Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient

Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient

Messagede vroum le Lun 3 Nov 2014 00:19

Je ne connaissais pas cet Amselle mais ça me donne envie de lire son livre...

Jean-Loup Amselle
LES NOUVEAUX ROUGES-BRUNS
Le racisme qui vient


http://www.editions-lignes.com/LES-NOUV ... BRUNS.html

Comment décrire et penser le phénomène, aussi violent que symptomatique de notre époque, du passage d’un certain nombre d’intellectuels, agitateurs, journalistes de l’extrême gauche vers l’extrême droite ? C’est à quoi s’emploie Jean-Loup Amselle, qui, dans ce livre, actualise un tableau consternant dont Dieudonné et Soral ne sont que les noms les plus connus, et pense ce processus en ethnologue. Posant avec perspicacité cette question : qu’est-ce qu’un tel processus doit au regain de mode du primitivisme dû aux études post-coloniales ?

Ce livre entend montrer que ce phénomène des transfuges – transfuges qui vont de l’(extrême) gauche à l’(extrême) droite ou, plus simplement, sont de droite tout en tenant un discours prétendument de gauche – ne saurait être assimilé aux « non-conformistes » des années 1930 tels qu’en rendent compte certains auteurs. Certaines caractéristiques originales, apparues récemment, les distinguent en effet et leur donnent une touche nettement contemporaine.

Parmi ces caractéristiques, il faut compter le primitivisme qui est le propre aussi bien de l’anthropologie que des idées postcoloniales, et qui justifie qu’un ethnologue, comme l’est Jean-Loup Amselle, accorde son attention à cette question éminemment politique. En effet, le primitif, en tant que catégorie oppositive, est un élément essentiel de notre identité proprement sociétale et des idéologues qui parlent en son nom. Les penseurs ou les idéologues rouges-bruns, dans le cadre du reflux des théories du progrès, sont de plus enclins à mobiliser des références ethnologiques exotiques comme contre-modèles des aspects qu’ils critiquent dans notre propre société ; ils puisent également dans les « merveilleuses » traditions d’entraide des communautés paysannes d’autrefois ou de ce qui est censé en subsister dans les milieux populaires d’aujourd’hui. La déploration de la perte des valeurs authentiques de solidarité est ainsi l’un des traits majeurs de la pensée des nouveaux « rouges bruns ».

La pensée de ces idéologues s’abreuve donc à la source d’une certaine anthropologie, la plus primitiviste, donc la plus « glamour », qui, de ce fait, occupe les devants de la scène institutionnelle et médiatique. En notre époque écologiste et « diversitaire » à souhait, quoi de plus excitant que la figure de l’Indien d’Amazonie ou du Papou de Nouvelle Guinée pour parler au cœur des Occidentaux à qui l’on serine qu’ils vivent dans une société à somme nulle et qu’il ne sert à rien de lutter pour des causes sociales ringardes ? Le primitivisme et le populisme qui lui est lié sont donc l’une des sources majeures du conservatisme contemporain.

Dans ce nouveau livre, Jean-Loup Amselle examine donc le phénomène « rouge brun » et le racisme qui lui est lié sous l’angle, non seulement du primitivisme proprement dit, mais aussi de toutes les notions « élémentaires » qui le charpentent : l’autochtonie, la racine, le peuple, la nation, le groupe, la communauté, la culture populaire, la race, la « blanchitude », la « francité », la diaspora, la laïcité et le « Made in France ».

Mais s’agissant de ce transfert de l’(extrême) gauche vers l’(extrême) droite, l’auteur se demande également si le marxisme n’a pas sa part de responsabilité. Chez Marx et Engels en premier lieu, mais aussi et surtout chez les anthropologues marxistes qui ont recherché dans les sociétés exotiques les ancêtres contemporains de l’humanité, et qui ont rallié le populisme et le primitivisme. Les penseurs ou des idéologues de tout poil (journalistes, essayistes, philosophes) se sont ainsi emparés des aspects les plus caricaturaux de cette discipline et il en est résulté que le primitivisme et le populisme ont dorénavant paradoxalement partie liée avec le racisme, donnant toute son originalité et sa nouveauté au phénomène rouge brun actuel.


Le racisme qui vient / Revue Lignes et La revue civique

http://www.franceculture.fr/emission-l- ... -2014-10-2

Jean-Loup Amselle poursuit ici sa patiente et opiniâtre entreprise de déconstruction et d’anamnèse des grandes notions qui structurent la pensée et l’opinion : l’identité, le peuple, l’ethnie. L’africaniste qui pratique ce qu’il appelle l’anthropologie des « branchements », c’est-à-dire la façon dont une culture se nourrit d’influences diverses et n’est pas figée dans le temps, s’en prend aujourd’hui à la nébuleuse qui se propage dans le paysage intellectuel et médiatique et qu’on désigne comme une forme nouvelle de populisme associant une droite extrême agitant des « valeurs » et une « gauche du travail » hostile à la mondialisation et nostalgique d’un âge d’or de la solidarité ouvrière. Même si cette nébuleuse ne forme pas encore système, des idées circulent et font le pont entre les diverses tendances, incarnées par des idéologues et des intellectuels médiatiques parfaitement repérables. Elles préfigurent ce que pourrait être une nouvelle configuration dans l’air du temps, abandonnant le terrain laissé vacant par la fin des grands récits et des idéologies émancipatrices à des pensées du repli sur soi.

« Nous sommes entrés depuis quelque temps, en France, dans une nouvelle ère, celle d’une société raciale », où « la race vaut pour le social », résume l’anthropologue. Les conflits qui traversent la société ne sont plus appréhendés en terme de classes mais dans une perspective ethnique. Une tendance lourde où les Indigènes de la République rejoignent paradoxalement le Front national, et Farida Belghoul, la militante anti-genre, Dieudonné ou Alain Soral. Une tendance alimentée par le traitement médiatique de la question sociale, qui procède par généralisations, comme dans les reportages sur les banlieues où les individus sont constamment référés à un « groupe » et jamais envisagés comme tels. Dans ce contexte d’ensemble, le phénomène des transfuges passant de l’extrême-gauche à la droite extrême s’explique aisément. Il s’opère sur fond d’un relativisme généralisé qui mine le socle de l’universalité des valeurs d’égalité de genre ou de droits humains et les repères que cette universalité offre à l’analyse politique. Ce relativisme puise ses arguments et sa rhétorique à la pensée postcoloniale qui a détrôné l’Occident de sa position de surplomb, ce qui est une bonne chose, mais a entraîné comme on peut le voir des effets pervers. « L’universel, c’est le local moins les murs », affirmait l’écrivain portugais cité par Jean-Claude Michéa, artisan discret mais efficace de l’effacement des frontières entre la gauche et la droite. Comme aux États Unis, tout discours est désormais affecté d’un indice de communauté, de culture ou de race. Et l’antisémitisme comme l’islamophobie deviennent des postures équivalentes et symétriquement acceptables, voire conjugables au sein d’un même discours.

Le diagnostic étant posé, Jean-Loup Amselle entreprend la critique de ce qu’il désigne comme la pente ethnologique du phénomène « rouge-brun » et des notions qui le charpentent : l’autochtonie, la racine, le peuple, la nation, la communauté. Il n’épargne ni le legs marxiste de l’histoire des sociétés précapitalistes ni la tendance de certains anthropologues à figer les cultures qu’ils étudient dans une forme d’essentialisme fermé aux évolutions historiques et aveugle à la dimension politique de ces sociétés dites « traditionnelles ». Il faut revenir dans le détail sur ses analyses pénétrantes. Je résumerai en citant les propos d’un de ses collègues ilien : « certes, je suis corse, mais pas à plein temps », ainsi que le renversement qu’il a proposé de la formule nietzschéenne « deviens ce que tu es », en « sois ce que tu deviens ».

Jacques Munier
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
Image
Avatar de l’utilisateur
vroum
 
Messages: 6910
Inscription: Mar 22 Juil 2008 23:50
Localisation: sur les rails

Retourner vers Débats de société

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 20 invités