La méritocratie, une société élitiste et hierarchisée

La méritocratie, une société élitiste et hierarchisée

Messagede vroum le Dim 23 Mar 2014 09:15

La méritocratie, fabrique d’une société élitiste et hierarchisé

http://fa73.lautre.net/spip.php?article386

Article du hors série n°53 du Monde Lbertaire : Les nouveaux visages de l’autorité
samedi 22 mars 2014

Le système éducatif a toujours été un outil majeur pour perpétuer les normes d’autorité et maintenir la hiérarchie sociale : d’une part l’ordre social y est inculqué comme un modèle unique auquel il serait impossible de se soustraire et d’autre part, il s’agit aussi de sélectionner et préparer les individus destinés à occuper les postes clés au sein de la société.

Durant la troisième république, le rôle autoritaire de l’école était pleinement assumé. L’instituteur, figure emblématique de l’autorité, faisait régner une discipline très strict et pouvait punir les élèves à la moindre transgression des règles. Outil privilégié de la politique d’Etat, l’école républicaine était aussi école d’endoctrinement, comme par exemple en amont de la de la Première Guerre Mondiale lorsque les instituteurs-trices préparaient la chair à canon en relayant pleinement la morale nationaliste et anti-germanique.

Différents mouvements sociaux et libertaires ainsi que la révolte de Mai 68 ont remis en cause l’école républicaine traditionnelle. La mission des enseignant-e-s est depuis, censée se limiter à la transmission des connaissances aux élèves, qui n’apprennent plus l’amour de la patrie ou la morale en classe. Quand aux sanctions, si elles existent toujours, elles n’ont plus rien à voir avec les châtiments corporels d’autrefois.

On pourrait penser alors que l’école n’est plus une institution autoritaire, que sa vocation se limite à l’enseignement des connaissances. En réalité, elle joue toujours fort bien son rôle de sélection élitiste grâce à son outil de prédilection : la méritocratie.

A chacun selon son « mérite »

Le système scolaire actuel repose sur le concept du mérite. Les élèves sont jugés-es uniquement sur leurs résultats. L’idée est simple : l’élève qui répond le mieux aux critères d’évaluation définis par l’Education Nationale aura la chance d’accéder aux à un métier prestigieux et rémunérateur. Le haut de l’échelle sociale. C’est « la réussite ».

Cette conception du mérite date de la révolution française, elle a été mise en pratique avec le baccalauréat et les grandes écoles. Les nombreux-ses partisans-es de la méritocratie pensaient alors qu’elle était un vecteur de justice. Dans l’Ancien régime, l’élite était exclusivement constituée par la noblesse ; il suffisait donc d’être fils ou fille de noble pour accéder aux niveaux les plus hauts de la hiérarchie sociale. La sélection par l’éducation et sa panoplie d’examens et de concours, comparativement à la sélection par la naissance a certes constituer un progrès social indéniable, cependant il est important de noter que ce sont uniquement les critères de sélection de l’élite qui ont été remis en cause, et non son existence même, pas plus que les privilèges sociaux et matériels dont elle bénéfie. Que les gens soient sélectionnés sur des épreuves et des concours et non sur la naissance constituait un progrès social indéniable pour l’époque. Il est important de noter que ce sont seulement les critères de sélection de l’élite qui ont été remis en cause et non les privilèges sociaux et matériels dont elle bénéficie et encore moins son existence. Au cours du XX siècle, ce système de la méritocratie a été amélioré. En théorie l’accès aux études s’est élargi à l’ensemble des classes sociales : l’école est devenue obligatoire jusqu’à 16 ans, et tous les enfants sont censés parvenir au moins jusqu’au collège Mais la pratique est loin de l’idéal. Il par exemple difficile d’ignorer l’influence du niveau social familial, l’arbitraire des critères de sélection, tout comme l’évolution des recherches autour de l’intelligence. Ainsi la méritocratie est critiquée par nombre de militants sociaux d’intellectuels et de sociologues.

Ces critiques n’ont pas toujours été ignorées : la gauche républicaine s’en est parfois emparée pour assaisonner la méritocratie d’une touche d’« l’égalité des chances ». Ainsi les notes qui permettent de sanctionner le travail des élèves et surtout de les départager, font l’objet de nombreux travaux du ministère de l‘Education nationale. Des ZEP, zones d’éducation prioritaire où les moyens financiers et humains sont renforcés, ont été créées afin de combler les inégalités sociales. Mais la finalité du système éducatif reste la même : parfaire la méritocratie. Seul le travail et la soumission des élèves déterminent leur orientation professionnelle et leur place dans la société.

Le mérite, une émancipation illusoire.

D’après les défenseurs de la méritocratie il est juste qu’une personne est volontaire et déterminée puisse choisir sa place au sein de la société, au détriment de celles et ceux qui ont moins de volonté. Cette éthique est la même que celle qui régit le capitalisme. Les étudiant-e-s assidu-e-s se réserveraient donc un bon avenir professionnel, à la mesure de leur investissement. Les études, perçues comme un ascenseur social, permettraient aux individus méritant de s’enrichir socialement et financièrement.

Mais la méritocratie ne permet nullement l’émancipation : elle constitue au contraire un nouvel outil d’aliénation du peuple, justifiant la hiérarchie instituée et les nombreuses inégalités de revenus, de pouvoir et de reconnaissance sociale. Avec le mérite, chacun porte la responsabilité de sa misère et de la pénibilité de sa vie ; Et les élèves sont invités à travailler avec l’idée qu’ils doivent obtenir de bons résultats afin de s’enrichir, de faire un métier honorable… ou au moins d’éviter un avenir désastreux. Dès le collège les élèves se préoccupent surtout de la note, la compréhension et le contenu des cours passant au second plan. Seuls les élèves en réussite scolaire peuvent se payer le luxe de négliger la note pour s’intéresser de plus près aux sujets qu’ils abordent et ainsi réellement s’approprier les savoirs, de les discuter et bien les comprendre.

Naturellement, les étudiants-es vont mettre en place des techniques et des stratégies pour obtenir de bonnes notes : c’est ainsi que s’assimile et e transmet de cette manière la culture du résultat qu’ils-elles retrouveront omniprésente dans le monde du travail. Ils-elles ont appris, tout au long de leur scolarité à accepter la logique de compétition entre les individus grâce à la notation, efficace ambassadrice de la théorie de la carotte et du bâton. Un mauvais résultat joue le rôle d’un coup de martiner, une bonne note est une récompense.

Avec la méritocratie les futur-e-s citoyens-e-s vont considérer comme naturelles et inévitables, les logiques odieuses sur lesquelles s’appuient notre société : compétition et égoïsme, soumission et peur de la punition, éloge du zèle, voir de dévotion au travail pour justifier sa place, priorité absolue d’un résultat chiffrable au détriment de tous les autres aspects du travail, inégalité matérielle et de reconnaissance. Ces logiques deviendront réflexe dont il leur sera très difficile de se défaire : on les retrouve jusque dans les milieux militants révolutionnaires, comble de la réussite du broyage par e mérite !

Si critiquer et comprendre le système permet de prendre du recul et de se protéger de l’endoctrinement, le spectre de l’échec guette inlassablement les brebis égarées et veille au retour dans les rangs de tout le troupeau. Bien des les enseignant-e-s se sentent contraint-e-s d’obéir aux mécaniques de la méritocratie tout en y état opposé-e-s. La méritocratie, à l’instar de la loi du marché, constitue une arme d’Etat idéale : sous couvert d’objectivité et de neutralité, elle enseigne et justifie la domination de l’élite.

La fabrique de l’élite

Le second rôle du système éducatif est de former l’élite. L’oligarchie au pouvoir, dans notre république soi-disant démocratique, a besoin d’une caste intermédiaire pour maintenir sa mainmise. Dans notre société, cette élite est constituée par les cadres et les ingénieurs de la fonction publique et des entreprises, par les officiers dans l’armée, les magistrat-e-s dans la justice, les professions libérales, les enseignant-e-s etc.

Pendant la troisième république, l’examen du certificat d’études constituait le principal instrument de sélection, remplacé aujourd’hui par le baccalauréat. Suivent différents filtres pour affiner le tri parmi les candidats à la réussite : classes préparatoires, écoles d’ingénieur, de commerce etc. Mais ces filières sont surtout des centres d’entraînement où les mécanismes d’endoctrinement et de soumission de la méritocratie s’appliquent intensément. Ce dressage renforcé est décuplé grâce à la continuelle compétition entre les élèves. Les étudiant-e-s angoissé-e-s par leur réussite se plient totalement aux exigences de leur formation. Durant leurs études les élèves abordent des notions théoriques très complexes qui le plus souvent ne leur seront pas utiles au cours de leur vie professionnelle. En fait la difficulté des cours a pour but de transformer les étudiant-e-s en machines qui serviront efficacement l’Etat ou le Capital. La situation d’un-e élève de Mat Sup galérant sur des subtilités mathématiques est sensiblement la même qu’un soldat faisant des pompes dans la boue : dans les deux cas l’institution oblige la personne a réalisé un exercice stupide dans le but de la formater. Le principal objectif de l’Etat est de modeler une élite docile, incapable de remettre en cause la hiérarchie de la société ou pire de mettre ses compétences au service d’une émancipation populaire.

Les programmes très exigeants entraînent une lourde charge de travail. L’aptitude au travail des étudiant-e-s est constamment sollicitée dans une implacable logique d’efficacité. Envisager de participer à la sélection ne se fait qu’à ce prix

La flatterie très largement dispensée en cas de réussite (« vous êtes l’élite de la nation, etc. ») a tôt fait de finir de soumettre les jeunes diplômés à une oligarchie dans laquelle on leur promet une part active et privilégiée.

Au final, ce système perdure sans que l’Etat n’ait à montrer les dents : la notion de mérite est acceptée par l’immense majorité de la population. Le plus souvent les revendications des mouvements contestataires ne portent que sur des dysfonctionnements du système méritocratique, La méritocratie est pourtant la justification de privilèges et de pouvoirs de classe profondément injustes. Le mérite quant à lui n’est qu’une valeur morale, en partie issue du christianisme, qui devrait pouvoir être débattue.

En ne perdant pas de vue que la méritocratie dissimule les intérêts de l’oligarchiques, Se concentrer sur une lutte anti-notation ne saurait être suffisant. Le combat contre le système méritocratique doit s’insérer dans le projet d’une révolution sociale et libertaire pour atteindre une dimension réellement émancipatrice.

Jauffrey, groupe de Chambéry de la Fédération Anarchiste
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