mardi 20 mai 2014 par Alexis Escudero
Nous entamons avec cette livraison une série sur La reproduction artificielle de l’humain (alias PMA-GPA) à l’ère technologique. Celle-ci n’est pas le dernier cri de l’émancipation ni de l’égalité, mais l’ultime reddition à l’appropriation du vivant et à l’aliénation technologique. Le capitalisme, dans son expansion perpétuelle, s’empare de tout ce qui était libre, gratuit, commun, des biens matériels comme des savoir-faire, les détruit et nous les revend sous forme marchande, synthétique et altérée. Cette forme technologique, à la fois complexe, coûteuse et souvent dangereuse, garantit la pérennité de la dépossession : il n’y aura pas de retour en arrière (à supposer que les communautés et les individus puissent recouvrer la propriété de tout ce qu’on leur a volé).
Il était fatal qu’après s’être emparé de la sphère de la production (l’eau, la terre, les matières premières, le travail humain, etc), le techno-capitalisme s’attaque à la reproduction. Il faut pour cela que soit détruite cette faculté scandaleuse dont jouissaient les humains de se reproduire par leurs propres moyens – et même, quelquefois avec plaisir. Cette première livraison (outre l’avant-propos) est donc consacrée à la destruction des capacités de reproduction humaine par l’industrie chimique, et aux progrès foudroyants de la stérilité.
L’auteur, Alexis Escudero, participe depuis plusieurs années au mouvement de critique des technologies. Peut-être est-il de la dernière génération d’enfants nés, et non pas produits.
leNouveau a écrit:qu'est-ce qu'un enfant :
- un produit de consommation ?
- un sujet de conversation ?
- un jouet ?
- un indicateur de statut social ?
- le désir d'immortalité ?
- un animal de compagnie ?
GPA, L’ALIBI DE LA MARCHANDISATION
Tout ce que le pays comporte de conservateurs, intégristes religieux, voire néo fascistes se retrouve désormais traditionnellement et périodiquement dans la rue sous l’intitulé « MANIF POUR TOUS ». Ce regroupement réactionnaire se déclare, évidemment, « apolitique »… étiquette dont on sait qu’elle n’est, généralement, que le cache sexe d’intentions inavouables. Mais là n’est pas la seule incongruité de cette organisation qui se dit spontanée, mais en fait redoutablement structurée.
Le sommet de l’hypocrisie est atteint avec la référence au « refus de la marchandisation de l’être humain ». Bien sûr, en soit la déclaration est respectable et louable, mais elle mérite d’être examinée de plus près.
Dans la GPA (Gestation Pour Autrui), ces belles âmes dénoncent une « marchandisation de l’être humain », en effet on « loue un ventre »… et de pousser un cri d’effroi devant une telle « abomination ». On peut comprendre le refus de rapports marchands qui fonderaient les relations entre êtres humains… mais alors, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement.
A-t-on déjà vu tous ces « défenseurs du genre humain » manifester contre l’exploitation des enfants – réduits à l’état de marchandise - dans les pays « émergents » ? Les a-t-on vu se mobiliser contre la marchandisation des biens communs indispensables à la vie : l’eau, la terre, demain peut-être l’air… ? Les a-t-on entendu dénoncer les brevets déposés par les grandes firmes agro alimentaires pour marchandiser et privatiser les semences ?... Non !... De tous ces combats, ils sont absents et même, pourrait-on dire, s’en foutent totalement.
Lutter contre la marchandisation est devenu une nécessité vitale dans notre monde en perdition,… mais la transformer en alibi, et par des personnes suppôts de l’organisation de ce monde en déclin, au profit d’une cause qui lui est totalement étrangère, c’est la dénaturer. Poser la question de la marchandisation des rapports humains est indispensable, mais faisons-le sérieusement, fondamentalement et non en l’instrumentalisant.
Ce qui se joue derrière ce discours pseudo progressiste c’est la défense de « valeurs traditionnelles/traditionalistes », relents plus ou moins religieux du refus du progrès, de la stagnation de la société, aboutissant pour les enfants à des statuts différents en fonction du mode de naissance. La lutte contre le « mariage pour tous » ayant échoué, les réactionnaires passent à la GPA… Demain que défendront-ils ?
Le gouvernement actuel par les déclarations du Premier Ministre, sur la GPA, finit de se disqualifier en défendant à quelques mois de distance des positions parfaitement contradictoires.
6 octobre 2014 Patrick MIGNARD
Apple et Facebook proposent à leurs salariées de congeler leurs ovules
Il n’est pas toujours facile pour une femme de faire carrière en ayant des enfants. Parmi les multiples solutions à ce problème, l’une consiste à repousser le moment de la grossesse le plus tard possible, au risque de voir sa fertilité diminuée. Ou, plus sûr, à congeler ses ovules de jeune trentenaire pour les réutiliser quelques années après.
Aux Etats-Unis, c’est un processus très coûteux :
•10 000 dollars (environ 7 900 euros) par tentative ;
•500 dollars par an (environ 400 euros) pour le stockage des ovocytes congelés.
Pour encourager le recours à cette technique, deux géants de la technologie ont décidé de rembourser leurs employées, dans la limite de 20 000 dollars (environ 15 800 euros).
« Facebook a récemment commencé à prendre en charge la congélation d’ovules, et Apple commencera en janvier, ont annoncé des porte-parole de ces sociétés à NBC News. Les entreprises deviennent les premiers gros employeurs à proposer cette prise en charge pour des raisons extra-médicales. »
Bien sûr, cette mesure en apparence progressiste évite d’envisager d’autres options, comme une idée toute bête : arrêter de considérer qu’une femme enceinte est un « boulet » pour l’entreprise.
Procréation médicalement assistée et égalité
A l’heure actuelle, en France, la PMA est ouverte aux couples hétérosexuels infertiles ou porteurs d’une maladie grave susceptible d’être transmise à l’enfant. L’objectif est de pallier à une impossibilité physique à concevoir par le biais de différentes techniques médicales (stimulation ovarienne, insémination artificielle avec spermatozoïdes du conjoint ou ceux d’un donneur, fécondation in vitro). C’est une procédure longue, fortement médicalisée, souvent douloureuse physiquement et/ou psychiquement et qui se solde fréquemment par un échec ou un abandon de la procédure [1].
La PMA n’est donc pas exactement une solution miracle et peu fatigante destinée uniquement à la caste des bourgeois riches et eugénistes pressés d’obtenir l’enfant idéal
par catalogue et aucune femme n’y a recours parce qu’elle trouve cela plus agréable que d’avoir une relation sexuelle avec son conjoint. Si des dérives eugénistes existent, elles ne justifient ni de généraliser hâtivement sur des situations complexes, ni de mépriser les souffrances de personnes qui ont été contraintes de recourir à cette béquille technologique (béquille qui est plutôt une jambe de bois c’est-à-dire, pour ceux qui y ont recours, un truc bancal et bourré d’échardes).
Plusieurs mouvements LGBTI [2] revendiquent aujourd’hui l’accès à la PMA pour les couples de lesbiennes et pour les femmes célibataires, ainsi que la reconnaissance légale des enfants nés ainsi d’une part, et de leurs parents d’autre part. Il s’agit bien de réclamer l’égalité. Une égalité subversive qui mettrait à mal le modèle patriarcal de la Famille Papa Maman. Une égalité qui permettrait aux lesbiennes et aux femmes célibataires de ne plus être soumises au cadre du mariage, au bon vouloir du copain qui éjacule dans un pot de yaourt [3] ou de devoir consentir à des rapports sexuels plus ou moins souhaités dans l’espoir de tomber enceintes. Il s’agirait bien d’avoir les mêmes droits et d’éviter la PMA à deux vitesses où soit l’on a les moyens de se payer les services d’une clinique à l’étranger, soit on bricole à la maison.
Revendiquer le droit à la PMA ce n’est pas revendiquer le droit à acheter du sperme, des ovules ou des embryons sur catalogue, c’est revendiquer le droit à une prise en charge médicale plus respectueuse, basée sur la gratuité et l’anonymat du don, envisagée non pas comme une solution miracle mais comme une possibilité délicate et complexe.
Contre un certain naturalisme [4]
Il y a longtemps que la procréation n’est plus un phénomène naturel. Les femmes ont lutté et continuent de se battre pour le droit à l’avortement, à la contraception, pour la liberté d’être autre chose que des matrices fécondables et fécondées, pour la possibilité d’exister. Il est parfaitement valable de s’opposer à la toute puissance que l’industrie, notamment pharmacologique, tente d’exercer sur nos corps et nos vies. Mais refuser la pilule parce qu’elle produit des déchets toxiques et provoque la féminisation de la population ou refuser la PMA parce qu’elle suppose l’utilisation de la génétique, c’est prôner un retour en arrière dangereux au lieu d’envisager une réappropriation des outils confisqués par l’industrie pharmaceutique [5] .
En matière de parentalité, rien n’est naturel [6] . Faire des enfants au sein d’un couple hétérosexuel, les élever, les aimer et en tirer une satisfaction suprême ; c’est une injonction sociale, pas le rêve uniformément partagé de l’espèce humaine. Il s’agit donc là d’un construit social, d’un fait culturel. Si de nombreuses personnes souffrent du fait de ne pas pouvoir avoir d’enfants et dramatisent leur stérilité ou si d’autres ont sans cesse besoin d’expliquer qu’elles n’ont pas envie d’en avoir et que cela ne fait pas d’elles des êtres égoïstes, c’est aussi parce qu’on nous intime quotidiennement l’ordre de procréer pour être des êtres épanouis et qui se réalisent (en ce sens le fameux « désir d’enfant » dont nous rebat les oreilles n’est pas une aspiration biologique et personnelle mais une réponse socialement construite à une injonction culturelle).
Progresser c’est accepter que certaines personnes souhaitent avoir des enfants avec lesquels ils ont un lien biologique, que d’autres préfèrent l’adoption, que d’autres encore ne veulent pas d’enfant. Séparer ces comportements entre ceux qui seraient naturels et ceux qui seraient culturels pour sous-entendre que les premiers sont bons et les seconds mauvais, que cela soit au nom du refus de la tyrannie technologique ou d’une quelconque morale religieuse est tout aussi réactionnaire et, surtout, dangereux.
Victor Madeleine & Samira Drexler
P.-S.
Nous avons récemment lu l’ouvrage d’Alexis Escudero La reproduction artificielle de l’humain et nous n’en sommes pas revenus… Ce que nous y avons trouvé relève du confusionnisme le plus évident. En juxtaposant des idées parfois intéressantes l’auteur construit ainsi par raccourcis, extrapolations, décontextualisations et amalgames un discours paranoïaque et, sous couvert de critique radicale de la technologie, totalement réactionnaire. Nous n’avons pas ici souhaité faire une réponse frontale à ce texte mais nous dénonçons clairement l’entreprise à laquelle se livre Alexis Escudero et les idées misogynes, LGBT-phobes et naturalistes qu’il répand en se revendiquant des idées libertaires alors que ses propos le classent dans la catégorie des défenseurs de l’ordre établi et de la morale la plus rétrograde qui soit.
Notes
[1] Voir à ce sujet un article paru dans le numéro d’octobre du magazine Causette, dont l’introduction est disponible en ligne.
[2] LGBTI : Lesbiennes Gays Bis Trans Intersexes
[3] Chacun jugera ici des propos d’Alexis Escudero sur le sujet. Il écrit ainsi dans son ouvrage « Avec l’insémination artificielle tout est tellement plus simple ! Un coup de téléphone et le sperme est livré à domicile. L’abolition du coït entre mâle et femelle supprime du même coup les risques de maladies sexuellement transmissibles. Plus besoin surtout d’entretenir un mâle à l’année, ce qui est contraignant et coûte trop cher pour le peu de fois qu’on s’en sert (et imaginez en plus s’il ne fait pas la vaisselle) » (La reproduction artificielle de l’humain, p.89). Pour notre part nous ne sommes pas encore revenus d’un tel concentré de sexisme, de lesbophobie et de beauferie assumée.
[4] Le naturalisme donne une valeur morale à ce qui est désigné comme « naturel », qui serait par conséquent intrinsèquement bon et donc supérieur ou meilleur que ce qui est désigné comme « culturel ». Pour les tenants du naturalisme, il conviendrait donc d’obéir à la nature et de s’opposer à la légitimité des faits culturels et des construits sociaux. C’est notamment le courant de pensée de référence des tenants de la Manif pour Tous et des opposants à la supposée « théorie du genre ».
[5] En 2008, Beatriz Preciado, philosophe et féministe, proposait de « mettre en pratique un féminisme moléculaire et post-pornographique » dans un texte foutraque et jubilatoire qui propose notamment une autre utilisation des hormones pharmaceutiques. Quitte à rêver de révolution, on peut préférer celle-là.
[6] D’ailleurs l’idée même de nature est une construction sociale. Pour reprendre les mots de Gaston Bachelard, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
Le samedi 22 novembre dernier se tenait le salon des éditions libertaires à Lyon. À cette occasion Alexis Escudero a été invité pour présenter son livre, La reproduction artificielle de l’humain. Nous considérons cette invitation comme une tribune donnée à des propos réactionnaires qui n’ont rien à voir avec l’éthique et l’idéologie libertaire telle que nous la comprenons.
Ce qu’il s’est passé au salon des éditions libertaires
Un certain nombre de personnes et de collectifs ont interpelé les organisateurs du salon des éditions libertaires et demandé l’annulation de cette invitation. Face à leur refus, un certain nombre de personnes féministes et/ou anarchistes ont décidé d’empêcher cette conférence d’avoir lieu, ce qui a été un succès : il n’a pas été possible à Alexis Escudero de s’exprimer ce jour-là.
Cette action provenait de militantEs anarchistes, organiséEs dans différents groupes ou non organiséEs, et pour un certain nombre directement touchéEs par les propos lesbophobes, transphobes et anti-féministes. Même si de nombreuses militantEs de La Coordination des Groupes Anarchistes (CGA) ont participé et revendiquent cette action, il ne s’agit donc pas, contrairement à ce qu’on a pu lire, d’une action de la CGA.
Exemple d’un débat saboté : la PMA
L’exemple récent sur la possibilité d’avoir un débat à gauche / chez les libertaires sur la PMA (procréation médicalement assistée) est de mauvais augure pour moi. C’est comme si certains sujets, clairement des sujets de gauche (au sens large) – marchandisation, eugénisme –, volés par une droite extrême et une extrême-droite intelligentes devenaient alors tabous. Défendu d’en parler sous peine de subir l’opprobre des censeurs autodésignés.
Je vous le fait rapidement.
Alexis Escudero a publié le livre « La reproduction artificielle de l’humain ». En ligne gratuitement sur http://piecesetmaindoeuvre.com, et en librairie aux éditions Le monde à l’envers. C’est une critique de la PMA sous l’angle de la marchandisation de l’humain et de l’eugénisme. Une critique de gauche, qui n’épargne pas au passage certaines fractions de la gauche qui se font les défenseurs de cette technologie. Escudero et Pieces et Main d’Oeuvre ont ensuite publié un tract « Contre la Manif pour Tous, contre le Collectif pour le respect de la personne – contre la reproduction artificielle de l’humain ». Escudero va enfin faire fin octobre le tour de France pour présenter le livre, critiquer la PMA et débattre des questions soulevées.
Mes réflexions proviennent de la réception de ces différents textes (chapitres du livre, puis tract, puis annonces de débats) sur Rebellyon, sur Paris Luttes Info et sur Indymédia Lille. Pas tant des commentaires suscités, que de la politique de modération de ces articles.
Les deux premiers sites sont des sites collaboratifs d’information (où l’équipe n’hésite pas à retravailler les textes proposés avant publication), le troisième est un site de publication ouverte à condition de respecter les principes de la charte. Une petite précision : ces trois sites, comme bien d’autres, sont des outils précieux pour le mouvement, pour les luttes, et ils ne fonctionnent pas tous seuls. Ils fonctionnent parce que derrière des claviers il y a des équipes qui font la techniques, refont les architectures des sites, modèrent les articles et les commentaires, et réfléchissent à ce que veut dire « animer des médias libres » aujourd’hui. Cette petite précision apportée, je remercie (sincèrement) toutes ces personnes du temps qu’elles consacrent à cette noble activité et j’indique que cet article se veut une contribution à la réflexion.
Pour tous les articles que je viens de citer, sur les trois sites que je viens de citer, les lecteurs et les lectrices de ces trois site auront du mal, voire seront empêchés d’avoir accès à l’information. De savoir qu’il y a un débat sur le thème de la PMA. Ou d’avoir accès aux arguments d’une des parties. Ou de comprendre les choix de modération de l’équipe. Je prends ces trois sites en exemple, mais au vu des réactions sur d’autres sites ou lieux physiques, les réactions me paraissent caractéristiques d’une partie du « milieu » militant – partie que j’espère peu nombreuse.
En pratique : en mai, les chapitres du livres d’Escudero ont tous été proposés à publication sur les Indymédias français, et sur ces deux sites collaboratifs. Ils ont été refusés par Paris Luttes Info et Rebellyon. Pour quel motif ? Ah, oui, au fait pour quel motif ? Dur à savoir. Car à la différence des Indymédias, où les articles refusés restent visibles, mais dans la catégorie « refusé » et avec le motif de refus, sur les sites collaboratifs lorsque un article est refusé, il n’apparaît jamais, tout simplement. Mais quant au motif, on peut supposé que vu le climat récent posé par la Manif pour Tous, les modés se sont sentis mal à l’aise de mettre en avant une critique de la PMA. Je pense que c’est une erreur politique, une mauvaise appréciation de la situation, mais bon, ça relève des « choix éditoriaux » de ces sites, pourrait-on dire.
Les choses se corsent en octobre. Escudero et PMO co-signent un texte qui brocarde la Manif pour Tous. Cet article est pareillement proposé à publication. Il passe sur Rebellyon... puis il disparaît, quelque jours plus tard. Il disparaît. Sans motif. Gérard Majax. Sans indication même qu’il a un jour été publié. Sans que soit prévenue la personne qui l’a posté. Classe... Pourquoi a-t-il été suicidé ? On peut supposer que la rafale de commentaires outrés, accusant Escudero d’homophobie et de lesbophobie (je cite de tête, excusez-moi, l’article et ses commentaires ne sont plus disponibles) ont troublé les modés. Accusations nullement étayées à mon sens : il ne suffit d’affirmer de façon peremptoire qu’Alexis Escudero tient des propos lesbophobes pour qu’il les tiennent. Or, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le cas dans l’article suicidé (qui est, je le rappelle, une prise de position contre la Manif pour Tous), ni dans le livre, ni dans les autres positions d’Escudero (ni de PMO d’ailleurs). Je vous renvoie par exemple à http://www.franceculture.fr/oeuvre-... pour décider si Escudero est homophobe. Je suis triste qu’il suffise que six ou sept personnes s’affirment « choquées », « heurtées », « blessées » par les opinions développées dans un article pour que celui-ci parte en autodafé.
Comment un débat est-il possible si les libertaires qui amènent le débat se font sortir du débat sous le prétexte qu’ils ne sont pas libertaires ? J’en perds mon latin. Comment un débat est-il possible si on l’arrête dès que quelqu’un-e entend quelque chose qu’il n’avait pas prévu d’entendre ? J’en perd mon grec aussi.
Les débats sont-ils tabou ?
Que le débat soit chaud,
Que des gens soient heurtés dans leurs convictions,
Que des gens soient heurtés dans leurs pratiques,
Que nous ayons des divergences politiques entre nous,
Que le ton de certains participant-e-s soit vif,
Qu’on s’engueule pour de vrai,
c’est pas toujours facile et ça va tous et toutes nous faire réfléchir et peut-être avancer.
Mais pour cela il faut que le débat ait lieu. On ne peut décemment pas laisser à la droite et à l’extrême-droite la critique de la PMA et de la GPA. Ils la feront (la font déjà) avec leurs arguments en effet homophobes et naturalistes. Escudero ne s’inscrit clairement pas dans cette dynamique. L’assimiler à la Manif pour tous, c’est rater la compréhension de ce qui se joue politiquement en ce moment (et accessoirement à mon avis faire preuve de mauvaise foi).
Enfin, que des gens veuillent l’assimiler, pourquoi pas. Mais où ce débat aura-t-il lieu ? De nombreuses (pas toutes) associations LGBT ont fait leur la revendication du droit à la PMA et à la GPA. Contester ces technologies revient-il à être homophobe ? Dans ce cas il y a des lesbiennes féministes lesbophobes et anti-féministes (Marie-Josèphe dans son livre "Adieu les rebelles" par exemple). Donc l’argument disqualifiant "lesbophobe" ne marche pas : c’est un débat politique. Ayons le courage de l’avoir. Engueulons-nous. Pointons nos désaccords. Mais par pitié ne laissons pas ce débat sous le tapis en disant que celles et ceux qui veulent l’avoir sont des fascistes homophobes.
C’est une chose d’employer des arguments (que je trouve) de mauvaise foi, c’en est une autre d’empêcher le débat en disqualifiant les adversaires et en exigeant qu’ils disparaissent et qu’ils soit rejetés de notre communauté politique.
Par contre, le même jour que disparaissait tragiquement cet article (des suites d’une longue maladie du mouvement libertaire), un autre article faisait son apparition sur Rebellyon. Divine naissance ! « La PMA n’est pas naturelle, le couple hétérosexuel et ses enfants biologiques non plus » se veut une critique des positions d’Escudero. Pour son arrivée sur Rebellyon, le texte a été amputé de son introduction originale (sur le site de La Rotative) et c’est dommage. Cette introduction précisait :
"Il y a quelques temps, un article intitulé Ni Manif pour tous, ni reproduction artificielle de l’humain était publié sur la Rotative. Cette tribune, signée par Alexis Escudero et Pièces et Main d’Oeuvre, semble avoir pour vocation l’amorce d’un débat autour de la procréation médicalement assistée (PMA). C’est là le seul point avec lequel nous nous accordons avec les auteurs de l’article : un débat sur le sujet est nécessaire. Voici donc quelques éléments de réflexion."
Pour qu’un débat soit possible, il faut que tout le monde puisse causer. Par "tout le monde", je veux dire, tous les participants au débat. On s’accordera sur le fait que les réacs type Manif pour tous ou les fachos type Printemps français doivent être tenus loin de nos débats. Par contre, si un débat sur la PMA doit avoir lieu à gauche, ou bien chez les libertaires, il serait bon que tous les gens de gauche, ou tous les libertaires, puissent s’exprimer. On ne peut pas faire disparaître les articles des uns sous prétexte qu’on est convaincu par les arguments des autres. Ça me fait penser aux photos du Parti communiste chinois, où les anciens camarades de Mao devenus indésirables étaient effacés à la gomme. Si ça ne vous dit rien, relisez « 1984 ».
Ministère de la Vérité ou débats politiques argumentés ?
Si on veut débattre, on peut le faire sur internet (en mode forum), ou par voix de textes construits, ou encore de vive voix. Et dans ce(s) cas il faut 1/ que des lieux ou des sites accueillent ce débat (et j’ai l’impression que c’est la vocation des sites du genre Indymedia ou Rebellyon) et 2/ qu’on évite de s’insulter en se rejetant hors du champ du débat (exemple : "Escudero tient des propos misogynes, homophobes, lesbophobes, transphobes, masculinistes, naturalistes etc etc etc etc etc).
En bref, si on veut un débat, il faut des lieux, des participant-e-s, et des arguments.
Dernier rebondissement de cette histoire : la librairie lilloise L’Insoumise, les librairies parisiennes Michelle Firk et Le monte en l’air organisent la venue d’Escudero pour présenter le livre et discuter. Les annonces de ces événements sont publiées sur Indymédia Lille et paris Luttes Info. L’information passe sur Indymédia Lille, puis est placée en « débattu » (le motif : auteur pointé comme homophobe/lesbophobe/transphobe) ; elle ne passe pas sur Paris Luttes Info (le motif ? Quel motif ? Quelle information ? Quel événement ?).
Je me permet de trouver ça incroyable. Même : je suis bien dégoutté. Celui qui contrôle le présent contrôle le passé. Et le futur.
Qu’un texte fasse débat est une chose. Que les équipes de modération de ces sites décident que le débat autour du texte ne doit pas avoir lieu, en refusant même d’accepter les annonces de débat physique et en refusant d’expliquer ses choix éditoriaux ou de prévenir les auteurs des suppressions d’articles acceptés... on touche le fond. Et évidemment, plus Escudero argumente, poste de nouveaux articles ou commentaires pour répondre aux arguments, plus on le trouve relou, à la limite du harcèlement. Bientôt, le motif de refus sera tout trouvé : « on a déjà refusé ses articles précédents ». Hélas, on ne fait pas disparaître les problèmes en n’en parlant pas.
Au final, ça me pose question sur notre capacité à débattre des sujets qui nous divisent. Or, vous savez, si on cache les problèmes dans un coin, ils moisissent et on finit par s’en occuper, mais trop tard, quand ils sentent mauvais et que les voisins ont appelé les flics. Il est plus raisonnable de les affronter au moment où ils se posent. Et c’est sûr que ce n’est jamais trop plaisant de dire à ses potes (ou à ses non-potes) qu’on est pas d’accord avec eux. C’est toujours plus agréable d’être d’accord (enfin, moi, je trouve. Je dois être paresseux). Mais nous sommes une communauté politique. Et pas homogène, en plus. Des fois il faut se causer franchement. Il faut assumer qu’il y a des tendances, des lignes de fractures, des débats, des positions. Quand on a peur que certains débats aient lieu, c’est je pense le symptôme qu’on n’est pas à l’aise avec la situation politique, et justement que des discussions sont nécessaires pour affiner la compréhension du moment. Et dans tout cela, condition nécessaire, il faut que certains organes gardent une sorte de neutralité, afin de permettre que la discussion contradictoire puisse avoir lieu – ça vaut pour les sites d’info collaboratifs, pour les sites de publication ouverte ou pour les lieux militants susceptibles d’accueillir ces débats. Il paraît même que quand on se parle des fois on peut avancer et grandir ensemble. Ce serait chouette.
Jeudi 23 octobre, minuit.
Signé : un anarchiste globalement d’accord avec les idées développées par Escudero et trouvant son ton un peu trop pamphlétaire ; et qui aimerait bien qu’on se cause des problèmes plutôt que de faire comme si ils n’existaient pas.
Ce texte reprend et développe des analyses publiées en commentaire à un article sur Rebellyon (commentaire toujours invisible aux dernières nouvelles) puis sur Indymedia Grenoble. Les faits sur lesquels je m’appuie sont ceux connus lors de ma dernière connexion à Internet mercredi 22 octobre. Ils ont peut-être changé aujourd’hui, la réalité change si vite sur Internet.
Faire des enfants, un droit nouveau ? (A propos de la Reproduction artificielle de l’humain d’Alexis Escudero)
Pour ouvrir le débat
Faire des enfants, un droit nouveau ?
Article paru dans Courant Alternatif n°247, Février 2015
La reproduction humaine constitue un sujet central qui cristallise toutes les idéologies, au niveau planétaire : la survie de l’espèce est en jeu. Le livre d’Alexis Escudero (1), dont on rendra compte ici, a animé un débat sur les nouvelles technologies proposées au monde riche et développé pour favoriser cette reproduction.
La Reproduction artificielle de l’humain présente pour l’essentiel une réflexion sur un thème devenu d’actualité – dont le titre donne l’énoncé – concernant l’avenir des sociétés modernes et donc nous-mêmes. L’auteur y dénonce, de manière souvent sarcastique, à la fois les manipulations génétiques, le pouvoir des expert-e-s, l’artificialisation du vivant, la médicalisation et la commercialisation de tous les aspects de la vie, l’atomisation des personnes dans le capitalisme mondialisé… et leurs conséquences, tant sur la liberté et la responsabilité individuelles que sur le maintien de l’exploitation capitaliste et de la domination patriarcale. La plupart des reproches ou attaques à son encontre portent sur ses formules provocatrices (2) – peu nombreuses mais assez frappantes par leur humour grinçant pour avoir focalisé l’attention sur elles – et sur sa personnalité (Escudero étant jugé élitiste ou prétentieux) ou sur sa proximité avec le groupe PMO (critiqué pour son obsession anti-industrielle).
Le mieux, c’est de s’en remettre aux technoscientifiques ?
Escudero décrit le processus qui mènera, selon lui, à une généralisation forcée de la procréation médicalement assistée, ou PMA, si rien n’est fait pour l’empêcher. Le « mode de vie délétère propagé aux quatre coins du monde par le capitalisme industriel : obésité, stress, tabagisme et manque d’activité physique », et, surtout, la pollution de notre environnement quotidien font que la production de spermatozoïdes est actuellement en chute libre en Europe et en Amérique du Nord. Face à ces ravages, démontre-t-il (sur un ton un peu donneur de leçons, mais selon un procédé efficace), il y a deux façons de se comporter : « On peut réclamer la PMA et militer en faveur de la reproduction artificielle de l’humain ou se battre contre l’industrie qui stérilise la population. » Lui choisit la seconde option, assène-t-il, car il est « radical ». Il brosse le tableau de ce qui est devenu un gigantesque baby business (3). Des personnes pauvres vivant dans des pays riches, mais bien plus souvent dans des pays pauvres, vendent leurs ovules ou leur sperme à des organismes qui les sélectionnent en fonction de certains critères (origine sociale, caractéristiques physiques, résultats aux tests de QI, etc.), afin de favoriser les chances de réussite sociale des futur-e-s enfants (intelligence, beauté, santé…). Cette matière est traitée dans des centres (installés dans des Etats comme l’Espagne, où la législation le favorise) pratiquant l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, ou encore l’injection directe du spermatozoïde dans le cytoplasme. Parallèlement se développe la GPA, ou gestation pour autrui, de par le monde – notamment en Inde – car « la location de matériel reproductif humain séduit particulièrement des couples aisés des pays occidentaux ». On en est vite arrivé à la sélection du meilleur embryon à implanter dans l’utérus de la future mère ou mère porteuse : « Aux Etats-Unis et dans les pays où c’est autorisé, de plus en plus de couples parfaitement fertiles – et riches – choisissent désormais la fécondation in vitro dans le seul et unique but de recourir au DPI [diagnostic pré-implantatoire] et de garantir ainsi à leur descendance le meilleur potentiel génétique. » A partir de là, dixit Escudero, c’est la porte ouverte au transhumanisme, courant selon lequel l’humanité « doit être dépassée, transformée, améliorée » grâce aux outils fournis par les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives : « Implants bioniques – bio-technologiques –, intelligence artificielle et, bien sûr, amélioration génétique des embryons. » Et cela débouche aussi sur l’eugénisme qui, s’il s’est épanoui au début du xxe siècle au sein des démocraties libérales (4), a été utilisé par l’Allemagne nazie pour tenter de créer une « race supérieure ». Cette liberté consumériste de choisir son enfant « entre des modèles présélectionnés, standardisés et améliorés par de grands groupes industriels – publics, semi-publics ou privés, peu importe » – est dangereuse, souligne Escudero : « La sélection s’opérera selon deux types de critères. Le premier sera l’adéquation aux normes sociales, économiques et esthétiques du capitalisme et de l’industrie du divertissement. Ne seront retenus que les embryons garantissant des produits sains, standards, fonctionnels, et exploitables sur le marché du travail. Ensuite les futurs parents exerceront toute leur liberté de consommateurs. La distinction portera sur la couleur des yeux, des cheveux, la forme du visage. Elle suivra les modes et tendances du moment. » C’est là que l’auteur commet une grossière erreur d’appréciation, en citant (p. 131) un extrait de Réflexions sur un tabou : l’infanticide pour ranger ses auteures dans les « prétendues féministes » et « consommatrices extrémistes ». Il a visiblement mal saisi la revendication des femmes dans les années 1970 (bien qu’il la mette en avant ailleurs) concernant la libre disposition de leur corps : « Un enfant si je veux quand je veux », cela signifie que l’on doit avoir le droit non de prendre ou de jeter un enfant, mais de pouvoir choisir d’en avoir un ou non à tel ou tel moment de sa vie (quand ce n’est pas un problème, une galère ou une catastrophe, mais un « projet », dit l’extrait en question). Escudero ne s’intéresse pas au désir d’un enfant biologique à tout prix exprimé aujourd’hui ; ce désir nous interroge quant à nous fortement : pareille revendication à la fois d’une filiation génétique et d’un enfant considéré comme un droit – qui incite à recourir à des techniques très lourdes et coûteuses, même si elles sont désagréables et échouent dans près de 85 % des cas (22 401 naissances pour 139 344 tentatives en 2010) – constitue à nos yeux une bien étrange évolution du concept de maîtrise de la maternité (5). Par ailleurs, l’importance qu’Escudero donne à la baisse de qualité du sperme nous semble (à ce jour) à relativiser, car la (dé)natalité dépend de multiples facteurs (comme le désir d’enfant, mais aussi les politiques étatiques…), et le taux de natalité français ou anglais vient actuellement contredire celui de l’Italie ou de l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, pour nous, il n’y a évidemment pas plus lieu de s’en remettre aveuglément au pouvoir de la science et de la médecine (6) qu’à celui des technocrates qui nous gouvernent afin de servir au mieux leurs intérêts de classe. Et ce refus de les laisser décider de nos vies, et de celle de la personne humaine en général, en développant un commerce lucratif qui tendrait à l’uniformisation biologique de l’espèce ne signifie pas pour autant le rejet de tout progrès ou le désir d’un retour en arrière vers quelque état naturel idyllique (de même qu’être antinucléaire n’implique en rien de vouloir revenir à la bougie).
La PMA, c’est le moyen d’atteindre l’égalité ?
Mais c’est précisément la critique de fond portée par Escudero à la PMA qui lui vaut la polémique en cours : il la refuse en tant que telle – au nom des dangers qu’elle représente pour la communauté humaine dans son ensemble – « et non, assure-t-il, pour son extension aux homosexuels »… à l’heure où une partie de la communauté homo revendique l’accès à celle-ci. Mauvais timing : l’alerte qu’il lance est de ce fait reçue par les pro-PMA pour tous et toutes comme une charge contre leur revendication – d’où l’étiquetage « homophobe » ou « réactionnaire » d’Escudero, même si rien dans son texte ne permet d’en arriver à une telle conclusion. A la vérité, s’insurger contre les pratiques de sélection et de marchandisation des bébés ne relève ni de l’homophobie ni d’un antiféminisme ainsi que l’affirment d’aucun-e-s ; en revanche, énoncer les méfaits de la PMA incite bien sûr davantage à désirer voir une limitation du recours à celle-ci que son extension à tous les êtres humains. « Aujourd’hui, rappelle Escudero, la PMA n’est ni ouverte ni remboursée à l’ensemble des couples hétérosexuels, mais uniquement à ceux dont l’un des membres souffre d’infertilité médicalement diagnostiquée. » L’accorder « aux couples infertiles de lesbiennes fertiles » constituerait donc, selon lui, un élargissement de son champ rendant possible sa généralisation à tous les couples, fertiles ou non, et même aux personnes seules. D’autant que, « en présentant la PMA, et plus largement le recours aux biotechnologies de la procréation comme la condition sine qua non de l’égalité entre homos et hétéros, les associations LGBT, et derrière elles l’ensemble de la gauche libérale, interdisent, par un chantage à la discrimination, toute critique de la reproduction artificielle de l’humain ». Pour notre part, si nous affirmons qu’en termes de droits les homos doivent bien sûr avoir les mêmes que les hétéros, nous ne militons pas seulement pour l’obtention de droits dans la société existante : nous voulons un changement radical de société par l’abolition des rapports d’exploitation et de domination. Aussi avons-nous quelque difficulté à considérer la généralisation du mariage (institution bourgeoise basée sur l’appropriation des femmes et la défense de la propriété privée) ou de la PMA (moyen susceptible de permettre une sélection des êtres humains et s’inscrivant dans le cadre de rapports marchands) comme des axes de lutte favorisant une émancipation sociale. Au regard du caractère subversif qu’avaient les revendications du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) dans les années 1970, nous ne pouvons que déplorer la respectabilité recherchée maintenant par certains milieux homos.
Le sociétal, c’est pareil que le social ?
« Si leur désir d’enfant dans un monde surpeuplé les travaille à ce point, estime Escudero de façon assez abrupte, ils peuvent toujours adopter. Donner des parents à des orphelins en levant les restrictions aux procédures d’adoption, voilà un engagement digne. » Mais ce qui constituerait une solution, face à la démographie mondiale galopante, implique de revoir fondamentalement la politique suivie en matière d’adoption, en particulier en France, et le gouvernement « socialiste » ne s’oriente pas du tout vers elle (7). La « gauche » a abandonné depuis belle lurette la lutte contre les inégalités économiques et sociales pour se replier sur le terrain sociétal, ajoute Escudero, et depuis qu’elle est au pouvoir elle feint « d’ignorer que (…) soutenir le développement de la PMA et de la GPA, c’est soutenir le commerce des ovules et du sperme, l’exploitation des femmes du tiers-monde, et, en définitive, le principe maître du capitalisme selon lequel tout se vend et tout s’achète ». Et parce que ses soutiens sont « terrifiés à l’idée de faire le “jeu des réactionnaires”, ou, pire, qu’on les accuse de le faire en questionnant la PMA, la plupart ont ravalé leurs idéaux anticapitalistes – ce qu’il en reste – pour se rallier à la gauche libérale ». Une faute qu’ils n’ont pas fini de payer, considère Escudero, puisque cela a permis à la droite catholique d’avoir « désormais le champ libre pour envahir ces territoires abandonnés de la critique ». Ce bilan de la « gauche » nous paraît juste, et nous considérons comme contreproductif de laisser d’une façon générale certains thèmes à la droite, que ce soit pour ne pas « faire son jeu » (elle n’a nul besoin de nous…) ou pour ne pas être assimilé-e à elle (nous n’avons rien à voir avec elle – et puis ce n’est pas parce que le Front national rejetait le traité constitutionnel européen que nous sommes allé-e-s voter en faveur de ce dernier au référendum de 2005). Si la conflictualité entre les classes sociales ne porte plus que sur les sujets dits sociétaux alors que ceux-ci sont loin de refléter le clivage existant entre elles, les gouvernants peuvent dormir sur leurs deux oreilles.
Etre égal, c’est être identique ?
« L’antienne progressiste voudrait qu’on n’oppose pas égalité sociale et égalité sociétale, constate Escudero : “On peut avoir le mariage gay ET le SMIC à 2 000 euros.” Manque de pot, on n’a pas encore le SMIC à 2 000 euros. (…) Une fois de plus, l’égalité prétendue sur le plan sociétal ne sert qu’à occulter les inégalités sociales (…) parce que les bergers de la gauche libérale confondent sciemment égalité et identité – entendue ici comme caractère de ce qui est identique. » L’égalité qui a formé jusqu’ici la matrice idéologique de la gauche est sociale, économique et politique, ajoute Escudero : « Elle est l’idée que les individus, quelles que soient leurs différences biologiques, (…) doivent bénéficier des mêmes droits, des mêmes richesses et des mêmes pouvoirs de décision dans les choses de la cité. » Or « c’est cette conception de l’égalité que les avant-gardes de la gauche libérale (…) falsifient de jour en jour, au bénéfice des biologistes, médecins et industriels spécialisés dans la reproduction artificielle. Réduisant la réalité sociale à l’opposition binaire entre dominants et dominés, hantées par l’idée que toute différence est nécessairement inégalité, elles en déduisent qu’on ne peut lutter contre la seconde sans abolir la première. L’égalité, c’est l’identité. Les bio-technologies sont les armes de ce combat pour l’uniformisation. Bientôt, la dépigmentation des personnes de couleur afin de lutter contre le racisme. » A nos yeux aussi, l’égalité n’a de sens qu’entre des personnes différentes – les femmes en mouvement dans les années 1970 ne visaient pas une identification aux hommes, ne l’oublions pas, mais cherchaient au contraire à faire entendre leur différence. Ce ne sont pas les différences (de sexe, de couleur…) en soi qui posent problème, mais la hiérarchisation établie à partir de la valeur qu’on leur accorde, et qui entraîne discriminations, dévalorisations, subordinations. Nous ne pouvons ainsi être d’accord avec un courant (qu’Escudero appelle le cyberféminisme ou le postféminisme), encore ultraminoritaire en France, qui entendrait abolir les différences biologiques entre hommes et femmes – recherches sur l’utérus artificiel, sur la possibilité de procréer jusqu’à pas d’âge (comme les hommes)… Escudero force-t-il le trait pour son tableau style SF d’horreur d’un monde prochain peuplé de « cyborgs unisexe et monocolore, où manipulations, sélections génétiques et embryonnaires, implants bioniques et technologies convergentes effacent les différences, et uniformisent les corps – et les esprits ? » ? Nous l’espérons, car la dérive vers le tout-technologique se paierait sans doute d’un renforcement des inégalités : tout le monde ne bénéficiant pas de la même façon des progrès technologiques, les inégalités sociales se doubleraient d’une inégalité biologique. Par ailleurs, le raisonnement d’Escudero concernant le désir de la « gauche » d’« assigner à la technologie la tâche de (…) rendre [tous les êtres] identiques, dans l’espoir que ce nivellement mettra fin aux discriminations et aux inégalités », nous paraît partiellement faux : le repli de cette « gauche » sur le terrain sociétal découle d’après nous d’abord de ce qu’elle est libérale et non socialiste (comme elle-même le reconnaît de plus en plus sans complexe), et également de la forte aspiration de ses composantes et soutiens à une liberté consumériste et non politique. En revanche, nous nous accordons avec Escudero sur l’idée que « l’égalité, comme toute valeur démocratique, n’est jamais acquise », mais est un combat permanent qui se joue dans l’éducation, le débat d’idées, la confrontation perpétuelle des personnes et des groupes constituant la société, comme dans l’organisation, l’établissement de règles de vie et la prise de décisions communes.
Le naturel, c’est forcément réactionnaire ?
Aux postféministes et autres transhumanistes qu’il soupçonne de détester la nature et de désirer absolument ne rien laisser au hasard en formatant tout, Escudero oppose la nature telle que la « gauche » la voyait avant : « Dans le sillage des Lumières, [elle] avait fait sienne l’idée qu’un ordre naturel, quasi divin, devait céder la place à la raison, “la faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal”, pour organiser la société des hommes. (…) La gauche combattait alors une pensée réactionnaire – au sens premier du terme, c’est-à-dire tournée vers la restauration de l’ancien régime – qui légitimait les inégalités sociales au nom de la nature. » S’affranchir des « pesanteurs charnelles et naturelles » revient en réalité à quitter la vraie vie ; or, constate Escudero, c’est bien parce que la nature existe, parce que chacun-e a des liens avec son propre corps, que des lesbiennes demandent à pouvoir recourir à la PMA plutôt qu’à l’adoption… Nous partageons avec lui l’idée que mieux vaut une vie imparfaite, parce que humaine, qu’une vie résultant d’une sélection ou d’une amélioration génétique lors de sa conception. « Je ressentirais comme un empiétement insupportable sur ma liberté d’être et d’agir l’idée que quelqu’un ait pu manipuler consciemment mon génome, déclare Escudero, décider même d’une fraction de mes caractéristiques physiques ou intellectuelles. Les attentes des parents pèsent déjà lourd sur des enfants conçus et éduqués de façon ordinaire. Imaginez ce qu’elles pèseront sur des enfants génétiquement programmés, et qui auront fait l’objet d’un investissement financier et narcissique extraordinaire ! (…) Au moins cette vie est-elle la mienne ; j’ai une responsabilité dans ce que je réussis comme dans mes échecs. (…) Mais il n’y a pas de liberté sans responsabilité. En livrant à autrui, même partiellement, la détermination de ce que je suis, l’eugénisme me prive de l’un et de l’autre. » Cette réflexion vaut tant à l’échelle individuelle qu’à celle de générations entières, continue Escudero. De plus, l’eugénisme ne peut être que de « contrainte », et non « libéral » comme d’aucun-e-s sembleraient le croire : « Quand les Etats et les gestionnaires du cheptel humain auront les outils à leur disposition, rien ne les empêchera d’améliorer la qualité de leur troupeau » – à des fins économiques aussi bien qu’environnementales (si la personne humaine est de taille plus petite, ses déjections seront moins importantes et donc pollueront moins, etc.).
On le voit, alors que dans certains milieux la science paraît être devenue le nec plus ultra pour parvenir à l’égalité, quand elle ne peut conduire qu’à un renforcement de la domination de classe, de sexe et de couleur, l’ouvrage d’Escudero mérite d’être débattu, les méthodes de procréation ainsi que leur développement marchand sans concertation aucune et débridé ne pouvant laisser indifférent-e-s. Et ce même s’il se rapproche d’un pamphlet apocalyptique et si les thèses anti-industrielles que défend le courant de pensée autour de PMO doivent être relativisées. Pour nous, tant que l’humain reste humain, l’espoir subsiste, et des résistances peuvent toujours apparaître – même là où on s’y attend le moins (8).
Vanina et Chantal
1. La Reproduction artificielle de l’humain, Le Monde à l’envers, 228 p., 7 euros.
2. C’est à partir de ces formules (reprises en tout ou partie, déformées ou non, sur des sites ou dans des tracts) que l’ouvrage est rejeté sans avoir toujours été lu.
3. En dehors de tous les spécialistes médicaux que le commerce de l’« enfant sur catalogue » fait vivre, il y a les professions qui gravitent autour : publicitaires, agents de sondage, communicants et marketeurs ; et cette filière s’expose depuis 2009 au Fertility Show, le Salon de la procréation médicalement assistée londonien.
4. Aux Etats-Unis, de nombreux Etats imposèrent la stérilisation forcée des malades mentaux, des alcooliques et des criminels.
5. Le planning familial a pourtant de tout temps consisté à avoir le moins d’enfants possible, car la nature « généreuse » nous met, nous les femmes, en capacité d’enfanter jusqu’à quatorze fois.
6. A noter que l’auteur appuie son scénario catastrophe d’une reproduction artificielle généralisée sur les capacités de scientifiques qui envisagent un développement illimité de leurs fantasmes, comme si leur parole avait force de loi. Des « experts » ont auparavant aussi été consulté-e-s face aux avancées technologiques en matière de contraception, ou à l’évolution partielle du droit en matière d’avortement – et leurs pronostics démentis.
7. La ministre Vallaud-Belkacem défend plutôt l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes.
8. Des scandales récents en Thaïlande ont eu un tel retentissement mondial que le Parlement a voté fin novembre 2014 l’interdiction de la GPA. Entre autres l’histoire de cette mère porteuse qui, attendant des jumeaux dont l’un se révélait trisomique au septième mois de sa grossesse, s’est vu demander un remboursement par les futurs parents australiens puis un avortement qu’elle a refusé de faire ; de plus, une fois que lesdits parents ont récupéré l’autre bébé, la presse a révélé que le nouveau père avait auparavant été emprisonné pour des actes de pédophilie.
On le voit, alors que dans certains milieux la science paraît être devenue le nec plus ultra pour parvenir à l’égalité, quand elle ne peut conduire qu’à un renforcement de la domination de classe, de sexe et de couleur
À 65 ans l'Allemande Annegret Raunigk, mère de treize enfants et sept fois grand-mère, est à nouveau enceinte... de quadruplés. Le cas passionne le public, mais consterne le monde médical. Le professeur Israël Nisand, chef du pôle de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg et fondateur du Forum européen de bioéthique, explique les raisons de son inquiétude.
Le Point.fr : Comment réagissez-vous à la nouvelle de cette grossesse ?
Israël Nisand : Elle me choque, et elle m'inquiète. Ceux qui ont pratiqué cette insémination ne sont pas des médecins. Ce sont des affairistes, des prestataires de service. Je crois que l'un des grands défauts de l'être humain est l'avidité : on veut faire le plus d'argent possible, le plus rapidement possible. Y compris, dans certains pays, sur des sujets relevant de la santé et de la vie humaine. J'ai vu en Turquie ou en Inde des lieux où se pratiquait l'aide médicale à la procréation dans des conditions sordides, à partir d'ovules vendus par des jeunes femmes. Comme les patientes ne peuvent revenir plusieurs fois, les médecins implantent l'ensemble des embryons qu'ils ont obtenus, et "au revoir, madame".
Quels sont les risques d'une telle grossesse ?
80 femmes meurent en couche chaque année en France, sur 800 000 naissances. Parmi elles, 60 ont plus de 40 ans. À partir de cet âge, les risques d'embolie, d'AVC, d'infarctus sont accrus. La grossesse met en tension tous les organes du corps. Pour une femme qui, à 45 ans, est en bonne santé, cela peut très bien se passer. Au-delà de 50 ans, pour une grossesse simple, le risque de mortalité maternelle est multiplié par 20. Au-delà de 60, par 200. Je ne vous parle pas de ce que cela représente lorsqu'il s'agit d'une grossesse multiple... Les médecins qui se prêtent à cela commettent une faute professionnelle grave, ils mettent en danger la vie de cette femme et de ces bébés. Sans compter le droit des enfants à avoir des parents. Lorsque ceux-ci entreront à l'école, leur mère aura plus de 70 ans. Peut-on vraiment se mettre la main devant les yeux, et ne pas considérer cet aspect-là ? Les patients ont le droit de tout demander, les médecins ont le devoir de ne pas tout accepter.
Comment un gynécologue peut-il réagir face à un tel cas ?
Il ne peut évidemment que suivre la patiente, refuser reviendrait à de la non-assistance à personne en danger. Surtout si, comme c'est d'ailleurs souvent le cas en Allemagne, la mère refuse une interruption sélective de grossesse qui permettrait de réduire les risques. Pour le reste, notre rôle est de prévenir nos patientes que non, contrairement à l'impression que ce type de cas peut donner, la médecine ne fait pas de miracle. Être enceinte à 65 ans ne peut se faire qu'avec les ovules d'une autre femme. La vie humaine s'est allongée, les femmes sont plus en forme à 60 ans que ne l'étaient leurs mères et leurs grands-mères. Mais la vie de la reproduction, elle, est restée la même. La fécondité n'a pas augmenté d'un iota, contrairement à ce que beaucoup de patients semblent croire. La semaine dernière, j'ai reçu une femme de 46 ans qui venait de se marier et m'a dit "pour le bébé, on réfléchit encore"...
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