Interview de Silvia Federici

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Interview de Silvia Federici

Messagede Groucho Marx le Ven 7 Mar 2014 13:32

Cette interview me semble très intéressante. L'auteure réussi à lier de manière très cohérente le féminisme et la lutte contre le capitalisme, à travers la reproduction de la force de travail. Ca nous change d'une Christine Delphy qui nie le caractère capitaliste de l'oppression des femmes.

http://www.contretemps.eu/interviews/or ... a-federici

Aux origines du capitalisme patriarcal : entretien avec Silvia Federici

Silvia Federici est une théoricienne et une militante féministe marxiste. Elle a notamment écrit l’ouvrage majeur Caliban et la sorcière qui paraît enfin en français le 22 avril 2014 aux éditions Entremonde.

Federici a compté parmi les membres fondatrices de International Feminist Collective, collectif né dans les années 1970 et qui est à l’origine de la campagne « Un salaire pour le travail ménager » (Wages for Housework) également portée par des figures comme Selma James ou Maria Dalla Costa. En décembre dernier, Tessa Echeverria and Andrew Sernatinger, qui animent le socialist podcast Black Sheep, ont eu l’opportunité de l’interviewer.



Tessa Echeverria : Pourriez-vous nous parler un peu de vous ? Comment en êtes-vous venue à vous engager dans la lutte féministe et comment êtes-vous devenue essayiste ?

Silvia Federici : Je me suis engagée dans le mouvement des femmes dans les années 1970 parce que, comme de nombreuses femmes de ma génération, j’étais très frustrée par la perspective d’une vie pratiquement dédiée au travail domestique. À la fin des années 1960, je suis venue aux États-Unis pour travailler sur mon mémoire de thèse. Je me suis impliquée dans les mouvements étudiants et anti-guerre, et j’ai vraiment ressenti la frustration d’évoluer dans un environnement dominé par les hommes.

Les origines de mon implication dans le féminisme sont plus profondes encore. J’ai grandi dans l’Italie de l’après-guerre, et les effets de la guerre ont beaucoup contribué à développer une désaffection à l’égard de la question de la reproduction. Après avoir vécu le carnage de la Seconde guerre mondiale, l’idée d’une maternité idéalisée comme celle vécue, ou du moins envisagée, par nos mères, était devenue complètement étrangère à nous.

L’Italie était alors une société très patriarcale. L’influence du fascisme était très forte, et cela avait contribué à la glorification de la maternité et à la promotion d’une image sacrificielle de la féminité : la femme doit se sacrifier pour le bien commun. Tous ces facteurs ont beaucoup joué dans mon enthousiasme immédiat pour le mouvement des femmes.



Andrew Sernatinger : Si nous tenions à vous interviewer, c’est aussi parce qu’il y a très peu d’économistes radicales féministes, ou de théoricien•ne•s marxistes, qui s’intéressent particulièrement au travail des femmes. Vous êtes avant tout connue pour vos analyses en faveur d’un salaire pour le travail domestique, dès lors nous espérions que vous accepteriez de déployer pour nous vos arguments et de nous expliquer en quoi cela est important.

SF : En 1972, j’ai lu un article d’une féministe italienne, Maria Dalla Costa, « The Power of Women and the Subversion of Community ». Dans cet article, Dalla Costa proposait une analyse du travail domestique qui m’a aussitôt permis de résoudre nombre de questions que je me posais moi-même. À revers des manières d’envisager le travail domestique dans la littérature radicale et progressiste, elle considérait que le travail ménager, le travail domestique et l’ensemble des activités complexes via lesquelles la vie est reproduite, constituaient en fait un travail essentiel dans l’organisation capitaliste de la production. Cela produit non seulement les repas et les habits propres, mais cela reproduit également la force de travail et constitue, en cela, le travail le plus productif au sein du capitalisme. Sans ce travail, aucune autre forme de production ne serait possible.

Cette lecture m'a fait grande impression, et à l'été 1972, j’ai séjourné en Italie pour rencontrer Dalla Costa et m'engager parmi les fondatrices du International Feminist Collective, à l'origine de la campagne pour le salaire ménager. Wages for housework était vraiment la traduction concrète de cette théorie qui expliquait la dévaluation et l'invisibilité du travail domestique en régime capitaliste par le fait que ce travail n'était pas rémunéré.

À l’époque, cette campagne était franchement impopulaire parmi de nombreuses féministes qui nous accusaient de vouloir institutionnaliser les femmes au foyer. Mais l’une des fonctions de la campagne consistait à rendre le travail ménager visible, à redéfinir dans l’imaginaire collectif ce à quoi correspondait ce travail. Nous voulions montrer qu’il s’agissait d’un travail central et essentiel, et non d’un simple service personnel dédié aux hommes et aux enfants. La revendication comportait également une importante dimension économique en cela que nous constations le grand nombre de femmes soumises à la dépendance des hommes à cause de la nature non salariée de ce travail. Ce travail charriait dès lors des relations de pouvoir en cela que des femmes ne pouvaient pas quitter une relation abusive, par exemple, à cause de leur situation de dépendance.

Cette vie sans revenus, cette condition non salariée, poursuivait les femmes où qu’elles aillent, même quand elles prenaient un boulot en dehors de la maison. Nous pensions en effet que le schéma qui veut que les femmes consacrent leurs vies entières à travailler sans être rémunérées était probablement à l’origine de la situation qui les attendait quand elles travaillaient en dehors du foyer : elles étaient moins payées, et la plupart des postes auxquels elles pouvaient prétendre n’étaient que des appendices du travail domestique.

Nous n’avons jamais envisagé cette revendication comme une fin en soi, mais plutôt comme un point d’appui pour renverser le rapport de force entre les hommes et les femmes, et entre les femmes et le capital. Il s’agissait d’une véritable analyse du salaire : qu’est-ce que le salaire ? Cette réflexion nous a emmenées bien au-delà de la pensée de Marx.

Pour Marx, le salaire dissimule le travail non-payé effectué par les travailleurs, mais il ne voit pas à quel point le salaire a servi à hiérarchiser et à diviser le travail, en commençant par la segmentation par le genre tout comme la stratification raciale.

En un mot, le salaire pour le travail ménager était une manière de déstabiliser et de renverser une division socio-sexuelle du travail injuste et inégalitaire. En un sens, cette campagne devait jouer le même rôle que celui des révoltes contre l’esclavage. Nous avions l’habitude de souligner qu’il y avait une différence majeure entre la lutte des esclaves pour accéder au travail salarié et la lutte des travailleurs pour de meilleurs salaires. Il s’agit de démanteler toute une architecture sociale qui a jusqu’alors joué un rôle extrêmement puissant dans le fait que les gens restent divisés tout en s’assurant une large quantité de travail non rémunéré.

Tel était le but et la raison d’être de cette campagne qui, comme je l’ai dit, a rencontré l’opposition d’un grand nombre de franges du mouvement des femmes. Mais j’ai noté un changement ces dernières années, et je crois que votre question en est le reflet : ce nouvel intérêt pour cette revendication est, à mon avis, dû au fait que 30 ans plus tard, la grande illusion qui berçait le mouvement des femmes à propos du caractère émancipateur du travail salarié à l’extérieur du foyer a grandement décliné.



TE : Pour ma part, ce qui m’a vraiment ouvert les yeux, c’est la lecture des premiers chapitres de votre ouvrage Revolution at Point Zero et la manière dont vous y analysez la reproduction et dont vous éclairez la nature du travail domestique, en montrant qu’il s’agit d’une forme de travail au plein sens du terme, et que la revendication du salaire ménager a servi à le mettre à jour.

SF : Tout à fait ! J’ai en effet intitulé le chapitre qui ouvre le livre : « Un salaire contre le travail ménager » (« Wages Against Housework ») parce qu’il était très clair pour nous que le salaire pour le travail domestique était en même temps un salaire contre le travail domestique. Les femmes qui se sont révoltées contre le travail domestique ont eu à souffrir d’une immense culpabilité. Elles ne se sont jamais considérées comme des travailleuses en lutte. Les membres de leurs familles et de leurs communautés n’ont pas non plus vu en elles des travailleuses en lutte : au contraire, quand elles refusaient de faire les tâches auxquelles elles étaient astreintes, on les considérait comme de mauvaises femmes. Ça montre à quel point cela a été naturalisé. Tu n’es pas considérée comme une travailleuse, tu es simplement envisagée comme accomplissant ton destin naturel en tant que femme. De notre point de vue, la revendication d’un salaire pour le travail domestique coupait justement le cordon ombilical entre nous et le travail domestique.



TE : Toujours à propos de l’économie du travail domestique, beaucoup vous rétorqueraient que la production capitaliste consiste à aller sur un lieu de travail, vendre sa force de travail, obtenir un salaire et c’est tout. Le travail domestique est extérieur à ça. J’aurais voulu savoir ce que vous répondriez à une telle description ?

SF : Je serais évidemment en désaccord ! C’est précisément pour cette raison que j’ai mené le travail de recherche historique dont Caliban et la sorcière est le fruit. Je souhaitais fonder théoriquement et historiquement l’idée que le travail domestique n’est pas l’héritage ou le résidu d’une ère précapitaliste, mais une activité spécifique dont les rapports sociaux ont été forgés par le capital. En d’autres termes, je voulais fonder l’idée qu’il s’agissait d’une nouvelle forme d’activité.

Mon travail devait montrer comment le capitalisme a créé la figure de la femme au foyer. Il est évident que chaque période soulève des nécessités bien précises : j’ai commencé mon étude par les xvie et xviie siècles, périodes de transformation des activités productives, dans laquelle une seule de ces activités, à l’aube de l’économie de marché, a fini par être considérée comme effectivement productive. Seul le travail salarié est « valorisé » et les activités reproductives rémunérées ont commencé à disparaître. C’est là la première étape, l’idée fondatrice.

Mais par la suite, bien sûr, dans le courant des siècles suivants et en particulier au xixe, on peut de fait tracer tout un ensemble de politiques spécifiques. Dans Caliban et la sorcière, je pointe du doigt le fait que dans l’Europe du xviie siècle, les femmes ont été exclues de toutes les activités qu’elles avaient en dehors de la maison. Au Moyen-Âge, elles furent exclues des guildes, qui constituaient à peu près un équivalent des organisations des travailleurs contemporaines. Très vite, elles ne purent obtenir que des emplois en référence au travail domestique : infirmières, nourrices, domestiques, blanchisseuses, etc. C’est ainsi que commence à se dessiner sous nos yeux la formation très concrète, sous des formes historiques très précises tout au long des xvie et xviie siècles d’une nouvelle forme de travailleuse qui s’est vue de plus en plus invisibilisée.

En fait, cette forme de travailleuse est partie-prenante de la chaîne de montage produisant la force de travail. Marx évoque la reproduction de la force de travail, mais il en parle d’une manière tout à fait étrange. Pour Marx, la reproduction du travailleur se fait par le truchement du salaire, et par le panier de marchandises qui équivaut à son salaire. Le travailleur consomme des marchandises. Il utilise sa paye pour acheter de la nourriture et des vêtements, puis il consomme ces marchandises et se reproduit. Voilà, il n’y a pas de trace d’un autre travail à l’œuvre dans la description offerte par Marx.

J’ai toujours expliqué ce phénomène en rappelant qu'au moment où Marx écrit, on est dans une période du développement du capital industriel assurant l’emploi maximal des femmes, en particulier des plus jeunes femmes, dans les usines. Peut-être que Marx a surtout été le témoin de cette main d’œuvre féminine dans l’industrie, et que dans la première phase du développement industriel le travail reproductif était extrêmement restreint ; c’est là l’une des explications que j’ai données à l’incompréhension marxienne. Mais la part de travail nécessaire à la reproduction quotidienne et générationnelle de la force de travail est bien plus importante que cela. Si l’on s’y intéresse, dès 1860, ce travail est déjà définitivement assigné aux femmes.

Au tournant du siècle et plus tard au moment de la Première guerre mondiale, on assiste à la production concertée de la figure de la femme au foyer et le travail domestique devient alors l’objet d’une véritable science. C’est cette science qu’on enseigne à l’école à toutes les filles, et on assiste à la mise en place d’une campagne idéologique déployée afin de transformer le foyer en centre de production et de reproduction de la force de travail. Cette analyse qui veut que le travail domestique reste essentiel au processus de valorisation du capital a de profondes bases historiques.



AS : On peut rattacher cette problématique à celle de la théorie de la valeur, que beaucoup de marxistes considèrent comme essentielle à une compréhension critique du capitalisme. La question de la « reproduction », par exemple, ne représente que quelques pages dans le volume 1 du Capital, des pages assez vagues qui disent que la reproduction est en même temps une forme de production. Je me demandais si votre défense de l'idée du salaire ménager disposait d'une théorie de la valeur correspondante. Est-ce que votre analyse essaie de comprendre comment les femmes contribuent à la production de la plus-value ?

SF : La production de plus-value est d’emblée sociale. Ce n’est jamais le produit d’une activité ou d’une personne en particulier. C’est là quelque chose de très important et de toujours valable à partir des travaux de Marx. En régime capitaliste, la production de valeur n'est jamais exactement le fait d'une unité sociale particulière, elle est un produit social. En d’autres termes, on peut se figurer une grande chaîne d'assemblage à l'échelle de la société, dont tous les maillons sont nécessaires pour produire la plus-value. La plus-value est par exemple évidemment réalisée dans la vente des produits du travail. Si vous avez une usine qui produit une douzaine de voitures et que ces voitures ne sont jamais vendues, alors la plus-value contenue dans ces marchandises n'est jamais réalisée.

Ce que je suggère ici c’est que les activités par lesquels le travailleur salarié est reproduit font partie intégrante de cette chaîne de montage sociale : c’est un moment du processus social qui détermine la plus-value. Bien que nous ne puissions pas établir une relation directe entre ce qui se joue dans la cuisine et la valeur qui y est réalisée – à travers l’exemple de la vente d’une voiture et de bien d’autres produits – cependant, à en juger par la nature sociale de la production de valeur, on peut dire qu’il existe une usine sociale qui va bien au-delà de l’usine elle-même.



TE : En gardant cela en tête, comment l’idée d’un salaire pour le travail domestique pourrait changer cette dynamique ? Est-ce que la perception d’un salaire produirait un autre rapport ?

SF : À nos yeux, l’élément déterminant de la campagne pour un salaire pour le travail domestique consistait dans sa capacité à unir les femmes. Pas seulement par ce que cela produirait en terme d’une redistribution des richesses, donnant aux femme plus de pouvoir et remettant en question leur dépendance vis-à-vis des hommes – et dès lors changeant le rapport entre les femmes et les hommes – mais aussi à travers le pouvoir d’unification d'un tel mot d'ordre. La première chose que vous devez vous demander quand vous voulez porter une revendication consiste à savoir si elle a un pouvoir d’unification, si elle vous donne plus de force dans la lutte ou si, en fait, cette revendication ne rétablit pas ou n’approfondit pas les divisions au sein du peuple.

« Un salaire pour le travail domestique » a été une campagne unificatrice parmi les femmes : bien qu’il y ait évidemment une minorité de femmes qui sont des « hommes » dans la plupart des sphère de la vie pratique, en ce qu’elles contrôlent le capital et qu’elles sont des capitalistes, la grande majorité des femmes sur cette planète – qui réalisent le travail domestique – sont dévaluées, très souvent dépendantes des hommes, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du foyer. C’est ainsi que pour nous cette revendication est avant tout importante en ce qu’elle constitue un moyen d’unifier et de pointer du doigt la dévaluation en régime capitaliste du travail domestique que nous effectuons toutes. Pour nous, cela n’a jamais été : « D’accord, on reçoit un chèque à la maison et tout reste comme avant. »



AS : J'aurais juste voulu revenir sur ce dernier élément. À la lecture de vos textes, on a l'impression que vos arguments sont d'une grande simplicité, comme celui du « salaire ménager », puis vous entrez dans un certain nombre de nuances et de distinctions subtiles. J'aurais aimé que vous reveniez sur ces dernières. Par exemple, vous dites que le salaire ménager doit être payé par le capital, et que vous ne défendez pas la salarisation du travail domestique. Est-ce que vous pourriez nous dire comment vous verriez la mise en œuvre d'un salaire ménager – qui en seraient les acteurs et actrices et comment ce revenu serait géré ?

SF : Beaucoup nous ont demandé de déplier un programme ficelé, et nous avons toujours résisté à cette injonction. Nous avons réalisé que comme pour la sécurité sociale et bien d’autres formes d’assistances sociales, tous ces programmes peuvent être organisés et administrés de bien des façons : ils peuvent être mis en place sur la base de moyens qui unissent les gens, qui les divisent, qui créent des hiérarchies ou qui n’en produisent pas. Prenez la sécurité sociale : elle a été élaborée de façon à en exclure les personnes dédiées au travail domestique. Vous avez beau travailler toute votre vie, mais au foyer vous ne bénéficierez jamais de la sécurité sociale, si ce n’est par l’intermédiaire de votre mari – et seulement après neuf ans de vie conjugale !

Nous étions toutes très attentives à la dimension sociale du pouvoir : « Face à quel pouvoir adressons-nous nos revendications ? » Il y a des choses qui ont toujours été claires pour nous : d'une part, ce devait être l'État et non des hommes en tant qu'individus. Pour nous, l'État était le représentant du capital collectif. D'autre part, tout employeur bénéficie du fait qu'une personne reste au foyer pour réaliser le travail domestique, qu'il s'agisse d'hommes, de femmes ou d'enfants. Nous comprenions très bien qu'il fallait mettre l'accent sur le fait qu'il s'agissait d'un salaire ménager, pas d'un salaire pour les femmes au foyer, pas d'un salaire pour les femmes. Cette revendication devait avoir le potentiel de dégenrer le travail domestique.

Nous considérions notre revendication comme potentiellement accomplissable de différentes manières, pas seulement directement monétaires, mais à travers l’aide au logement par exemple. L’un de nos arguments consiste à dire que, pour les femmes, la maison constitue l’usine, c’est là le lieu de la production. En cela, nous entendons bien être payées à ce titre. Mais nous n’avons pas voulu lutter pour les services de garde d’enfants de la même manière que beaucoup d'autres, c’est-à-dire en considérant que la lutte pour les services de garde d’enfants se menait afin de nous libérer du temps pour aller travailler.

Le salaire pour le travail domestique pourrait être obtenu à travers un salaire, mais aussi par le prisme d’une foule d’avantages et de services qui prennent acte du fait que se qui se joue au foyer est bien un processus de travail et que ceux ou celles qui le réalisent doivent avoir le droit de prendre du repos ou de s’absenter de leur travail. Nous n'avons donc jamais conçu de modèle pour mettre en œuvre notre revendication, car nous attendions d'avoir accumulé suffisamment de forces pour commencer à imaginer des formes de négociation et le large spectre de possibilités qui l’aurait accompagnées.



TE : J’aimerais passer à un autre sujet et nous concentrer sur l’accumulation primitive telle que vous la développez dans Caliban et la sorcière. Marx parle de manière générale de la façon dont le capitalisme s’est développé et comment il a réalisé son expropriation originelle à travers la conquête, le vol et l’esclavage. Dans Caliban et la sorcière, vous proposez un récit de l’accumulation primitive très proche de la proposition de Marx mais qui comporte aussi des différences importantes. Pourriez-vous nous en dire plus ?

SF : La notion d’accumulation est d’abord l’œuvre d’Adam Smith, reprise par Marx pour servir sa propre argumentation. Marx montre qu'aux origines du capitalisme, une période initiale d'accumulation et de mise en place des rapports sociaux fondamentaux est nécessaire pour permettre le « lancement » du capitalisme. Il est en particulier essentiel de séparer les travailleurs des moyens de production.

Marx décrit cette période préparant le lancement du capitalisme comme une période d'accumulation primitive, qui est en réalité une accumulation de terres, de travail et de minerais comme l'argent. C'est par exemple de cette manière que l'on peut expliquer la conquête des Amériques aux xvie et xviie siècles : produire une réserve d'argent qui est venue alimenter l'économie monétaire. Dans un grand nombre de contrées européennes, et notamment en France et en Angleterre, on a assisté à un processus d'enclosure qui a exproprié une grande partie de la paysannerie. Ce processus a transformé les peuples, les paysans, les fermiers, les artisans, autant de catégories sociales ayant un accès direct avec leurs moyens de (re)production ; c'est un processus qui les a transformées en masses totalement dépossédées et forcées à travailler pour une bouchée de pain.

Ce que je défends dans mon livre, c'est que la description fournie par Marx de ce processus est extrêmement limitée. Marx est probablement conscient de l'importance des conquêtes coloniales et des enclosures, mais il occulte des processus pour moi fondamentaux à ce qui allait constituer la jeune société capitaliste.

Marx néglige en particulier l'histoire de la chasse aux sorcières, une grande guerre menée contre les femmes où des centaines et des centaines d'entre elles ont été arrêtées, torturées, tuées, brûlées en place publique. Marx n'aborde pas non plus le rôle des législations anti-contraception et le contrôle sur la reproduction « biologique », ou encore sur la législation ayant forgé un nouveau modèle de la famille, un nouveau type de rapports sociaux de sexualité. Ces mesures placèrent le corps des femmes sous la tutelle de l'État. Ce que l'on vit naître avec le développement du capitalisme fut une politique ayant désormais en ligne de mire le corps des femmes et la procréation comme aspects fondamentaux de la production de la force de travail. En ce sens, le développement du capitalisme a transformé le corps des femmes en machines à produire des ouvriers, ce qui explique pourquoi ces âpres et funestes lois contre les femmes ont été mises en place là où la peine de mort était infligée pour punir toute forme d'avortement.

Ce que j'ai tenté de montrer dans Caliban et la sorcière, c'est qu'une autre histoire est à écrire : une histoire qui n'est pas seulement celle du procès de production, mais celle de la transformation du processus de reproduction de la force de travail. C'est une histoire, qui envisage l'État comme un État en guerre contre les femmes, détruisant la puissance des femmes pour les réduire au statut de travailleuses non payées.

Voilà le travail d'historienne que j'ai mené, qui ne se contente pas d'ajouter des éléments à ce que l'on connaissait déjà de la même période, mais qui tente en quelque sorte de redéfinir ce qu'est le capitalisme et qui se demande quelles sont les conditions de reproduction de la société capitaliste. En écrivant cette histoire, j'ai élaboré une démarche théorique que j'ai par la suite mise en œuvre pour analyser la restructuration de l'économie mondialisée.



TE : Dans Caliban…, vous évoquez la chasse aux sorcières et vous prolongez la réflexion de Marx sur l’accumulation primitive, mais vous semblez également reconsidérer les catégories de ce qui est accumulé. Vous évoquez la terre, le travail, l’argent mais vous vous penchez également sur le savoir, et en particulier le savoir des femmes lié aux moyens de contraception et comment s’est effectué la dépossession de ce savoir concernant nos corps et nos moyens de nous reproduire et de former des familles comme nous l’entendions.

SF : En effet ! Si on s’attelle à repenser l’accumulation primitive, on peut dès lors penser de multiples enclosures : non seulement l’enclosure des terres mais également l’enclosure des corps. Quand vous vous retrouvez terrorisée au point que vous ne pouvez plus avoir de contrôle sur vos moyens de reproduction, sur votre vie sexuelle, alors vous êtes véritablement dépossédée (enclosed) de votre corps. On peut parler d’enclosure du savoir compte tenu que, pour exemple, il y a eu une véritable offensive contre les moyens que les femmes utilisaient pour contrôler leur procréation. Les femmes ont transmis une quantité gigantesque de savoir – aujourd’hui, on aurait tendance à être un peu sceptiques concernant quelques-unes de ces techniques, mais il n’y a pas de doute que nombre d’entre elles ont été transmises de génération en génération. Ce que, pour ma part, j’objecte à l’analyse de Marx – aussi majeure soit-elle – c’est sa conception limitée de l’espèce de dépossession qu’il a fallu pour créer le prolétariat moderne.



AS : L’une des choses que vous mentionnez dans votre ouvrage, Revolution at Point Zero, consiste en une certaine critique des canons marxistes ou, du moins, anticapitalistes. Je me demandais si vous pouviez continuer là-dessus et si vous pouviez nous dire quel rôle joue votre compréhension des aspects genrés du capitalisme dans votre pratique politique ?

SF : J’ai le sentiment que cette question de la reproduction est essentielle, non seulement à l’organisation capitaliste du travail mais qu’elle est aussi essentielle à tout processus véritablement révolutionnaire, à tout processus de transformation significative de la société. À mon avis, c’est d’autant plus important aujourd’hui compte tenu que ni l’État, ni le marché, ne sont en mesure de nous reproduire. Le démantèlement de l’État social est à l’œuvre partout dans le monde si bien que cela nous laisse sans soutien aucun pour assurer notre reproduction.

Il existe également une autre nécessité, qui a à voir avec la désintégration des formes de lien social dans nos vies quotidiennes et nos communautés provoquée par la destruction économique à l’œuvre depuis trois décennies. Les formes d’organisation et les types de solidarités qui ont pu se construire au fil de longues années ne sont pratiquement plus là. C’est tout un processus de reconstruction qui doit se mettre en place si on veut avoir le pouvoir de changer nos vies, d’imposer un autre genre de société. Le travail reproductif et ce qui se joue au foyer sont vraiment fondamentaux en cela qu’ils font la démonstration claire de toutes les divisions à l’œuvre pour garder les gens en esclavage dans cette société, en commençant par la division entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les jeunes et les vieux, et les divisions qui se fondent sur la question raciale.



AS : Nombre de personnes à l’extrême gauche, que ce soit dans les sphères anarchistes ou marxistes, prétendent que le sort des femmes les préoccupent, mais en ont encore une appréhension en terme de lieu de travail. Ils pourront être d’accord avec nombre de vos arguments mais diront que, compte tenu de nos forces, nous devrions nous focaliser sur les lieux de la production capitaliste (l’usine) parce que c’est là que se joue la part essentielle du potentiel de transformation. J’aimerais savoir comment vous leur répondriez ?

SF : Il me semble que ce que vous évoquez là correspond à une vision très étriquée de ce qu’on a pu appeler la lutte des classes. Même à l’échelle de l’histoire récente, de nombreux mouvements qui ont eu un véritable impact sur les années 1960 et 1970 étaient des mouvements dont la base agissante se jouait bien au-delà de l’usine. Le mouvement pour les droits civiques ou le mouvement du Black power étaient loin d’être des mouvements ancrés à l’usine. Cela devrait nous enseigner qu’il y a une puissance de la communauté, et que cette puissance ne se joue pas seulement à l’usine. Avec la précarisation du travail et le type de chantage auxquels sont désormais soumis les travailleurs salariés, il se trouve que les luttes sur les lieux de travail salarié sont rarement triomphantes sans le soutien de la communauté. Cette connexion entre l’usine et la communauté était de règle avant les années 1930-1940 et le New Deal.

Nous avons besoin de reconcevoir cette séparation. Il me semble que l’un des aspects centraux de la lutte aujourd’hui est à voir dans la manière dont nous transformons ce type de reproduction qui nous est d’ordinaire imposé, en cela qu'elle nous reproduit en tant que travailleurs et travailleuses, en tant que force de travail, en tant que personnes destinées à différentes formes d’exploitation. Nous devons transformer cela en un travail reproductif qui nous reproduirait selon nos besoins réels et nos désirs. Voilà l’un des défis fondamentaux que nous devons relever aujourd’hui.



Traduit de l’anglais par Stella Magliani-Belkacem.

Source originale : http://blacksheeppodcast.org/2014/02/23 ... frederici/



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date: 02/03/2014 - 21:52
Silvia Federici

Groucho Marx
 
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Specifix le Lun 10 Mar 2014 22:52

Article très intéressant, avec un discours cohérent et lucide, écrit, pour ce que je vois, par une vraie féministe.
L'article n'est pas mal, et laisse présager un bon livre, mais attendons, quand même de le lire. Espérons, donc, que si le livre tient ses promesses, il fasse réfléchir les pseudo-féministes, et autres post-féministes.
En tous cas, le peu de réactions qu'il suscite me surprend, un peu.

L'article n'a rien à voir avec les débiles mentaux qui réduisent le féminisme à une guerre contre les hommes, et qui considèrent que la lutte féministe est différente, séparée et ne faisant pas partie intégrante de la lutte des classes.

Avec cet article, on est loin des sottises du style "règles de grammaire".

Il y est, clairement, suggéré que le combat féministe est un combat contre le capitalisme. Le travail domestique n'est pas dévalorisant en soi, pas plus qu'une quelconque autre activité en tant que telle, même si, par ailleurs, salariée. Mais, le travail domestique est dénoncé comme un des rouages essentiels du capitalisme puisqu'il est chargé de reconstituer l'indispensable force de travail au prix d'un effacement, d'abord économique, puis social, et, enfin, culturel (si je puis m'exprimer ainsi). Il y a une exploitation "indirecte", mais une capitalisation directe de cette exploitation.
Valoriser les tâches domestiques comme étant un travail à part entière, c'est faire prendre conscience aux individus, c'est-à-dire aux femmes et aux hommes, que celles et ceux qui y sont soumis ne sont, ni plus, ni moins, que des travailleuses, elles-aussi.
D'ailleurs, dans le milieu professionnel, la transformation du terme "femme de ménage" (et "homme de ménage"), en technicienne de surface, n'est, peut-être, pas si anodine que cela. En effet, on retrouve, ici, la valorisation de l'activité ménagère (domestique) dès qu'elle est salariée et directement capitalisable (et outrageusement exploitée dans les faits), et cela se traduit dans les termes, par sa désignation verbale elle-même.
C'est le capitalisme et l'État qui ont favorisé la famille nucléaire parce que cette structure familiale leur était indispensable, l'un pour la reproduction de la force de travail, l'autre pour renouveler la chair à canon en proportions voulues; les deux coïncidant. La structure nucléaire est hiérarchisée et forge les rapports sociaux homme-femme en produisant, d'abord, des rapports de dépendance (plutôt que de domination) fondés sur l'apport privilégié du salaire. C'est ce relativisme économique qui, une fois intégré, devient préjugé (et, ça devient des rapports de domination dès que ça devient une exigence). Pour détruire un préjugé, il faut commencer par en comprendre les ressorts. Désigner les hommes comme coupables, en faire des bouc-émissaires, c'est bien commode, car ça permet de s'agiter à peu de frais, et, surtout, de ne pas faire une critique fondée du capitalisme.
Cet effacement de la femme n'est pas sans me rappeler l'effacement exigé des prostituées (pour leur activité qui serait au plus haut point indigne par nature) qu'il faudrait chasser de l'espace public, quitte à s'attaquer aux clients. Cela contribue à alimenter une absurde guerre des sexes, préjugé largement relayé, et diviseur. Et, citer ce thème a toute sa place, ici.
La revendication des prostituées, d'être reconnues comme travailleuses (et travailleurs) a quelque chose d'avant-coureur à ce qu'apporte Silvia Federici. Être socialement reconnues (surtout par les classes populaires), c'est être intégrées dans le champ politique et social, dans une démarche d'égalité (et non victimiste) plutôt que hiérarchisée par le mépris.
Il en va de même pour la "ménagère" ; il y a une similitude dans la démarche, et je n'ai pas résisté à rapprocher les deux stéréotypes traditionnels de la femme ; d'un côté la femme vertueuse, soumise (que l'on voile, aussi, par exemple), qui s'occupe du foyer et qui procrée, et la putain, la scélérate, la sorcière, l'indigne, celle que l'on méprise, mais qui est source de fantasmes.

Sortir de l'anonymat, avoir le statut de travailleur, et "à terme" intégrer le champ des luttes sociales après une prise de conscience : Il y a, dans cette reconnaissance, une vraie unité en devenir.
Specifix
 
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Groucho Marx le Mar 11 Mar 2014 16:08

Un autre entretiens de Silvia Federici:

http://www.lavoiedujaguar.net/Entretien ... ederici-La

« La chaîne de montage commence
à la cuisine, au lavabo, dans nos corps »
samedi 20 juillet 2013, par Silvia Federici (Date de rédaction antérieure : 24 octobre 2012).
Silvia Federici, membre du Midnight Notes Collective, est professeur émérite à la Hofstra University de New York. Son œuvre aborde la philosophie et la théorie féministe, l’histoire des femmes ou, suite à un long séjour au Nigeria dans les années 1980, l’impact des politiques du FMI et de la Banque mondiale en Afrique.

Les processus d’expropriation des corps et des savoirs, l’histoire de la chasse aux sorcières et les questions reproductives sont au cœur de son ouvrage Caliban and the Witch : Women, the Body and Primitive Accumulation (édition américaine, 2004 ; édition espagnole, 2010 ; Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, à paraître en 2013 aux éditions Senonevero).

Entretien réalisé en juin 2012 par Manel Ros pour le journal En lucha.

Pourquoi écrire un livre sur les sorcières et sur la chasse aux sorcières ?

Ce livre sur les sorcières est né à partir de recherches que j’avais commencées dans les années 1970 et qui étaient liées aux débats qui se déroulaient à l’époque au sein du mouvement des femmes. Ces débats concernaient l’origine de la discrimination des femmes, les raisons des positions différentes qu’occupent les femmes dans la société capitaliste par rapport aux hommes. Je voulais avant tout comprendre pourquoi les femmes étaient toujours discriminées. J’avais une théorie à ce sujet, mais j’étais intéressée à démontrer que cette discrimination ne reposait pas sur la tradition, mais qu’elle s’était construite, de facto, dans la société capitaliste. Autrement dit, le patriarcat n’est pas un héritage du passé, il a au contraire été refondé par le capitalisme.

Je développe l’idée que le capitalisme a une organisation du travail caractérisée par deux aspects : la production de marchandises et la production de forces de travail pour le marché. Les femmes réalisent la production de la force de travail et leur discrimination provient du fait que ce fait a été rendu invisible. Ainsi, le pouvoir social, aussi limité soit-il, qu’a un travailleur masculin du fait qu’il touche un salaire et que son travail est reconnu, est par contre nié aux femmes.

Si nous analysons le capitalisme sous l’angle du travail, en incluant le travail non salarié, nous pouvons alors comprendre que le rapport salarial est beaucoup plus complexe que le seul travail salarié. Le rapport salarial comprend également des mécanismes d’exclusion, il intègre, comme le disait Marx, des mécanismes d’exploitation du travail non salarié.

D’une certaine manière, dans le cas des femmes, ce travail est le plus important parce qu’il a créé les personnes qui travaillent. On ne peut pas produire des voitures sans producteurs. Ainsi, nous disons que la chaîne de montage commence à la cuisine, au lavabo, dans nos corps. Le capitalisme a bien compris cela car c’est le système d’exploitation qui, plus qu’aucun autre, a accordé le plus d’importance au travail. Il est clair que, dans ce système, les femmes constituent le sujet productif le plus important mais, pour maintenir cette production le meilleur marché possible, ce travail a été rendu invisible. J’ai voulu étudier l’histoire pour tenter de comprendre cela, en commençant par le XIXe siècle et en remontant ensuite plus loin dans le passé où j’ai croisé la chasse aux sorcières.

Qu’as-tu découvert en étudiant le phénomène de la chasse aux sorcières ?

Ce fut un choc parce que je connaissais les histoires de sorcières, mais c’est depuis toujours un thème où il était difficile de connaître la part de la réalité et de la fantaisie. Mais, quand j’ai commencé à l’étudier et à mener des recherches, je me suis rendu compte que j’abordais un phénomène extrêmement important et qui s’est déroulé de manière simultanée avec les processus d’enclosure (expropriation des terres des paysans anglais à partir des XVIe et XVIIe siècles, NdlR), d’expulsion des paysans de leurs terres, de colonialisme et de trafic d’esclaves.

Tout cela m’a fait réaliser que le phénomène de la chasse aux sorcières a été fondamental pour le développement de la société capitaliste, et qu’il constitue même l’un de ses fondements les plus importants. Il est intéressant de remarquer que ces processus reposent sur l’extermination : les massacres des colonisés, des Africains, qui ont souffert de la traite d’esclaves, sont parallèles aux massacres des sorcières.

J’ai compris que ces phénomènes étaient liés et qu’ils ont fait partie de l’accumulation capitaliste, de la constitution de la classe ouvrière, de la force de travail. C’est avec cette perspective que j’ai analysé la chasse aux sorcières, ce qui m’a amenée sur des chemins très différents. J’ai commencé à comprendre que le développement du capitalisme, tel qu’il fut décrit par Marx, devait être non pas réécrit, parce que l’analyse de Marx est très juste et puissante — en plus d’être très utile aujourd’hui — mais qu’il y avait une autre histoire que Marx n’avait pas vue.

Tu as beaucoup étudié Marx et tu le cites souvent dans ton livre, mais tu insistes sur le fait qu’il n’a pas vu l’histoire du point de vue des femmes. Que peut-on apprendre de Marx et que devons-nous reformuler ?

Pour moi, le plus important de Marx est sa théorie sur l’exploitation, l’importance qu’il accorde au salaire, pas seulement ce qu’il signifie en terme monétaire, mais aussi ce qu’il signifie en terme d’organisation de la société, des rapports de production, non seulement dans les usines, mais aussi dans la production sociale.

Son explication de l’accumulation primitive du capitalisme reste toujours fondamentale. Marx nous est encore utile pour expliquer aujourd’hui ce qui se passe dans le développement du capitalisme, mais son œuvre repose sur l’idée que le travailleur salarié serait le sujet révolutionnaire et que c’est sur le terrain du travail salarié qu’aurait lieu la lutte pour la transformation du monde et pour la transition au communisme.

Mais Marx n’a pas approfondi la connaissance du processus de production de la force de travail dans le capitalisme. Si nous lisons le premier livre du Capital sur la théorie de la plus-value, où il décrit la production de la force de travail, nous constatons que la manière dont il le fait est extrêmement réduite et limitée. Pour Marx, la production de la force de travail est totalement insérée dans la production de marchandises. Le travailleur a un salaire, avec ce dernier il achète des marchandises qu’il utilise et qui lui permettent de se reproduire, mais en aucun cas il ne sort du cercle de la marchandise. En conséquence, tout le domaine du travail reproductif, qui a une importance tellement vitale pour les sociétés capitalistes, toute la question de la division sexuelle du travail est totalement absente. Il est important de souligner que l’analyse de tous ces domaines ne signifie pas qu’il faut inclure un cinquième chapitre au premier livre du Capital.

De fait, on dit que ton livre est la partie non écrite du Capital de Marx…

Je crois que s’il en était ainsi on ne ferait qu’ajouter des choses alors qu’il s’agit de les repenser globalement, comme un tout. Je dis toujours que ce que j’ai tenté de faire ce n’est pas d’écrire l’histoire des femmes dans le capitalisme, mais l’histoire du capitalisme à partir du point de vue des femmes et de la reproduction, ce qui est différent. Si tu écris l’histoire des femmes dans le capitalisme, c’est comme s’il y avait des choses parallèles : d’un côté l’histoire des hommes et maintenant l’histoire des femmes.

Par contre, écrire l’histoire du capitalisme et de ses origines à partir du point de vue de ce qui arrive aux femmes, de ce qui se passe avec la reproduction — qui sont étroitement connectées l’une à l’autre — permet de repenser l’ensemble à partir d’une autre perspective. Le travail salarié contractuel dans le capitalisme s’est accompagné d’une immense quantité de travail non libre, non salarié et non contractuel. C’est en tenant compte de cet élément qu’on comprend pourquoi, à travers toute l’histoire du capitalisme, existent des formes continues de colonisation, tout comme des formes différentes d’esclavage.

Analyser et comprendre que le travail non libre et non salarié est fondamental, et qu’il n’a pas seulement comme objectif d’extraire de la richesse des travailleurs, mais qu’il s’agit aussi d’une façon d’organiser la société, est très important. La survivance des rapports non libres est quelque chose de fondamental et fait partie du code génétique des sociétés capitalistes. Analyser le capitalisme du point de vue de la reproduction, ce que j’appelle la reproduction de la force de travail, a été très important pour parvenir à comprendre le capitalisme, et cela on ne le trouve pas chez Marx.

Pour revenir à ton livre, tu affirmes qu’au Moyen Âge la division du travail n’impliquait pas nécessairement l’oppression des femmes…

Dans de nombreuses sociétés, avant les processus de colonisation, les hommes et les femmes avaient des tâches différentes, il existait donc une division des tâches. De fait, dans de nombreuses sociétés, par exemple au Nigeria, les hommes et les femmes travaillaient dans l’agriculture et chacun plantait des choses différentes et s’organisait de manière différente pour ce faire. Dans certains cas même, les hommes et les femmes utilisaient des mots qui leur étaient propres. En conséquence, les femmes ne dépendaient pas des hommes, elles avaient accès à leurs propres récoltes et les utilisaient pour leur autosubsistance si cela était nécessaire.

Ainsi, le fait de réaliser des tâches différentes n’implique pas automatiquement des degrés de pouvoir différents. La question est : quelles valeurs sont associées à ces différences ? Nous avons eu beaucoup de débats dans le mouvement féministe sur le type de société que nous voulions. Souhaitons-nous une société où l’on n’utilise plus les catégories d’homme ou de femme ? Ou voulons-nous une société où existerait encore d’une certaine manière, non pas une spécialisation, mais bien une différenciation puisque les femmes ont la capacité d’avoir des enfants ? Selon moi, les différences ne sont pas un problème, le problème c’est leur hiérarchisation. Cette dernière fait que les différences deviennent une source de discrimination, de dévaluation et de subordination. Il n’est pas nécessaire de construire une société où il n’y aurait pas de différences, nous pourrions peut-être même dire que certains différences sont bonnes.

Tu parles aussi de la manière dont l’accumulation primitive du capital fut également l’accumulation et la division des différences, non seulement dans la classe ouvrière, mais aussi quant au genre, à l’ethnie et à l’âge.

Marx a répété que, quand on parle de l’accumulation primitive, ce dont on parle réellement c’est de l’accumulation du travail. Ce que fait le capital dans sa première phase de développement, c’est l’accumulation de la classe ouvrière. Un autre aspect de l’accumulation primitive est la division, l’accumulation de la division, qui constitue un moment fondateur du racisme et du sexisme.

J’ai toujours insisté sur l’importance de ces questions. Le fait que le capitalisme puisse organiser différents régimes de travail (salarié, non salarié, libre, esclavagiste…) a été l’une des armes les plus puissantes qu’il a utilisées pour contenir les processus révolutionnaires. Premièrement, parce que cela divise les gens, ensuite parce qu’il peut utiliser certains groupes à qui il délègue du pouvoir, par exemple en déléguant du pouvoir aux hommes afin de contrôler le travail des femmes.

À travers le salariat, le capitalisme a pu occulter de nombreux domaines d’exploitation, comme le travail domestique, et les faire paraître comme « naturels ». La construction idéologique des différences est étroitement liée à la production matérielle. Ainsi se créent différentes formes d’invisibilités, divisant les gens, pour pouvoir les utiliser les unes contre les autres. L’habileté du capitalisme à externaliser et à diviser le travail a été très grande. Si nous prenons, par exemple, un ordinateur, on ne sait pas exactement quelle quantité de travail et quel type de travail a été nécessaire pour le construire. Dans un ordinateur, il y a beaucoup de travail manuel réalisé au Congo pour creuser dans les mines, pour extraire le lithium, etc. Telle est la division du travail, la construction des différences.

Source : En lucha, juin 2012.
Traduction française
pour Avanti4.be,
Ataulfo Riera.



Je trouve cette personne très intéressante, et j'attend la publication du livre avec impatience. Il permettra je pense de donner des billes importantes sur les questions de colonialisme, de féminisme, etc.

Sortir de l'anonymat, avoir le statut de travailleur, et "à terme" intégrer le champ des luttes sociales après une prise de conscience : Il y a, dans cette reconnaissance, une vraie unité en devenir.


Tout à fait d'accord. Et je trouve que les entretiens que j'ai posté ici permettent de poser des bases de cette unité.
Groucho Marx
 
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Specifix le Mar 11 Mar 2014 20:07

Excellent, ça ne fait aucun doute.
Je pense que son ouvrage est à lire.
Specifix
 
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Groucho Marx le Jeu 13 Mar 2014 13:39

Caliban et la sorcière en anglais:

http://libcom.org/files/Caliban%20and%20the%20Witch.pdf

et une autre interview:

http://www.avanti4.be/analyses/article/ ... -primitive

Capitalisme, chasse aux sorcières et biens communs. Entretien avec Silvia Federici

Il y a quelques siècles d’ici, elle aurait été envoyée au bûcher. Féministe infatigable, l’historienne et auteure de l’un des livres les plus téléchargés sur Internet, « Caliban and the Witch : Women, the Body and Primitive Accumulation » (Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive. Edition française à paraître aux Editions Senonevero en 2013) nous explique de manière rigoureuse les raisons politiques et économiques qui se cachaient derrière la chasse aux sorcières. Son dernier livre, « Revolution at Point Zero : Housework, Reproduction, and Feminist Struggle » (Common Notions/PM Press, 2012) est un recueil d’articles indispensables pour connaître sa trajectoire intellectuelle. Entretien réalisé pour la rubrique « Numeros Rojos » du journal en ligne « Publico.es » (Avanti4.be)

C’est avec un œil scrutateur que l’italienne Silvia Federici étudie depuis plus de 30 ans les événements historiques qui ont provoqué l’exploitation sociale et économique des femmes. Dans son livre « Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive », elle fixe son attention sur la transition violente entre le féodalisme et le capitalisme, où s’est forgé au fer rouge la division sexuelle du travail et où les cendres des bûchers ont recouvert d’un épais manteau d’ignorance et de mensonges un chapitre essentiel de l’Histoire. Dans son bureau du Département d’Histoire de la Hofstra University de New York, Federici nous parle de sorcières, de sexualité et de capitalisme et se propose de « faire revivre pour les jeunes générations la mémoire d’une longue histoire de résistance qui court aujourd’hui le risque d’être effacée ».

Comment est-il possible que le massacre systématique de femmes n’ait pas été abordé plus amplement que comme un chapitre anecdotique dans les livres d’Histoire ? Je ne me souviens même pas en avoir entendu parler à l’école…

Silvia Federici : C’est un bon exemple de comment l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Au milieu du XVIIIe siècle, quand le pouvoir de la classe capitaliste s’est consolidé et que la résistance fut en grande partie défaite, les historiens ont commencé à étudier la chasse aux sorcières comme un simple cas de superstitions rurales et religieuses. En conséquence, jusqu’à pas longtemps d’ici, bien peu furent ceux qui investiguèrent sérieusement les raisons qui se cachent derrière la persécution des « sorcières » et ses rapports avec l’instauration d’un nouveau modèle économique. Comme je l’expose dans « Caliban et la sorcière… » : deux siècles d’exécutions et de tortures qui ont condamné des milliers de femmes à une mort atroce ont été liquidés par l’Histoire comme étant un produit de l’ignorance ou comme quelque chose qui appartenait au folklore. Une indifférence qui frise la complicité vu que l’élimination des sorcières des pages de l’histoire a contribué à banaliser leur élimination physique sur les bûchers.

Les féministes se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un phénomène très important, qui a modelé la position des femmes dans les siècles suivants et elles se sont identifiées avec le destin des « sorcières » en tant que femmes persécutées pour avoir résisté au pouvoir de l’Eglise et de l’Etat. Espérons qu’on enseignera aux nouvelles générations d’étudiantes l’importance de cette persécution.

Il y a quelque chose, en outre, de profondément inquiétant dans le fait que, mis à part dans le cas des pêcheurs basques de Lapurdi, les proches des prétendues sorcières ne se soulevèrent pas en armes pour leur défense alors qu’ils avaient précédemment lutté ensemble dans les soulèvements paysans...

Malheureusement, la majorité des documents à notre disposition sur la chasse aux sorcières furent écrits par ceux qui occupaient des postes de pouvoir : les inquisiteurs, les magistrats, les démonologues. Cela signifie qu’il y ait pu y avoir des exemples de solidarité qui n’ont pas été enregistrés. Mais il faut tenir compte du fait qu’il était très dangereux pour les proches des femmes accusées de sorcellerie de s’associer à elles et plus encore de prendre leur défense. De fait, la majorité des hommes qui furent accusés et condamnés pour sorcellerie étaient des parents des femmes accusées. Cela ne minimise pas, bien entendu, les conséquences de la peur et de la misogynie que la chasse aux sorcières elle-même a produit, vu qu’elle a propagé une image horrible des femmes en les transformant en meurtrières d’enfants, servantes du démon et dévoreuses d’hommes qui les séduisaient et les rendaient impuissants en même temps.

Tu exposes deux conséquences claires en ce qui concerne la chasse aux sorcières : qu’il s’agit d’un élément fondateur du capitalisme et qu’il suppose la naissance de la femme soumise et domestiquée.

En effet, la chasse aux sorcières, ainsi que la traite des esclaves noirs et la conquête de l’Amérique, constituent des éléments indispensables de l’instauration du système capitaliste moderne car ils ont changé de manière décisive les rapports sociaux et les fondements de la reproduction sociale, à commencer par les rapports entre les femmes et les hommes et entre les femmes et l’Etat. En premier lieu, la chasse aux sorcières a affaibli la résistance de la population face aux transformations qui accompagnèrent l’apparition du capitalisme en Europe : la destruction de la gestion communautaire de la terre ; l’appauvrissement massif et la famine, ainsi que la création dans la population d’un prolétariat sans terre, à commencer par les femmes d’âge mûr qui, n’ayant plus de terre à cultiver, dépendaient d’une aide étatique pour survivre.

On a également élargi le contrôle de l’Etat sur le corps des femmes, en criminalisant le contrôle que celles-ci exerçaient sur leur capacité reproductive et sur leur sexualité (les sages-femmes et les anciennes furent les premières accusées de sorcellerie). Le résultat de la chasse aux sorcières en Europe fut un nouveau modèle de féminité et une nouvelle conception de la position sociale des femmes, qui a dévalué son travail en tant qu’activité économique indépendante (processus qui avait déjà commencé graduellement) et les a placées dans une position subordonnée aux hommes. Tel était la principale condition pour la réorganisation du travail reproductif exigée par le système capitaliste.

Tu parles ainsi du contrôle des corps : si au Moyen Age les femmes exerçaient un contrôle indiscutable sur les naissances, dans la transition au capitalisme « les utérus se transformèrent en territoire politique contrôlé par les homme et par l’Etat ».

Il n’y a pas de doutes qu’avec l’avènement du capitalisme nous commençons à voir un contrôle beaucoup plus strict de la part de l’Etat sur le corps des femmes. Ce contrôle n’a pas seulement été mené à bien par la chasse aux sorcières mais aussi à travers l’introduction de nouvelles formes de surveillance de la grossesse et de la maternité, l’institution de la peine capitale contre l’infanticide (lorsque le bébé était mort-né ou mourrait pendant l’accouchement, on accusait et on jugeait la mère). Dans mon travail, je soutien que ces nouvelles politiques, et en général la destruction du contrôle que les femmes au Moyen Age avaient exercé sur la reproduction, s’associent avec la nouvelle conception du travail que le capitalisme a promu.

Quand le travail devient la principale source de richesse, le contrôle sur les corps des femmes acquiert une nouvelle signification : ces mêmes corps sont alors vus comme des machines de production de la force de travail. Je crois que ce type de politique est encore très important aujourd’hui parce que le travail, la force de travail, est toujours cruciale pour l’accumulation de capital. Cela ne veut pas dire que les patrons veulent, partout et tout le temps, avoir plus de travailleurs, mais ils veulent sans aucun doute contrôler la production de la force de travail ; ils veulent décider combien de travailleurs produisent et dans quelles conditions.

En Espagne, le ministre de la Justice veut réformer la loi sur l’avortement, en excluant les cas de malformation du fœtus, et cela précisément au moment où les aides sociales aux personnes dépendantes ont été supprimées…

Aux Etats-Unis aussi ils tentent d’introduire des lois qui pénalisent gravement les femmes et qui limitent leur capacité de choisir si elles souhaitent ou pas avoir un enfant. Par exemple, plusieurs Etats introduisent des lois qui rendent les femmes responsables de ce qui arrive au fœtus pendant la grossesse.

Il y a eu le cas polémique d’une femme qu’on a accusé d’assassinat parce que son fils est mort-né et qu’on a découvert ensuite qu’elle avait pris certaines drogues. Les médecins ont pourtant conclu que la consommation de cocaïne n’était pas la cause de la mort du fœtus, mais ce fut en vain, l’accusation a suivie son cours. Le contrôle de la capacité reproductive des femmes est également un moyen de contrôler la sexualité des femmes et notre comportement en général.

Tu poses cette question : pourquoi Marx n’a-t-il pas analysé la procréation en tant qu’activité sociale déterminée par des intérêts politiques ?

Ce n’est pas une question dont la réponse est facile, vu qu’il nous semble évident aujourd’hui que la procréation et l’éducation des enfants sont des moments cruciaux dans la production de la force de travail et que ce n’est pas un hasard s’ils sont l’objet d’une régulation très stricte de la part de l’Etat. Je crois, cependant, que Marx ne pouvait pas se donner le luxe de voir la procréation comme un moment de la production capitaliste parce qu’il l’identifiait avec l’industrialisation, avec les machines et la grande industrie. La procréation, tout comme le travail domestique, semblait être l’opposé de l’activité industrielle. La fait que le corps de la femme allait se mécaniser et se transformer en machine pour la production de force de travail est quelque chose que Marx ne pouvait envisager.

Aujourd’hui, au Etats-Unis du moins, l’accouchement s’est également mécanisé. Dans certains hôpitaux, pas ceux pour les riches à l’évidence, les femmes accouchent sur une ligne de montage, avec un temps bien défini pour l’accouchement et si elles excèdent ce temps, on pratique alors une césarienne.

La sexualité est une autre thématique que tu abordes d’un point de vue idéologique, l’Eglise étant l’institution qui a promu avec une grande virulence un contrôle féroce et une criminalisation dans ce domaine. Le pouvoir qu’elle accordait aux femmes était-il si fort que cette tentative de contrôle se poursuit encore aujourd’hui ?

Je crois que l’Eglise s’est opposée à la sexualité (mais ses membres l’ont toujours pratiqué en cachette) parce qu’elle a peur du pouvoir qu’elle exerce sur la vie des personnes. Il est important de rappeler que tout au long du Moyen Age, l’Eglise était également impliquée dans la lutte pour éradiquer la pratique du mariage des prêtres car cela était vu comme une menace pour la conservation de son patrimoine. En tous les cas, l’attaque de l’Eglise contre la sexualité a toujours été une attaque contre les femmes. L’Eglise a peur des femmes et a tenté de nous humilier de toutes les manières possibles, en nous désignant comme coupables du péché originel et la cause de la perversion chez les hommes, en nous forçant à cacher nos corps comme s’ils étaient contaminés. Ils ont également tenté d’usurper le pouvoir des femmes, en présentant les membres du clergé comme ceux qui donnent la vie et même en allant jusqu’à adopter la robe comme vêtement.

Dans un entretien tu affirmes que la chasse aux sorcières se poursuit toujours actuellement. Qui sont les hérétiques d’aujourd’hui ?

Il y a depuis plusieurs années des chasses aux sorcières dans différents pays africains, ainsi qu’en Inde, au Népal, en Papouasie-Nouvelle Guinée. Des milliers de femmes ont été assassinées de cette manière, en les accusant de sorcellerie. Et il est clair que, comme aux XVI et XVIIe siècles, cette nouvelle chasse aux sorcières est liée à l’extension des rapports capitalistes dans le monde entier. Il est préférable d’avoir des paysans qui luttent les uns contre les autres tandis que dans de nombreux points du monde on assiste à un nouveau processus d’ « enclosure », avec la privatisation des terres et un énorme pillage des ressources élémentaires de subsistance.

Il existe également des preuves qui indiquent qu’une partie de la responsabilité pour cette nouvelle chasse aux sorcières, qui est à nouveau spécialement dirigée contre des femmes âgées, doit être attribuée à l’œuvre des sectes fondamentalistes chrétiennes, comme le mouvement pentecôtiste. Ils ont de nouveau introduit dans le discours religieux la thématique du diable, ils ont augmenté le climat de suspicions et la peur existante provoquée par la détérioration dramatiques des conditions de vie économiques.

« Omnia sunt communia ! », « Tout est commun ! » , tel fut le cri des Anabaptistes dont la lutte et la défaite, comme tu le racontes dans ton livre, fut effacée par l’Histoire. Ce cri est-il toujours aussi subversif ?

Certainement, car nous sommes en train de vivre une époque de « sunt omnia privata » !. Si les tendances actuelles continuent, il n’y aura bientôt plus de trottoirs, de plages, de mers, ni d’eaux côtières, ni de terres, ni de bois auxquels nous pourrons accéder sans devoir payer avec de l’argent. En Italie, certaines municipalités tentent de faire passer des lois qui interdisent aux gens de déposer leurs essuies sur les rares plages libres restantes, et ce n’est qu’un tout petit exemple. En Afrique, nous sommes témoins des plus grandes appropriations de terres dans l’histoire du continent de la part d’entreprises minières, agro-industrielles, agro-combustibles, etc. La terre africaine est en voie de privatisation et les gens sont expropriés à un rythme qui coïncide avec celle de l’époque coloniale. La connaissance et l’éducation se transforment en marchandises seulement disponibles pour ceux qui peuvent payer et même nos propres corps sont en train d’être brevetés.

Ainsi, l’« omnia sunt communia » constitue toujours un idéal radical, bien qu’il faut faire attention à ne pas accepter la forme détournée avec laquelle cet idéal est utilisé, par exemple, par des organisations comme la Banque Mondiale qui, au nom de la préservation de la « communauté globale », privatise les terres et les forêts et expulse les populations qui vivaient d’elles.

Comment pourrait-on aborder la question des biens communs aujourd’hui ?

La question des biens communs c’est de savoir comment créer un monde sans exploitation, égalitaire, où des millions de personnes ne meurent plus de faim au milieu de la surconsommation obscène de quelques uns, où l’environnement ne soit pas détruit et où la machine n’augmente pas notre exploitation au lieu de la réduire. Tel est je crois notre problème commun et notre projet commun : créer un monde nouveau.

Source :
http://blogs.publico.es/numeros-rojos/2 ... de-brujas/
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera
Groucho Marx
 
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Groucho Marx le Jeu 13 Mar 2014 13:40

Caliban et la sorcière en anglais:

http://libcom.org/files/Caliban%20and%20the%20Witch.pdf

et une autre interview:

http://www.avanti4.be/analyses/article/ ... -primitive

Capitalisme, chasse aux sorcières et biens communs. Entretien avec Silvia Federici

Il y a quelques siècles d’ici, elle aurait été envoyée au bûcher. Féministe infatigable, l’historienne et auteure de l’un des livres les plus téléchargés sur Internet, « Caliban and the Witch : Women, the Body and Primitive Accumulation » (Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive. Edition française à paraître aux Editions Senonevero en 2013) nous explique de manière rigoureuse les raisons politiques et économiques qui se cachaient derrière la chasse aux sorcières. Son dernier livre, « Revolution at Point Zero : Housework, Reproduction, and Feminist Struggle » (Common Notions/PM Press, 2012) est un recueil d’articles indispensables pour connaître sa trajectoire intellectuelle. Entretien réalisé pour la rubrique « Numeros Rojos » du journal en ligne « Publico.es » (Avanti4.be)

C’est avec un œil scrutateur que l’italienne Silvia Federici étudie depuis plus de 30 ans les événements historiques qui ont provoqué l’exploitation sociale et économique des femmes. Dans son livre « Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive », elle fixe son attention sur la transition violente entre le féodalisme et le capitalisme, où s’est forgé au fer rouge la division sexuelle du travail et où les cendres des bûchers ont recouvert d’un épais manteau d’ignorance et de mensonges un chapitre essentiel de l’Histoire. Dans son bureau du Département d’Histoire de la Hofstra University de New York, Federici nous parle de sorcières, de sexualité et de capitalisme et se propose de « faire revivre pour les jeunes générations la mémoire d’une longue histoire de résistance qui court aujourd’hui le risque d’être effacée ».

Comment est-il possible que le massacre systématique de femmes n’ait pas été abordé plus amplement que comme un chapitre anecdotique dans les livres d’Histoire ? Je ne me souviens même pas en avoir entendu parler à l’école…

Silvia Federici : C’est un bon exemple de comment l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Au milieu du XVIIIe siècle, quand le pouvoir de la classe capitaliste s’est consolidé et que la résistance fut en grande partie défaite, les historiens ont commencé à étudier la chasse aux sorcières comme un simple cas de superstitions rurales et religieuses. En conséquence, jusqu’à pas longtemps d’ici, bien peu furent ceux qui investiguèrent sérieusement les raisons qui se cachent derrière la persécution des « sorcières » et ses rapports avec l’instauration d’un nouveau modèle économique. Comme je l’expose dans « Caliban et la sorcière… » : deux siècles d’exécutions et de tortures qui ont condamné des milliers de femmes à une mort atroce ont été liquidés par l’Histoire comme étant un produit de l’ignorance ou comme quelque chose qui appartenait au folklore. Une indifférence qui frise la complicité vu que l’élimination des sorcières des pages de l’histoire a contribué à banaliser leur élimination physique sur les bûchers.

Les féministes se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un phénomène très important, qui a modelé la position des femmes dans les siècles suivants et elles se sont identifiées avec le destin des « sorcières » en tant que femmes persécutées pour avoir résisté au pouvoir de l’Eglise et de l’Etat. Espérons qu’on enseignera aux nouvelles générations d’étudiantes l’importance de cette persécution.

Il y a quelque chose, en outre, de profondément inquiétant dans le fait que, mis à part dans le cas des pêcheurs basques de Lapurdi, les proches des prétendues sorcières ne se soulevèrent pas en armes pour leur défense alors qu’ils avaient précédemment lutté ensemble dans les soulèvements paysans...

Malheureusement, la majorité des documents à notre disposition sur la chasse aux sorcières furent écrits par ceux qui occupaient des postes de pouvoir : les inquisiteurs, les magistrats, les démonologues. Cela signifie qu’il y ait pu y avoir des exemples de solidarité qui n’ont pas été enregistrés. Mais il faut tenir compte du fait qu’il était très dangereux pour les proches des femmes accusées de sorcellerie de s’associer à elles et plus encore de prendre leur défense. De fait, la majorité des hommes qui furent accusés et condamnés pour sorcellerie étaient des parents des femmes accusées. Cela ne minimise pas, bien entendu, les conséquences de la peur et de la misogynie que la chasse aux sorcières elle-même a produit, vu qu’elle a propagé une image horrible des femmes en les transformant en meurtrières d’enfants, servantes du démon et dévoreuses d’hommes qui les séduisaient et les rendaient impuissants en même temps.

Tu exposes deux conséquences claires en ce qui concerne la chasse aux sorcières : qu’il s’agit d’un élément fondateur du capitalisme et qu’il suppose la naissance de la femme soumise et domestiquée.

En effet, la chasse aux sorcières, ainsi que la traite des esclaves noirs et la conquête de l’Amérique, constituent des éléments indispensables de l’instauration du système capitaliste moderne car ils ont changé de manière décisive les rapports sociaux et les fondements de la reproduction sociale, à commencer par les rapports entre les femmes et les hommes et entre les femmes et l’Etat. En premier lieu, la chasse aux sorcières a affaibli la résistance de la population face aux transformations qui accompagnèrent l’apparition du capitalisme en Europe : la destruction de la gestion communautaire de la terre ; l’appauvrissement massif et la famine, ainsi que la création dans la population d’un prolétariat sans terre, à commencer par les femmes d’âge mûr qui, n’ayant plus de terre à cultiver, dépendaient d’une aide étatique pour survivre.

On a également élargi le contrôle de l’Etat sur le corps des femmes, en criminalisant le contrôle que celles-ci exerçaient sur leur capacité reproductive et sur leur sexualité (les sages-femmes et les anciennes furent les premières accusées de sorcellerie). Le résultat de la chasse aux sorcières en Europe fut un nouveau modèle de féminité et une nouvelle conception de la position sociale des femmes, qui a dévalué son travail en tant qu’activité économique indépendante (processus qui avait déjà commencé graduellement) et les a placées dans une position subordonnée aux hommes. Tel était la principale condition pour la réorganisation du travail reproductif exigée par le système capitaliste.

Tu parles ainsi du contrôle des corps : si au Moyen Age les femmes exerçaient un contrôle indiscutable sur les naissances, dans la transition au capitalisme « les utérus se transformèrent en territoire politique contrôlé par les homme et par l’Etat ».

Il n’y a pas de doutes qu’avec l’avènement du capitalisme nous commençons à voir un contrôle beaucoup plus strict de la part de l’Etat sur le corps des femmes. Ce contrôle n’a pas seulement été mené à bien par la chasse aux sorcières mais aussi à travers l’introduction de nouvelles formes de surveillance de la grossesse et de la maternité, l’institution de la peine capitale contre l’infanticide (lorsque le bébé était mort-né ou mourrait pendant l’accouchement, on accusait et on jugeait la mère). Dans mon travail, je soutien que ces nouvelles politiques, et en général la destruction du contrôle que les femmes au Moyen Age avaient exercé sur la reproduction, s’associent avec la nouvelle conception du travail que le capitalisme a promu.

Quand le travail devient la principale source de richesse, le contrôle sur les corps des femmes acquiert une nouvelle signification : ces mêmes corps sont alors vus comme des machines de production de la force de travail. Je crois que ce type de politique est encore très important aujourd’hui parce que le travail, la force de travail, est toujours cruciale pour l’accumulation de capital. Cela ne veut pas dire que les patrons veulent, partout et tout le temps, avoir plus de travailleurs, mais ils veulent sans aucun doute contrôler la production de la force de travail ; ils veulent décider combien de travailleurs produisent et dans quelles conditions.

En Espagne, le ministre de la Justice veut réformer la loi sur l’avortement, en excluant les cas de malformation du fœtus, et cela précisément au moment où les aides sociales aux personnes dépendantes ont été supprimées…

Aux Etats-Unis aussi ils tentent d’introduire des lois qui pénalisent gravement les femmes et qui limitent leur capacité de choisir si elles souhaitent ou pas avoir un enfant. Par exemple, plusieurs Etats introduisent des lois qui rendent les femmes responsables de ce qui arrive au fœtus pendant la grossesse.

Il y a eu le cas polémique d’une femme qu’on a accusé d’assassinat parce que son fils est mort-né et qu’on a découvert ensuite qu’elle avait pris certaines drogues. Les médecins ont pourtant conclu que la consommation de cocaïne n’était pas la cause de la mort du fœtus, mais ce fut en vain, l’accusation a suivie son cours. Le contrôle de la capacité reproductive des femmes est également un moyen de contrôler la sexualité des femmes et notre comportement en général.

Tu poses cette question : pourquoi Marx n’a-t-il pas analysé la procréation en tant qu’activité sociale déterminée par des intérêts politiques ?

Ce n’est pas une question dont la réponse est facile, vu qu’il nous semble évident aujourd’hui que la procréation et l’éducation des enfants sont des moments cruciaux dans la production de la force de travail et que ce n’est pas un hasard s’ils sont l’objet d’une régulation très stricte de la part de l’Etat. Je crois, cependant, que Marx ne pouvait pas se donner le luxe de voir la procréation comme un moment de la production capitaliste parce qu’il l’identifiait avec l’industrialisation, avec les machines et la grande industrie. La procréation, tout comme le travail domestique, semblait être l’opposé de l’activité industrielle. La fait que le corps de la femme allait se mécaniser et se transformer en machine pour la production de force de travail est quelque chose que Marx ne pouvait envisager.

Aujourd’hui, au Etats-Unis du moins, l’accouchement s’est également mécanisé. Dans certains hôpitaux, pas ceux pour les riches à l’évidence, les femmes accouchent sur une ligne de montage, avec un temps bien défini pour l’accouchement et si elles excèdent ce temps, on pratique alors une césarienne.

La sexualité est une autre thématique que tu abordes d’un point de vue idéologique, l’Eglise étant l’institution qui a promu avec une grande virulence un contrôle féroce et une criminalisation dans ce domaine. Le pouvoir qu’elle accordait aux femmes était-il si fort que cette tentative de contrôle se poursuit encore aujourd’hui ?

Je crois que l’Eglise s’est opposée à la sexualité (mais ses membres l’ont toujours pratiqué en cachette) parce qu’elle a peur du pouvoir qu’elle exerce sur la vie des personnes. Il est important de rappeler que tout au long du Moyen Age, l’Eglise était également impliquée dans la lutte pour éradiquer la pratique du mariage des prêtres car cela était vu comme une menace pour la conservation de son patrimoine. En tous les cas, l’attaque de l’Eglise contre la sexualité a toujours été une attaque contre les femmes. L’Eglise a peur des femmes et a tenté de nous humilier de toutes les manières possibles, en nous désignant comme coupables du péché originel et la cause de la perversion chez les hommes, en nous forçant à cacher nos corps comme s’ils étaient contaminés. Ils ont également tenté d’usurper le pouvoir des femmes, en présentant les membres du clergé comme ceux qui donnent la vie et même en allant jusqu’à adopter la robe comme vêtement.

Dans un entretien tu affirmes que la chasse aux sorcières se poursuit toujours actuellement. Qui sont les hérétiques d’aujourd’hui ?

Il y a depuis plusieurs années des chasses aux sorcières dans différents pays africains, ainsi qu’en Inde, au Népal, en Papouasie-Nouvelle Guinée. Des milliers de femmes ont été assassinées de cette manière, en les accusant de sorcellerie. Et il est clair que, comme aux XVI et XVIIe siècles, cette nouvelle chasse aux sorcières est liée à l’extension des rapports capitalistes dans le monde entier. Il est préférable d’avoir des paysans qui luttent les uns contre les autres tandis que dans de nombreux points du monde on assiste à un nouveau processus d’ « enclosure », avec la privatisation des terres et un énorme pillage des ressources élémentaires de subsistance.

Il existe également des preuves qui indiquent qu’une partie de la responsabilité pour cette nouvelle chasse aux sorcières, qui est à nouveau spécialement dirigée contre des femmes âgées, doit être attribuée à l’œuvre des sectes fondamentalistes chrétiennes, comme le mouvement pentecôtiste. Ils ont de nouveau introduit dans le discours religieux la thématique du diable, ils ont augmenté le climat de suspicions et la peur existante provoquée par la détérioration dramatiques des conditions de vie économiques.

« Omnia sunt communia ! », « Tout est commun ! » , tel fut le cri des Anabaptistes dont la lutte et la défaite, comme tu le racontes dans ton livre, fut effacée par l’Histoire. Ce cri est-il toujours aussi subversif ?

Certainement, car nous sommes en train de vivre une époque de « sunt omnia privata » !. Si les tendances actuelles continuent, il n’y aura bientôt plus de trottoirs, de plages, de mers, ni d’eaux côtières, ni de terres, ni de bois auxquels nous pourrons accéder sans devoir payer avec de l’argent. En Italie, certaines municipalités tentent de faire passer des lois qui interdisent aux gens de déposer leurs essuies sur les rares plages libres restantes, et ce n’est qu’un tout petit exemple. En Afrique, nous sommes témoins des plus grandes appropriations de terres dans l’histoire du continent de la part d’entreprises minières, agro-industrielles, agro-combustibles, etc. La terre africaine est en voie de privatisation et les gens sont expropriés à un rythme qui coïncide avec celle de l’époque coloniale. La connaissance et l’éducation se transforment en marchandises seulement disponibles pour ceux qui peuvent payer et même nos propres corps sont en train d’être brevetés.

Ainsi, l’« omnia sunt communia » constitue toujours un idéal radical, bien qu’il faut faire attention à ne pas accepter la forme détournée avec laquelle cet idéal est utilisé, par exemple, par des organisations comme la Banque Mondiale qui, au nom de la préservation de la « communauté globale », privatise les terres et les forêts et expulse les populations qui vivaient d’elles.

Comment pourrait-on aborder la question des biens communs aujourd’hui ?

La question des biens communs c’est de savoir comment créer un monde sans exploitation, égalitaire, où des millions de personnes ne meurent plus de faim au milieu de la surconsommation obscène de quelques uns, où l’environnement ne soit pas détruit et où la machine n’augmente pas notre exploitation au lieu de la réduire. Tel est je crois notre problème commun et notre projet commun : créer un monde nouveau.

Source :
http://blogs.publico.es/numeros-rojos/2 ... de-brujas/
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede bajotierra le Jeu 13 Mar 2014 16:29

Oui,

Il me semble , quand même , que la contrôle de la sexualité et de la reproduction n'est pas aussi bien daté et situé que Federici voudrait nous le signifier , (peut être une scorie de sa formation marxiste ? ) , et que plus largement qu'a l'histoire du capitalisme occidental il appartient a celle de la domination

Il s'agit presque d'une régle universelle que le pouvoir par le biais du contrôle de la sexualité veuille contrôler les esprits ( par exemple c'est le cas de l'empire zoulou au XIX ) et par celui de la reproduction cherche a optimiser sa politique

De même si la question de la disparition du nicolaisme fut bien lié aux questions de préservation du patrimoine par absence de filiation , on retrouve aussi en orient et de tous temps , le rôle clé des ennuques parvenus aux arcanes du pouvoir justement parce que aucun probléme de ce type ne pouvait surgir de leur part
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Re: Interview de Silvia Federici

Messagede Specifix le Jeu 13 Mar 2014 18:02

Attendons de lire le livre, c'est mieux.
Mais, je vois où se situe le danger, bien que l'idée de Silvia Federici est sensée et certainement digne d'intérêt.
Considérer, un peu naïvement, que seul le capitalisme serait responsable de l'effacement des femmes, ça risque d'aller alimenter le moulin des colonialistes et des communautaristes qui vont en profiter pour "prouver" que c'est l'européen qui, capitaliste, a créé leur misère en imposant un modèle, et à leur unique dépend. Quoi que en ce qui concerne les femmes, ils sont condamnés à des grands écarts, tout de même.
Avec la récupération, il y aura l'amalgame habituel entre liberté et capitalisme, forcément blancs et impérialistes. Ce n'est pas sans rappeler l'antisémitisme qui dit que les juifs détiennent banques et argent, alors que ce sont les capitalistes qui détiennent banques, argent et propriétés. Encore une fois, je pense qu'il faut attendre de bien lire le livre.

Je n'ai pas lu en détail les autres articles postés par Groucho, mais Silvia Federici parle de refondation, et non de création, de la ségrégation des femmes par le capitalisme dès la fin de la féodalité (XII° s) où les prémisses d'un profond changement de société se produit (Qui coïnciderait avec le tout début de la chasse aux sorcières systématique) - prémisses du capitalisme (?) - "Prémisses et non début". Peut-être date-t-elle une accumulation primitive de ce moment-là ?
Je sais que les changements, dans l'Histoire, ne se produisent pas d'une façon ponctuelle, et ma connaissance en Histoire est trop légère pour que je me prononce avec certitude, surtout sur le sujet.
L'auteure avance que l'Etat capitaliste va exercer un contrôle beaucoup plus strict (ce qui suppose que ce contrôle existait déjà dans les exigences d'un autre contexte) sur les femmes.
L'exploitation capitaliste change la donne, et réactive à sa façon de vieux démons. Je pense que le capitalisme a, dès le départ, su recycler ce qui était, d'abord, une forme de superstition. L'Eglise, tous les clergés et prêtres de tous horizons et confessions, a étendu son emprise partout où elle a pu, et partout où elle le peut, pour des raisons de pouvoir. La ségrégation des femmes est sans doute, ou peut-être, liée à leur capacité biologique, et donc naturelle, de mettre les enfants au monde. Cela peut être considéré comme un pouvoir, et un pouvoir, c'est fait pour s'en servir quand on veut. Un diktat, une habitude, une nécessité, lorsque ça entre dans les habitudes, cela devient les moeurs, la tradition; et une dépendance présentée comme nécessaire (et peut-être acceptée par ignorance, obéissance, coercition, ...) peut s'avérer en définitive transmise comme une tradition séculaire, sacrée, divine, etc ... La morale devient, alors, la nouvelle nature d'habitudes dont on a perdu le sens, l'origine. D'où l'intérêt de ne pas négliger l'Histoire.
Les religieux ont, toujours, été des experts du mensonge et de la manipulation; ils tirent bien leur pouvoir de quelque part, quand même.
Ce que je constate, et de plus en plus, c'est que leur influence est loin d'être écartée et demeure dans les habitudes.
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