NOTES
SUR L’APPEL AU CAMP DE VALOGNES
ET SES SUITES.
Lorsqu’il y a de cela quelques mois j’ai appris qu’une initiative autour d’un blocage massif de convoi nucléaire se préparait dans la Manche, sur des terres totalement sous l’emprise du nucléaire et de ses promoteurs, je me suis dit enfin des perspectives de lutte dans un pays où ceux et celles qui continuent d’y lutter s’y sentent bien seuls. Ici, les nucléocrates ne se sont pas contenté de disséminer leurs radionucléides de La Hague à Flamanville en passant par l’ANDRA, l’arsenal militaire de Cherbourg ou la fosse des Casquets, ils ont également colonisés les esprits à coup de pognon et d’idéologie progressiste.
Pour mémoire c’est en septembre dernier que surgit l’appel de Valognes diffusé sur des sites internet et via des tracts lors du rassemblement de Rennes ou dans des journaux militants.
Si j’écris ce texte de notes sur l’appel au camp et ses suites, c’est que quelques malaises n’ont cessé de croitre tant sur le texte d’appel au camp que sur la forme que prenait au fur et à mesure la construction du camp. C’est comme si un spectre étrange hantait l’initiative et cherchait à y plantait ses serres.
Il ne s’agit pas ici de contribuer à une sorte d’entreprise de démobilisation, tant je continue de penser que participer d’une façon ou d’une autre à cet appel à blocage reste important, mais il s’agit juste d’opposer quelques critiques à même de prolonger entre autres les quelques pistes évoquées par les 4 précisions sur l'appel à bloquer le "train-train" nucléaire à Valognes. Et surtout de faire de cette tentative de blocage un moment de réappropriation collectif réel de la lutte mais également de nos propres vies.
Il y a des textes qui veulent s’extraire de tout contexte social et politique et de époque, qui pensent que la seule force de la volonté peut faire plier la réalité à ses propres désirs. Ces textes là ont parfois bien du commun avec la religiosité ou l’idéologie. Ils peuvent alors s’apparenter, parfois contre leur gré, à un discours publicitaire annonçant souvent dans les faits des lendemains qui déchantent.
Dans certains de ses aspects l’appel initial au camp de Valognes suit cette étrange inclinaison.
NON, L’ARRET DU NUCLEAIRE n’est pas à l’ordre du jour dans « les Etats les plus lucides ». Ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la Suisse n’ont arrêté le nucléaire ; ils ont juste réduits la voilure du nucléaire civil, stoppés la construction de centrales, tout en prolongeant le monde nucléarisé qu’ils continuent de soutenir, avec ses bombes à uranium appauvri, ses recherches en nucléaire… Qui plus est l’expérience récente de la menace du gouvernement Mer kel de revenir sur la promesse du gouvernement « Gauche plurielle » Grünen-SPD de Gerhard Schroeder de sortir du nucléaire en 2020, repoussée in extremis par la catastrophe de Fukushima, montre ce que les promesses de sortie lorsqu’elles sont tenues par les Etats valent réellement. Les effets d’annonce ne servent souvent qu’à démobiliser les oppositions, offrir quelques « pseudo-victoires » aux écologistes les plus intégrés. Ainsi en 93, Greenpeace obtenait, après une longue campagne médiatique d’actions, l’arrêt des rejets en mer de déchets par bateaux. En effet, depuis des décennies de nombreux Etats balançaient leurs fûts de déchets radioactifs à la baille dans les eaux profondes. Ce fut notamment le cas des déchets anglais au large du Cotentin dans la fosse des Casquets où de nombreux fûts sont maintenant éventrés. Aujourd’hui, une conduite au large de La Hague permet à l’usine de retraitement de rejeter directement à la mer nombres d’effluents radioactifs. C’est un exemple parmi d’autres de la vision stratégique des « Etats les plus lucides » directement liés aux industriels du nucléaire.
Parce que cet aspect de l’appel pourrait donner l’illusion souvent véhiculée par les écologistes d’Etat, qu’ils viennent de Greenpeace en passant par les verts ou le réseau sortir du nucléaire, que les Etats ne sont que des entités neutres influencées par le lobby nucléaire. Or, ce sont ces mêmes Etats qui sont le lobby même et qui n’ont eu de cesse de faire proliférer le nucléaire sous toutes ses formes et sous toutes les latitudes. En ce sens l’appel rejoint la critique citoyenne du nucléaire là où dans l’action, le blocage, il s’y oppose frontalement.
Et finalement, cet appel pourrait également laisser croire que c’est aussi simple de bloquer un programme nucléaire que de bloquer un train de déchets radioactifs. Il n’en est bien-sûr rien.
NON, FUKUSHIMA, A L’HEURE ACTUELLE, N’A PAS GENERE D’OPPOSITIONS FRANCHES. Les nucléaristes français y ont même perçu, malgré leurs craintes initiales de voir surgir un vaste mouvement d’opposition, plusieurs opportunités. Tout d’abord celle de relancer la filière EPR plutôt mal en point sur le terrain de l’économie parce que couteuse et trop puissante pour vendre à l’export – faut-il rappeler que ce sont des unités plus petites coréennes qui ont souvent gagnés les derniers appels d’offre. Et c’est le terrain d’un nucléaire sûr qui est investi par AREVA, EDF et consorts… D’ailleurs la relative bonne santé d’AREVA dans le marasme économique actuel en est une illustration flagrante. Ensuite la catastrophe a rendu possible pour les nucléocrates la propagande d’une vie au milieu du désastre, en zone contaminée comme jadis en Biélorussie ou en Ukraine. La catastrophe devient alors un quotidien, qui plus est dans une époque de catastrophes écologiques et économiques constantes, qui n’ont de cesse de nous déposséder chaque jour davantage de toute prise sur le monde. Et ce quotidien loin de remettre en cause la domination qui s’y exerce, l’affine. Nombreux-ses ont été les révolutionnaires ou les écologistes qui dans l’après Fukushima ont cru à une prise de conscience généralisée, comme il en fut jadis dans l’après Tchernobyl. C’est ignorer ce que cette position doit au marxisme pour qui les crises du capitalisme sont ces moments de faiblesses, et comment cette idéologie des crises a souvent montré son inanité.
Ce qui ne veut bien évidemment pas dire que toute l’horreur des situations japonaises ou biélorusses ne nourrissent pas notre rage contre ce monde et ces gestionnaires et n’ébranle pas quelques certitudes pro-nucléaires au passage, ou que la résignation ne soit la seule issue qui se promette à nous…Cela veut juste dire que la lutte sera juste aussi dure qu’elle le fut jadis.
Sur ce terrain, il est évident que, comme le souligne « l’appel de Valognes », l’information ou l’indignation ne suffise pas. Semprun et Riésel dans leur « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable » ne disaient rien d’autres lorsqu’ils évoquaient cette vieille illusion écologiste qui consiste à croire que les autorités et les populations informées seraient à même de changer leur fusil d’épaule. La réalité est toute autre. Bien que le nucléaire soit majoritairement honni par la population française, l’Etat français continue son délire monomaniaque, et pour cause il n’a pas rencontré d’opposition assez forte pour le faire plier.
Depuis le début des années 80 en France les oppositions au nucléaire, à de rares soubresauts pré ce sont limitées à une action de lobbying ou ce sont aventurées avec le succès que l’on sait sur le terrain de l’écologie politique.
Aujourd’hui, ce avec quoi il s’agit bien de renouer c’est avec une lutte populaire. Une lutte mêlant un enracinement local, loin de l’enracinement maurassien bien-sûr, et des actions directes à même de fragiliser l’Etat, et peut-être de le faire plier. L’appel touche ici en partie juste lorsqu’il évoque la lutte de Plogoff. Mais ce qu’il oublie singulièrement c’est que toute victorieuse que fût cette lutte, elle n’a pas empêché le gouvernement socialiste de continuer le programme nucléaire initié par les équipes Giscard d’Estaing,.
NON VALOGNES NE SERA PAS LE WENDLAND et la lutte contre ce transport vers l’Allemagne n’aura pas l’ampleur de la lutte allemande. Une lutte ne se décrète pas elle se construit. Aujourd’hui, la lutte en Nord-cotentin a été désamorcée. Parce que les édifices nucléaires ou leurs prolongements ont été construits, que certain-e-s locaux ont été achetés, que des travailleur-se-s du nucléaire acquis-e-s à la cause ont colonisé le pays et les esprits. Rien qu’une rapide observation de la modification des paysages en est une illustration criante, avec les routes neuves, les stades qui fleurissent au milieu des lignes THT, avec la critique du nucléaire comme tabou. Faut-il rappeler comment à la fin des années 90 le professeur JF Viel, annonçant un excès de leucémies infantiles autour de La Hague, fut accueilli ? Menaces, campagne de diffamation, etc. Et comment, ici comme au Japon , tradition et modernité se côtoient lorsque le temps se gâte, et le horsain celui qui n’est pas d’ici, qui veut du mal à la région ressurgit alors comme bouc-émissaire au cœur d’un mode de défense d’une société qui bien qu’hautement industrialisée en appelle à ses formes ancestrales de protection.
En sud-Manche, l’opposition au tracé THT est, quant à elle, plus vivante. De nombreuses manifestations ont eu lieu ces dernières années. Des pylônes ont été occupés, des lignes partiellement déboulonnées. Pour autant il serait illusoire de nier qu’une certaine résignation semble avoir insidieusement fait son chemin au gré des maisons achetées, des illusions citoyennes et électorales envolées et d’une situation globale quelque peu démobilisatrice.
Le mouvement antinucléaire français qui a pourtant gagné la bataille de l’opinion est aujourd’hui quasi réduit au silence et à l’inaction. Par les oppositions qui le mine. L’Ecologie politique s’est lentement compromise dans des jeux de gestionnaires, tandis que le réseau sortir du nucléaire a implosé sous la charge de ses propres logiques de bureaucratisation et sur les clivages politiques qui y coexistaient. Dans l’après Fukushima les quelques groupes qui se sont activés ou se sont créés sont souvent restés orphelins de perspectives de luttes un tant soit peu attrayantes. C’est dans cette perspective justement qu’est née cette idée de blocage de Valognes.
En France nous en sommes là et c’est là où comparer cette tentative de blocage à la lutte allemande est plus qu’hasardeuse. La lutte contre ce transport, si elle n’est pas à proprement parlé une lutte hors-sol, puisque de nombreux-ses participant-e-s à cette initiative sont investies de longue date dans les luttes antinucléaires et la lutte anti-EPR et ses prolongements, les THT, ne revêt pas le caractère massif que peut avoir l’opposition aux transports de déchets radioactifs vers Gorleben depuis des décennies. Dans le Wendland et le reste de l’Allemagne, ce sont des milliers de personnes, et pas seulement des militant-e-s, qui s’opposent aux retours de déchets, articulant différents modes d’action tout en restant solidaires les un-e-s des autres. Ces luttes ont fragilisées les options nucléaristes de l’Etat allemand.
Pour autant, il ne s’agit pas d’idéaliser les dites luttes. Tout d’abord, parce qu’elles n’ont pas réussies à faite sortir l’Allemagne du nucléaire. Et ceci ne fait que confirmer ce que pressentait l’ACNM en 94 dans son texte « En finir avec le nucléaire et son monde » , que toute lutte isolée aussi massive soit-elle tant qu’elle n’en finit pas avec l’Etat et le capital n’est vouée qu’à maintenir les rapports de force contre les logiques nucléaristes. Bien évidement les reculs ainsi obtenus sont toujours bons à prendre… Ensuite malgré les solidarités présentes dans ces luttes, il ne faut pas oublier que comme partout en Europe elles ont connues leurs propres trahisons et opportunismes, notamment via le mouvement écologiste d’Etat, ses propres compromis.
Ce qu’il y a « d’inspirant » dans l’opposition allemande comme le signifiait une des initiatrices du camp ce sont principalement des formes de luttes que l’on ne peut malheureusement isoler des contenus que parfois elles véhiculent et surtout des conditions dans lesquelles elles se développent. Lors du départ du dernier convoi vers Gorleben ce sont différents modes d’action qui sont complétés : suspension de militant-e-s à des ponts, blocages massifs et isolés, avec retrait ou non du ballast, sabotages, veilles, manifs. Mais cette situation n’était rendue possible que par le nombre de participant-e-s aux actions et la multiplication de celles-ci le long du parcours. Ce blocage ne permettra pas de reproduire comme un mauvais copier/coller ces formes de lutte comme si elles étaient comme suspendues hors du temps et de l’espace.
ET C’EST L’IDEE MEME DU GESTE FORT véhiculée par l’appel initial, vieil héritage des avant-gardes artistiques et politiques qui est ici à remettre en cause. Lorsque Breton, les dadaistes, les lettristes, les situationnistes et tous les groupes qu’ils inspirèrent jouaient du scandale, c’était dans l’idée que ceux-ci serviraient d’éléments déclencheurs, sorte de mèches, à même d’embraser des situations, ou comme l’explique Léopold Roc dans sa brochure La piste brouillée des Congaceiros dans la pampa sociale à révéler « la négativité latente qui minerait souterrainement la société » . Or comme le constate Roc, sans amertume mais sans fierté, pour ce qui de sa propre histoire au sein du groupe Os Congaceiros, auteur entre autre de bon nombre de sabotages anti-carcéraux de 85 à 90, ce que ces initiatives comme celles qui l’ont précédées oublient singulièrement c’est de « créer des brèches durables dans la cohérence de la société, la construction patiente de liens sociaux à travers des médiations et des initiatives variées. » En clair, ce n’est que lorsque ce geste fort trouve des complicités dans des situations sociales historiques particulières qu’il peut véritablement servir de mèche explosive. Le scandale de Strasbourg, c’est-à-dire la prise en main de l’UNEF Strasbourg par un groupe d’étudiant-e-s aux aspirations situationnistes et sa dissolution immédiate comme organe bureaucratique voué à trahir les aspirations révolutionnaires n’a d’échos que dans la situation de la jeunesse de 68, dans les chahuts organisés dans les bahuts, dans les luttes ouvrières indociles de Caen ou St-Nazaire, dans les violences policières qui secouent les abords de la Sorbonne. L’action ne résonne au-delà du milieu qui est à son origine que lorsqu’elle rencontre un imaginaire social et historique pour reprendre Castoriadis ou lorsqu’elle rencontre des conditions matérielles spécifiques pour reprendre Marx.
Ce sont les limites d’une vision en termes de pur volontarisme politique qui s’exprime alors. La comparaison abusive avec des situations sociales et historiques totalement différentes comme celle de l’Allemagne ne font que confirmer cette filiation implicite idéologique. On retrouve alors tout ce qui peut confiner à l’activisme hors-sol : reproduire sans cesse les mêmes schémas que l’on pense éprouvés sans même se rendre compte qu’ils sont loin de fonctionner au-delà du milieu actif. Et par ailleurs, sans penser à la capacité d’adaptation de l’adversaire et en en atténuant l’intelligence tactique.
Par ailleurs, ce geste fort, lorsqu’il se double d’un appel à se joindre à lui sans ouvrir de réels espaces réguliers de discussion pré-camp, se construit comme un appel au suivisme, et donc à la reproduction d’une hiérarchie informelle qui ne dit pas son nom. L’assemblée de fin de manif à Rennes et les réunions locales, en tout cas celle que nous avons organisés sur Caen, n’ont pas véritablement permis de battre en brèche la division entre Gentil-le-s Organisateur-trice-s et personnes désireuses de s’investir. C’est là l’un des enjeux du seul temps qui nous reste pour construire cet espace : le camp. Durant ces 3 jours, une assemblée est prévue visant à dégager des perspectives de lutte post-Valognes. Les considérations tactiques à l’œuvre sur le camp devront également être discutées alors, pour que chacun et chacune puisse s’investir en toute connaissance de cause.
L’obsession médiatique qui agite certain-e-s protagonistes du projet est dans la droite lignée de cette idéologie du geste fort. Et tout à coup c’est l’idée saugrenue que le terrain médiatique est un terrain de lutte comme un autre qui apparaît. Et l’on agite les plans médias. La récente action « de dépôt d’un faux bidon de déchets nucléaire près de Rennes » par un mystérieux groupe en route vers Valognes, action somme toute potache et digne du réseau « Sortir du nucléaire » conduit-elle à l’intervention de pompiers et de gendarmes et surtout est immédiatement juxtaposée par Ouest-France à un mystérieux dépôt de poudre blanche dans des enveloppes à la trésorerie générale d’Ille –et Vilaine. On voit à quel type d’ambiance le très pro-nucléaire Ouest-France cherche-t-il à associer l’aventure valognaise.
Non seulement, comme le souligne les « 4 précisions sur l’appel à bloquer le train-train nucléaire à Valognes », ce blocage ne suffira pas mais surtout il ne doit pas être conçu comme un événement sans lendemains, un coup de théâtre spectaculaire.
LES NIMBES DE SECRET qui entourent l’initiative et sa préparation peuvent s’expliquer par la nécessité que le lieu du camp et du rassemblement soient tenu secrets jusqu’au dernier moment pour rendre la tâche plus complexe à l’Etat. Pour autant si de telles précisions peuvent être utiles à L’Etat et ses sbires, il ne faut pas se leurrer, elles ne modifieront pas en profondeur sa stratégie policière. Par contre cet habitus du secret génère de facto défiance, suspicion et séparation.
Dès lors si ‘l’initiative vise vraiment à une première réappropriation collective depuis longue date de l’action directe antinucléaire, la stratégie dans laquelle nous nous sommes lentement incarcérés devient alors un handicap. Le principe d’efficacité au cœur même de l’idée de blocage prend le pas sur la réappropriation et l’auto-organisation. La fin prend le pas sur les moyens. Et l’on sait pertinemment lorsque de telles perspectives ont surgit au sein du mouvement révolutionnaire ce qu’elles ont données, qu’elles aient été portées par des marxistes ou des anarchistes.
C’est comme si nous étions resté prisonniers de notre milieu et de ses réflexes les plus élémentaires. Un milieu n’échappe que rarement à sa généalogie et ne cesse souvent de bégayer les mêmes habitudes dont l’idée de blocage et de gestes forts sont des signes manifestes. Le blocage s’y transforme comme lors du dernier mouvement des retraites en idéologie autonome .On cherche l’unité à tout prix en taisant les divergences de fond au sein du mouvement antinucléaire et cherchant des alliances improbables. Le point 5 du texte d’Appel au camp de Valognes est à ce titre très explicite. S'il est vrai que les griefs qui sont fait à certaines tendances peuvent parfois servir à masquer nos propres faiblesses, il n'en demeure pas moins que certaines tendances - écologie politique, citoyennistes - ont une responsabilité particulière dans la tournure des événements au sein du mouvement antinucléaire. C’est comme ci l’isolement de franges radicales et la répression qu’elles avaient subie les conduisaient à passer d’une logique de fermeté qui pouvait conduire parfois à un excès de fermeture à aujourd’hui une sorte d’angélisme béat. Et c'est l'illusion de l'unité dans l'action qui pointe son nez. Avec elle l’oublie que cette unité se brise souvent à la première occasion, comme lors d’accords électoraux, d’enjeux d’organisation, etc. L’appel à soutien vers les organisations est à ce titre significatif.
Sans oublier que des blocages il y en a eu plusieurs par le passé et ils n’ont pas réussis à eux seuls à stopper la machinerie nucléaire. Durant les années 70 et 80, le cotentin a été le théâtre de nombreuses actions directes de masse, souvent oubliées, contre les transports nucléaires. Et plus globalement la lutte antinucléaire en France comme ailleurs a connu de nombreux moments de lutte directe.
Cette mine de conspirateur-trice a été alors une aubaine pour certain-e-s. Il a été alors aisé pour des personnes hostiles à cette idée de blocage direct et massif pour de bonnes mais souvent de mauvaises raisons de s’engouffrer dans la brèche et d’y trouver des éléments propices à ce que leur discours prenne. Ainsi Greenpeace a appelé ces militant-e-s locaux dans un mail interne à se méfier d’une initiative anarchiste et potentiellement violente. Et s’est joint au CRILAN , association antinucléaire locale historique, opposée de longue date au blocage des retours de déchets, pour organiser un rassemblement le mercredi 23. Et c’est le règne de la rumeur qui prend le pas. Greenpeace comme Europe Ecologie sentant une possible mobilisation d’ampleur s’appuie sur l’’initiative tout en faisant un pas de côté. Certain-e-s masque à l’occasion les réelles motivations de leurs distances – Greenpeace a toujours privilégier ses propres actions qu’elles pouvaient tout autant contrôler pratiquement qu’idéologiquement – là où d’autres sûres de leur position initiale et méfiante face au manque de transparence de l’initiative se tiennent sur leur garde.
Elle est également une aubaine pour la police et sa presse, qui nous rejoue déjà la vieille ritournelle des hordes d’anarchistes déferlant sur Valognes et divise par ailleurs les antinucléaires, entre bons et mauvais, les responsables qui se réuniront la veille du départ et les autres, les hirsutes, les menaçants. La ficelle est grossière, mais a déjà fait son effet en d’autres temps. Les filatures, les écoutes, les petits mots passés à quelques militants responsables et les balises GPS entretiennent tout autant la paranoïa et la scission généralisée qu’ils ne servent à renseigner réellement.
L’IDEE DE PRIVILEGIER LE LOCAL plutôt que le global pourrait alors nous engager sur une voie visant à réintroduire cette dimension de proximité. Mais alors pourquoi les locaux ont été, dans les faits, réduits au rôle de soutiens. Le local y est une identité abstraite, loin d’un enracinement réel dans les luttes. Puisque Plogoff semble être le modèle de lutte « localiste » de l’appel initial, il faut rappeler qu’à Plogoff, les habitant-e-s de Plogoff et de la région restaient les principaux protagonistes de leur lutte.
L’un des enjeux du camp est donc bien de dépasser ce cadre du soutien et d’avancer ensemble lorsque cela est possible. L’assemblée qui aura lieu sur le camp et les perspectives qui se dégageront pour l’avenir seront à ce titre plus qu’importante. Il y a des trains qu’il faut stopper ensemble.
Par ailleurs, l’opposition qui est portée dans l’appel entre la lutte contre la centrale de Plogoff et celle contre le surgénérateur de Creys-Malville entre d’une part une lutte qui aurait été locale et d’autre par ce jour de juillet 77 où Vital Michalon fut assassiné par la police et de nombreux-ses manifestant-e-s blessés, qui aurait été un moment déraciné, fait fi des nombreux groupes locaux qui organisèrent Malville. Ce que cette lecture de l’histoire oublie singulièrement c’est que c’est tout à la fois le caractère plus massif de la lutte qu’un choix de l’Etat de lâcher à cet endroit pour mieux continuer ailleurs qui est à l’origine du recul de l’Etat à Plogoff. Par ailleurs, sur Creys-Malville, les quelques 70000 personnes qui se bouffèrent la répression violente et meurtrière qui eu lieu et sonna le glas de la lutte là-bas furent les témoins horrifiés d’une stratégie d’Etat cherchant à marquer un temps d’arrêt au mouvement : par la peur générée, par les divisions que l’Etat réussit à introduire entre violents et non violents, par les brèches qu’il tend aux éléments les plus opportunistes comme Brice Lalonde et consorts. Bref, ce qui différencie vraiment ces deux moments c’est qu’ils ne se déroulent pas dans la même situation sociale et historique.
Cependant si tout commence par le local, tout ne s’y épuise pas. Faut-il rappeler que le mouvement antinucléaire n'a jamais été aussi fort que lorsqu'il existait un mouvement plus global de contestation du monde ? Comme le soulignaient Riésel et Semprun dans leur catastrophisme, administration durable du désastre : « (…) dans les années 70, la France était encore travaillée par les suites de 68. Il faut donc penser que c’est la révolte, le goût de la liberté, qui est un facteur de connaissance, plutôt que le contraire. »
Et avec l’industrie nucléaire c’est un monde qui continue de tourner. Localement, c’est une ligne TGV Paris Cherbourg qui se prépare, expression particulièrement aboutie de la boulimie énergétique de nos sociétés. Combien de réacteurs faut-il pour que nous allions juste plus rapidement d’une ville morte à une autre ? Et combien d’éoliennes industrielles faudra-t-il construire au large de Courseulles pour que ce monde continue de tourner au désastre ?
Quand à ceux et celles qui à Plogoff ont réussi à repousser le projet de centrale nucléaire qui allait irrémédiablement polluer leur quotidien, ont-il réussis à échapper aux résidus radioactifs lâchés par Tchernobyl, Fukushima, La Hague ? Il n’existe pas d’oasis locales capables de nous laisser nous échapper du monde dans lequel on nous incarcère. Il ne suffit pas de briser les barreaux des cellules, il faut détruire la prison.
La récente campagne contre Vinci qui investi pour notre avenir, dans les prisons, le nucléaire, les aéroports dont celui de Notre dames des landes, les centres de rétention, les autoroutes est une piste pratique des plus pertinentes en vue de dépasser l’isolement de nos luttes respectives.
IL N’Y A PAS QUE LE CIEL BAS ET LOURD des désastres nucléaires en cours et de la résignation qui parfois les accompagnent qui pèse comme un couvercle. Il y a aussi ce récent communiqué du comité Stop Castor Tarnac* qui ressemble à s’y méprendre à un mauvais pastiche littéraire des Possédés de Dostoïevski ou du Comte de Montéchristo. Une sorte deTarnac la Revanche 2, le retour. On y apprend que le dit comité voit dans « l’appel de Valognes » l’occasion de prendre sa revanche après l’affaire dite de Tarnac qu’il-elle-s identifient comme « une tentative forcenée, et à ce jour réussie, pour contenir aux frontières l’extension du mouvement anti-nucléaire allemand. ». Pour mémoire les sabotages de caténaires dont les camarades furent alors accusés avaient été revendiqués par un groupe antinucléaire allemand.
Non l’essentiel n’est pas que quelques camarades aussi solidaires que l’on puisse être depuis longtemps face à la répression qu’il-elle-s ont subits et qu’il-elle-s subissent toujours, prennent leur revanche contre l’Etat, mais de participer à reconstruire une opposition au nucléaire un peu tangible. Il ne faudrait pas qu’une telle opération n’assèche un peu plus l’existant et n’écœure encore davantage ceux et celles qui continuent de croire qu’un avenir sans autre nucléaire que celui qu’ils nous ont légué est possible.
Par ailleurs, il faudrait être singulièrement coupé de notre époque pour penser que nos spleens et nos goûts de la revanche, aussi légitimes qu’ils puissent être, ne peuvent à eux seuls mobiliser au-delà de nos petits milieux.
Mais ce qui est plus problématique c’est que de l’appel initial au mode opératoire, il y a un comme un spectre qui hante le théâtre des opérations : du geste fort à l’idéologie du blocage en passant par l’obsession du secret et l’appui sur le local. Cet appel sonne comme un programme politique et une mainmise théorico-pratique sur une initiative qui se voulait multiple.
L’idée quasi religieuse, en tout cas messianique, au cœur du texte d’appel, qu’au milieu du désastre nucléaire et d’un mouvement antinucléaire relativement exsangue, un geste fort pourrait ouvrir rien de moins qu’une nouvelle phase du mouvement antinucléaire, manque pour le moins de modestie, voir relève d’un délire quasi mystique. Et c’est deux vieilles chansons qui ressurgissent : « du passé faisons table rase » et « nous avons commencé ». Pour autant comme disait l’autre : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni césar, ni tribun… » Et dans l’idée même de phases au sein du mouvement antinucléaire se profile une vision emprunte d’historicité si chère à l’hégelo-marxisme. Il y aurait comme une sorte de sens de l’histoire, un destin collectif et des groupes d’individu-e-s à même par leur seul activisme d’influer sur ce destin collectif. Et cette pente conduit également à une rupture avec ce qui a précédé sur le mode du Tabula Rasa qui tend inévitablement à produire une sorte d’apologie absurde de la jeunesse. Or comme disait la chanson, « l’âge ne fait rien à l’affaire ». Et comment peut on s’associer librement lorsqu’on élabore une stratégie sur le nous avons commencé et le secret ? N’ya-t-il pas là une logique d’avant-garde qui ne dit pas son nom ?
Il n’y a d’ailleurs rien d’autres à discuter pour certain-e-s que de perspectives pratiques dans cette histoire de Valognes. Pourtant, il faut espérer que le camp permette que s’ébauchent collectivement réflexions tout autant que pratiques. Et finalement ceux et celles qui renvoient ceux et celles qui pour de bonnes ou de mauvaises raisons refusent de participer au blocage à un au-delà du mouvement nous rejouent une étrange version activiste du hors l’Eglise point de Salut.
PAR CONTRE CE QUE CE BLOCAGE PEUT OFFRIR, c’est l’occasion une fois de plus de matérialiser un point de vulnérabilité du programme nucléaire. Si aujourd’hui les luttes contre le nucléaire en France sont en difficultés c’est que si partout de par le monde où pousse une nouvelle verrue nucléaire, des mobilisations surgissent, en France les nucléocrates construisent souvent sur l’existant et en territoire conquis et vaincu. Ce sont donc les nouvelles constructions (THT) et les transports qui sont aujourd’hui les points les plus vulnérables du monde nucléaire. Parce que des oppositions peuvent y surgir et s’y développer plus facilement. Parce que les édifices ainsi construits ou les moyens de transports de matières radioactives sont également moins « surveillable ».
Ce blocage se construit également comme un dépassement des stratégies électoralistes portées par de nombreux antinucléaires. A l’aube d’une campagne dont les récents atermoiements de l’accord EELV/PS finissent de nous montrer le peu de perspectives que l’on peut attendre, sur ce terrain du nucléaire, d’un changement de majorité, l’idée de passer à l’action et de réintroduire la question du rapport de force dans un combat antinucléaire qui n’a eu de cesse de se rapprocher du simple lobbying est plus qu’urgente. Surtout qu’en ce qui concerne le chantier EPR de Flamanville, et son maillon faible, les THT, les pylônes devraient être montés dans les prochains mois. Laisser l’EPR se construire c’est laisser se propager une nouvelle génération de nucléaire et avec elle une résignation toujours plus grande.
Combattre la résignation ambiante est d’ailleurs un des objectifs de ce camp et de cette tentative de blocage. Le dernier mouvement des retraites, le déferlement de mesures sécuritaires et liberticides, les plans d’austérité qui aiguisent chaque jour davantage notre précarité et les rapports d’exploitation au profit des plus riches, nos rares espaces d’autonomie toujours plus rognés, les catastrophes écologiques, tout concourt à nous laisser toujours davantage face au vide et nous laisse comme un sentiment d’impuissance.
Se réapproprier nos luttes et un peu de nos vies, combattre ce monde absurde ici et maintenant mais avec l’envie de le faire tomber, ça peut se faire à entre autre et modestement à Valognes. Et en échos aux luttes des compagnon-ne-s allemand-e-s, comme avec l’idée que la lutte contre le nucléaire et son monde n’a pas de frontière. Et le blocage n’est pas l’essentiel, même s’il est important pour rompre avec le sentiment d’impuissance dans lequel Etat et capital nous plongent. Parce que l’essentiel est de se ressaisir sur ce terrain du nucléaire comme sur d’autres d’une envie de lutter collectivement. Surtout que sur cette voie du blocage, nous savons qu’elle ne peut participer qu’au harcèlement symbolique et économique des tenants du nucléaire. Que des trains nucléaires il en est passé et il en passera d’autres. Que contrairement aux illusions véhiculées par de nombreux antinucléaires ce n’est qu’un mouvement généralisé qui peut mettre à bas le nucléaire et son monde.
Ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans l’idée ou les conditions de ce blocage y ont donc également toute leur place pour discuter, échanger, ouvrir de nouvelles perspectives pratiques.
Il ne faudrait pas que la menace qui plane sur ce blocage d’un avancement du départ du train hypothèque ces perspectives de réappropriation collective.
Ce ne sera pas à Valognes que le Monde nucléarisé s’effondrera, mais faisons de ce moment là, un moment où s’élaborent, se tissent des complicités, des échanges et des perspectives et portons également si nous nous en donnons les moyens et si l’Etat nous en laisse la possibilité un coup au nucléaire ▪
19 Novembre 2011,
Un rétif
dans la pampa cotentinoise.
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valognesstopcastor.noblogs.org ou
http://www.anartoka.com/cran/ Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Jaime Semprun et René Riésel, editions l’encyclopédie des nuisances, 2008.
On pourrait parler de la lutte de Chooz ou de celles qui ont eu lieu à la fin des années 80 en Anjou.
Fukushima sous l’épaisseur du silence : La gestion de crise : de la tradition dans la modernité – Pas de sushi, L’etat geiger n°1 –octobre 2011.
En finir avec le nucléaire et son monde, Association Contre le Nucléaire et son Monde, 1994.
La piste brouillée des congaceiros dans la pampa sociale, Léopold Roc, 1995, Editions janvier 2010.
L’idéologie du blocage, André Dréan,
Actions directes contre le nucléaire et son monde (1973-1996) – Vol.1et 2, Black Star editions.
Le CRILAN s’est depuis longue date opposé à stopper les retours de déchets nucléaire vers l’Allemagne. Il faut remettre cette prise de position dans un contexte où le mouvement allemand ne bloquait que les retours, laissant les déchets venir jusqu’à La Hague. La situation n’a alors fait que renforcer localement l’idée déjà très présente dans la lutte que La Hague ne devait pas devenir la poubelle nucléaire du monde. Cette position s’est également construite sur une logique de gestion de l’existant. Que faire des déchets à l’heure actuelle ? La position du CRILAN comme celle de nombreux groupes écologistes pensant la question du nucléaire en gestionnaires était que les déchets devaient rester sur le leiu de production ou y retourner. Du coup les déchets allemands étaient appelés pour eux à rester ou à revenir sur les centrales allemandes. Dans les faits aujourd’hui ils vont vers le centre de stockage de Gorleben… Et de toute façon, si l’on considère qu’un transport de déchets est dangereux, un retour l’est tout autant qu’un aller.
Plogoff, des pierres contre des fusils, -Film de Nicole et Félix Le Garrec, 1981. [on peut lire à ce propos l’article : Retour sur les luttes antinucléaires, Pas de sushi, l’Etat Geiger, N°1, oct2011.]
Aujourd’hui Malville, demain la France, La pensée sauvage, 1978. [on peut lire à ce propos l’article : Retour sur les luttes antinucléaires, Pas de sushi, l’Etat Geiger, N°1, oct2011.]
Source : Pas de sushi, l'etat Geiger N°2.