Interview de membres de Ba-Ham (ML HS 47)

Interview de membres de Ba-Ham (ML HS 47)

Messagede vroum le Mar 17 Mar 2015 00:19

Interview de membres de Ba-Ham

Selon Néjad [1] « en Iran il n’y a pas d’homosexuel-les ».

Cette énormité prononcé par le président iranien, pourtant, ne fait pas franchement rire. La vie des femmes en Iran est très difficile car la violence contre les femmes est encouragée par l’Etat. L’homosexualité y est considéré comme un crime. La misogynie, la lesbophobie et l’homophobie sont répandues sur la planète entière. En France la violence contre les femmes est présente dans tous les milieux sociaux (cf. l’Enquête Nationale sur les Violences Envers les Femmes de 2000) et est accentuée par la montée des extrémismes religieux. Les débats actuels autour du droit au mariage pour les couples homosexuels montrent bien l’union sacrée (c’est le cas de la dire), des religions entre elles, et leur convictions communes avec les franges les plus droitières et réactionnaires de l’échiquier politique.

Nous avons rencontré, à Paris, certaines de ces femmes féministes, lesbiennes, dont certaines sont originaires d’Iran. Suite à une discussion informelles dans un café de la capitale, elles ont bien voulu répondre à nos questions. Nous les en remercions chaleureusement.

Interview réalisée par Bibo pour le Monde Libertaire hors-série n°47 (janvier-février 2013)


Site web du Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham : https://lesbiennesfeministesbaham.wordpress.com/

Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer qui vous êtes ?

Nous sommes des militantes féministes laïques. Toute femme, née femme, féministe et laïque peut faire partie du Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham, quelques soient ses croyances, sa sexualité, sa nationalité, son origine sociale et géographique. Nous privilégions une gestion horizontale des groupes de lutte. Nous sommes indépendantes de toute organisation, parti, syndicat...

Nous ne revendiquons aucune nationalité ni communauté, ni quelconque autre fiction (race, couleur de peau, religion, culture, État...) inventée par les hommes.

Nous définissons notre lesbianisme féministe comme une attirance et un amour solidaire envers les femmes dans leur intégrité et le respect. Il s’agit pour nous d’une forme d’épanouissement en dehors du modèle patriarcal qui force les femmes à la haine d’elles-mêmes, à leur soumission aux hommes et aux institutions masculines.

Nous luttons contre l’invisibilisation et la haine des lesbiennes, violences qui ont pour but de les supprimer. La lesbophobie fait partie du continuum des violences faites aux femmes. Nous parlons des lesbiennes dans le but de visibiliser une oppression, pas pour diviser ou opposer les femmes entre-elles. CLFBH ne fait pas d’opposition entre des femmes qui seraient hétérosexuelles d’un côté et des femmes qui seraient lesbiennes de l’autre côté. On ne demande pas à une femme si elle est hétérosexuelle ou non avant de la marier de force.

Comment ce collectif a été créé ?

L’idée de créer un collectif a germé en 2008, lorsque Ahmadi Nejad déclara “en Iran il n’y a pas d’homosexuels !” (sic !). En 2010, des lesbiennes, des homosexuels et des trans ont voulu créer un mouvement international LGBT d’Iran. Très rapidement les lesbiennes féministes, qui d’ailleurs étaient à l’origine de ce mouvement, se sont rendues compte que ce n’étaient pas possible de lutter contre le patriarcat dans un mouvement mixte et ont tenu leur première rencontre internationale des lesbiennes d’Iran en novembre 2010 à Frankfort en Allemagne.

Puis l’idée a été reprise en 2012 pour créer en France un collectif de lesbiennes féministes qui lutte plus largement pour l’émancipation des femmes contre la misogynie des religions. En hommage aux luttes des femmes en Iran contre l’apartheid sexiste islamiste, nous avons nommée le collectif Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham (CLFBH). "Lesbiennes-Féministes" ( لزبین فمینیست ) se prononce de la même manière en persan et en français. "Ba-ham" ( با هم ) signifie "ensemble" en persan.

Quels sont vos positionnements politiques ?

En tant que féministes, notre objectif est de lutter contre l’oppression des femmes. Toute société qui institue la domination des hommes sur les femmes, ainsi que l’appropriation et le contrôle de la procréation, du corps et des productions des femmes, est une société patriarcale.

Nous dénonçons donc : la culture du viol et des violences contre les femmes et les enfants, l’enrichissement de la société et de la famille patriarcale sur le travail des femmes, l’institution du mariage et de la famille, le contrôle du corps des femmes pour la reproduction, l’esclavage domestique, le système prostitutionnel.

Il faut cesser d’adhérer aux fables et fictions (pays, nation, communauté, culture, tradition, religion, institutions, mariage, famille, État, patrie, race, couleur de peau, partis politiques etc…) inventées par les hommes pour diviser les femmes. C’est à cette seule condition que nous pourrons nous unir dans le mouvement de libération des femmes pour enfin se débarrasser du patriarcat et de ses institutions qui organisent les violences contre les femmes.

Notre émancipation passe donc par la réappropriation et le respect de notre corps, par l’indépendance économique et politique, par la réappropriation de notre travail, la libération de la contrainte à l’hétérosexualité et à la procréation.

Quels sont vos buts ?

Dénoncer et combattre les violences contre les femmes, la misogynie et la haine des lesbiennes.

Dénoncer les violences misogynes spécifiques aux sociétés sous la loi musulmane.
Combattre la montée de tous les intégrismes religieux, en France et partout dans le monde. Défendre la laïcité.

Nous demandons aux féministes que le combat pour la laïcité et contre les intégrismes religieux fasse systématiquement partie des programmes de lutte contre le patriarcat. La laïcité est l’espace qui garantie à chaque individu-e la liberté de croire ou de ne pas croire, et où l’Etat ne revendique ni ne subventionne aucune religion. La religion doit être réduite à la sphère intime.

Promouvoir un féminisme athée qui combat toutes les religions et leur misogynie. Tant que dans le monde il y a UNE femme qui est obligée de porter le voile, nous demandons votre soutien actif dans la lutte féministe contre le voile. (Il faut savoir que la revendication pro-voile en France est utilisée par le régime facho-islamiste d’Iran pour dire aux femmes qu’elles ont la chance de pouvoir se voiler en Iran et ainsi justifier sa répression contre le "mauvais héjab" (بد حجاب.).)

La situation des femmes, des lesbiennes et des homosexuels en Iran et dans les pays sous la loi musulmane, est parfois relayée dans la presse française et internationale. Au-delà de ces faits souvent tragiques, pouvez-vous nous décrire concrètement ce que cela signifie d’être lesbienne en Iran ?

En Iran, on ne peut pas se dire lesbienne, même si on vit l’amour des femmes. L’homosexualité est considérée comme un crime donc se dire lesbienne, c’est risquer sa vie. Dans une société où le seul horizon possible pour les femmes, c’est vivre à l’ombre d’un homme, les femmes sont coupées d’elles-mêmes, de leurs sentiments, de leur corps. Il n’y a pas de visibilité pour l’homosexualité, donc pas de modèle. C’est au prix de beaucoup de souffrances et de risques que les femmes se découvrent lesbiennes. Et elles vivent leur lesbianisme dans l’ombre totale.

La société propage la haine des lesbiennes et des homosexuels. Depuis des décennies, les opposants politiques sont systématiquement « accusés » de « homosexualité, espion d’Israël... » pour les diaboliser, les décribiliser et « justifier » la sentence de peine de mort. De plus, les islamistes font exprès l’amalgame entre homosexualité et pédocriminalité.

Si on découvre qu’une femme est lesbienne, elle peut être contrainte au mariage forcé par sa famille. Souvent la police du régime arrête des lesbiennes, les viole et les emprisonne. Beaucoup de fois ils les font disparaître et plus personne n’a de nouvelles d’elles.

Dans la loi islamique, si quatre hommes témoignent de l’homosexualité d’une femme ou d’un homme (relation intime entre deux personnes de même sexe), la personne est condamnée à mort. En Afghanistan, aussi bien le gouvernement que les Talibans enterrent les personnes homosexuelles et font s’écrouler un mur sur elles. En Iran le régime islamiste les tue par pendaison. Exécutions, tortures, viols, emprisonnements, persécutions, mutilations psychologiques et corporelles (électrochocs, injections d’hormones et de psychotropes, culpabilisation fondée sur les croyances religieuses...) menacent la vie des hommes et femmes homosexuelles depuis plus de 30 ans en Iran.

En Iran, le « changement » de sexe est largement imposé et pratiqué par tout l’appareil d’État islamiste (Ayatollahs, médecins, administrations...). Car le régime islamiste dit que si une femme en aime une autre, c’est qu’elle aurait dû naître homme (c’est donc une erreur de la nature qu’il faut corriger !). Donc il oblige la femme lesbienne à prendre l’apparence d’un homme : par des injections hormonales, ablation des seins... Les hommes homosexuels subissent largement ces mutilations.

Devant toutes ces menaces, pour préserver leur intégrité psychologique et physique, certaines femmes lesbiennes prennent le chemin de l’exil.

En quoi la situation des homosexuel(le)s est-elle spécifique ?

La situation pour les femmes homosexuelles est très différente de celles des hommes homosexuels. Un homme a beaucoup plus de possibilité d’être autonome matériellement, il n’est en général pas obligé de se marier et ne dépend pas d’un tuteur du point de vue de la loi. Avant de pouvoir se dire lesbienne, une femme doit pouvoir bénéficier d’un minimum d’autonomie dans sa vie (ne pas craindre de violences, se libérer de l’autorité de la famille, accéder à l’autonomie légale, juridique, financière...).

Pour les femmes lesbiennes, il n’y a pas d’un côté la misogynie et de l’autre l’homophobie. L’invisibilisation et la haine des lesbiennes fait partie des violences et du lavage de cerveau patriarcal pour empêcher les femmes d’être indépendantes des hommes. La lesbophobie fait partie du continuum des violences faites aux femmes.


L’Iran n’a pas toujours été un régime théocratique soumis à la règle de la charia. Comment cela se passait avant ?

Avant la récupération de la révolution par les théocrates islamistes, les femmes et les hommes avaient les mêmes droits :

L’âge du mariage était fixé à 18 ans. Or, en 1979 les islamistes ont fixé le mariage des filles à 9 ans. Les luttes des femmes ont permis de ramener l’âge à 13 ans seulement. Cela signifie que régime légalise et encourage pédocriminalité. Les mariages forcés et la prostitution ont beaucoup augmenté.

Beaucoup de professions sont interdites aux femmes dont juge. La loi oblige les femmes à se voiler. Les femmes n’ont pas le droit de voyager toutes seules, il faut l’autorisation du mari pour sortir du pays.

De nombreuses polices des « mœurs », « de lutte contre mauvais héjab, et corruption sur terre », « orientation islamiste », « lutte pour la sécurité nationale » existent uniquement pour harceler les femmes, contrôler leur corps et les contraindre au voilement. Lorsque les femmes accusées de « mauvais héjab » ( بد حجاب ) sont arrêtées, elles peuvent subir : le viol en prison, de longues peines de prison, des amendes...

Les femmes représentent 63% des personnes qui étudient à l’université. L’État islamiste imposent chaque année des quotas supplémentaires pour restreindre l’accès des femmes à la formation et au savoir. Depuis 2012, la moitié des secteurs universitaires sont complètement interdits aux femmes.

Avant 1979, les femmes pouvaient légalement gagner leur vie, voter, divorcer, voyager sans être soumise au tutorat. Aucun poste ni enseignement ne leur était interdit : sportive, parlementaire, juge, sénatrice...

Le Shah d’Iran avait la peur du communisme au ventre, c’est pourquoi il n’a jamais voulu combattre les islamistes comme l’avait fait Atatürk en Turquie. Symboliquement il laissait beaucoup de pouvoir aux mollahs. C’est pourquoi, malgré leur minorité numérique, les mollah ont pu récupérer la révolution. C’est à cause de cela que nous en sommes là aujourd’hui.

La révolution iranienne a été soutenue par des hommes et femmes qui appartenaient aux franges progressistes de l’échiquier politique [2] : comment ces forces ont-elles pu perdre face aux religieux ? Infériorité numérique ? Erreurs stratégiques ? Compromissions idéologiques avec les islamistes ?

A l’époque du Shah, les opposants politiques étaient composés majoritairement par différents courants de gauche, à droite les islamistes étaient une minorité infime. Lorsque la révolution (dans laquelle les femmes se sont pleinement investies) a été récupérée par les islamistes, ils ont pour première mesure imposé le voile à toutes les femmes. Les femmes ont manifesté massivement pendant trois semaines contre le voile en criant les slogans : « on n’a pas fait la révolution pour voir nos droits en régression », « non au voile », « ou la mort ou la liberté », « on va lutter jusqu’à la mort mais on ne veut pas se soumettre », « la liberté n’est ni orientale, ni occidentale, elle est internationale ». Ceux que les femmes révolutionnaires croyaient être leurs camarades de lutte, leur ont dit : « Vous n’allez pas mourir en mettant un morceau de tissu sur votre tête. Arrêtez de manifester, Khomeyni est anti-impérialiste. Il faut le soutenir. ». De manière générale, l’histoire montre que à chaque fois que les femmes ont participé aux mouvements révolutionnaires sans organisations ni revendications féministes propres, le nouveau pouvoir attaque les droits des femmes.


Aujourd’hui, alors que la situation est tragique pour les femmes, les lesbiennes et les homosexuels, avec le recul, comment ces organisations analysent-elles cela ?

En plus d’être dans les mouvements mixtes de gauche, les femmes iraniennes de gauche s’organisent aujourd’hui dans les mouvements féministes non-mixtes, ce qui n’était pas la cas au moment de la révolution. Les femmes de gauche ont fait leur auto-critique, et continuent d’en faire. Mais les hommes de gauche n’ont jamais eu le courage de critiquer leurs erreurs. A moins qu’ils pensent qu’ils n’ont commis aucune erreur ?!

Est-ce qu’être une femme étant donné la situation d’oppression et la violence qui se déchaîne contre elles en Iran permet d’acquérir le statut de réfugiée politique ? Quelle est la situation des exilées, et dans quelles conditions parviennent-elles à échapper à l’État iranien et à quitter le pays ?

Les violences basées sur la misogynie ne sont pas stipulées dans la convention de Genève pour le droit d’asile. L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) prend très rarement en compte les persécutions misogynes. Il nie la véracité des récits de violences ou alors demande aux femmes iraniennes pourquoi elles n’ont pas demandé la protection de leur pays alors que la loi islamique iranienne est misogyne. La majorité des violences que subissent les femmes ont lieu au sein de la famille. Dans le système patriarcal, la famille est considérée comme une sphère privée. Or l’OFPRA ne prend pas en compte les violences qu’il ne considère pas comme politiques. [3]

Ces dernières années les persécutions homophobes commencent à être prises en compte par l’OFPRA. La très grande majorité des personnes qui demandent l’asile pour homosexualité sont des hommes. En effet, dans beaucoup de pays les femmes ont tellement peu accès à une autonomie dans leurs choix de vie que la question du lesbianisme ne se pose même pas.


Vous avez participé, lors des Jeux Olympiques de Londres, à des actions. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela a consisté, et quelles étaient les raisons de ces actions ?

En Iran avant l’instauration de l’islam d’État, les femmes pratiquaient le sport librement sans aucune contrainte. Pendant longtemps le régime islamiste s’est tout simplement opposé à la pratique du sport féminin, l’accusant d’être porteur de valeurs occidentales. Le bien-être des femmes par le sport ne l’intéresse absolument pas. Mais dès 1991, il a su se saisir de ce moyen pour véhiculer son idéologie. Dans ce but, le régime islamiste d’Iran a créé les Islamic Countries Women Sport Solidarity Games (Jeux sportifs de solidarité pour les femmes des pays islamiques). Où, dans des salles fermées sans aucun homme, les femmes jouaient les matches voilées. Certains pays européens comme l’Allemagne ont aussi participé à ces matches en portant le voile. Méprisant ainsi la lutte des Iraniennes, qui luttent contre le voile au prix de leur vie.

La FIFA (Fédération Internationale de Football Association) trahit depuis des années son objectif qui est de développer la pratique du sport dans le respect des règles qu’elle a elle-même établies. Dans les statuts de la FIFA il est écrit : « Toute discrimination d’un pays, d’un individu ou d’un groupe de personnes pour des raisons d’ethnie, de sexe, de langue, de religion, de politique ou pour toute autre raison est expressément interdite, sous peine de suspension ou d’exclusion. » En juillet 2012 la FIFA a autorisé le port du hijab sur les terrains de foot, alors que le hijab, imposé uniquement aux femmes, est clairement une discrimination sexiste.

Depuis des années le Comité international olympique (CIO) accepte l’apartheid sexiste imposé par les pays islamistes. Ils n’envoient pas des femmes dans leur délégation ou alors elles sont envoyées voilées et vêtues de la tête aux pieds. Depuis 1994 le régime islamiste d’Iran fait du lobbying auprès du CIO pour imposer des athlètes avec ce qu’il appelle une « tenue islamique correcte pour les femmes ». Cette année pour la première fois toutes les délégations comportaient des femmes. Mais on reste dans la ségrégation sexiste puisque l’absence de femmes a été remplacée par le voilement des femmes. Les J.O. de 2012 comportaient 17 délégations de femmes vêtues d’un costume dit islamique [4] [couvertes entièrement des pieds à la tête en plein été !] contraire à la neutralité du sport exigée par la Charte Olympique (règle 50). Pour ces délégations les pays islamistes ont exigé la présence d’un gardien mâle pour les athlètes féminines, et le refus de toute mixité Dans les pays islamistes les femmes ne peuvent pratiquer que certains sports et toujours cachées dans des salles. En Arabie Saoudite aucun sport n’est autorisé aux femmes.

Le 25 juillet 2012 à Londres, le collectif « Justice pour les femmes » [5] a mené des actions pour dénoncer l’apartheid sexiste aux J.O. :
- cérémonie d’ « enterrement fluvial » de la Charte Olympique jetée dans la Tamise puisque ses valeurs sont bafouées,
- remise à chacun des membres du Mouvement Olympique de la brochure énonçant les 7 revendications du collectif [6]

Le Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham était présent à Londres ce jour-là pour relayer à travers ce combat la lutte des femmes sous la loi islamique qui résistent et revendiquent les droits universels. A l’aide de l’argent du pétrole, le régime islamiste de Téhéran et les dirigeants corrompus des pays arabes autour du Golf persique imposent le voile aux femmes jusque dans les institutions sportives internationales. Ils universalisent ainsi leur idéologie misogyne au mépris de l’universalisme des droits des femmes.

La présence de femmes voilées aux J.O. a parfois été défendue avec l’argument suivant : « si elles ne participent pas voilées, elles ne participeront pas du tout, donc c’est déjà ça ». Comment réagissez-vous à ça ?

Cela fut aussi le discours de la ministre française du sport, Valérie Fourneyron. Au lieu de réaffirmer les valeurs universelles du sport, au lieu de soutenir la lutte d’émancipation des femmes, elle a préféré verser dans le compassionnel, déclarant qu’ « Il s’agit de permettre à certaines femmes et équipes féminines qui étaient exclues de la pratique sportive de participer à la compétition » [7]. Or les femmes qui se battent au péril de leur vie pour se libérer, pour s’émanciper, pour vivre dignement n’ont pas besoin de pitié mais de respect.

Imposer aux femmes de revêtir un « costume sportif islamiquement correct » pour concourir, c’est littéralement les condamner à étouffer sous le patriarcat. Il faut savoir que nos amies sportives iraniennes disent « Pour sentir comment nos corps sont meurtri sous le voile lors des matches, mettez sur votre corps un drap et courez 100m. »

Au lieu d’exclure des femmes du sport, il faut exclure les délégation des pays qui pratiquent l’apartheid sexiste. Comme cela avait été fait contre l’Afrique du sud.

Mais lorsqu’il s’agit des femmes, ce n’est pas important de respecter la règle olympique de neutralité fixée pour tous (tous = les hommes). Les femmes ne font pas partie de l’humanité des hommes, alors ce n’est pas grave si des pays impose que « leurs » femmes portent une tenue « islamique », signe politique, religieux et surtout sexiste. Lorsque il s’agit des femmes, on ne va pas exiger de faire respecter les règles de dignité, on accepte l’apartheid, et on se contente de l’option qu’ils appellent « la moins pire ». Toujours on nous mène vers le bas, vers le moins pire. Ils nous demandent d’accepter le mal à la place du pire. Le pire c’est l’apartheid sexiste. C’est le voile qui sexualise et visibilise cette apartheid sexiste.

Dans un monde gouverné par les valeurs patriarcales (argent, compétition systématique, nationalisme...), on constate sans étonnement que la dignité des plus de 3 milliard de femmes vaut moins que les 16 milliard d’euro de bénéfices espérés par le Royaume-Uni et les 11,3 milliard d’euros de budget des J.O. de 2012.

Avez-vous le sentiment d’une certaine incompréhension de la part de certaines féministes en France vis-à-vis de la question religieuse ?

En Europe, les mouvements de gauche en général ne comprennent pas l’enjeu de la lutte contre le voile et contre les extrémismes religieux. Si la tactique des islamistes pour propager leur idéologie en Europe était d’interdire l’alcool, le tabac, le cinéma... les hommes le verraient comme une attaque à leur liberté et feraient bloc contre l’islamisme. Mais les islamistes ont comme priorité d’imposer le voile aux femmes. Cela ne menace en rien les hommes et donc la plupart d’entre eux ne réagissent pas et même les soutiennent. Si les sociétés n’étaient pas si misogynes, jamais l’islamisme ne pourraient s’imposer.

Les organisations féministes qui luttent depuis des années contre les violences faites aux femmes n’ont jamais transigé avec aucun extrémisme religieux. En France quelques groupes médiatiques qui se disent féministes (la plupart sont du courant queer, idéologie qui sous des apparences féministes porte des valeurs misogynes et androcentrées) sont tombés dans le panneau des islamistes et se sont mis à défendre le voile. [8]

Ce n’est pas possible d’être féministe sans critiquer la misogynie de toutes les religions et sans lutter contre tous les extrémistes religieux dont la véritable religion est le machisme. Celles qui mettent leur croyances ou l’appartenance à une quelconque communauté avant la lutte pour l’émancipation des femmes ne sont pas féministe. Le « féminisme islamique » n’existe pas car on ne peut à la fois être féministe et promouvoir la haine des femmes.

Il faut savoir que celles qui se disent féministes et qui défendent le voile utilisent des techniques de répression dans les milieux féministes. Si une féministe isolée se prononce contre le voile, les pro-voile commencent par se victimiser en déclarant qu’elles se sentent opprimée par un discours de critique du voile. Puis les pro-voile attaquent en traitant la féministe de raciste, islamophobe et en exigeant une inquisition déguisée en procès politique. Dans les milieux d’extrême-gauche, la présence de « féministes » pro-voile est telle que la plupart du temps ce n’est pas possible de s’exprimer contre l’islamisme lors des rencontres politiques.

De nombreuses organisations qui se disent de gauches, d’extrême gauche, anarchistes, pour les droits humains... font le jeu des islamistes, soit par un soutien actif, soit par refus de critiquer le voile et l’extrémisme religieux islamiste.

Certains groupes instrumentalisent le féminisme afin d’interdire toute critique du voile et de l’islam. Ces groupes (Maman toutes égales, Une école pour toutes, Féministes contre l’islamophobie...) disent en gros « nous sommes des femmes qui avons choisi librement de porter le voile, donc le voile n’opprime pas les femmes ; si vous critiquez le voile, vous êtes contre les femmes musulmanes, vous êtes antiféministes. ». Or faire librement un geste de soumission n’est pas un geste de liberté mais de soumission.

D’autres groupes instrumentalisent les luttes contre la xénophobie (Les Indigènes de la République, Les Indivisibles, Les mots sont importants...), toujours dans le même but, avec cette fois le chantage à la « discrimination des musulmans » : « critiquer les extrémismes religieux ou le voile discrimine les musulmans, c’est du racisme, de l’islamophobie... » « les féministes blanches sont racistes de dénoncer le voile ». Il s’agit d’une instrumentalisation de l’antiracisme à des fins antiféministes. Non le voile n’est pas culturel, ni un moyen de lutter contre la xénophobie. Quelque soit la raison invoquée, le voile a toujours été un moyen de sexualiser les femmes, d’exiger qu’elles se cachent. Depuis 1979, les islamistes luttent de toutes les manières (violences, manifestations, enseignement religieux et la peur de l’ « au-delà », victimisation, plaintes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme...) pour répandre le voile sur le corps des femmes et ainsi propager leur idéologie de dictature religieuse dans le monde.

Ces groupes sont soutenus par de pseudo intellectuels qui se font passer pour progressistes [9]. Il est déjà inquiétant de constater leur visibilité médiatique. Mais c’est encore plus inquiétant de voir leurs textes diffusés dans des groupes, qui se prétendent de « gauche » et « féministes », qui utilisent leurs livres pour nous assommer avec des idéologies pro-voile anti-femmes.

Les religions existent pour organiser la vie en société de manière hiérarchique, et en premier lieu soumettre les femmes aux hommes :

Tout d’abord une stricte hiérarchie entre les sexes, hiérarchie sur laquelle se fondent toutes les autres hiérarchies : Toutes les religions déclarent que les femmes seraient inférieures aux hommes, qu’elles leur devraient obéissance, ils ont le droit de vie et de mort sur elles. Les femmes sont déclarées impures, cause du péché originel... [10] Les prophètes ne sont que des hommes, ce qui montre bien qui crée les religions ! L’unité de base de la société est la cellule familiale patriarcale, dans laquelle les hommes imposent leur loi aux femmes. Les femmes y subissent toutes sortent de violences (viol par le mari, viol par inceste, violences physiques et psychologiques...). Elles y sont contraintes de servir les hommes et leur famille, leur corps est utilisé contre leur gré pour la procréation et la maternité.

Ensuite une hiérarchie religieuse : les dieux dominent les hommes du clergé, qui eux dominent tous les hommes croyants, qui eux-mêmes dominent tous les « mécréants » (mauvais croyants, païens, croyants d’une autre religion, athées...), et tous dominent toutes les femmes et en particulier « leurs » femmes qu’ils obligent à se soumettre à leurs préceptes religieux patriarcaux (se voiler, faire la prière...) ;

Enfin, une hiérarchie sociale entre les hommes : la plupart du temps, les pouvoirs, quelque soient leur forme (féodalisme, État royaliste, État républicain...), se revendiquent d’une légitimité religieuse (« de droit divin ») ou cherche à s’associer au religieux (subvention au culte...). Les religions profitent et renforcent les inégalités sociales pour se propager. En effet, elles demandent aux opprimé-e-s de ne pas se révolter et d’accepter leur sort en attendant un hypothétique paradis dans « l’au-delà ». La religion est un outil puissant pour soumettre les populations, et en premier lieu les femmes.

On a récemment vu certains courant d’extrême gauche, voire libertaire, au nom de la lutte contre l’islamophobie, défendre la « liberté » de porter le voile. Cette prise de position considère que le féminisme laïque et athée serait une position « néo-coloniale » occidentale, voire une posture « bourgeoise ». Qu’en pensez-vous ?

Tout d’abord, porter le voile n’est pas une liberté mais un geste millénaire de soumission des femmes aux hommes et à leurs dieux misogynes. Cette manière d’essayer de dénigrer le féminisme, révèle la lame de fond anti-féministe qui existe dans toutes les sociétés.

L’anti-féminisme n’a rien d’étonnant dans les discours des islamistes puisque leur idéologie mortifère est basée sur la misogynie. Ce sont eux qui ont commencé à marteler que le féminisme serait occidental pour empêcher les femmes de se libérer. L’émancipation des femmes n’est ni occidentale, ni orientale, elle est internationale !

Dans les milieux de gauche l’anti-féminisme est plus diffus et déguisé. Ils ne disent jamais qu’ils sont contre le féminisme en soi, mais « juste » contre un féminisme « trop » quelque chose : trop féministe, trop radical, trop lesbien, trop non-mixte femmes, trop abolitionniste contre le système prostitutionnel... et maintenant trop universaliste, trop laïque, trop athée, trop contre le voile, trop contre l’islamisme... Et bien trop c’est trop !

Nous, féministes universalistes, nous en avons assez d’être systématiquement insultées dans notre combat pour l’émancipation de toutes les femmes. Dans les années 70 la plupart des milieux de gauche faisaient passer les féministes pour conservatrices et moralistes lorsqu’elles luttaient contre le viol, la pédo-criminalité et la pornographie. Aujourd’hui on nous fait passer pour raciste et d’extrême-droite lorsque nous dénonçons le voile islamique et les violences des islamistes contre les femmes !

Les groupes de gauche qui reprennent ce genre de discours méprisants contre les féministes laïques universalistes sont clairement anti-féministes et pro-islamistes. Selon eux certaines femmes, qu’ils assignent uniquement d’après l’apparence physique au genre nouveau de « femmes musulmanes », devraient porter systématiquement un voile sans pouvoir jamais l’enlever, comme si elles étaient nées avec. Méprisent-ils tant les femmes que ça, et les femmes « musulmanes » en particulier, pour se taire et encourager l’obscurantisme quand il s’agit de l’émancipation des femmes « musulmanes » ? Pourquoi les mêmes qui luttent contre l’extrémisme catholique, se mettent-ils à soutenir l’extrémisme musulman ? Savent-ils si peu ce qu’est l’antiracisme pour penser qu’en défendant le voile islamique ils s’achèteront une bonne conscience « antiraciste » ? Et s’ils doivent piétiner au passage les luttes des femmes des sociétés sous la loi musulmane, ils gardent leur bonne conscience puisque c’est la culture des femmes d’être opprimées, voilées, enfermées, prostituées, mariées de force, mutilées, lapidées...

Le Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham dénonce l’utilisation d’expressions du type "islamophobie-raciste" pour nous faire taire et interdire tout critique de l’islam. Le mot "islamophobie" a été utilisé dans un but de propagande islamiste en 1979 par Khomeyni [11] pour condamner les luttes des Iraniennes contre le voile. Les islamistes par les meurtres, violences, menaces, insultes... instaurent la terreur et empêche toute liberté d’expression et de critique de l’islam.

Les religions profitent et renforcent les inégalités sociales pour se propager. Parler de "discrimination des musulmans" au lieu de dénoncer les discriminations sociales et la xénophobie fait le jeu des islamistes. De plus enfermer une personne dans l’étiquette "musulman" sous prétexte de son origine sociale est une forme de discrimination. Toutes les femmes, quelque soit leur origine sociale, ont le droit d’être laïque, d’être athée, de se battre pour l’émancipation. Ce n’est la culture d’aucune femme de subir des violences.

Pour conclure, les accusations de « néo-coloniale », « occidentale », « bourgeoise » ne sont destinées qu’à culpabiliser les féministes et les personnes de gauche pour tenter de les empêcher de lutter solidairement avec celles et ceux qui subissent les extrémismes religieux. Et pour ceux qui clament, sans savoir, que la laïcité serait spécifiquement occidentale, voici des pays qui ont inscrit la laïcité dans leur constitution : Turquie, Japon, Mexique, Uruguay, Éthiopie, Bolivie, Portugal, Brésil, Norvège, France...

Être féministe, laïque, athée n’est donc pas, contrairement à ce que certains croient, le monopole idéologique des femmes occidentales …

Cette croyance et prétention révèle un certain centrisme et mépris. Dire que la pensée appartient à une zone géographique, c’est ignorer l’histoire de la pensée et nier à l’humanité sa réflexion et son libre arbitre. Omar Khaim le poète-mathématicien et philosophe iranien il y a déjà mille ans composait des poésies dans lesquelles il chantait son athéisme.

Oui, en Orient aussi les femmes sont et peuvent être athées, féministes et lutter pour la laïcité. En Iran en 1830, Ghoratol Eien enlève son voile en public et va de ville en ville pour défendre son action en tant qu’acte politique. Non, la lutte pour s’émanciper du patriarcat, dont les religions, n’est absolument pas réservée à l’Occident.

Est-ce qu’en Occident tous les individu-es sont pour la liberté des êtres humains ? Pour l’émancipation des femmes ? Pour la laïcité ? Aussi bien en Occident qu’ailleurs, il n’y a pas de beaucoup de monde qui défende les valeurs de liberté, de solidarité et l’émancipation des femmes.

Que veux dire « occidental » ? L’Occident est grand. Entre les pays d’Occident il y a de très grandes disparités au niveau des droits des femmes, des droits sociaux, de la situation économique. Avoir une démarche politique constructive, c’est refuser les analyses simplistes et avoir le courage de confronter les contradictions, se renseigner par soi-même, consulter l’histoire... Si on le fait, alors on se rend compte qu’il n’existe pas UNE religion, culture, économie, pensée « occidentale ». L’Occident ne peut être vu comme un mono-bloc ou tout serait uniforme.

Le régime islamiste d’Iran et les défenseurs du relativisme culturel disent que les droits humains, l’athéisme, le féminisme, l’homosexualité sont des valeurs occidentales. Dans les pays sous la loi islamique, c’est justement en se basant sur des croyances et prétention identiques qu’ils exécutent les homosexuel-les. Car, l’homosexualité, selon eux, serait une « maladie des occidentaux » !

Le 5 août 1990, au Caire, les pays membres de l’Organisation de la Conférence islamique ont adopté un texte qu’ils ont baptisé "Déclaration des Droits de l’Homme en Islam". la majorité des articles ont une vision totalement rétrograde de la dignité et de la liberté des êtres humains [12]. Quant aux articles qui laissent envisager une égalité entre femmes et hommes, ils ne sont évidemment absolument pas appliqués dans les États qui se disent islamiques. Cette déclaration islamique des droits humains n’est qu’une mascarade médiatique destinée à marquer le refus de tout universalisme des droits.

Toutes les femmes, quelque soit le lieu où elles vivent, ont le droit à la dignité. C’est-à-dire ne pas subir de violence (psychologique, physique, sexuelle) ; avoir le droit et les moyens de se soigner, se loger, manger, apprendre ... Ces revendications doivent être universelles et non pas restreintes à certaines zones géographiques où à certains groupes de personnes.

Vous revendiquez-vous donc d’un féminisme universaliste ou bien relatif aux cultures locales ?

Nous pensons que toutes les femmes ont le droit de vivre sans violence, dans la dignité, le respect et d’accéder à l’autonomie pour leurs choix de vie. Sachant qu’actuellement toutes les cultures sont patriarcales, faire primer la culture avant l’universalisme du droit des femmes ne peut qu’aller à l’encontre de l’émancipation des femmes. Seul un féminisme universaliste peut lutter pour l’émancipation de toutes les femmes.

Le féminisme est un mouvement politique, qui a une définition et un objectif, l’émancipation de toutes les femmes. Ce n’est pas parce qu’une personne est une femme et qu’elle se proclame féministe, que ce qu’elle dit et fait est forcément féministe. Si quelqu’un dit « je veux fonder un Etat anarchiste » ou « je suis anarchiste capitaliste » ou « j’aime être torturé », personne ne le prendra au sérieux. Alors, si une femme porte le voile et qu’elle dit « j’aime porter le voile, je suis libre, je suis féministe islamique » ou « je m’épanouis dans la pornographie, je suis féministe pro-prostitution », pourquoi est-ce que certains les prennent au sérieux et leur offrent un espace médiatique ? Le fait de penser que chacun-e peut donner sa définition, même la plus aliénante, du féminisme, montre à quel point le féminisme est méprisé et n’est pas considéré comme un mouvement politique.

Aujourd’hui le féminisme est attaqué par deux mouvements patriarcaux qui ont la particularité de s’infiltrer jusque dans les milieux progressistes grâce à un discours qui relativise le féminisme et qui fonctionne en se victimisant et en culpabilisant :

Le courant queer [13], issu du courant post-moderne, proclame que le féminisme n’a pas de définition, que tout dépend du vécu et ressenti de chacune. Avec ces discours, un signe d’oppression (les tenues qui sexualisent le corps des femmes, le voile...) peut devenir un signe de libération « à partir du moment où c’est moi qui l’ai choisi ». Depuis les années 1990, le courant queer fait du lobbying pour les industries sexistes (prostitution, pornographie, strip-tease...). Le courant queer muselle toute critique féministe en se victimisant « nous aussi nous sommes féministes, qui êtes vous pour dire ce qui est féministe et ce qui ne l’est pas ? », « les féministes abolitionnistes sont putophobes, elles nous oppriment ».

Le courant pro-voile, issu du courant islamiste, proclame que le voile est bon pour les femmes musulmanes. Il attaque les féministes laïques en les traitant de « occidentales, racistes, islamophobes... » Il impose à la place un « féminisme islamique ». Actuellement le courant queer, soutient le courant pro-voile. Soutient totalement aveugle puisque jamais les pro-voile ne soutiendront les revendications des queers.

L’utilisation du relativisme culturel contre les droits des femmes n’est pas spécifique aux islamistes. Le même argument ressort pour empêcher de lutter contre les mutilations sexuelles féminines, le mariage forcé, la polygamie... En France pendant l’affaire DSK, on a beaucoup entendu que des comportements qui relèvent du harcèlement sexuel et du viol, « draguer les femmes », « courir les jupons », « avoir une sexualité active de mâle dominant », sont dans la culture de la galanterie française !

Le mot « féministe » ne fait pas nécessairement consensus non plus, certaines personnes lui préférant le terme « anti-sexiste » (par exemple, pour trouver une analogie, on peut être « antiraciste » sans pour autant être « noiriste »). Comment vous situez-vous par rapport à ça ?

Ici l’analogie entre sexisme et racisme est fausse car les « races » n’existent pas alors que les sexes oui [14].

Antisexiste est un mot large pour dire « contre les discriminations sexistes » que cela touche les hommes ou les femmes. Or nous vivons dans une société patriarcale où globalement ce sont les hommes qui détiennent les pouvoirs décisionnels, économiques, juridiques et qui exercent des violences sexuelles, physiques et morales contre les femmes. La plupart du temps ce qui est appelé « sexisme » relève en réalité de la misogynie, idéologie de mépris et de haine des femmes.

Remplacer systématiquement le mot « féministe » par « anti-sexiste » peut avoir des effets pervers. Depuis les années 1980, le mouvement masculiniste [15] se développe et a concrètement pour but de détruire les avancées juridiques du mouvement féministe. Certains masculinistes avancent masqués, se déclarant officiellement « contre tous les sexismes », pour obtenir des temps de paroles dans les forums organisés par l’État pour l’égalité homme-femme [16].

Dans les milieux de gauche et dans la société en général, on observe que beaucoup de femmes des jeunes générations disent qu’elles ne sont pas féministes mais antisexistes. A toutes celles qui ont honte de se dire féministes, nous rappelons que c’est grâce aux luttes des féministes depuis des siècles, qu’elles ont accès à un compte en banque personnel, à l’avortement, accès aux études.

Devant le déferlement d’attaques contre les musulmans de France, ou les musulmans français, au nom de la lutte pour la laïcité, comment vous positionnez-vous ?

La droite et l’extrême droite, animés par leur xénophobie, sèment sciemment l’amalgame entre les personnes supposées « musulmanes », les migrants, et les habitants de quartiers pauvres, justement pour ne pas s’attaquer aux islamistes. La droite et l’extrême droite, soutenus par des lobbys extrémistes chrétiens, ne dénoncent pas les extrémismes religieux puisqu’ils sont pour le soutien aux religions. Le Conseil Français du Culte Musulman (initié sous le gouvernement Jospin !) a été créé en 2003 par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy [17]. Grâce à l’argent public, le CFCM fait la promotion de l’Islam et son site web fait des liens vers des sites clairement contre la laïcité et communautaristes.

L’extrême droite en France a toujours été contre la laïcité. Elle contient des courants extrémistes chrétiens qui attaquent sans cessent la laïcité : prière dans les hôpitaux lors de leurs brutales actions contre l’avortement, plaintes en justice pour blasphème, pressions pour conserver le concordat en Alsace-Lorraine où la loi de 1905 n’est toujours pas appliquée...

Ce n’est pas l’extrême droite qui défendra la laïcité. Tout comme ce ne sont pas les islamistes qui lutteront contre la xénophobie et le capitalisme. Il faut savoir qu’au plan international, le Front National, les islamistes et le Vatican avancent main dans la main [18]. L’extrême droite et l’islamisme sont deux idéologies patriarcales qui ont pour premier objectif de contrôler le corps des femmes : voilement des femmes, contre l’avortement, politique nataliste, promotion de la prostitution, retour des femmes au foyer, contre le divorce, contre l’homosexualité...

Dans ce registre, on voit des organisations clairement communautaristes et pro-religion bénéficier de quelques soutiens à l’extrême gauche. Comment expliquez-vous cette alliance pour le moins étrange alors que ces mouvements tentent sans cesse de diviser les populations selon leur couleur de peau ? [19]

Le soutien actif de certain groupes d’extrême gauche aux islamistes relève de la lâcheté et de l’ignorance politique. Ce soutien aux islamistes méprise les millions de femmes et d’hommes qui cherchent à se libérer du poids de la religion, de l’obscurantisme, de la violence, des tyrans religieux.

Dans ces conditions, est-il encore possible de s’affirmer féministe, laïque, sans être accusé de faire le jeu de la droite et de l’extrême droite ? Comment faut-il s’y prendre selon vous ?

C’est désespérant qu’aujourd’hui les seuls qu’on entend dans les média « défendre la laïcité » soit le Front National. Or le FN est un parti réactionnaire qui soutien les extrémistes chrétiens. Le FN et le régime islamiste d’Iran se soutiennent mutuellement. En tant que féministes et laïques, nous défendons la laïcité et nous condamnons les violences contre les femmes, la xénophobie et les discriminations sociales.

Votre collectif est non-mixte. La mixité et la non-mixité font aussi parfois débat en France, y compris chez les anarchistes. Comment justifiez-vous votre non-mixité ?

La non-mixité féministe est une non-mixité choisie dans un but émancipateur. Cela n’a rien à voir avec la non-mixité imposée par le patriarcat dans la cuisine, dans les métiers féminisés, dans les pays qui pratiquent officiellement l’apartheid sexiste...

La non-mixité du Collectif lesbiennes-féministes-ba-ham est un choix politique mais aussi une nécessité politique. Il est avant tout nécessaire de pouvoir se retrouver entre femmes féministes pour définir une politique féministe et des stratégies de lutte contre le patriarcat. Ensuite, il est important que les hommes de gauche soutiennent sincèrement les luttes féministes.
CLFBH peut recevoir ponctuellement le soutien matériel et politique d’hommes, ainsi que mener des actions avec des groupes mixtes. Mais le collectif restera toujours non-mixte afin de conserver son autonomie de pensée et d’action.

Seuls les espaces non-mixtes féministes permettent aux femmes de prendre conscience de leur oppression, de prendre la parole sans crainte, de dénoncer sans se censurer, de prendre confiance en elles, d’apprendre à se connaître, de découvrir la force et la solidarité des femmes, d’imaginer un monde sans misogynie, de créer d’autres rapports sociaux que ceux imposés par le patriarcat, d’élaborer des réflexions féministes...

La non-mixité entre femmes n’est absolument pas comparable aux non-mixités revendiquées par les mouvements communautaristes puisque les femmes n’ont jamais eu de communauté, de nation, de culture communes. Ce que nous créons dans les espaces féministes de femmes c’est la solidarité entre femmes qui n’existe nulle part dans la société. Tandis que les hommes, quelque soit leur milieu social, sont systématiquement solidaires entre eux lorsqu’il s’agit de réprimer les femmes. C’est la raison pour laquelle les espaces non-mixtes féministes sont absolument nécessaires à la vitalité de tout mouvement féministe.

Participez-vous aux Marches de nuit féministes et non mixtes ? Que pensez-vous de cette initiative pour se réapproprier l’espace public globalement dominé par les hommes ?

Ces dernières années, la plupart des groupes qui organisent des marches de nuit « féministes non-mixtes » en France ne sont pas clairs par rapport à la question du voile. Certaines marches de nuit soutiennent officiellement le voile et même la burqa [20]. La plupart des autres groupes refusent de prendre position [21] et impose ainsi le silence sur le sujet.

Pendant qu’ici il y a une lâcheté à ne pas dénoncer le voile, dans les pays sous la loi musulmanes, les femmes manifestent au péril de leur vie pour refuser le voile. Le 6 octobre 2012 plusieurs centaines de femmes ont bravé les interdits et manifesté contre les agissements de la police islamique des mœurs de Tombouctou [22]. Au Nord Mali les femmes luttent courageusement contre les islamistes qui veulent leur imposer le voile et la charia. Le 7 juin 2012 à Kidal dans le Nord du Mali, les femmes qui manifestaient contre l’instauration de la charia se sont défendu des islamistes qui les agressaient en leur jetant des pierres, et elles les ont mis en fuite ! [23]

Quels sont vos projets ?

Faire connaître CLFBH et les idées que nous défendons : Être présentes dans les événements politiques et dans l’espace public. Éditer de nouveaux textes, affiches... Faire connaître les luttes des femmes contre les extrémismes religieux et le patriarcat en général.

Comment peut-on vous contacter ?

Vous pouvez lire nos communiqués, télécharger nos brochures, visualiser nos affiches « féministes athées infernales » sur notre site web https://lesbiennesfeministesbaham.wordpress.com/ . Nous écrire à clfbh@riseup.net. Nous rencontrer dans les festivals, rencontres et manifestations ou vous pourrez nous soutenir par votre présence et aussi en achetant diverses affiches et brochures féministes à nos tables de presses. Diffusez nos textes et affiches autour de vous. Nous recherchons des personnes qui pourraient imprimer gratuitement nos brochures.

Notes

[1] Phrase prononcée en 2008, lors d’un débat à l’université de Columbia aux Etats-Unis.

[2] Sur ce sujet, nous vous conseillons, si ce n’est pas déjà fait, la lecture de Persepolis, de Marjan

[3] Pour soutenir juridiquement les femmes dans leur demande d’asile, il existe différents réseaux :
Double violence http://doubleviolence.free.fr/, regroupement d’associations et collectifs qui luttent contre les violences faites aux femmes et pour les droits des migrant/e/s et demandeur/se/s d’asile.
Le RAJFIRE, Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées http://rajfire.free.fr/ 0144755127
La LFID Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie 01 40 24 17 90 _ lfid2@wanadoo.fr
L’ARDHIS (Association pour la Reconnaissance des Droits des personnes Homosexuelles et transsexuelles à l’Immigration et au Séjour) http://www.ardhis.org 06 19 64 03 91

[4] Nous dénonçons aussi le dénudement du corps des femmes, le cas le plus flagrant étant le beach-volley avec des joueuses en bikini. Par contraste à Londres leur match était arbitré par une Egyptienne en tenue « islamiquement » correcte.

[5] cf. site web de la Ligue du Droit International des Femmes (LDIF) http://www.ldif.asso.fr/?theme=sport et le livre Femmes voilées aux Jeux Olympiques, de Annie Sugier (édition Jourdan, 2012)

[6] cf brochure http://www.ldif.asso.fr/?theme=sport&n=327

[7] Dans une lettre de réponse à la LDIF avant l’élection de François Hollande, Valérie Fourneyron tenait un discours totalement contraire et bien plus féministe, cf. http://www.ldif.asso.fr/?theme=sport&n=358

[8] Mais ces compromis avec les islamistes sont beaucoup plus le fait de groupes de gauches. Il faut savoir qu’une partie de la Gauche Révolutionnaire s’est engagée dès 1994 au côté des islamistes pour défendre le voile. Les Jeunes Contre le Racisme en Europe, dont la branche française a été crée en 1993 par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR) se sont engagés en 1994 dans la défense d’élèves portant le foulard islamique à Mantes-la-Jolie et en 2003 dans le collectif pro-voile « Une école pour toutes ». (source : Le sabre et le coran, Tariq Ramadan et les Frères musulmans à la conquête de l’Europe, Paul Landau, éd du Rocher, p,121)

La Gauche Révolutionnaire (GR) a été créé en 1992 à la suite de l’exclusion des JCR de leur organisme père la Ligue Communiste Révolutionnaire en raison de leur soutien aux islamistes. GR intègre le NPA de 2009 à 2012

[9] Christine Delphy, Pierre Tevanian, Tariq Ramadan qui soutient les Frères musulmans : http://www.prochoix.org/cgi/blog/index. ... -musulmans

[10] Misogynie dans les textes religieux : http://atheisme.org/femmes.html et http://atheisme.free.fr/Themes/Femme.htm ; Réseau international de solidarité Femmes sous la loi musulmane http://www.wluml.org

[11] Certes, Khomeyni n’a pas inventé ce mot. Mais il s’en est servi, et le régime iranien continue d’utiliser ce mot et ce concept.(ndlr)

[12] extraits de la "Déclaration des Droits de l’Homme en Islam" : (préambule) « ... Réaffirmant le rôle civilisateur et historique de la Communauté islamique (oummah), la meilleure communauté que Dieu ait créée ... »_ Art.1- « Tous les êtres humains forment une famille dont les membres sont unis par leur soumission à Dieu, et par le fait qu’ils descendent d’Adam. ... » Art.5- « La famille est l’élément de base dans la construction de la société ;le mariage est le fondement de sa constitution. ... » Art. 10 - « L’Islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de (...) le convertir à une autre religion ou à l’athéisme. » Art.17- « Tout individu a le droit de vivre dans un environnement sans vices et fléaux moraux ... » Art.22- « … Il est interdit (...) de s’attaquer aux choses sacrées et à la dignité des Prophètes.... » Art.24- Tous les droits et libertés énoncés dans ce document sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique.

[13] cf. les articles de Sheila Jeffreys La théorie "queer" et la violence contre les femmes http://sisyphe.org/spip.php?article1051 et son livre Débander la théorie queer http://sisyphe.org/spip.php?article1050

[14] L’histoire humaine est faite de migrations géographiques et par conséquent de brassages génétiques. A tel point qu’on a autant de chance de trouver un donneur compatible pour une greffe à des milliers de kilomètres qu’à proximité. Les différences anatomiques que l’on perçoit entre un individu-e-s ne sont que l’expression plus ou moins forte de gènes communs. (cf. http://www.hominides.com/html/dossiers/race.php). Les sexes ont une réalité biologique lié au mode de reproduction de l’espèce humaine. D’ailleurs, la différenciation entre femmes et hommes du point de vue des organes génitaux n’est pas absolue, il y a par exemple des personnes intersexes qui naissent avec une indifférenciation sexuelle.

[15] Les masculinistes fondent des lobbys auprès des États et tribunaux pour les « droits des pères », « des hommes divorcés »... cf. http://oooutilsfeministes.wordpress.com ... e-palma-2/ pour connaître leurs stratégies et apprendre à les déjouer

[16] C’est le cas du « Groupe d’étude sur les sexismes »

[17] cf. brochure Sarkozy : La république, les religions, l’espérance
http://oooutilsfeministes.wordpress.com ... esperance/

[18] ean-Marie Le Pen et Ahmadinejad se soutiennent régulièrement politiquement. Le Vatican et les pays islamistes forme un lobby à l’ONU pour la régularisation de la prostitution et contre l’avortement...

[19] C’est le cas des Indigènes de la République, dont la porte-parole, Houria Bouteldja déclarait en 2006 « N’importe quel Blanc, le plus antiraciste des antiracistes, le moins paternaliste des paternalistes, le plus sympa des sympas, devra subir comme les autres. Parce que, lorsqu’il n’y a plus de politique, il n’y a plus de détail, il n’y a plus que la haine. Et qui paiera pour tous ? Ce sera n’importe lequel, n’importe laquelle d’entre vous. C’est pour cela que c’est grave et que c’est dangereux ; si vous voulez sauver vos peaux, c’est maintenant. Les Indigènes de la République, c’est un projet pour vous ; cette société que vous aimez tant, sauvez-là… maintenant ! Bientôt il sera trop tard : les Blancs ne pourront plus entrer dans un quartier comme c’est déjà le cas des organisations de gauche. Ils devront faire leurs preuves et seront toujours suspects de paternalisme. Aujourd’hui, il y a encore des gens comme nous qui vous parlons encore. Mais demain, il n’est pas dit que la génération qui suit acceptera la présence des Blancs. »

[20] extraits de tracts d’appel à des marches de nuit : Rennes 5 octobre 2012 « Parce que tu ne veux plus avoir à te justifier parce que tu portes un voile » _ Lille 29 mai 2010 « Nous sommes (...) avec un voile, une casquette ou un chapeau… » _ Paris 11 juin 2011 « Brisons l’isolement en reprenant ensemble la rue, nous qu’on tente de classer : voilées/non voilées (...) » _ Paris 12 mai 2012 « Arsenal législatif contre les femmes voilées à l’école ou au travail » _ Lyon 26 novembre 2011 « En jupe, en jean ou en burqa, mon corps n’est qu’à moi ! »

[21] Paris 27 novembre 2010 et Bordeaux 29 septembre 2012 « Nous sommes contre la stigmatisation et l’exclusion des femmes voilées, et soutenons celles qui refusent le voile imposé. »

[22] http://www.slateafrique.com/95923/mali- ... -attaquent

[23] http://sisyphe.org/spip.php?article4293
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
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Re: Interview de membres de Ba-Ham (ML HS 47)

Messagede clateuf le Dim 22 Mar 2015 20:26

Merci Vroum pour cette excellente interview ! Je l'ai trouvée également en ligne sur ce site :
http://clas.olympe.in/spip.php?article163
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