Violences conjugales : les hommes battus organisent leur défensehttp://jeanmorizot.blog.lemonde.fr/2012/11/24/violences-conjugales-les-hommes-battus-organisent-leur-defense/Le dimanche 25 novembre se tenait la journée internationale contre les violences faites aux femmes. En France, une seule association lutte pour la reconnaissance des 140 000 hommes victimes de violences conjugales. Le colloque de SOS Hommes battus avait lieu lundi 19 novembre. Au programme, témoignages et décryptages.
La femme battant son mari. Gravure par Abraham Bosse, vers 1633
Lundi 19 novembre. Les feuilles rousses jonchent le chemin boueux qui mène, le long de la Seine, au complexe nautique de l’île de Monsieur, à Sèvres (Hauts-de-Seine). L’association SOS Hommes battus y a réservé une salle pour organiser son deuxième colloque. Cinquante chaises sont installées. Une trentaine de personnes participent. C’est peu, quand on sait que 136 000 Français sont victimes de "violences physiques ou sexuelles par conjoint ou ex-conjoint". Le chiffre provient du rapport publié dans le bulletin d’octobre de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). L’organisme, qui dépend du Ministère de l’Intérieur, a exploité "les réponses de 29 366 hommes de 18 à 75 ans." Un large échantillon qui a permis "de mener une étude sur le profil des personnes se déclarant victimes de violences avec une précision inédite".
"Notre association est féministe"Fondée en 2008, l’association SOS Hommes battus a obtenu le statut loi 1901 l’année suivante. Sa présidente Sylviane Spitzer accueille les arrivants. Elle présente le programme et s’excuse de l’absence d’un intervenant, qui est injoignable depuis deux semaines : "C’est un sujet qui remue beaucoup de choses. Les gens ont peur d’être connotés dans un courant masculiniste. Hors notre association est féministe. Nous réclamons qu’hommes et femmes reçoivent le même traitement." Une victime sur cinq est un homme. Si on exclut les violences sexuels, le rapport passe à un tiers. En France, un homme décède de violence conjugale tous les dix jours. Une femme tous les trois jours. "Certaines féministes tiennent un discours extrême, constate Sylvianne Spitzer. Elles estiment que s’occuper de la minorité serait nier la majorité. Il faut s’occuper de tout le monde."
Les diplômés sont les plus exposésPierre Bertrand, 52 ans, agrégé de mathématiques, témoigne en premier : "A priori, je ne pensais jamais être concerné. Mon ancienne épouse est normalienne, comme moi. Je pensais ce problème réservé aux classes populaires." Il évoque le cliché de "la boulangère" avec son rouleau à patisserie. Le rapport de l’ONDRP révèle pourtant que les dipômés de l’enseignement supérieur constituent la catégorie sociale la plus exposée aux violences envers les conjoints masculins : Sur mille personnes, 10,8 hommes se sont déclarées victimes contre 15,8 femmes.
Les yeux fixés sur sa feuille de notes, Pierre relate son expérience : "J’ai subi toute une gamme de violences psychologiques et de manipulations pendant vingt ans." Il est l’un des rares à avoir intenté une action en justice. Sylvianne Spitzer donne les chiffres : "4% déposent une main courante, 1% portent plainte, 1% entament une procédure de divorce. Il ne se passe rien dans 94% des cas."
Après quelques minutes, Pierre a posé ses lunettes sur la table. Son regard se perd vers le fond de la salle. Il puise ses paroles au fond d’une douloureuse mémoire. Quand il a déposé une main courante, les policiers lui ont demandé : "Mais pourquoi ne vous êtes vous pas défendu ? Pierre a eu honte : J’avais l’impression qu’ils se foutaient de ma gueule."
"95% des juges aux affaires familiales sont des femmes"Olivier Besida, délégué de SOS Papa à Paris, prend la parole. Il présente son association. Cette dernière réclame qu’aux yeux de la loi, "père et mère soient traités sur un pied d’égalité". Fondée il y a vingt ans, elle compte 15 000 adhérents et "conseille en moyenne 6 000 papas par an." Les pères victimes de pressions ou de violences sont confrontés à un dilemme récurent : "Partir ou rester pour protéger les enfants. Car la mère en obtiendra toujours la garde."
Plusieurs participants au colloque sont en procédure pour obtenir la garde de leurs enfants. La conversation s’engage sur les JAF (juges aux affaires familiales), une "parodie de justice". Un homme assure que "95% des JAF sont des femmes" qui favorisent les femmes, protégées par le "pouvoir souverain d’appréciation des juges". Certains ne cachent pas leur dégout du système judiciaire. Ils s’estiment victime de misandrie. Au dernier rang, une dame qui quittera la réunion avant son terme murmure : "Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?"
Une association victime de son succèsA la pause, Sylvianne Spitzer, psychologue de profession, se montre compréhensive. La colère des victimes s’explique : "L’injustice engendre de la rancoeur. La rancoeur fait partie du processus de deuil." Elle rappelle qu’il est très dur de témoigner : "L’homme ne veut pas entrer dans un processus de victimisation, ou désire simplement tourner la page."
La présidente aurait aimé ne pas avoir à fonder SOS Hommes battus : "Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’information sur ce sujet. C’est en ça que notre prévention est nécessaire. Si les hommes victimes de violences connaissaient les démarches à suivre, ils n’auraient pas à se tourner vers nous." Sur la période 2010-2012, la permanence téléphonique - ouverte en semaine le matin - a reçu 3300 appels et 3600 mails. L’équipe consacre environ 45 minutes à chaque personne : "Nous sommes peu nombreux, donc difficilement joignables. Nous sommes victimes de notre succès..."
Le colloque se termine par l’évocation des pays étrangers en avance sur la France. "Aux Etats-unis, une enquête portant sur l’ensemble des 50 Etats est en cours. Il existe dix centres d’accueil à Londres. On en trouve en Espagne, au Maghreb, en Iran, en Irak." En France, la mairie de Montrouge met à disposition de SOS hommes battus un local. Deux heures par semaine.
Plus : Vous trouverez à cette adresse
http://fr.scribd.com/doc/114156442?secret_password=dauwu6chvuoi9d6e4v1 le contenu de l'intervention de Catherine Ménabé, doctorante en droit pénale et sciences criminelles. Le document traite des violences conjugales sous leur aspect juridique. La partie chiffrée contient de nombreuses informations.
Jean Morizot