Non. On peut revendiquer la liberté de l'individu sans nier qu'il se construit aussi par le rapport social avec les autres. Pour moi ce n'est pas incompatible.
En revanche les détracteurs de l'individualisme anarchiste ont une tendance ( que je trouve parfois un peu holiste voir marxiste) à considérer que seul la société produit un individu, et à n'y voir qu'un résultat, la société précédant l'individu, et l'individu n'étant alors qu'une invention de l'homme contemporain.
Cette analyse a ses limites évidentes, comme la première.
Non. Je pense que les individualistes font la même erreur que les marxistes, c'est à dire qu'il refusent le rapport dialectique individu-société, et qu'ils considèrent (ou ont tendance à considérer) soit pour les uns l'individu sans rapport aux conditions sociales qui le créent, soit pour les autres la société sans rapport avec les individus concrets qui la composent. Dans les deux cas on est dans les concepts et pas dans la réalité matérielle. Or justement les individus s'ils veulent se construire en tant qu'individus émancipés des structures sociales de dominations, doivent commencer par les identifier, et identifier leur positions dans ces structures de dominations. Mais ces structures de dominations doivent être saisie dans leur manifestation concrète, c'est à dire pas comme des concepts (comme le font les marxistes, où tout du moins une grande partie d'entre eux) mais comme ensemble bien réels
d'individus, d'être humains vivant caractérisés par leur positions dans les rapports de production
Ceci n'a rien à voir avec le communautarisme. Pour abolir les classes sociales, encore faut-il en reconnaître l'existence. Idem pour abolir les genres.
BRef ce n'est pas en niant la lutte de classe qu'on construit les conditions de l'abolition des classes sociales. L'irruption de cette affirmation de l'antagonisme des classes (en terme d'intérêt) c'est au contraire ce qui a posé la question sociale, et a permis de montrer que l'émancipation individuelle n'était pas possible pour les classes dominées dans le cadre du système capitaliste. C'est l'affirmation de a lutte des classe qui permet son dépassement dans l'abolition des classes sociales, pas sa négation (qui au contraire n'entretient que le statu quo, on le voit justement depuis les années 80, quand s'est imposé dans le domaine politique cette négation de la lutte des classes).
De même, c'est la revendication homosexuelle (et féministe !)qui a permis de faire bouger les lignes, de visibiliser le caractère sexiste, hétéronormé de la société (et donc son caractère patriarcal) et qui crée les condition d'un dépassement des frontières de genre.
Affirmer une situation sociale qui nous est faites ne signifie pas s'y enfermer, mais au contraire se donner les moyens de bouger les lignes en les identifiant. Au contraire, évacuer ce stade de l'affirmation
Je ne pense pas. Perso, je ne nie pas un rapport de domination basé sur l'appareil de production, j'estime simplement qu'il n'explique pas l'Histoire, et qu'il y a d'autres rapports de domination qui rentrent en compte. Je pense aussi que si le capitalisme et le néo-libéralisme nient l'individu malgré l'idée commune qui sous-entend l'inverse, ne penser la société qu'en terme de classes sociales revient aussi à nier l'individu, en ne le voyant que sous le prisme économique du groupe social, et rien d'autre.
Personne ne pense la société qu'en terme de classes sociales dans le courant anarchiste (ni comme moteur de l'histoire), il y a l'opposition à l'ensemble des rapports de dominations qui justement sont identifié comme des rapports sociaux, c'est à dire collectifs, qui donc ne peuvent se résoudre à la seule échelle individuelle.
Mais tout ça n'implique pas forcement le fait de faire de son "groupe social" une identité (à la fois identité pour l'individu, et identité de groupe), et ce pour deux raisons (qui coïncident d'ailleurs avec ces deux aspects).
- La première, qu'a développé Léo, c'est qu'il faut faire attention à ne pas réduire l'individu à son rôle social, sa fonction et ne pas le voir comme un pur produit social.
Un individu n'a pas UN "rôle" social (mais de multiples rôles sociaux), mais est le produit des influences des différentes structures sociales, mais aussi de son expérience propre et irréductible (elle-même par ailleurs déterminée par le contexte social, enfin bref, c'est la poule et l'oeuf). Pour s'émanciper justement de l'influence de ces structures sociales (et des rôles qui lui sont imposés), il doit justement en prendre conscience, car on ne peut s'extraire de ce dont on n'a même pas conscience. Prendre conscience de nos identités multiples, ce n'est pas s'y enfermer, c'est justement se donner les moyens de les dépasser.
Même en rhétorique, on ne peut nier une proposition qui n'a pas été énoncée. Dans la réalité sociale, on ne peut pas modifier ce qu'on n'identifie pas...
Cela vaut pour le capitalisme comme pour le patriarcat...
- La deuxième, stratégique, c'est qu'il n'est pas bon selon moi de lutter "frontalement" contre les groupes qui nous oppriment sans apporter une critique supérieure, une critique de la structure du système social, en plaçant le débat au dessus de ces conflits. C'est pas le patron qu'il faut plumer, c'est son existence qu'il faut remettre en cause (enfin je ne t'apprends rien). Le patron est dans son rôle de patron, c'est la fonction qui fait l'individu...
Le fait de lutter classe contre classe donne l'impression qu'on veut diminuer l'écart entre les deux et la domination de l'une sur l'autre, alors que c'est les classes qu'il faut détruire.
C'est une tarte à la crème : justement, puisque c'est la fonction qui fait l'individu, le problème n'est pas individuel, mais collectif. C'est justement un PROBLEME de classe, pas d'individu (c'est pas un tel qui est gentil ou méchant, mais un groupe qui occupe une position dans les raports de production et défend ses intérêts). Comme dit Warren Buffet (seconde richese mondiale), "la guerre de classe existe, c'est ma classe, la classe des riches qui est en train de la gagner." Pourquoi gagne t'elle ? Parce que justement les classes populaires ne se reconnaissent plus comme telles, mais comme des "individus" : en faisant disparaitre cette prise de conscience de classe, et de l'antagonisme de classe (la lutte des classe), on fait disparaitre les outils d'identification du problème, donc on ne se donne pas les moyens de le résoudre (en liquidant les classes) : au contraire on fait croire que le problème est inter-individuel, ou serait l'oeuvre de force invisibles et indépassables.
Reconnaître l'existence des classes sociales, c'est justement désindividualiser le problème, et donc permettre les condition de sa résolution, par l'abolition des classes. Et par la même, supprimer un des rapports de dominations qui pèse sur les individus.
Les individus concrets tirent justement de cette identification de leur position sociale et des antagonismes sociaux, les possibilités d'actions concretes, qui leurs permettent de dépasser soit le caractère fallacieux du discours libéral (l'individu isolé, atomisé, qui "pourrait" tout indépendemment du concept, ce qui justifie la théorie libérale du contrat), soit le caractère fallacieux du discours marxistes mécanistes (le changement sans leur action volontaire comme individus des classes populaires, individu opprimé mais comme processus métaphysique inéluctable).
Pour détruire les classes comme structure, il faut supprimer l'écart entre les classe. Pour supprimer l'écart entre les classes, il faut constater leur existence. Il faut aussi s'attaquer au quotidien à le diminuer, cet écart, c'est encore le meilleur chemin pour le supprimer, par un processus d'égalisation. Prendre conscience de sa condition ne signifie asolument pas s'en satisfaire, mais savoir d'où l'on part. Cela ne préjuge pas d'où l'on arrive, mais ça nous permet de réfléchir concrètement au chemin qu'il faut prendre.
Ce qui nous diffère des marxistes, c'est que quand nous parlons de classes sociales, nous parlons des individus biens concrets qui les composent, pas d'un "concept" immatériel qui aurait une "mission historique", indépendement de la réalité immédiate, matérielle et concrète de cette classe, c'est à dire des individus biens réels et concrets qui la composent...
Et même si tu as ce but (j'espère bien !), utiliser les concepts de lutte des classes et de conscience de classe pour l'atteindre me semble inadapté.
Si l'oppression s'exerce effectivement sur les individu-e-s d'une classe, ce n'est pas pour autant contre les autres classes qu'il faut lutter mais contre l'existence de ces classes et l'existence même des rapports de domination. Pour moi le concept de lutte des classes déplace (dans les esprits du moins) la source du problème et nous fait taper au mauvais endroit. On glisse rapidement vers des idées de dictature du prolétariat.
Il n'y a pas de contradiction entre lutter contre la bourgeoisie et pour l'abolition des classes sociales. Bien au contraire, ce sont les facettes de la même dynamique. Justement parce que l'on parle de classes (structures sociales collectives) et pas de positions individuelles.
Bien au contraire, lutter contre la classe dominante, c'est lutter contre ses intérêts. Lutter contre ses intérêts, c'est lutter contre son appropriation du pouvoir et des richesses produites. C'est donc créer les conditions concrètes d'une société sans classe et sans Etat. Un processus d'égalisation (vers une société sans classes et sans état) suppose la prise de conscience des inégalités (société de classe) et des raisons de leur existence (lutte des classes, capitalisme).