Mais que fait la police ?

Mais que fait la police ?

Messagede Boehme le Dim 30 Nov 2014 21:37

D'abord, la petite comptine des grandes révolutions, revue par mes soins, en guise d'échauffement.

En cette fin de l'année reviennent, comme de juste, quelques chansonnettes concernant la révolte qui gronde dans la masse solidarisée des jeunes. L'insurrection tarde à venir, et les voix de quelques rares inquiets sont couverts par le bruit de la "sono" majoritaire d'ambiance. 2014 fut une année mauvaise, ça pètera en 2015. Qu'on se le tienne pour dit, désormais : en 2015, la France sera en état d'insurrection. Et voilà que les poudrières sur lesquelles se sont assis ceux qui gonflent du bide pour avoir justifié leur esclavage aux manies du présent explosèrent soudain !

Les conséquences en furent catastrophiques pour les marchands de sommeil. Une seconde après, une onde de choc d'intelligence déferla sur les hommes. On déplore actuellement des millions de victimes, qui se baladent dans la rue sans iPhone et en chantant du Férré, chacun y allant de son couplet. Les membres du comité invisible, finalement visibles sous le goudron et les plumes jaunes, ont fini écrasés par l'insurrection qui venait enfin. A l'Elysée, on chevauche le président de la République, — sur le dos, je vous rassure, — tandis que sa fine équipe déclare publiquement être indigne de leur charge commune de ministre. Dans la rue, les pièces de monnaie sonnent sur le pavé et des milliers de gens se mettent à balayer leurs mégots, et la merde des chiens qu'ils ont relâché à l'air libre. Finies les complaintes de la S.P.A et d'S.O.S Racisme, comme toutes les officines inutiles, par ailleurs. Les jeunes lâchent leurs corvées numériques, et les bacheliers repassent dans l'heure le certificat d'étude pour apprendre à lire et à écrire. Le MacDo du coin a fait faillite, alors que s'élèvent des fenêtres le fumet délicat des pintxos. Les journalistes du Closer font profil bas, les commentateurs de l'Equipe jouent au football sur les routes, les contributeurs du Monde Libertaire se torchent le cul, avec leur papier à eux, cela va de soi. Pujadas reconnaît que le rapport officiel du gouvernement américain sur le 11 septembre est un énorme mensonge, et les télévisions diffusent pendant huit heures des débats que tiennent entre eux, sans l'intermédiaire d'un animateur branchouille, une vingtaine d'intervenants non-spécialistes, dans une atmosphère polémique empreinte d'une méchanceté et d'une légère impertinence qui emmerde vraiment le spectateur. La bêtise rendue publique vous brûle les yeux et les oreilles, en sorte qu'on croirait avoir progressé de plusieurs centaines d'années en arrière. "Bluetooth", "laptop", "speed dating", "tag" ne veulent plus rien dire, 99,9 % de la production musicale de ces trente dernières années est devenue insupportable à écouter, des expressions comme "too much", "genre" et "au final" font rire tout le monde. Les anti- et les alter- se retrouvent sans combat titanesque à combattre et liquident les restes de leurs camelotes lors d'une grande braderie, sponsorisée par personne, bien entendu. Onfray and con sont oubliés, Dieudonné ne fait plus rire personne alors que Soral fait rire indifféremment les hommes et les femmes, Fourest court et Zemmour arrête d'écrire et devient gogo-danceuse. Quelques années plus tard, les bacheliers sachant enfin écrire correctement deux phrases avec leurs propres mots rédigent sur les murs et dans le gigantesque forum d'idées qu'est devenu Internet les propositions du jour, les comédiens acceptent de jouer gratuitement Molière et Brecht, les universitaires cultivent des pommes de terre et acceptent de conduire les métros à la place des anciennes vedettes de la balle au pied.


Passons maintenant au plat de résistance.


Le veau d'or de la "critique" de la répression bat en brèche l'ensemble des conceptions précédentes de la répression, qu'elles soient marxistes, anarchistes ou littéraires. Ceci non pas en s'opposant contre tous les théoriciens, mais en se constituant comme pratique culturaliste faisant fi d'un monde trivial, qui est le nôtre. Sentir résonner dans sa chair toutes les démissions politiques, toutes les compromissions faites par ceux qu'on appelle les "intellectuels", les misérables machineries stratégico-cyniques de notre présent, tout cela constitue la trivialité du monde. Des faux-culs essaient de s'en sortir, chacun à leur manière. Certains en prétendant nous instruire sur la violence du monde et en ramassant à côté de quoi creuser sa piscine. D'autres ne gagnent rien, mais ramassent de l'espoir, de la positivité chez Carrefour, et des copains. L'un comme l'autre vivent de leur médiocrité, en faisant ronfler des catégories grossières et usées jusqu'à la trame pour se faire entendre. Parmi elles, l'exclusion et la répression policière. A croire qu'il suffit simplement de dénoncer la police pour entrer en lutte contre l'état existant. C'était sans doute vrai, fut un temps où la raison d'Etat raflait des centaines de personnes en une journée. La fonction de gardien de l'ordre était sise sur des pains de dynamite. Aujourd'hui où le désordre quotidien fait office de loi, le terme de "gardien de l'ordre" fait bien sourire. C'est que les pains de dynamite se sont déplacés : ils sont désormais sous les révoltés du jour et les manifestants anti-truc, pour qui il importe de sauvegarder la fonction de police.

— La police intervient là où cesse la liberté, alors provoquons-la pour prouver qu'il y a encore de la liberté, semblent dire ces émancipés pour l'éternité. Y a pas à lambiner, il faut y aller tout de suite, arrête de réfléchir, c'est nous les gentils, c'est eux les ennemis. Dans trois jours, trois mois, trois ans, ça va péter ! L'Etat est policier dans son essence, la preuve : il y a des exclus. Et la journaille de reprendre en coeur : "jeunesse" désespérée, ouvriers anémiés, retraités spoliés. Le concours est lancé : qui aura l'Oscar de l'exclusion ?

La fonction policière n'est plus que l'envers nécessaire d'un discours qui prétend dicter, toujours à ta place, ton ordre de priorité d'action. Qu'il vienne des politiques, des journalistes, des révoltés du bulbe mais néanmoins armés, et des insurgés sans relief de la solidarité moutonnière, cela est indifférent. Partout cette même complaisance envers une violence qu'ils sont incapables de digérer pleinement, persuadés qu'ils sont que les hommes n'ont jamais désiré cette oppression qui les tenaille depuis des lustres. Ils aiment à faire rejouer cette lutte ancestrale entre le peuple et l'Etat, en bons communards pantouflards. Pour eux, les cadavres ambulants qu'on appelle encore étudiants sont des exclus. Les récentes mimiques soixantophiles, irrévérencieuses par principe, mais cependant empreinte d'un sérieux qui les alourdit, feront rire ceux qui savent que l'irrévérence est devenue un instrument de dressage à la stupidité. Pour les collectionneurs de vintage, cette vieille manière de montrer le flic avec son doigt d'honneur n'est qu'un juste retour des choses. Pour ceux qui ne se paient pas de mots, elle est une manière détournée de se satisfaire de trois fois rien qui se prévaut de l'évidence, en exhibant un cadavre ou deux pour le cas où on contesterait l'existence du corps policier. Une affaire de corps ? En bon matérialiste, je te répond que les cadavres ne peuvent ni parler, ni acquiescer. L'affaire est hautement politique, et elle ne pourra pas être résolue avec de simples déclarations d'intentions. Nous sommes trop plein de nous-mêmes, trop bouffis du présent, trop assourdis par le bruit omniprésent pour ne pas être soupçonné, à raison, d'y participer lorsqu'on s'agite dans les rues. Les grandes révolutions ne se repèrent pas aux bruits qu'elles font, elles sourdent du temps. Dans le notre, le silence causerait infiniment plus de dégâts que les grandes manifestations visibles. Aucune différence avec les concerts et les raves parties, à cet égard. Aucune différence entre Facebook et la rue. — Mais si nous n'agissons pas contre ça, avec ou sans musique contestataire, ce sera pire ! Qu'envisages-tu de pire que de voir de plus en plus de gens parler le langage du présent perpétuel, qui les assujettis par-là même ? Cesser de le parler ?

Une forme inédite d'expression doit être créée, qui ne recevra pas les suffrages de tout le monde. Sur ces nouvelles terres, dont nous apercevons à peine l'horizon, les ennemis de nos ennemis ne seront pas forcément nos amis. Ceux-là mêmes qui prétendront vouloir chercher un peu de conséquence dans la lutte contre l'état existant la refuseront lorsqu'elle contreviendra à leurs prétentions et à l'image qu'ils se font d'eux-mêmes. Quand on est du bon côté de la répression, on y est, le reste n'a aucune importance. Tu te demandes sûrement, subtil argousin, si cette critique d'un discours qui croit combattre la police ne serait pas une nouvelle manière réactionnaire qu'a le flic de se planquer derrière le masque de la contestation. Je te demanderais, en pariant sur ton intelligence : qui planque quoi ?

Bien sûr, j'accorderais mon inutile empathie à ce pauvre étudiant haltérophile à pancartes. J'aurai une pensée vite envolée pour Rémi Fraisse. Je me rangerai, du bout du sentiment, auprès de cette canette de bière en fin de cortège, qui n'a pas plus de rapport avec tout ça que la police n'en a avec la bêtise ambiante. Il ne sortira de ce cirque aucun début d'idée, aucune vision de l'avenir. Et tout recommencera la semaine prochaine.
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