Les Robins des supermarchés
Une scène surréaliste. Mercredi après-midi, quelques heures avant les
bombances du réveillon, au Monoprix de la rue du Faubourg-Saint-
Antoine à Paris. Une cinquantaine de précaires, de chômeurs et
d'intermittents du spectacle «réquisitionnent» une dizaine de
chariots, après les avoir remplis de fois gras, de saumon, mais pas
seulement: pâtes, patates, huile sont aussi raflés. Ils bloquent
ensuite les caisses du supermarché et exigent que le directeur les
laisse sortir sans appeler la police.
«C'est une autoréquisition qui est juste en ces temps de crise et qui
permet aux précaires de fêter aussi le Nouvel An dignement», explique
un membre du collectif au «Parisien». Ces militants aux faux airs de
Robin des bois ont pu finalement sortir du magasin sans être
interpellés. Les victuailles ont été redistribuées à la Bourse du
travail, occupée par des sans-papiers, au gymnase Merry, où sont
installés des mal-logés, et lors d'un «réveillon des luttes» dans le
19e arrondissement de Paris.
La troisième action de ce type depuis deux semaines
Plus précisément, on peut appeler cette pratique une «autoréduction»,
très répandue en Italie dans les années 70. Elle prenait parfois la
forme de mouvements de masse où les abonnés à l'électricité
refusaient de payer leur facture, pour obtenir des ristournes
équivalentes à celle de l'industrie.
C'est la troisième action de ce type en France depuis deux semaines.
Le samedi 20 décembre, une première «autoréduction» a été menée aux
Galeries Lafayette de Rennes, puis le samedi suivant au Monoprix de
Grenoble.
Monoprix parle de «pillage»
Cette initiative n'est évidemment pas du goût de Monoprix. «C'est un
pillage inacceptable et regrettable », a expliqué le groupe, qui a
réuni une cellule de crise ce vendredi matin et a décidé de donner
des suites judiciaires à cette affaire.
«Le 31 décembre est une journée très importante pour une enseigne
comme la nôtre, précise Monoprix. Le directeur du magasin et les
salariés ont fait en sorte que cet incident soit le plus court
possible et qu'il ne dégénère pas. Les discussions étaient difficiles
et très tendues et ils ont été obligés de céder».
Plainte contre credo anticapitaliste
Le son de cloche est évidemment différent chez les militants. «Treize
chariots pleins sont sortis du magasin après des négociations tendues
avec une direction qui a logiquement choisi de ne pas prolonger le
blocage des caisses (perte de chiffre d'affaires) ou prendre le
risque d'une intervention policière dans les rayons», explique le
collectif dans un communiqué.
«La crise montre la débilité d'un système où certains misent la vie
des autres au casino, souligne ainsi un tract distribué au Monoprix.
Pour fêter le Nouvel an, nous serions censés dépenser des miettes de
salaire ou une maigre prime de Noël dans les supermarchés. Ce soir
nous ne jouerons pas cette fable. Nous ne paierons pas».
Monoprix a porté plainte contre X pour «vol avec violences et
insultes», avec constitution de partie civile. Les pertes subies par
le magasin sont en train d'être estimées.
La question du vol en «état de nécessité»
Que risquent nos Robins de bois des temps modernes devant la justice
civile, qui a remplacé la justice divine et le martinet du shérif de
Sherwood? Est-ce du vol?
Un précédent fameux revient en mémoire. Le 21 décembre 2000, Agnès
B., RMIste de 25 ans, a décidé de voler des jouets et des provisions
dans une grande surface pour faire passer un «vrai Noël» à ces sept
enfants. Elle dérobe pour 609,8 euros, avant d'être surprise par les
agents de sécurité. Quelques mois plus tard, en avril 2001, elle
comparaît, sans assistance, devant le tribunal correctionnel.
Reconnue coupable, elle est néanmoins dispensée de peine, en
reconnaissance d' «un état de nécessité».
Le parquet fait appel, pour éviter que «s'instaure une jurisprudence
fondée sur l'état de nécessité, que cela permette à des personnes de
commettre librement, avec en quelque sorte la bénédiction de la
justice, des vols dans les grandes surfaces». En appel, Agnès B. a
finalement écopé de six mois de prison avec sursis. Une peine
symbolique.