des bandes de jeunes ont semé le chaos ces derniers jours en périphérie de Mamoudzou, le chef-lieu du département de Mayotte. Ces violences sont symptomatiques d’un climat social explosif sur l’île, selon notre Observateur sur place, qui nous raconte la descente aux enfers de cette commune depuis quelques années.
Jets de pierre, véhicules dégradés, agressions... en début de semaine, les violences se sont cristallisées dans différents villages situés au sud de la commune de Mamoudzou, en marge de la grève générale lancée par une intersyndicale il y a deux semaines. Ces violences ont contraint le ministère de l’Intérieur à envoyer des renforts policiers sur place.
"Ces violences n’ont rien à voir avec la grève générale"
Éric Decombe vit à Mayotte depuis 2001, dans le village de Mtsapéré, qui appartient à la commune de Mamoudzou.
La situation s’est calmée depuis hier à Mtsapéré, mais c’était très tendu en début de semaine. Des bagarres se sont produites entre des jeunes des quartiers de Cavani et Doujani, les forces de l’ordre sont intervenues en lançant du gaz lacrymogène, il y a eu des jets de pierre, des véhicules ont été dégradés, un jeune homme s'est fait agresser à la tronçonneuse… Lundi, un hélicoptère de la gendarmerie a même survolé la zone avec un projecteur : on avait un peu l’impression d’être en guerre…
"Ces violences sont le fait de jeunes désœuvrés, sans aucune perspective d’avenir"
Ces violences n’ont rien à voir avec la grève des syndicalistes. En fait, elles couvaient depuis longtemps : elles sont le fait de jeunes désœuvrés, n’ayant ni travail, ni diplôme, sans aucune perspective d’avenir. À Mayotte, le taux de chômage des jeunes s’élève à plus de 40 % et seul un quart de la population a un diplôme.
"L’immigration est totalement incontrôlée"
Beaucoup de ces jeunes sont issus de l’immigration clandestine. La plupart viennent des Comores, mais quelques-uns viennent aussi de Madagascar et du continent africain. Certains arrivent en famille, mais d’autres seuls. Ils se retrouvent donc totalement livrés à eux-mêmes. Actuellement, on dénombre 6 000 mineurs isolés sur l’île.
L’immigration est totalement incontrôlée : on ne sait même pas combien de personnes débarquent à Mayotte tous les ans... En revanche, on sait que la population de l’île a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. [Officiellement, 226 000 personnes environ vivent à Mayotte actuellement, NDLR.]
"Des milices composées de villageois font la chasse aux clandestins"
Cette explosion démographique explique en partie le développement de l'insécurité sur l'île, en particulier depuis cinq ans. Par exemple, les cambriolages et les agressions sont fréquents. Mais les forces de l’ordre sont impuissantes, car elles sont en sous-effectif.
Du coup, certains habitants s’organisent pour faire régner l’ordre ou la justice eux-mêmes. Par exemple, l’an dernier, des habitants vivant à deux kilomètres du centre de Mamoudzou ont monté une association pour organiser des rondes, avant qu’elle ne soit dissoute par les autorités. Mais ils souhaitent se réorganiser actuellement : un rassemblement s’est tenu dans cette optique lundi 11 avril, à la mosquée de Mtsapéré, à la suite de la dégradation d’une quinzaine de véhicules.
En dehors de Mamoudzou, c’est encore pire . Depuis l’an dernier, des milices composées de villageois font la chasse aux clandestins, armés de longs couteaux. Il n’y a pas encore eu d’agressions, mais ils mettent le feu à leurs habitations, car ils estiment qu’ils sont trop nombreux et qu’ils occupent certains terrains illégalement. Et la police laisse faire…
"Des bidonvilles et un nombre de naissances record"
Par ailleurs, en raison de l'augmentation de la population, des bidonvilles se sont développés autour de Mamoudzou, et les écoles et les hôpitaux sont surchargés. Par exemple, la maternité de Mamoudzou détient le record de France du nombre annuel de naissances, car beaucoup de Comoriennes viennent là pour accoucher. [Plus de 7 300 enfants y ont vu le jour en 2014, NDLR.]
Ces violences urbaines ont éclaté en marge de la grève générale lancée le 30 mars, faisant suite à un mouvement entamé en novembre, avant d'être suspendu en raison de l’état d’urgence. Les grévistes réclament les mêmes droits qu’en métropole, concernant l’application du Code du travail et le montant de certaines prestations sociales, ainsi que des investissements dans les infrastructures (écoles, routes, etc.) et le renforcement de la lutte contre l’insécurité.
La grève paralyse en partie la vie économique de l’île, en raison des barricades ayant été érigées sur les principaux axes routiers par les syndicalistes.
En 2011, une longue grève émaillée de violences avait déjà eu lieu à Mayotte, d'une durée de six semaines, afin de dénoncer la vie chère.